ITW de Little Bob – de ‘La Story’ à ‘Le Havre’

ITW de Little Bob – de ‘La Story’ à ‘Le Havre’

ITW préparée et réalisée par Anne Marie Calendini et Dominique Boulay
Photos : Frankie Bluesy Pfeiffer

Cela faisait un moment que l’envie nous tenaillait de rencontrer le Bob, car nous savions que le fauve était sur son nouveau projet et son nouvel album. Même coincé par son actualité fournie (le livre, le film, le Best of, et les fameux Blues Bastards) il nous a reçu et nous a consacré tout le temps possible pour balayer cette fameuse actu. Cela vous donne une ITW en deux parties, avec tout d’abord cet échange passionnant sur ‘de la Story à Le Havre’ avant de plonger dans une seconde ITW sur le projet Blues Bastards et le premier album de cette formation estampillé Little Bob.

Comment t’es-tu retrouvé dans l’aventure du film d’Aki Kaurismaki, ‘Le Havre’?
En fait, Aki m’avait vu en Finlande en juillet 1978 lors d’une tournée que j’avais fait avec Little Bob Story. Lui était étudiant à cette époque, mais il ne se rappelait pas de ce concert. Comment on s’est croisé? C’est son décorateur, qui est irlandais et qui vit en Bretagne, qui se rendait au Havre et des amis communs lui ont dit : ‘Si tu vas au Havre, va voir Bob de notre part et buvez un verre ensemble!’. Seulement lui ne connaissait ni moi ni mon groupe, alors qu’en revanche le conducteur avec qui il était, Gilles Charmant, qui est le premier assistant réalisateur d’Aki Kaurismaki, avait tous mes albums et était très fan. Alors Gilles, qui sait qu’Aki Kaurismaki, aime bien avoir des rockers dans ses films, lui a fait écouter ma musique et quand Aki est venu au Havre pour son film, il est venu me voir, m’a tendu la main et tout en me fixant du regard m’a dit: ‘Roberto, you’re a rebel like me!’, car Aki Kaurismaki est vraiment un rebelle. Par exemple il a refusé de recevoir un prix pour son film à Turin, parce que prix allait lui être remis par Penelope Cruz alors ambassadrice de l’Oréal, une façon de marquer son opposition à toutes les grosses boîtes qui exploitent le monde. Plus tard, il est venu nous voir jouer à la Boule Noire à Paris. Il était backstage et il a adoré. Il a même dit à ma femme: ‘C’est le meilleur concert que j’ai vu après Chuck Berry!’. Ensuite on a passé la soirée ensemble et c’est là qu’on est devenu potes. Au départ, il voulait toutes les chansons, et finalement il a choisi ‘Libero’, car cette chanson raconte l’histoire d’un immigré italien qui n’est autre que mon père.

Avais-tu joué dans d’autres films auparavant?
J’avais joué un petit rôle dans un film de Laetitia Masson qui s’appelle ‘Love me’, dans lequel il y avait aussi Johnny Halliday, mais je ne l’ai pas croisé. Pour le tournage, suite à un accident, j’avais le pied et le bras dans le plâtre, mais malgré mon état l’équipe voulait absolument que je sois là, alors j’ai été amené en ambulance sur le tournage! J’avais le rôle d’un manager qui choisissait une fille qui chante et je devais écouter Sandrine Kiberlain qui passait une audition, mais c’était plus une apparition qu’un rôle. Sinon j’ai joué dans un court métrage en noir et blanc primé à Clermont-Ferrand et intitulé ‘Jacynthe, tu as un cul de feu’. Dans ce court morceau de pellicule je tiens l’un des rôles principaux avec Serge Riaboukine. Et si on remonte au tout début, avec Little Bob Story en 1975, avant notre premier 45 tours, on avait joué dans ‘Les Loulous’ avec Valérie Mairesse qui débutait aussi au cinéma. Dans ce film on nous voit une ou deux minutes jouer sur la scène de la MJC du Havre.

Pourrais-tu envisager une seconde carrière au cinéma?
Non, car la musique prend toute ma vie et toute la place, mais de temps en temps pourquoi pas, car c’est amusant. J’ai trouvé ça moins difficile, moins fatiguant et moins stressant que de monter sur scène.

Ton livre intitulé ‘La Story’ est le fruit d’entretiens avec Christian Eudeline. Comment ce projet s’est-il réalisé?
En fait, c’est Christian Eudeline qui m’a appelé et m’a demandé si ça me dirait qu’on écrive mon histoire. J’avais déjà eu plusieurs propositions de journalistes qui voulaient eux aussi raconter mon parcours, mais je n’étais pas prêt à le faire, surtout qu’ils n’avaient pas d’éditeur à ce moment-là et je ne me sentais pas la force de me battre pour en trouver un. J’ai assez à faire en produisant mes propres disques et en manageant mes deux groupes, maintenant! Et comme Christian, lui, avait déjà un contrat chez Denoël, qui est un bon éditeur, j’ai accepté. Christian est venu me voir au Havre, on a parlé trois ou quatre après-midi en enregistrant tout, puis il m’a renvoyé une centaine de pages tapées mais à la lecture le rendu ne me convenait pas tout à fait, et entre temps d’autres souvenirs me sont revenus. On s’est donc revus deux ou trois fois, je suis allé le voir chez lui pour corriger et rajouter des chapitres, et finalement j’ai souhaité reprendre tout le truc depuis le départ. J’ai donc tout réécrit mais en partant de son travail et en le complétant avec ce que je voulais rajouter.

Qui a choisi le titre?
C’est Christian qui a proposé ce titre en référence à mon histoire et pour faire un clin d’oeil à Little Bob Story, évidement. Je sais que les fans ont été contents de le lire, et ils me le font signer après les concerts. D’ailleurs j’aimerais bien en avoir davantage pour les proposer à la vente comme les tee-shirts, les disques ou les affiches, après les concerts, mais l’éditeur nous les vend assez cher et c’est donc pas simple pour nous de les proposer à un prix attractif.

Ce business post-concert qui consiste à vendre les produits dérivés en plus des disques ne pervertit-il pas l’esprit initial du rock?
Non! Ce qui ne serait pas rock’n’roll, par contre, ce serait de vendre les tee-shirts 50 euros, comme c’est parfois le cas! Nous, on les vend presque le prix coûtant, et si on les vendait pas, où donc nos fans les trouveraient-ils? Et puis après les concerts je vais sur le stand rencontrer mon public, discuter avec lui, dédicacer des disques et des affiches, et boire un coup, car je trouve très important qu’il y ait une continuité au live. Tout ça n’a donc rien à voir avec une quelconque perversion du rock. Ce qui me semble moins rock’n’roll c’est d’être sponsorisé par Volkswagen, comme les Stones par exemple, même si j’adore leur musique. Tu sais, se produire, payer les studios, les musiciens, les pochettes, les affiches, les répétitions, cela nécessite des moyens financiers et ces ventes annexes nous permettent de continuer l’aventure. Et les fans qui aiment ce que je fais sont contents de ça et réclament ces produits, car si je ne les propose pas, où les trouveraient-ils?

C’est aussi une manière d’afficher son appartenance à la tribu?
Oui, c’est exactement ça! C’est comme des emblèmes que les fans sont fiers de porter pendant les concerts. Cela dépasse la musique. Il n’y a pas seulement ce qui se passe sur scène avec Little Bob, son énergie et sa rébellion intacte, il y a aussi ce qui se passe et se vit dans la salle de concert. Moi j’ai quitté le show biz en 1995 et depuis ce temps-là je fais beaucoup moins de télévision, sauf quand je sors un album, car il faut bien promouvoir son travail, ce qui est le cas en ce moment pour la sortie de mon best of, ‘Wild and Deep’. Mais en dehors de ça je me bats comme un guérillero, car pour produire mes disques, financer les affiches, les pochettes, les musiciens, les studios et tout le reste, crois-moi, il faut du blé. Mais je tiens à cette indépendance à tel point que je n’ai même plus de maison d’édition. Les droits des titres que j’écris me reviennent directement, car il n’y a plus le filtre des maisons d’édition qui se sucrent au passage.

La pochette de ton Best of a été réalisée par Dom SD?
Oui, c’est lui. Il a fait toutes mes pochettes après ‘Libero’.

Dans ton ‘Best Of’, tous les morceaux sont extraits des 12 albums sortis sous le nom de Little Bob. Est-ce toi qui les as choisis?
Oui, bien sûr. J’ai passé trois mois à écouter les disques et à choisir chaque titre soigneusement, et crois-moi, c’était un vrai dilemme, parce qu’il y a des titres que j’aurais voulu y voir figurer. Je reprends aussi des titres avec les Blues Bastards, mais d’une manière différente, parce que je n’ai pas voulu les mettre sur le Best Of et je les mettrais peut-être sur l’album des Blues Bastards.

Combien y-a-t-il de membres dans ce nouveau groupe?
Nous sommes cinq musiciens, comme dans l’autre groupe. A part moi, il y a deux musiciens de mon autre groupe: le bassiste Bertrand Couloume, un musicien très ouvert, qui vient du jazz au départ. Il est exceptionnel, aussi bien techniquement, qu’au niveau du feeling, ce qui n’est pas négligeable quand tu fais du blues. Et ensuite il y a mon vieux pote Gillou qui joue avec moi depuis longtemps. Lui, c’est un riffer dans le style de Keith Richards, il ne joue pas du tout comme les guitaristes blues type Clapton, Gary Moore ou Jimmie Vaughan, que j’adore par ailleurs. De toute façon, il y a toujours eu des influences blues dans mes albums. Déjà en 1976, sur le premier album de Little Bob Story, on reprenait ‘You’ll be mine’ de Howlin’ Wolf. D’ailleurs Howlin’ Wolf est le premier que j’ai vraiment aimé et que je continue à aimer le plus. Howlin’ Wolf signifie le loup hurlant et ça ressemblait à ce que j’étais, et ça me rappelait aussi Eric Burdon et The Animals qui avaient eux aussi pas mal de blues dans leur musique. C’est sans doute le groupe anglais qui m’a le plus inspiré au départ. Pour revenir aux Blues Bastards, j’ai dit à Gillou que j’allais le faire jouer de façon différente tout en gardant ses riffs, et du coup il me sort des choses étonnantes et assez dingo qui me plaisent bien. Des virtuoses de la guitare blues, en France, il y en a quelques-uns, comme Paul Personne.

Oui, il y a de très bons guitaristes de blues en France, comme Stan Noubard Pacha ou Mick Ravassat, qui n’est pas sans rappeler Ry Cooder.
Ah, Ry Cooder, j’adore, j’aime tout ce qu’il a fait! C’est un type incroyable, parce que pour aller chercher Ali farka Touré ou Nusrat Fateh Ali Khan, produire l’album ‘Buena Vista Social Club’ ou celui de Mavis Staples qui est un album incroyable, il faut vraiment avoir compris beaucoup de chose. Et c’est son cas.

Pour en revenir aux Blues Bastards, qu’en est-il des autres musiciens?
Ha, tu sais, fallait pas me lancer sur Ry Cooder…(rire). Alors à la batterie il y a mon neveu, Jérémy Piazza, qui tape depuis l’âge de 5 ans. Il est musicologue et joue dans plusieurs groupes de jazz, il a vraiment un bon niveau et commence à être beaucoup sollicité. Son jeu est à la fois puissant et plein de finesse, et surtout il swingue à mort et ça, pour moi, c’est essentiel. Quelle que soit la musique, il faut qu’elle donne envie de battre la mesure, de taper du pied. Dans les Blues Bastards il y a aussi un harmoniciste, même si au départ je n’étais pas sûr de vouloir prendre un quatrième membre, et puis finalement j’ai choisi Mickey Blow à l’harmonica, un musicien très connu dans le circuit rock et qui a joué très longtemps avec Johnny Thunders, entre autres. Et puis le choix d’un harmonica compense aussi l’absence de clavier.

Ce nouveau groupe va peut-être permettre à ton public de découvrir le blues?
Oui, c’est sûr, car notre public sera dans un premier temps composé des fans de Little Bob dont on ne peut pas dire que c’est vraiment un public de blues. Certains ne savent sans doute pas ce que cela signifie musicalement. Je reçois même des mails de fans qui s’inquiètent de me voir jouer du blues, craignant de s’emmerder aux concerts. Ce à quoi je leur réponds que si le blues qu’ils écoutent les emmerde c’est parce qu’il n’est pas bon ou qu’ils ne sont pas capables de l’écouter. Donc, oui, j’espère que ça va élargir le champ musical de mes fans. Pour le moment les concerts qu’on a donné, une vingtaine, se sont très bien passés et les fans ont été réceptifs à ce qu’on a joué. Par exemple, il y quelques mois on a joué au Soubock, en Normandie, c’était archi-comble et il y avait des fans d’un peu partout, de Bretagne, du Havre, d’Ile de France. Certains ont filmé avec leur téléphone portable deux ou trois morceaux puis les ont mis en ligne sur Youtube, ce qui est sympa, mais en même temps tu n’as pas le contrôle sur la qualité sonore ou visuelle et faut bien dire que c’est parfois contreproductif, mais bon, c’est comme ça. Ceci dit, sur mon site officiel il y a des morceaux enregistrés live, pour ceux qui veulent écouter des enregistrements live de qualité!

Ton actualité immédiate est donc la sortie de ton Best Of intitulé ‘Wild and Deep’ puis la sortie de l’album des Blues Bastards. Dis-moi, tu ne manques ni d’énergie ni de projets!
Tu sais, la musique c’est ma vie. J’ai vécu de grands moments dans le passé avec mes groupes et j’ai fait de super rencontres artistiques comme The Animals, Motörhead ou les Clash. Aujourd’hui, pour moi, ce qui compte le plus c’est ce qui va venir. Quand je chante, j’oublie tout le reste. Et aujourd’hui j’ai envie de chanter le blues à ma manière et d’embarquer les gens avec ça.