ITW de Moriarty
ITW préparée et réalisée par Anne-Marie Calendini et Dominique Boulay
Photos : Anne-Marie Calendini
Cette interview a été réalisée lors du passage du groupe au Trianon de Paris, au mois de mars 2011. A cette occasion, nous avons rencontré Thomas Puéchavy (harmonica) et Arthur B. Gillette (guitare) pour en savoir plus sur ce groupe français pour le moins original et excellent.
PM : Est-il vrai que les membres de Moriarty seraient d'origine américaine et se sont rencontrés dans une école française?
Moriarty : Non, c'est faux. En fait, Charles, le guitariste, et moi (Thomas Puéchavy, harmonica) étions à la maternelle ensemble à Paris.
PM : Comment vous êtes-vous rencontrés pour former Moriarty?
Moriarty : Arthur et moi (Thomas) nous nous connaissons depuis l'âge de un an, mais c'est vers l'âge de 16-17 ans que l'on a commencé à jouer ensemble. On écoutait beaucoup de blues et c’est comme ça que moi je me suis mis à l'harmonica.
PM : Combien as-tu d'harmonicas à ta ceinture?
Moriarty : Oh, je ne sais même pas,…peut-être une dizaine. Ce sont des harmonicas diatoniques. Au départ, on jouait comme ça et on faisait un peu n'importe quoi, d'ailleurs. Arthur ne savait pas vraiment jouer de la guitare et on reproduisait des morceaux à l'oreille, on cherchait les accords…
PM : Au départ c'est donc le blues qui vous a influencé?
Moriarty : Oui, mais très rapidement on s'est rendu compte qu'on ne parviendrait pas à jouer le blues, cette musique noire américaine qui sonne de façon très particulière. On a senti très vite qu'on n'atteindrait jamais cette authenticité et donc on a essayé de faire notre musique à nous.
PM : Vous utilisez pourtant une Télécaster et une Gretsch, deux guitares qui ont été beaucoup utilisées par des bluesmen.
Moriarty : Oui, car le blues reste une influence forte pour nous, mais il n'y a pas de calcul quand on crée des morceaux, ça vient comme ça! On ne se dit pas ‘Tiens, là il faut que ça sonne blues, ou là rock ou folk…’. On ne calcule rien, ça vient comme ça vient.
PM : A l'époque du premier album, certains membres du groupe avaient d'autres activités professionnelles. Qu'en est-il aujourd'hui?
Moriarty : Aujourd'hui, certains ont toujours une activité professionnelle, comme Stephan, notre contrebassiste, qui est architecte, et d’autres se consacrent uniquement à la musique. C'est notre cas, à Arthur et à moi, par exemple.
PM : Comment avez-vous travaillé sur le dernier album?
Moriarty : Pendant longtemps, ce sont les garçons qui écrivaient des bribes de textes et Rosemary les reprenait, finissant par inventer une histoire. Mais sur ce disque là, elle a beaucoup plus écrit, et seule. Comme nous sommes parfois un peu laborieux et paresseux, nous avons besoin de gens qui nous poussent et pour cet album, nous avons travaillé avec des metteurs en scène de théâtre qui nous proposaient d'écrire une chanson à partir d'une tirade de leur pièce C'est le cas pour la chanson ‘Where is the light?’. Une autre fois, c'était en rapport avec un fait divers aux Etats-Unis qui concernait le plus jeune condamné à mort, Sean Sellers. Rosemary a écrit la chanson en s'inspirant de la première phrase du journal intime de ce condamné à mort et ça a donné ‘How many tides (after Sean Sellers)’.
PM : L'écriture des textes est donc d’inspiration littéraire, théâtrale et sociétale?
Moriarty : Oui, on peut dire ça comme ça, notamment pour les chansons dont je t'ai parlé à l'instant. Mais sur cet album, Rosemary a une écriture beaucoup plus personnelle au travers de laquelle elle traduit davantage des sentiments intérieurs.
PM : On retrouve souvent des prénoms féminins sur les titres ou dans les chansons. Pourquoi ce choix?
Moriarty : Sur scène, Rosemary a besoin d'incarner des personnages et ces prénoms sont comme un costume de scène pour elle. Pour autant, ils ne sont pas forcément au centre des histoires des chansons.
PM : Dans vos concerts vous avez le souci du visuel, avec une scénographie très pensée. C'est une volonté collective du groupe?
Moriarty : En fait, il y a deux courants au sein du groupe: un courant musical plus brut et dépouillé, plus proche de nous deux, et un autre plus cérébral, qui est à l'origine des effets scénographiques dont tu parles. Et c’est ce second courant qui permet à Rosemary d'être plus en confiance sur scène. Mais nous mêlons les deux sans problème, car ils ne s'interfèrent pas. Après, chacun a des préférences, surtout sur scène. Moi (Arthur), j'aime bien quand les choses sont spontanées ou quand des évènements imprévus viennent brouiller un peu les pistes et qu'il faut s'adapter en s'en remettant au moment présent. Je pense par exemple à un concert qu'on a fait au Japon sous une pluie battante et que Rosemary a fini en maillot de bain,…ou bien quand on va jouer dans des prisons.
PM : Vous avez composé la bande originale du film ‘La véritable histoire du chat botté’. Comment avez-vous travaillé sur ce projet?
Moriarty : Il s'agissait d'une commande où il fallait reprendre des morceaux lyriques connus, comme ‘La Traviata’ de Verdi ou ‘La chevauchée des Walkyries’ de Richard Wagner. Ce qui nous a pas mal amusés, même si, au final, le film ne nous a pas convaincus. Par la suite, on a réenregistré les titres, et le fait de redécouvrir ces morceaux classiques joués avec des instruments contemporains n'était pas sans rappeler les musiques d'Ennio Morricone.
PM : Les musiciens qui font les premières parties de vos concerts du Trianon ont-ils participé à vos disques ?
Moriarty : Non. Sur le premier album nous avions un seul invité, le papa de Rosemary, et sur le dernier il n'y a pas d'invité.
PM : On connait vos origines franco-américaines, mais pourquoi chantez-vous exclusivement en anglais?
Moriarty : La langue anglaise a été ce qui nous reliait lorsque nous étions petits. On a toujours écouté de la musique américaine, donc le choix de nous exprimer dans cette langue était pour nous quelque chose de naturel On ne s'est même pas posé la question. Et Rosemary est parfaite quand elle chante en anglais. Elle a un accent du Middle West un peu brut et elle a appris des centaines de chansons avec son père, chanteur de folk et de bluegrass. Cette langue est inscrite dans son ADN.
PM : Quelles sont vos influences musicales?
Moriarty : On écoute tous des choses très différentes. Arthur et moi, il y a huit ans, nous avons fait un long voyage en Afrique. Ce voyage qui s'intitulait ‘A la recherche des racines africaines du blues’ nous a conduits d'abord en Afrique de l'ouest pour faire des enregistrements sonores ainsi que des photos et puis après, aux Etats-Unis. On possède des enregistrements assez fabuleux de blues glanés au fur et à mesure que nous traversions des lieux et que nous faisions des rencontres Ce voyage a duré près d'un an. Il faudrait d'ailleurs qu'on essaye de les sortir, maintenant qu'on possède notre propre label…!
PM : Ce voyage a-t-il influencé votre manière de jouer de la musique?
Moriarty : Pour moi, oui! Mon jeu de guitare a été très influencé par le sud et le nord du Mississippi Nous y avons rencontré des gens qui nous ont fait découvrir des endroits fabuleux et qui nous ont amené dans des fêtes où les racines musicales sont encore très fortes et présentes.
PM : Avez-vous joué aux Etats-Unis?
Moriarty : Oui, on a joué deux soirs de suite devant 300 personnes, dans une petite salle de New-York. A l'étranger, on joue dans des endroits plus petits et dans des conditions parfois rudimentaires. Je me souviens qu’à Brighton, en Angleterre, on a joué devant deux personnes! En Allemagne, par contre, on a eu un bon accueil du public, mais c'est un pays où les gamins ont vraiment une éducation musicale.
PM : Vous avez créé votre propre label?
Moriarty : Ce n'est pas vraiment un label. Disons plutôt que nous nous sommes autoproduits. Pour le moment on en est là.
PM : Mais si vous parvenez à monter votre propre label, produirez-vous également d'autres artistes?
Moriarty : On a déjà des difficultés à se produire nous même (rires), et puis pourquoi infliger aux autres ce qu'on t'a infligé à toi même et ainsi reproduire un schéma dont tu cherches à t'affranchir… C’est vrai que moi (Arthur), j'aimerais beaucoup produire des disques de musiques traditionnelles d'Afrique, mais différemment de l'esprit world music actuelle dont la qualité de production me satisfait rarement. Ce serait un projet purement artistique, dans le respect total des traditions musicales africaines.
Nous vous conseillons vivement d'écouter le dernier album de Moriarty, ‘The Missing Room’, et surtout d'aller voir le combo sur scène, car c’est une expérience musicale dont on ne sort pas indemne!