ITW de Napoleon Washington

                              ITW de Napoleon Washington

Entretien avec un suisse pas ordinaire

Interview préparée par Claude Jandin et Dominique Boulay
Rédigée par Michel Enfert et Dominique Boulay
Photographies: © Patricia De Gorostarzu

C’est lors de son passage par Paris que nous avons eu le grand plaisir de rencontrer cet helvétique peu ordinaire et au nom de scène encore moins banal, Napoleon Washington. Ayant déjà apprécié ses deux précédents opus mais aussi (et surtout) son troisième album, il va sans dire que nous avions quelques questions à lui poser sur ce troisième disque dont le digipack proposé par Dixiefrog est tout simplement exceptionnel.

Blues Magazine (BM): Napoleon Washington, c’est un nom pas commun, qui interpelle…
Napoleon Washington (NW):
Comment souhaitez-vous que je me présente à vos lecteurs…?

BM: Comme un artiste, puisque c’est ce que tu es, non?
NW:
Hé non, à vrai dire, je ne suis pas un artiste. Disons plutôt que je suis un artisan, car je ne vois pas forcément l’aspect créatif et artistique des choses. Je fais un travail et le résultat de ce travail est quelque chose qui se passe, par voie de conséquence. C’est comme quelque chose qui se produit malgré le travail fourni, en quelque sorte. Pour dire les choses d’une autre manière, encore, je dirai que je n’ai pas la volonté de faire de l’art. J’ai la volonté de faire de l’artisanat. Je veux fabriquer des petits objets, car je suis un musicien fabriquant et puis une fois les choses faites, je propose ces petits objets aux gens en espérant qu’ils leur apporteront un peu d’émotion. Et la palette des émotions peut être très large. Je vais me répéter mais j’insiste, je ne me vois pas du tout en artiste.

BM: L’association des deux, tout d’abord Napoleon, puis Bonaparte, c’est le choix de tes parents…?
NW:
(rires) On ne me l’avait pas encore posée de cette manière.

BM: On te la pose ainsi parce que l’on a lu que Zachary Richard t’avait contacté et avait évoqué avec toi le rachat de la Louisiane… Et puis Napoleon, c’est quand même parlant!
NW:
C’est parlant pour vous, Français, parce que la référence au général corse n’est parlante que pour vous, en fait. Moi, je ne fais aucune référence à Bonaparte. Je dirai même que je déteste Bonaparte, qui était un con sanguinaire. Vous savez, Bonaparte, c’est un type qui a été actif pendant onze ans. Bush l’a été pendant huit ans et le nazisme pendant douze, cela remet un peu les choses à leur place. C’est un type sous le régime duquel la France a perdu un tiers de son territoire et qui a restauré l’esclavage en Haïti. Je n’ai donc aucun rapport et aucun intérêt avec ce type. Et d’ailleurs pour vous montrer que ce que j’affirme est authentique, hé bien, en ce qui me concerne, il n’y a pas d’accent sur le ‘e’ de Napoleon. C’est plutôt l’association avec Washington qui est sympa et qui donne du sens à la démarche. Et je vous rappelle que si vous allez sur mon site www.napoleon-washington.com et que vous voulez avoir des précisions sur le sujet, toutes les informations se trouvent au chapitre ‘Bio’. Une rubrique intitulée, en français, ‘A propos’, est disponible à cet endroit précis et je pense que vos lecteurs seront intéressés à la consulter. Ils y trouveront toutes les informations et pourront prendre connaissance de toutes les explications mais je vais, volontiers, vous résumer ce qui y est écrit. Il y a plusieurs idées derrière ce nom. En premier lieu, le côté dérisoire. C’est un gag en quelque sorte. C’était un moyen de se rappeler que c’est le travail qu’il faut prendre au sérieux, et pas soi-même. Moi, je prends le travail au sérieux, et un peu de dérision ne fait pas de mal. Mais il y a aussi la volonté de revenir sur un moment de l’histoire des hommes qui est absolument unique. C’est le moment, à la fin de la guerre de Sécession, où toute une population d’individus passe du statut de bétail au statut d’homme libre. Ces gens s’aperçoivent alors que jusque là, comme le bétail, une grande partie d’entre eux n’avait qu’un seul prénom, comme la vache Marguerite. Et ils réalisent que l’une des marques du statut d’homme libre, c’est justement de porter deux noms. Alors ces types se trouvent dans la situation où ils doivent se choisir deux noms, mais personne n’est là pour leur en donner. Il y en a qui prennent le nom du champ dans lequel ils ont travaillé, ou bien le nom du propriétaire pour lequel ils ont travaillé, et puis il y en a aussi, quitte à devoir s’en procurer un, qui se le choisissent de manière grandiloquente. C’est comme cela que l’on a des gens qui se sont appelés King. Et plein de noirs, aujourd’hui, sont des descendants d’esclaves libérés qui ont décidé de prendre le nom de Washington, ou Lincoln, ou Freeman. Et c’est très intéressant, parce qu’il faut imaginer le courage qu’il leur a fallu face au néant qui les attendait. C’est aussi ce qui s’est passé pendants les premiers temps du mouvement pour l’émancipation, jusqu’au mouvement pour les Droits civiques, dans les années soixante. Imaginez ce néant qui s’ouvrait devant la grande majorité de la population noire! C’est complètement invraisemblable. Ils devaient dépasser ce néant qui était devant eux en ayant, par exemple, le courage de se donner un nom. Songez que les ancêtres de B.B. King, hé oui, ont choisi de s’appeler King! Evidemment que lorsqu’ils étaient esclaves, ils ne s’appelaient pas ainsi. Et en Afrique, encore moins. Imaginez le courage qu’il leur a fallu pour prendre le nom de King. Moi, c’est quelque chose qui me touche beaucoup, et mon nom est aussi une manière de rendre hommage à cet événement et au courage qu’il a fallu à ces gens pour se donner un nom. On pourrait presque établir un parallèle avec cette période actuelle où l’on propose quelque chose de nouveau aux gens, comme mon projet musical. Je me suis, moi aussi, lancé dans le vide. Je me suis dit: Rendons hommage à tout cela puis attribuons-nous, également, un nom grandiloquent et amusant, à titre d’hommage.

BM: Tu en es à ton troisième album, que l’on peut qualifier de blues, mais avant…
NW:
Avant, j’ai tourné pendant des années avec un groupe électrique et j’ai réalisé aussi d’autres projets avec d’autres gens. J’ai commencé quand j’avais 20 ans. J’ai fait deux tournées avec un groupe new-yorkais dont le chanteur était le frère de Brian Seltzer, de Stray Cats, et j’ai appris le métier comme cela. J’ai aussi tourné pas mal avec une formation qui s’appelait Rock Bottom. Actuellement je suis sur un projet typiquement personnel, mais cela fait plus de vingt ans que je fais de la musique. Napoleon Washington, c’est un projet qui existe depuis dix ans,… et j’ai effectivement enregistré trois disques.

BM: Dominique, qui a reçu ton CD, le trouve vraiment extraordinaire, alors que moi, n’ayant pas reçu le disque, je suis allé sur ton site pour l’écouter et je dois dire que j’ai été étonné par l’excellente qualité du son, et ce, malgré des enceintes très moyennes. Cela m’a complètement scotché!
NW:
Merci pour les compliments, mais c’est vrai que le son, c’est effectivement une grande partie du travail. Fabriquer du son, c’est ce qui m’intéresse. Jouer en public est une chose, mais le travail de laboratoire me procure encore plus de plaisir. Pour réaliser cet album, j’ai commencé par passer huit à dix mois à étudier l’acoustique, puis j’ai dessiné les plans d’un studio. Je l’ai construit, ce studio, et ensuite, seulement, j’ai enregistré l’album. C’est un gros machin qui m’a pris quatre ans, le temps qu’il m’a fallu pour arriver au bout de ce projet. Après, j’ai appris tout ce qui était du domaine de l’ingénieur du son. C’est la partie qui m’intéressait le plus, parce que pour donner une structure aux choses et leur donner du goût, il faut passer par là. Et je pense que s’en tenir au seul rôle de musicien ne permet pas d’aboutir au même résultat. Ceci dit, ce ne sont pas des choses qui s’apprennent à la petite semaine. Il ne s’agit pas d’avoir un ‘home-studio’, un PC pourri et une version craquée de New Wave et un microphone à deux cents balles. Moi, j’ai commencé par construire physiquement un studio-laboratoire, bien équipé, afin d’arriver à quelque chose qui tienne la route. C’est important de commencer avec l’écriture des chansons car la matière première, c’est bien, mais après, il faut savoir ce que l’on veut en faire. C’est aussi ce qui compte.

BM: Tu ne l’as pas sorti sous ton propre label? Tu as fait toute la partie production sans envisager d’aller jusqu’au bout, et de le produire toi-même?
NW:
Moi, je l’ai sorti et je l’ai publié au mois de décembre 2009, sur le net et sur le site. Si vous avez vu le booklet, avec les papiers qui s’animent, c’est comme cela qu’il devait sortir. C’était mon intention, car il y avait toute une grosse réflexion derrière ce travail. J’ai lu une quantité de bouquins et d’articles sur l’état actuel du marché du disque, ainsi que des études très sérieuses sur le sujet, et à partir de là, j’ai eu la volonté de faire de cet album une véritable expérience. J’ai voulu réaliser un modèle de distribution sur Internet. Ma grande idée, c’était de ne surtout pas le distribuer de manière conventionnelle. Et c’est ainsi que cela a été fait. Cela a d’ailleurs déclenché pas mal d’articles de presse et cela a eu un écho que je n’aurai jamais eu si je l’avais sorti en le pressant et en le produisant moi-même. Cela a fait suffisamment de bruit pour que trois ou quatre semaines après qu’il soit sorti en ligne, Dixiefrog me contacte. Moi, je n’avais rien envoyé à personne et ce sont eux qui sont venus me chercher. Philippe Langlois qui m’a dit qu’il aimerait bien publier ce disque et ma première réaction, alors, a été de lui dire qu’il n’avait rien compris, que ce n’était pas mon intention de le publier. Je lui ai dit que cela devait se consommer d’une autre manière, uniquement en ligne, et puis Philippe a insisté, me donnant suffisamment de raisons que j’ai fini par accepter de le publier en CD. Il en a fallu, des discussions et des négociations, pour que je finisse par accepter, car j’insistais sans cesse pour que l’on conserve l’intégralité de l’expérience originelle. On a réfléchi ensemble et on a cherché à faire un objet qui soit très beau pour ne pas concurrencer la version numérique qui est sur le net. Et puisque c’était une expérience sur l’état du marché du disque, pourquoi ne pas la tenter jusqu’au bout. Ce que l’on constate, finalement, c’est que deux systèmes peuvent coexister en parallèle et que maintenant, c’est dans la collaboration des acteurs et des systèmes que l’avenir se trouve, et pas dans un seul système qui serait totalitaire et où il n’y aurait plus que des ‘download’ ou que des disques, comme cela était auparavant.

BM: Mais proposer un album en écoute sur le net ne rapporte rien, ou presque…
NW:
Pas du tout. Le streaming, sur le site, est évidemment gratuit mais pour pouvoir télécharger le disque, ce n’est pas gratuit. Par contre, il n’y a pas de flic derrière. Le prix n’est pas mentionné, ni le prix d’achat, ni combien tu vas donner. Il y a tout ce qu’il faut pour payer quand on le télécharge et je pense avoir à faire à des gens responsables. Les gens apprécient et estiment la charge de travail que cela représente et ils ont l’honnêteté de le reconnaître. On sait que l’on peut percevoir environ entre 10 et 15% de ce que représentent les téléchargements. Et c’est effectivement ce qui s’est passé! Cela représente de l’argent, c’est vrai, mais cela m’a déjà permis de rentrer dans mes frais, car je vous laisse imaginer ce que tout ce travail m’avait coûté! Nous avons donc la preuve que ça marche, et je pense même que cela m’a rapporté davantage que si je l’avais pressé moi-même. Financièrement, je dois reconnaître que ce fut rentable, mais par contre, la technologie mise en place derrière le site, et que l’on ne voit pas, est absolument énorme. Cela a été fait à Montréal, avec des programmateurs très pointus.

BM: Il n’y a pas que le son qui est Top, mais aussi le booklet.
NW:
Tout cela, c’est la valeur ajoutée qui donne à l’objet une raison d’être sur le net. Parce que je suis persuadé que si vous enregistrez simplement un disque que vous proposez en téléchargement, personne ne va le prendre. Et même si quelqu’un le prend, il ne le payera pas un prix correct, parce que ce qu’il a téléchargé ne lui suffit pas. Il faut qu’il y ait autre chose, une partie graphique, une partie cinématographique qui confère un plus à l’ensemble. Et c’est tout cela qui donne sa raison d’être à l’ensemble.

BM: Et tout ce graphisme, qui l’a fait?
NW:
Le graphisme, c’est moi qui l’ai fait! Les photographies et tout le reste aussi, ce n’est que du matériel personnel.

BM: Sur ce disque, tu joues de plusieurs instruments…
NW:
Il y a peut-être cinq ou six guitares, des acoustiques, une avec résonateur et une basse, du piano et des percussions…

BM: La première chanson nous a fait penser à ‘Albatros’, de Peter Green…
NW:
Ah, Peter Green… Je n’y avais pas pensé.

BM: C’est peut être l’ambiance musicale de la chanson qui fait penser à ce titre.
NW:
Je ne l’ai pas dans l’oreille, donc je ne saurai vous dire, mais je n’ai pas tellement d’influences en matière de guitare. Je suis beaucoup plus influencé par la littérature. Pour vous expliquer ce qui me conduit à cette musique là, il faut tout d’abord avoir à l’esprit que je n’ai pas l’impression d’avoir inventé quoi que ce soit. Je prends les choses, je les pétris, j’en fais autre chose. Je suis beaucoup plus influencé par la littérature que par les musiciens. Et quand je suis influencé par des musiciens, ce n’est jamais par des guitaristes, non pas parce que je n’aime pas les guitares, mais parce que c’est ainsi. Pour moi, les écrivains sont plus déterminants.

BM: Tu fais référence, en ce qui concerne la littérature, à J.J. Phillips et à son ‘Mojo Hand, an Orphic Tale’. C’est un ouvrage important, pour toi?
NW:
Absolument! C’est un livre très important.

BM: Quels sont les autres auteurs qui comptent pour toi?
NW:
Oh, il y en a beaucoup. Il y a par exemple un type qui s’appelle Ernest Gaines, très bien traduit en français d’ailleurs, un romancier noir américain qui a écrit des trucs très importants, fantastiques et très beaux. J’adore, pour la dimension historico-politique, James Ellroy. Lui, c’est vraiment un type majeur. J’ai déjà lu les trois volumes de sa dernière trilogie. Lui aussi est bien traduit en français mais en anglais, c’est encore plus spectaculaire. C’est incroyable à quel point c’est ciselé, chirurgical. Ce sont des textes qui m’influencent beaucoup car il y a du rythme dans cette manière d’écrire. Cela te met dans un état d’esprit propice à l’écriture musicale. Il y a également un autre type que j’aime bien, qui est mort il y a quelque temps, Robert Beck. Il a écrit sous le pseudonyme d’Iceberg Slim des histoires de dealer et de maquereau. C’est un type qui m’a donné une très bonne vision du problème racial au milieu du vingtième siècle, aux Etats Unis, avec toute cette violence, ces brutalités, ces ghettos. Une approche socioculturelle des noirs américains qui, faite par ce type, donne froid dans le dos et qui t’aide vraiment à prendre conscience de ce que c’était. Croyez-moi, après l’avoir lu, on n’écoute plus la musique de la même manière. Vous n’écouterez plus Muddy Waters de la même façon qu’avant.

BM: Ta démarche est d’abord littéraire, et même historique, pourrait-on dire. La même démarche, sans doute, qu’ont faite ces gens qui se servent précisément du blues pour raconter leur histoire. Surtout les noirs américains.
NW:
C’est vrai, tu as raison. Mais, moi, je ne suis pas noir américain. Parce qu’il ne faut pas non plus oublier une chose, c’est que se donner des rôles bidons, il n’y a pas pire connerie.

BM: Et ta voix, est-ce que tu travailles ta voix?
NW:
Non, non, pas du tout. C’est quelque chose de naturel. J’essaie même de la dé-cultiver, si on peut dire, en enlevant un peu de maniérisme. La voix, c’est quelque chose de très intime dont on dispose, le plus intime dont on dispose. Et en plus, on ne la voit pas. On peut voir tous les instruments, mais pas la voix. D’ailleurs vous ne pouvez jamais en parler autrement qu’en faisant des métaphores. Pour parler franchement, je dirai que lorsque l’on écrit des petites choses, il faut avoir des couilles, car il n’y a pas de moyen de se mettre plus à nu que de chanter. Du coup, j’essaie d’avoir le plus de paravents possibles. Et je ne cultive pas ma voix parce que c’est la mienne, et qu’il faut que je fasse avec. J’entends de temps en temps cette référence qu’on me fait par rapport à Tom Waits. Elle me touche beaucoup, parce que c’est un immense artiste, mais attention, ce qui le définit, Tom, c’est qu’il a inventé quelque chose qui lui appartient, qui lui est absolument propre, et son génie, c’est d’avoir fait que personne ne se demande quelle musique il fait. On s’en fout, parce qu’il fait du Tom Waits, et ça, c’est génial…! C’est le but ultime pour tous ceux qui font de la musique. Bien sûr que ce type que j’admire énormément doit m’influencer, d’une manière ou d’une autre, mais j’essaie de faire attention à cela. Et bien que j’entende le compliment qu’il y a derrière, cela serait bien crétin de ma part de vouloir être un Tom Waits numéro deux.

BM: Dans un de tes textes, tu fais référence à Skip James et tu rends également hommage à Sun House…
NW:
Le premier est immense! Et le second, lui aussi, a été un type impressionnant lorsque ce fut son heure, la seconde fois qu’il est revenu sur le devant de la scène, dans les années soixante, et qu’il a été actif à fond. Aujourd’hui, ces mecs, on les regarde comme des piliers du temps, des gardiens du temple, mais ce qu’il faut bien voir, c’est que ces mecs, en leur temps, on les regardait comme des punks. Ils étaient les plus modernes de leur temps et ils étaient comme des super stars. Cela, on l’a perdu de vue. Quand ils le faisaient, c’était comme le peintre Monnet… Tu vas voir les Nymphéas, dans un musée, et quand tu en ressors, c’est avec un petit souvenir. Et tu l’as même sur ton rideau de douche alors que quand cela a été exposé, en son temps, cela a provoqué un véritable scandale. Monet était lui aussi un punk de son époque. Ce sont tous des mecs qui étaient au sommet de la modernité de leur époque.

BM: Sur ton disque il y a trois chansons où le piano est très présent, d’autres où la slide avec résonateur est prépondérante, et puis il y en a qui m’ont fait penser à des chansons à boire, comme ‘Blue Curls of Smoke’, ‘Salt of Water’, ‘Write Yourself a Letter’. Mais, peut-être, est-ce simplement la mélodie…
NW:
C’est intéressant, ta remarque sur des chansons à boire. Tu vois, quand on fait un disque et qu’on le lance dans le domaine public, il faut le laisser partir afin qu’il vive sa propre vie. Je suis toute fois un peu surpris en ce qui concerne ‘Salt of Water’, parce que c’est une chanson qui est un peu plus spirituelle que les autres, qui sont tout à fait païennes. Moi, je ne la vois pas du tout dans un bistrot, mais pourquoi pas, après tout. Cela me surprend, mais ne me dérange pas du tout. ‘Blue Curls’ a un côté plus sentimental et elle pourrait donc avoir sa place dans un bar, oui, pourquoi pas. Ta manière de les ressentir demeure néanmoins une lecture intéressante.

BM: J’allais justement te demander comment tu avais procédé à l’ordonnancement des titres sur l’album. Comment chaque composition avait-elle trouvé sa place…
NW:
C’est un truc très délicat et franchement très difficile à faire. Il y a au départ un tri, car on part d’un série de titres un peu plus importante que le nombre prévu sur le disque. Et l’on aboutit à la liste de treize titres. J’avais choisi parmi une quinzaine de morceaux et je regardais, parmi eux, s’il n’y avait pas d’OVNI, essayant ensuite de voir comment les mettre ensemble. S’il y en a un qui dépare, je le mets de côté, car c’est un travail important que de choisir les titres d’un album. Si l’opus doit durer 45 minutes, je souhaite que l’auditeur soit concentré tout ce temps là. Il faut bien prendre en compte le fait que la personne qui écoute tes chansons te donne 45 minutes da sa vie pour se concentrer et écouter ce que tu as fait. Et ce n’est pas rien, car ces 45 minutes, elles ne lui reviendront jamais, dans sa vie. Elle ne pourra jamais en faire autre chose que ce qu’elle en a fait et pour moi, demander 45 minutes de la vie de quelqu’un pour qu’il se concentre sur mon petit bordel, c’est un sacré truc. Cela confère de sacrées responsabilités et il ne faut pas rigoler avec cela. Il faut donc que l’on essaye d’occuper ce temps avec quelque chose qui soit le plus harmonieux et, en tout cas, le plus maîtrisé possible. C’est une espèce de voyage exploratoire. Et l’on se pose plein de questions: comment va-t-on rentrer? …comment cela va-t-il se développer? …est-ce qu’il va y avoir des surprises? …est ce que l’on va changer de climat? En général, j’ai une idée sur le premier titre et le dernier titre, car on connait l’entrée en matière et la sortie. Et puis, il y a les règles du business. Les quatre premiers morceaux doivent annoncer une thématique générale,… et puis il y a des règles techniques.

BM: J’avais pensé définir ton album en parlant de ‘cosmic blues’, car pour moi il a un petit quelque chose de planant…
NW:
Moi, je dirais plutôt qu’il est climatique, atmosphérique, peut-être. Il faudrait trouver un terme qui n’implique pas forcément mollesse ou lenteur. Mais ceux qui aiment le groove ne vont pas y trouver leur compte si l’on ne parle que de planant pour définir l’album. C’est pourquoi j’émets des réserves sur le terme de planant…

BM: Les morceaux les plus rythmés sont évidemment ceux dans lesquels il y a des percussions. Est-ce toi qui en joue?
NW:
Non, moi je n’utilise que le petit tambourin. Toutes les parties de batterie ont été assurées par Raphaël Pedroli. Moi, je n’ai fait que les petites percussions. Là où il y a du groove, c’est Raphaël qui s’en occupe. Et il a fait aussi des percussions, bien sûr.

BM: Une tournée est elle prévue?
NW:
Non, mais on est à la recherche d’un tourneur avec lequel on pourrait s’associer, parce que cela ne m’intéresse pas de faire du bricolage ou du coup par coup. On cherche ensemble, avec Philippe Langlois (Dixiefrog), parce que le coup par coup, je l’ai fait pendant vingt ans, tous les week-ends, sur les routes, et cela ne m’intéresse plus. J’ai donné.

BM: Question indiscrète ou pas, mais quelles études as-tu faites avant la musique?
NW:
J’ai fait des études de graphisme. Et comme vous avez pu le voir, elles me sont toujours utiles dans ce que j’entreprends maintenant.

BM: Mais aussi parce que ta démarche est réfléchie, posée. Il n’y a rien d’anodin dans ce que tu entreprends…
NW:
Notre devoir de conscience et l’intérêt pour ce qui nous entoure dépassent les bancs de l’école. Il faut se construire sa propre culture. J’ai passé six années à étudier, après l’école…

Napoleon Washington