ITW de Philip Sayce, un guitariste hors pair

                    
                        ITW de Philip Sayce, un guitariste hors pair

Interview réalisée par Dominique Boulay
Traduction : Josée Wingert
Photos : © Frankie Bluesy Pfeiffer

C’est juste avant son passage au Réservoir (le 26 mai 2010) que nous avons rencontré Philip Sayce, le genre de guitariste qui fait vibrer en vous la corde sensible. A preuve, envoyez-vous dans les neurones son dernier opus, ‘Innerevolution’, et vous changerez de suite d’avis sur le fait que l’on n’entend plus grand-chose de bien depuis que Jeff Healey nous a quittés. D’ailleurs Philip Sayce a ferraillé, en son temps, avec le guitariste aveugle, et il en a gardé un souvenir très ému.

BM: Pour commencer, si tu le veux bien, Philip, dis-nous en quelques mots qui tu es, d’où tu viens.
PS
: Je suis né au Pays De Galles et mes parents, également gallois, sont partis pour Toronto, au Canada, lorsque j’étais très jeune. J’avais deux ans à l’époque.

BM: Tu n’es pas le seul bluesman demeurant à Toronto. J’ai déjà eu l’occasion de rencontrer David Gogo, qui est natif de cette ville, et j’ai croisé Sue Foley, qui, en plus d’être une excellente guitariste et chanteuse, est une très jolie femme… Tu les as déjà rencontrés, ces deux là?
PS
: (large sourire) Bien sûr! Je les connais tous les deux. David est un très grand guitariste. D’ailleurs, c’est lui qui a joué en première partie de Johnny Winter, pendant sa tournée aux Etats- Unis.

BM: Johnny Winter était en France en mars dernier et j’ai eu l’occasion de le voir sur scène. Il est bien fatigué!
PS
: Oui, c’est vrai, mais tu sais, on ne pensait même pas qu’il vivrait jusque là. Alors c’est une bonne chose qu’il soit toujours là, car c’est vraiment un très grand musicien.

BM: En plus d’avoir écouté et apprécié tes deux albums solo, j’ai lu pas mal de choses te concernant et notamment que tu avais joué avec Uncle Cracker. Ce n’est pas un bluesman, lui, c’est davantage du country rock…
PS
: Tu as parfaitement raison. Il fait du hip-hop, du country-rock, du rap, du rock. Il s’est ouvert un horizon musical très large et je trouve ça très bien.

BM: Et toi, dans quel genre musical te reconnais-tu plus particulièrement?
PS
: Je me reconnais dans tous les genres, car ce qui est important pour moi, c’est de faire de la musique. Comme jouer du rock. Le blues, c’est la graine qui, en poussant, a donné le rock. Le blues est à la base de tout, de la soul, du funk et de tout le reste, évidemment.

BM: La couverture de ton premier album, ‘Peace Machine’, est assez psychédélique. N’est-ce pas le signe d’une certaine nostalgie d’une autre époque? Tu es pourtant trop jeune pour avoir connu des groupes comme Grateful Dead ou Jefferson Airplane…
PS
: Oui, je suis né dix ans après (large sourire), mais j’ai tout de même beaucoup écouté de disques de cette époque, et pour moi, il y a quelque chose dans cette musique là…! Il y a quelque chose d’honnête, de pur, d’idéaliste,…quelque chose qui est chargé d’émotion. J’aime cette époque et cette musique là car elles éveillent toujours quelque chose en moi.

BM: Quels sont les artistes de cette période que tu préfères?
PS
: Jimi Hendrix et Eric Clapton, bien sûr, mais aussi toutes les formations dans lesquelles il a joué, comme Cream. Sinon, un guitariste comme Albert King, par exemple, a influencé beaucoup de monde…, tout comme les Stones.

BM: Pour en revenir à cette fameuse pochette, l’iconographie rappelle les affiches du Fillmore West et celles de nombreuses formations qui s’y produisaient à cette époque.
PS
: Oui, c’est vrai, mais n’oublie pas que ces groupes prenaient tous leur inspiration dans le blues. Toutes ces musiques prenaient leurs racines dans le blues.

BM: Ton deuxième album s’intitule ‘Innerevolution’. Pourquoi ce titre?
PS
: Hé bien, quand il a fallu trouver un titre à cet album, je me suis replongé dans toutes ces chansons, ce que je disais dans chacune d’elle, et pour moi il est devenu rapidement très clair que tout parlait de mon évolution intérieure. Pas seulement en tant qu’artiste et musicien, mais aussi et surtout en tant qu’être humain. Tu sais, toutes les chansons de cet album relatent d’expériences personnelles, et puis on évolue en permanence, on grandit constamment. C’est ce que j’ai voulu dire par ce titre, Innerevolution.

BM: J’ai également lu que tu avais travaillé longtemps avec Melissa Etheridge.
PS
: Oui, et c’est une vraie grande chanteuse de rock’n’roll. Elle a été grammy-awardée plusieurs fois, vendu des millions d’albums, joué avec Hurricane, il y a trente ans, mais n’est pas très connue en Europe, j’ai l’impression, et c’est dommage. Elle est un mentor, pour moi.

BM: A-t’elle interprété de tes chansons?
PS
: Non, j’étais là pour jouer avec elle et pas pour essayer de lui refiler des titres à moi (rires). Par contre, oui, elle a composé des morceaux pour que je puisse l’accompagner à la guitare sur ces titres là. Elle m’a toujours laissé beaucoup d’espace pour que je puisse m’exprimer et ça, vois-tu, c’est pas tout le monde qui te l’offre. Je suis resté à ses côtés pendant trois ans…

BM: Tu as été également le ‘side guitarist’ de Jeff Healey, exact?
PS
: Oui, et il a été mon professeur, mon maître, en quelque sorte… C’était quelqu’un de remarquable et très ouvert aux autres. Comme si son handicap, sa maladie lui avait donné des yeux pour voir au fond des gens qu’il croisait.

BM: Tu ne jouais plus avec lui lors de ses derniers enregistrements?
PS
: Non, je l’avais quitté en 2001, pour faire ma propre carrière.

BM: Tu as enregistré 2 CD sous ton propre nom, mais dans combien d’autres CD apparais-tu?
PS
: Dans beaucoup de disques, beaucoup, mais je ne sais pas exactement combien (rire). J’en ai enregistré avec tous les artistes que j’ai accompagnés.

BM: Où vis-tu, actuellement ?
PS
: A Los Angeles.

BM: Alors tu dois connaître Joe Bonamassa…
PS
: Oui, bien sûr…! Joe fait partie de mes amis et nous nous voyons très régulièrement. C’est vrai que beaucoup d’artistes vivent à L.A. car il se passe pas mal de choses dans cette ville, mais New York reste le point central, et L.A. arrive juste après. Ceci dit, maintenant qu’il y a le net, tout peut arriver n’importe où. Si tu utilises cela de manière réfléchie, tu peux être présent partout.

BM: Internet n’est donc pas ton ennemi? Tu ne penses pas comme ceux qui disent que le net met les artistes en danger. Aurais-tu donc le même point de vue que ton ami Joe Bonamassa qui nous disait au contraire que le net faisait venir de plus en plus de gens à ses concerts…?
PS
: Absolument…! Il n’y a pas de meilleur moyen que le net pour aller vers les gens, et le maximum de gens, qu’ils soient à Tokyo ou à L.A. Mais attention, c’est un moyen et non une fin. Le net ne remplacera jamais les concerts, le contact direct avec le public.

BM: Quels sont les jeunes guitaristes que tu apprécies particulièrement?
PS
: (sourire) Dois-je te parler seulement des guitaristes? J’aime beaucoup James Morrisson et Eric Gales, par exemple. En fait, j’aime tous ceux qui jouent avec leur cœur. Et il y en a beaucoup, tout de même, alors te donner des noms, c’est difficile…(sourire)

BM: C’est marrant que tu mentionnes Eric Gales, parce que je trouve qu’il te ressemble un peu, parce qu’il joue, lui aussi, à la manière d’Hendrix.
PS
: Eric est absolument époustouflant. Epoustouflant…!!! Mais c’est vrai que Jimi Hendrix a été le plus grand. Il a inventé le langage de la guitare. Tous ceux qui ont joué de la guitare après lui utilisent ce langage!

BM: Tu vas jouer dans quelques jours au Réservoir. Est-ce la première fois que tu joues en France?
PS
: Non, car j’ai déjà joué à l’Olympia, avec Jeff Healey.

BM: Joues-tu parfois en acoustique?
PS
: Oui. Je possède une Nationale, une Marvin mais je n’ai pas encore de Guild, mais ca viendra…(sourire)

BM: Et pourquoi pas un jour un album ‘unplugged’?
PS
: Tu vas rire, mais j’y ai déjà pensé. Cela pourrait être très sympa..!

BM: Comment définirais-tu ce que tu joues?
PS
: Moi? Très simplement, je dis que je fais du rock-blues.

BM: Ne préfères-tu pas composer de la musique plutôt qu’écrire des textes?
PS
: Cela va t’étonner, peut être, mais non, car j’aime les deux. Ecrire les paroles, cela te donne l’occasion de rédiger une histoire complète, écrire sur des choses que tu ressens, des choses que tu as vécues. Cela te permet de traduire en mots ce que tu as en toi, et c’est souvent très intéressant à faire. Tu te connais mieux, ainsi. La musique, par contre, c’est comme mettre en peinture une histoire, lui donner des couleurs. Si tu es heureux, tout est bien fleuri, alors que si tu n’es pas bien, un peu ‘à côté de la plaque’, tu écris différemment. C’est mettre en couleur l’expression de ce que tu ressens.

BM: Est-il exact que tu as étudié le piano, lorsque tu étais enfant?
PS
: Oui, mais je n’en ai plus joué depuis des années. Faudra peut être que je m’y remette un jour…(rires).

BM: Cela ne devrait pas être trop difficile, pour un musicien aussi doué que toi…
PS
: Oh non, ce n’est pas aussi facile que ce que tu crois. M’y remettre sérieusement, cela va nécessiter beaucoup de travail.

BM: Il y a quelque chose d’important que tu souhaites dire à tous ceux qui vont lire cet entretien…
PS
: Oui, je veux leur dire que c’est important de rester connecté à la musique qui veut dire quelque chose, qui a du sens. On entend trop de musique prête à être consommée à la va vite, comme des hamburgers. Des trucs sans saveur et qui semblent sortir de moules bien formatés. Il y en a beaucoup,…beaucoup trop, de ces musiques là, et elles donnent une fausse image de ce qu’il faut faire pour réussir dans la musique car elles laissent à penser que tout se fait vite, et très facilement, alors que faire de la bonne musique c’est un travail de création, et qui demande du temps. Ce qui est essentiel, ce sont les musiques qui viennent du cœur et de l’âme, quel que soit le genre musical.

BM: Est-ce que les musiciens avec lesquels tu vas tourner sont les mêmes que ceux avec lesquels tu as enregistré le disque?
PS
: Oui, je joue en trio, avec un batteur et un bassiste.

BM: La formation idéale pour jouer le blues !
PS
: Sans doute, oui,…comme Cream avec Clapton ou le Jimi Hendrix Experience.

BM: Des artistes qui ont été révélés en Angleterre. N’est-ce pas le pays qui est finalement le point de départ de beaucoup de choses…?
PS
: Oui, tout à fait d’accord avec toi. Tu sais, mon groupe favori reste les Beatles, car rien ne les a jamais égalés, et ils viennent d’Angleterre. Même si cela fait plus de quarante années maintenant, Jimi Hendrix aussi, même s’il est de Seattle, aux States, a démarré sa carrière en Grande-Bretagne. Regarde, cela a été aussi le cas pour Eric Clapton, Pete Townshend, Jeff Beck, Jimmy Page, et des groupes comme Traffic. Punaise, qu’est-ce qu’ils étaient doués, ces mecs. Sans oublier Free, et d’autres…

BM: Avec la musique que tu joues, tu attires dans tes concerts un public très varié, des jeunes comme des moins jeunes. L’as-tu remarqué?
PS
: Oui, bien sûr, et c’est vrai que mon public est une combinaison très variée de personnes de14 à plus de 60 ans. Je crois que tous ces gens viennent me voir en concert parce qu’ils ont compris que ma musique vient du cœur. Et cela, quel que soit l’âge. Mais c’est vrai aussi que les personnes plus âgées ont déjà écouté pas mal de musiciens dans leur vie et qu’ils sont devenus des connaisseurs. Et le fait qu’ils viennent à mes concerts me touche beaucoup, car cela veut dire qu’ils apprécient vraiment ce que je fais.

BM: Finalement, n’es-tu pas, quelque part, comme un pont entre les générations?
PS
: Je ne sais pas, mais je dois te dire que je suis vraiment très fier que tu dises cela de moi.

BM: Tout comme Joe Bonamassa, ce que tu joues est une très bonne manière de faire découvrir et apprécier le blues aux jeunes générations. Tu es une excellente introduction à ce genre musical.
PS
: C’est vraiment trop gentil de me dire cela. Merci beaucoup. Mais pour apprécier le blues, je pense que tant que tu ressens quelque chose, tant que tu as un cœur qui vibre quand tu écoutes de la musique, c’est bon signe. C’est comme se trouver devant une peinture, devant un tableau et que tu ressens quelque chose. Il faut simplement laisser s’exprimer tes émotions et c’est en vibrant sur ce que tu écoutes, sur ce que tu vois, que tu es vivant. Et que tu vis pour toi, et pour les autres.

BM: Dernière question, intéressée, Philip…As-tu déjà des morceaux d’écrits pour ton troisième disque?
PS
: Oui…(sourire) Dix à quinze morceaux sont déjà prêts, mais tous ne seront pas sur ce prochain album.

BM: Peut-on s’attendre à un double CD, alors…?
PS
: (rire) Et pourquoi pas…! Je n’y avais pas pensé, à ça (rire). A bientôt, au Réservoir!