ITW de Little Bob – le blues des Blues Bastards

ITW de Little Bob – le blues des Blues Bastards

ITW préparée et réalisée par Anne Marie Calendini et Dominique Boulay
Photos : Frankie Bluesy Pfeiffer

Après avoir parcouru avec le Bob l’actu du bouquin La Story au film Le Havre, nous voici à revenir avec lui sur son tout dernier projet, les Blues Bastards.

Redis-nous encore quelques mots sur ces musiciens de ton nouveau groupe, les Blues Bastards?
Gilles Mallet, dit Gillou, en est le guitariste. Il joue avec moi depuis très longtemps puisqu’il est arrivé en 1981 et qu’il fait partie de Little Bob. En fait, voilà comment ce projet s’est concrétisé. Je voulais monter un groupe de blues depuis très très longtemps, et j’avais demandé à Bertrand Couloume, bassiste de Little Bob, s’il voulait en faire partie, car c’est un musicien exceptionnel, qui joue avec son âme. Et comme il est aussi jazzman et qu’il couvre une palette musicale assez large… Et il a dit oui. Mon neveu, Jérémie Piazza, qui joue pour la première fois avec moi, est à la batterie. C’est le jeunot de la bande, car il n’a que 28 ans! Comme je ne voulais pas exactement les mêmes musiciens que ceux de Little Bob, j’ai demandé à Mickey Blow d’être à l’harmonica. On se connaissait déjà, puisqu’il avait joué sur l’album ‘Ringolevio’ de Little Bob Story et qu’il était sur la tournée à cette époque-là. Mickey est fan de bluesmen et harmonicistes comme Little Walter et Howlin’ Wolf, tout comme moi d’ailleurs.

Cette envie de faire un album avec une formation blues est-elle ancienne?
Oui, car j’ai toujours aimé le blues. Plus jeune, j’allais acheter des singles des Animals qui jouaient déjà du blues, ou des Rolling Stones qui purgeaient dans la musique noire et dans le blues. C’est la disquaire, à cette époque, qui m’avait conseillé d’écouter un disque de Howlin’ Wolf sur lequel figurait ‘You’ll be mine’, titre que j’ai repris plus tard sur le premier album de Little Bob Story. D’ailleurs, pour l’anecdote, les journaux anglais avaient trouvé notre reprise meilleure que celle faite par Docteur Feelgood à la même époque!

Donc le Blues t’a toujours inspiré?
Oui, ce genre musical m’a accroché dès le départ de mon amour pour la musique et le rock.

Y a-t-il un blues que tu aimes en particulier?
Oui, moi j’adore le blues du Delta, et la musique des Blues Bastards a cette couleur-là.

Le guitariste des Blues Bastard, qui est aussi celui de Little Bob et donc coutumier de riffs rock, a donc dû adapter son jeu au blues?
Oui, d’ailleurs quand il a accepté de jouer dans Blues Bastards, je lui ai dit qu’étant plutôt un riffer il devrait faire évoluer son jeu. Et ce que j’aime chez lui, c’est qu’il continue à me surprendre en s’adaptant à mes attentes et cela de façon intuitive et autodidacte.

Et c’est aussi bon slider?
Oui, il slide aussi très bien, et tu sais qu’en matière de guitare slide je m’y connais un peu! Je te rappelle que je suis pote avec JJ Holiday qui jouait avec les Imperial Crowns et que le moins que l’on puisse dire c’est qu’il maîtrisait le sujet. Encore un groupe qui est malheureusement trop méconnu en France.

Sur ce premier album, il y a 4 compositions et des reprises, pourquoi ce choix?
Pour mon premier album blues je voulais rendre hommage à Howlin’ Wolf surtout, pour les raisons dont j’ai parlées. J’ai regretté d’avoir mis la chanson ‘Devil got my woman’ de Steve James sur l’album ‘Time to Blast’ de Little Bob car elle aurait eu toute sa place sur celui-là! Mais on la jouera sur scène, évidemment. J’ai fait aussi des titres inspirés du blues mais dans des tonalités un peu plus Rythm & Blues comme celle de Joe Tex, ‘I Wanna Be Free’. Et puis j’aime bien reprendre des groupes plus inédits comme The Lafayettes qui est un groupe américain du début des années 60 et qui mêlait plusieurs influences, comme souvent dans les sixties. J’ai repris ‘Nobody like you’ de ce groupe. Et puis j’ai retrouvé un vieux truc que j’avais, qui s’appelle ‘Brokenhearted Boy’ que je n’avais mis sur aucun disque. On l’a repris d’une manière un peu Rythm & Blues. Je siffle à la fin du titre, en guise de clin d’oeil à Otis Redding, façon ‘Dock of the Bay’. Et puis j’ai repris aussi un morceau du génial Captain Beefheart.

Justement, je trouve que ta composition ‘Break down the Walls’ est plus ‘Beefheartienne’ que ta reprise du titre de Beefheart lui-même!
Hé bien, si c’est ce que tu penses, c’est tant mieux. C’est vrai que maintenant j’aimerais vraiment ‘bastardiser’ le son un peu plus, mais pour ce premier album j’avais néanmoins besoin de rendre hommage à certains artistes et il fallait rester ‘propre’ à certains moments.

Tu as également repris ‘Run you off the hill’ d’Aynsley Dunbar, qui est un grand batteur…
Le premier album d’Aynsley Dunbar, ‘Retaliation’, est juste sublime avec le fabuleux chanteur Victor Brox! J’étais et je suis encore suis très fan de ce groupe. Et puis Aynsley Dunbar a joué avec les plus grands en tant que batteur. Il a joué avec John Mayall dont je suis aussi fan, et avec Frank Zappa également. Si je devais résumer, je dirais que les albums ‘Retaliation’ d’Aynsley Dunbar et ‘Blues from Laurel Canyon’ de John Mayall font partie de mes albums de chevet.

Tu as appelé ton groupe Blues Bastards. Blues on comprend, mais pourquoi Bastards?
En fait, c’est le réalisateur Aki Kaurismaki qui a réalisé le film ‘Le Havre’, qui m’a raconté un jour qu’il se sentait comme un bâtard car sa femme lui demandait toujours: ‘Quand vas-tu diminuer ta consommation d’alcool et de cigarettes qui mettent en péril ta santé?’. Cette réflexion m’a fait penser à ma compagne qui me demande parfois si, par rapport à la musique, je n’ai pas envie de freiner un peu et de calmer les choses. Mais je n’ai aucune envie de me calmer, car j’ai le feu sacré qui m’anime comme au premier jour, même si je sais que ce choix peut être blessant pour elle. Donc Bastards vient de cette réflexion et c’est aussi un clin d’oeil à Aki, qui, pour moi, est l’un des plus grands réalisateurs actuels et un authentique rebelle!

Le studio Honolulu est au Havre, ou à Honolulu?
(rire) Oui, il est au Havre. Ce studio est assez grand pour qu’on puisse y tenir tous et enregistrer dans de bonnes conditions, sans être confinés dans des cabines où tu n’as plus de contact. Cela m’importe qu’on soit ensemble très près les uns des autres pour pouvoir s’entendre, se voir, se sentir et se toucher.

As-tu commencé à tourner avec les Blues Bastards?
Oui, le groupe existe depuis un an, un an et demi, et on a fait un vingtaine de concerts l’année dernière. Ce qu’il faut aussi savoir, c’est qu’on a enregistré cet album live en studio en deux jours, d’où son côté un peu brut. Je prendrai sans doute un peu plus le temps pour le prochain, mais là j’avais envie d’un truc brut, sans retouche. J’ai même chanté en prise directe avec les musiciens, muni d’un micro SM 58, un micro de scène, quoi.

Comme dans les années 70…
Oui, c’est ça!

Pourquoi cette reprise d’ Heartbreak Hotel de Elvis Presley?
Mais on l’a vachement bastardisée quand même, et il fallait bien un hôtel pour le Brokenheartead Boy! Mais elle aurait peut-être mérité d’être retravaillée, avec une intro de guitare en distorsion. Cette chanson est l’une des rares qui fut coécrite par Elvis qui, lui aussi, s’est beaucoup inspiré du blues, surtout au début de sa carrière. Je tenais à rendre hommage à l’un des tous premiers blancs à avoir chanté et fait connaître la musique black.

Sur cet album tu as une compo qui s’intitule ‘Break down the Walls’. Quels murs veux-tu abattre?
Des murs, il y en a beaucoup! Il y en a déjà dans la tête des gens, à cause de toutes ces lois qui restreignent de plus en plus les libertés. Regarde, on ne peut plus faire grand-chose aujourd’hui! Boire un coup ou fumer, ça devient très vite compliqué, et je trouve que ça nuit à la convivialité. Moi je le constate dans les concerts, car même pendant et après les concerts l’ambiance a changé, il y a moins de folie qu’avant.

Es-tu nostalgique d’un certain passé?
D’une certaine façon, oui! Pour en revenir à la scène et aux concerts, tu peux le constater toi-même, il y a moins de chaleur qu’avant. Ce que je trouve dur, c’est de ne pas avoir la liberté de choisir. Aujourd’hui si tu veux fumer, tu sors. Quand tu vois qu’aux Etats-Unis tu n’as presque plus le droit de fumer dans la rue, on peut se demander jusqu’où iront les murs! Mais abattre les murs a aussi une portée politique, et c’est aussi abattre les murs des chapelles qui sont parfois tenaces dans notre métier. Regarde, je suis rocker au départ mais dans le coeur je suis bluesman, et les ultras puristes te diront: ‘Bob ne sera jamais un bluesman!’. Moi, je pense qu’en fonction des moments et de l’inspiration, on peut se sentir plus proche du blues ou du rock, car les deux ne sont pas incompatibles. Pour en revenir aux murs à abattre, le racisme est l’un de ceux qu’il faudrait absolument foutre en l’air.

C’est sur ce cri du coeur que nous nous sommes quittés, en se demandant combien de murs encore nous allions devoir abattre avant de retrouver notre liberté…