ITW de Malcolm Holcombe
Préparée et réalisée par Dominique Boulay
Réalisée en septembre 2007
Photos : © Frankie Bluesy Pfeiffer
En ce mois de septembre 2007, rencontrer Malcolm Holcombe n’était que l’exercice normal concernant un artiste que l’on apprécie, mais publier cette interview après les quelques (trop rares) concerts donnés en France début 2010 est quelque chose qui me fait particulièrement plaisir puisque Malcolm Holcombe est non seulement un excellent chanteur-musicien mais aussi un homme d’une sincérité et d’une franchise rares, sans langue de bois, que j’ai été très heureux de revoir. Et je ne suis pas peu fier d’avoir contribué à faire connaître cet artiste, notamment en ce début d’année, au travers de deux concerts, sur Paris et à Domont, en banlieue parisienne.
Retournons donc vite dans la chambre d’hôtel du dixième arrondissement de Paris où j’ai croisé pour la première fois la route de Malcolm Holcombe. Nadia, l’attachée de presse, n’était pas encore arrivée et Malcolm m’attendait déjà, fumant une cigarette devant son gîte parisien. Nous avons pris le temps de boire un café et de discuter à bâtons rompus avant de commencer l’ITW. Et alors que je viens d’expliquer à Malcolm le fonctionnement de l’association qui édite Blues Magazine et le fait que certains d’entre nous soient salariés ou retraités, il en profite pour me raconter que sa femme et lui ont décidé qu’elle ferait, seule, classe à leur fils, vu le délabrement du système éducatif américain. Justifiant également tout le bien-fondé de ce choix sur le fait qu’en tournée, l’été, leur fils est toujours avec eux.
BM : Peux-tu nous dire qui sont Cynthia et Jesse, ces deux personnes qui sont mentionnées sur la pochette du disque?
Malcolm Holcombe: Cynthia est ma femme, et Jesse est son fils. C’est mon beau-fils, en réalité.
BM : Ce n’est pas ton premier voyage en Europe?
MH : Exact, il s’agit de mon second voyage
BM : Peux-tu nous rappeler comment s’était fait le premier voyage?
MH : En fait, la plus grosse partie de ma première tournée s’était déroulée en Hollande. Et cela, parce qu’un jour ma femme a rencontré à Austin une Hollandaise du nom de Johanna Serraris, et elles se sont liées d’amitié. C’est cette même personne qui, de retour aux Pays Bas, a organisé ma première tournée Et comme je suis indépendant, aux Etats-Unis, j’ai pensé qu’il était temps de venir faire un tour, ici, pour travailler. Ma femme et Johanna ont donc fait le nécessaire pour que je vienne tourner par ici, en Europe. Cela avait commencé par Paris, puis la Hollande et cela s’était terminé par Londres. C’était en…1999.
BM : Penses-tu rejouer à Paris prochainement?
MH : Je ne sais pas encore, mais j’y songe…
BM : Tu sais que ton hôtel est voisin du New Morning. Est-ce que tu connais cette salle? J’y ai vu Steve Earle, par exemple.
MH : Non, je ne connais pas du tout cette salle, mais en ce qui concerne Steve Earle, je dois te dire que c’est quelqu’un de très bon et de très professionnel. Est-ce que tu as écouté son dernier album? ‘So Many Immigrants’ est vraiment une très bonne chanson. C’est un homme qui est très inspiré.
BM : Est-ce que tu connais des musiciens français?
MH : Je n’en connais aucun…! Attends, si, une fois, il y a eu une fille que j’ai prise en auto-stop, en Caroline du Nord. Elle venait de Belgique et elle parlait français.
BM : Oui, mais ce n’était pas une musicienne…
MH : Non, juste une auto-stoppeuse. Il y a trente ou trente cinq ans de cela. Mais elle chantait tout le temps une chanson de Roger Miller en français. C’était cool…! Non, vois-tu, je ne connais pas d’artistes français, ou qui chantent en français. On ne les entend jamais aux States, donc comment veux-tu qu’on en connaisse…
BM : Quelles sont tes préférences américaines alors?
MH : J’écoute de tout, et tout le monde. J’écoute beaucoup la radio, mais pas beaucoup les cassettes ou CD. De temps en temps, il m’arrive d’écouter de nouveaux CD, mais c’est rare. Je travaille beaucoup pour enregistrer un nouvel album et je n’ai pas le temps d’écouter les disques des autres. Peut-être que je passe à côté de quelque chose, mais c’est ainsi. D’ailleurs je n’écoute plus grand-chose (silence). Et pourtant je le faisais, quand j’étais enfant. D’ailleurs, c’est à la télé que j’ai vu Steve Earle qui interprétait la chanson dont je te parlais tout à l’heure. Mais c’est vrai que je ne passe pas de temps à écouter ce que font les autres.
BM : Quelles sont tes influences majeures?
MH : Ma femme… (silence).
BM : Comment définirais-tu ta musique?
MH : Du folk. Je fais du folk.
BM : Tu ne dirais pas que tu joues du blues?
MH : Non, absolument pas. Je préfère dire que je fais du folk, c’est tout.
BM : Tu ne serais pas plutôt un protest singer, vu ce que tu chantes?
MH : Non. D’ailleurs je ne sais pas ce que sont des protest songs. Il y a beaucoup de choses qui ne me plaisent pas dans le monde et je le chante, c’est tout. Dans mon prochain album, il y aura des chansons contestataires, tu verras, mais j’appelle ça des chansons contestataires. C’est vrai que dans ‘Not Forgotten’, il n’y en a pas. Je parle davantage de ce que nous avons tous en commun: un cœur, une âme, un corps, car nous ne sommes pas différents les uns les autres. Que tu sois prof, avocat, prostituée, flic ou publiciste, nous avons tous une âme et un corps. Et nous travaillons tous, je l’espère du moins, pour améliorer le bien-être de nos proches. Nous ne sommes que l’infime partie d’un tout, plus vaste. Voilà (silence)…! Pour ce qui est de contester, je m’insurge contre l’insanité et je proteste contre les mauvais comportements. Que ce soit celui de George Bush ou celui de votre Nicolas dont j’ai oublié le nom. Je m’insurge contre le corporatisme, contre l’envie de tout posséder. Peter, Paul & Mary, par exemple, ces gens qui étaient-là, avant moi, protestaient contre les guerres. C’étaient des pacifistes et ils s’insurgeaient contre les guerres en chansons.
BM : Comment écris tu tes chansons? Ecris-tu d’abord le texte, ou bien la mélodie?
MH : Il n’y a pas de formule secrète. Cela dépend. En fait, j’essaie d’être réceptif à tout ce qui m’entoure.
BM : Où trouves-tu l’inspiration, alors? Dans ta proche réalité ou bien dans les informations que tu reçois via les médias?
MH : Tout m’inspire, tout ce qui m’entoure. Dans mes chansons, je parle plutôt des aspects négatifs de ce monde: la corruption des âmes, la corruption de la condition humaine, la politique en général. Tu sais que l’injustice est quelque chose qui me touche profondément.
BM : As-tu entendu parler de Calvin Russel?
MH : Non, je ne le connais pas. Moi, je n’attache d’importance qu’aux gens qui comptent pour moi ou qui comptent dans ma vie de tous les jours. Je ne m’occupe, en fin de compte, que de mon univers personnel.
Nadia, l’attachée de presse: Connais-tu Lucinda William? Qui est le pendant féminin de Steve Earle?
MH : Oui, je la connais, mais cela fait un bail que je ne lui ai pas parlé. Elle est très occupée. Elle a été très bien envers moi…, mais vous n’allez pas commencer à m’énumérer des noms de musiciens. Nous ne sommes pas dans un cocktail, ici. Pour être clair, moi, ceux que je connais, ce sont les gens qui m’ont aidé, ceux qui ont travaillé avec moi, ceux qui ont contribué à la production de ce disque. Voilà ceux dont j’aimerais que l’on parle: Bill Reynolds et Erin Glash. Je sais que vous les avez contactés car je ne veux pas qu’on les oublie dans cette histoire. Il faut parler de ces gens qui m’ont aidé à faire ce disque. Peut-être que tu pourrais les contacter par e-mail ou par téléphone, Dominique. Ils te donneront d’autres informations sur moi, et avec un œil différent du mien. Ces deux là ont un autre regard sur tout, y compris sur mon disque. Moi, tout ce que je sais sur le monde de la musique, vient de ma propre expérience. Quand tu entends des musiciens qui disent tous qu’ils se connaissent, qu’ils sont les meilleurs amis du monde, tu sais bien que c’est dans un but bien précis, leur carrière. Moi aussi, j’aurai pu me rendre coupable de ce type de comportement en te disant par exemple: Steve Earle? Mais oui, mon ami Steve Earle, par exemple, avec de l’admiration plein la bouche alors que ce n’est que du vent. En réalité, ce sont de jolis mensonges. C’est vrai que j’ai rencontré des tas de personnes et que je sais des choses sur leur histoire, mais en fait, je ne les connais pas du tout. Et cela ne serait pas honnête de prétendre le contraire. Prétendre connaître untel ou untel, c’est comme un jeu entre les musiciens. Et ça les amuse, moi pas. Je suis ici pour faire de la musique, pas pour les soirées mondaines. Je ne suis pas venu à Paris pour aller dans des cocktails. Je suis content d’être là mais je ne suis pas ici pour jouer la star, être célèbre, faire du fric. Je ne suis pas là pour aller aux soirées des uns et des autres. Tout cela n’est que de la frime. C’est artificiel. Totalement artificiel. Et cela ne m’intéresse pas.
BM : Parlons plutôt de tes musiciens, alors. Ils semblent être plus jeunes que toi…
MH : (rires) Mais c‘est bien pour moi de travailler avec eux, et je leur suis reconnaissant d’avoir bien voulu travailler avec moi. Ils sont doués, ils ont du talent et ils sont à ma disposition, que puis-je demander de plus…? Pendant tout l’enregistrement du disque ils m’étaient vraiment dévoués corps et âmes. Jerry Taylor est de Tulsa, Oklahoma. Je le connais depuis des années et c’est vraiment un musicien extraordinaire. Et puis c’est un ami. Il joue super bien du dobro, tu sais. Est-ce que tu aimes le dobro, Dominique?
BM : C’est l’un des instruments que je préfère. Et je suis tout à fait d’accord avec toi lorsque tu dis qu’il est très bon.
MH : Oui, il est vraiment très bon et, en plus, c’est vraiment un gars bien…!
BM : As-tu déjà enregistré en jouant de la guitare électrique?
MH : Non, jamais. Je ne joue que de la guitare acoustique. C’est une technique complètement différente. Et puis une fausse note, à l’électrique, cela s’entend (rires). Alors qu’avec une guitare acoustique, tu peux toujours tricher un peu.
BM : Est-ce que cela veut dire que tu n’aimes pas la gratte électrique?
MH : Mais si, j’aime ça! J’en écoute de temps en temps et des gens comme Eric Clapton ou B.B. King, bien sûr que je les apprécie. Tout comme Al Di Méola et Chet Atkins. Mais personnellement je n’utilise pas leur instrument. C’est comme ça.
BM : Qui est la Florence dont tu parles dans une de tes chansons?
MH : C’est la fameuse infirmière britannique très connue au dix-neuvième siècle. Pour moi, il n’y a que cette Florence là qui compte.
BM : L’amour a l’air d’être quelque chose d’important dans ton univers, notamment si l’on lit attentivement les textes que tu as écrits à ce sujet dans ton dernier album: Baby Doll, Sparrow and Sparrow, Not Forgotten, Where Is My Garden. Et lorsque cela ne traite pas de l’amour, cela parle de l’amitié…
MH : Bien sûr que l’amour est important. Très important! L’amour de dieu, des humains, des enfants. L’amour…(silence) Et toi, Dominique, tu fais quoi dans la vie?
BM : Mon travail, c’est principalement d’enseigner.
MH : C’est bien, car l’éducation, c’est quelque chose de vraiment important. En théorie, cela ne semble pas un métier difficile mais comme je le dis souvent, c’est toujours aux vieux chiens d’apprendre la vie aux jeunes chiots. Comment se nourrir, comment survivre à tout ce qui nous arrive. L’éducation, c’est ce qui permet de sortir de la pauvreté, et c’est dommage que des gens oublient ça.
BM : Aimes-tu lire autant que lorsque tu étais plus jeune?
MH : Le problème, c’est que je n’ai plus le temps de lire. Je ne lis plus beaucoup. Seulement quand des occasions se présentent. Alors je discute avec les gens, mais ce que je préfère, c’est les écouter, les étrangers comme les amis. Avant, oui, j’avais plein de classiques, car ma mère lisait beaucoup,…et ma femme lit tout le temps.
BM : Te considères-tu comme un gars de la campagne ou bien comme un citadin?
MH : Je préfère la campagne. J’ai été élevé dans une toute petite ville et j’aime les grands espaces libres, mais de temps en temps, il faut bien aller en ville pour travailler (rires).
BM : Lorsque je te vois, je me dis que tu ne corresponds pas du tout à ce que l’on a l’habitude d’appeler l’American Way Of Life.
MH : C’est vrai que je ne suis pas représentatif d’un quelconque stéréotype. Tous ces clichés que vous avez sur les américains, ce sont les médias qui en sont responsables. C’est cela qui a donné le Maccarthysme. Ils vous font de belles peintures de tout mais pourtant le monde est loin d’être beau. C’est comme votre président, dont je ne me rappelle même plus le nom. Il dit partout qu’il est très bon et qu’il fait beaucoup de choses. Mais ce n’est que du spectacle. C’est un show, et rien d’autre. C’est la raison pour laquelle il est important de faire croire aux gens que ce qu’ils lisent est la vérité. Tous ces machins qui ne sont que des stéréotypes et auxquels les gens croient, pourtant, car trop souvent ils ne réfléchissent pas lus que ça. Dans le monde musical, tu lis un article sur quelqu’un, tu crois ce qui est écrit et c’est comme ça que la personne en question devient une star. Alors qu’elle n’a rien démontré. Tout a été créé par ce que l’on a dit et écrit sur elle. Moi, je refuse tout cela. Je sais comment faire du fric, mais je ne le veux pas. Je ne le veux pas. Je sais comment y arriver, mais je ne le veux pas. Pour avoir du fric, c’est aussi très simple en allant se marier avec quelqu’un qui a du fric. Et puis beaucoup de gens qui ont du fric sont ensuite obsédés par les voitures, les fringues, tout ce qui est extérieur, qui te fait paraitre. Et puis y’a ensuite la drogue, la cocaïne. Je sais ce que c’est, parce que je suis même allé en prison à cause de cela. J’ai traversé tout ce monde là, vois-tu, mais maintenant c’est fini, je suis redevenu clean. C’est ça aussi la réalité du fric. C’est vrai que j’ai parcouru un bon bout de chemin, mais j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Tu sais, Dominique, j’ai été heureux de te rencontrer et de te vanner un peu quand tu me posais des questions sur les musiciens. J’ai passé un bon moment avec toi et ce qui est bien avec toi, c’est que tu es sympa et que tu ne me poses pas les questions des journalistes habituels. Et cela me fait plaisir car je sens bien que tu es un mec sincère et qui ne va pas modifier ce que je t’ai dit pour faire du sensationnel ou du misérabilisme. Merci à toi, et merci beaucoup de m’avoir écouté.
C’est ainsi que se termina notre entretien. Il ne nous restait plus qu’à charger les bagages de Malcolm dans la voiture et à nous rendre Gare du Nord, d’où il allait se rendre en Hollande pour quelques jours. Je dois dire que j’avais été particulièrement content de rencontrer un homme aussi droit et honnête, et que cette ITW fait partie des moments que l’on n’oublie pas.
Février 2010: le retour de Malcolm a eu lieu…! Je reprends le clavier après avoir passé plus de vingt quatre heures avec ce type formidable et après deux concerts organisés en partenariat par Paris-Move, Blues Magazine, le cinéma Jean Vigo et le restaurant ‘Aux Petits Joueurs’. Deux prestations inoubliables après plus d’une quarantaine de concerts en Europe qui nous laissent un goût amer tant cet artiste talentueux mériterait de remplir des salles françaises.