ITW de Kyle Eastwood
ITW préparée et réalisée par Dominique Boulay
Photos : Anne Marie Calendini
C’est à Paris, au Restaurant l’Esplanade, du côté des Invalides, que nous avons rencontré le fameux bassiste Kyle Eastwood à l’occasion de la sortie de son nouvel album, ‘Songs From The Château’.
PM : Lorsque tu as enregistré avec Joni Mitchell sur ton album ‘From Here To Here’ en 1998, était-ce simplement parce qu’elle avait une fort jolie voix ou bien aussi parce qu’elle avait sorti un magnifique album-hommage à Charlie Mingus intitulé ‘Mingus’, en 1979, et qui fut lui aussi un bassiste particulièrement talentueux?
Kyle Eastwood : En fait, j’ai toujours beaucoup apprécié sa voix. Et dans tous les styles musicaux qu’elle a adoptés. Et c’est la seule raison pour laquelle j’ai vraiment voulu travailler et enregistrer avec elle. Mais c’est également vrai que c’est une artiste qui a toujours entretenu beaucoup de liens avec les musiciens de jazz, enregistrant un disque avec quelques-uns d’entre eux. Et qu’elle ait sorti cet hommage semble presque logique, compte tenu de sa forte implication dans ce registre musical.
PM : Il est vrai que tu es également musicien de jazz.
K E : (rires) Oui, on peut dire cela ainsi. Je suis de préférence un musicien de jazz mais j’aime en réalité tous les genres de musique. Mais mon premier amour, c’est bien le jazz.
PM : Je crois que tu as commencé par des études de cinéma, à l’université, mais est ce que tu as également étudié la musique dans de grandes écoles?
K E : C’est vrai que j’ai toujours beaucoup apprécié le cinéma. Tout comme j’ai toujours énormément apprécié la musique. Mais je me suis finalement rendu compte que ce que je préférais des deux, c’était la musique, et je l’ai donc étudiée à l’Université de Californie du Sud. Mais j’avais auparavant fait des études pour devenir réalisateur, toujours au même endroit, à l’USC, l’Université de Californie du Sud, qui se trouve à Los Angeles.
PM : Tu as eu l’occasion de travailler et de jouer avec Evin Davis. Comment as-tu rencontré ce garçon, fils d’un musicien très célèbre?
K E : C’est au festival de Montreux, en 1991, que nous nous sommes rencontrés. Il était là, en compagnie de son père. C’est d’ailleurs le dernier concert que Miles avait donné.
PM : L’avais-tu aussi rencontré chez tes parents ? Parce que ton père avait l’habitude de rencontrer beaucoup de musiciens, exact?
K E : Oui, c’est exact. Je voyais souvent Stan Getz, par exemple. Mais mon père a souvent rencontré souvent Miles Davis. Tout comme Ella Fitzgerald, Count Basie, Sarah Vaughan, Art Pepper ou Louis Armstrong, qui sont tous venus à la maison.
PM : Et comment vous êtes vous liés d’amitié avec Michaël Stevens?
K E : Nous nous sommes rencontrés pendant nos études, à Los Angeles, alors que j’étudiais le cinéma et que lui étudiait la musique. Mais j’avais déjà commencé à jouer de la musique en parallèle aux études, ce qui fait que nous nous sommes très rapidement aperçus que nous avions des tonnes de choses en commun. C’était quasiment évident que nous ne pourrions que devenir amis, et nous avons fini par monter un orchestre.
PM : Revenons à aujourd’hui. Comment procèdes-tu pour composer une Bande Originale de film?
K E : Quand je travaille avec mon père, j’ai la chance de pouvoir lire le script au préalable, mais on peut aussi travailler à partir de rushs ou du film intégral. Le problème avec les rushs, c’est que le film n’est pas terminé et qu’il peut encore y avoir des changements. En règle générale, je vois le film, je me mets au piano et j’essaie de composer un thème pour le film ou bien le personnage principal, ou alors pour des parties du film, les séquences du film les plus importantes, celles qui ont besoin de musique.
PM : Quelles différences fais-tu entre tes propres compositions et celles que tu écris pour un film?
K E : Oh, mais c’est très différent! Ce n’est pas la même manière de travailler. Quand tu écris de la musique pout toi-même, pour ton propre album, tu es libre, complètement libre d’écrire ce que tu veux, de jouer comme tu en as envie. C’est cela, le Jazz! Lorsque tu fais des musiques de film, tu écris pour l’écran. Tu as donc moins de latitude. Quelque fois tu composes pour 5 secondes seulement, ou bien pour 5 ou 10 minutes de film. Et ce que tu joues doit alors coller au film, à ce qui se passe sur la bande. Tandis que lorsque tu fais du jazz, tu fais de la musique pour la musique.
PM : Lorsque tu as débuté ta carrière, tu étais entouré de plein de musiciens sur chacun des disques, avec donc de beaucoup de contraintes, mais depuis, tu as eu tendance à réduire le nombre de tes musiciens. N’est-ce pas un besoin de liberté?
K E : Oui, c’est vrai que j’ai diminué le nombre de musiciens qui jouent avec moi, tu as raison, mais as-tu remarqué que je conserve maintenant ma section de cuivres? Graeme Flowers est à la trompette depuis trois albums et Graeme Blevins est au saxo ténor depuis l’album précédent. Et puis, tu sais, le claviériste, Andrew Mc Cormack est avec nous depuis 2007 aussi, alors tu vois que le groupe est en gestation depuis déjà quelque temps! En fait, j’ai remplacé les invités par des musiciens plus fidèles, et donc membres à part entière de l’orchestre.
PM : Manu Katché n’apparait plus sur cet album…
K E : Oui, c’est vrai, car j’ai un nouveau batteur, Martyn Kaine, qui correspond davantage à ce que je fais maintenant. Il est plus représentatif de la musique que je fais actuellement avec mon groupe.
PM : Pourquoi as-tu donné ce titre à ton dernier opus, ‘Songs from the Château’?
K E : Tout simplement parce que nous l’avons enregistré dans un château du Bordelais, une grande demeure qui date du XVème siècle, le Château de Couronneau. C’est l’ami d’un ami qui en est le propriétaire. Il est également producteur de vin et la rencontre a eu lieu à l’initiative de l’ami en question. Tout s’est fort bien réalisé dans cet endroit superbe, chargé d’histoire.
PM : Cela signifie- t’il que tu apprécies particulièrement les bons vins français?
K E : Bien sûr (rires)…! Il y a d’ailleurs beaucoup de bons vins en France. Et le bordelais est également une région où l’on mange très bien! Ce fut donc très agréable de travailler et d’enregistrer dans ces conditions.
PM : C’est vrai que tu connais bien notre pays, puisque tu as déjà participé à de nombreux festivals…!
K E : Exactement! J’ai joué presque partout, à Marciac, Juan Les Pins, Antibes, Vienne, et j’en oublie quelques d’autres… On peut donc dire que je commence à connaître un peu le pays. J’ai aussi joué en Suède, Finlande, Angleterre, Irlande, Espagne, Allemagne, Italie, et je crois que je commence aussi à bien connaître l’Europe, à force de la parcourir dans tous les sens (rires). Je suis même allé jouer dans des pays de l’ancienne Europe de l’Est. Et puis je suis aussi allé au Maroc, et aux Etats Unis, bien sûr.
PM : Tu vis en Californie, du côté de Carmel…
K E : Oui, et je partage ma vie entre Los Angeles et la France. L.A., c’est pratique pour ce qui est des contacts avec le monde de la musique. La Cité des Anges, c’est l’idéal lorsque tu écris des musiques de film, et je commence à connaître pas mal de musiciens là-bas. J’en connais aussi un certain nombre à Londres, entre parenthèses, mais je réside aussi pas mal à Paris, où j’ai un appartement.
PM : Qu’apprécies donc tu tant, ici ?
K E : C’est vrai qu’il y a beaucoup d’autres très belles villes où l’on mange bien et où l’on déguste de très bons vins, mais Paris est une ville à part. C’est à la fois une très grande ville, mais aussi un endroit où on a l’impression de vivre comme dans un petit village. Si tu regardes des villes comme New York ou Londres, ce sont des lieux où l’on a rarement un tel sentiment d’être à la fois dans quelque chose de très vaste et en même temps dans un endroit petit et fermé.
PM : Question piège, un peu. Quels sont tes bassistes préférés?
K E : C’est difficile à dire, car il y en a plein qui sont excellents! Mais bon, je te dirai bien Jaco Pastorius, Richard Bona, Stanley Clarke, Ismaël Crosby, Paul Chambers, Marcus Miller,…et quelques autres, encore.
PM : Que penses-tu de son dernier album ‘Tribute to Tutu from Miles Davis’?
K E : Beaucoup de bien! J’ai fait la première partie de son concert, à l’Olympia, au printemps dernier, et j’ai eu l’occasion de jouer avec lui. Ce fut un grand moment, formidable!
PM : As-tu eu le temps d’écouter ‘The Vox’, le très bon dernier album d’Eric Legnini, ce pianiste belge qui avait participé à l’enregistrement de ton précédent album?
K E : Non, je n’en ai pas encore eu l’occasion ni le temps, mais je le ferai dès que possible. J’ai vu qu’il venait de le sortir et cela ne me surprend pas qu’il soit très bon, parce que j’aime beaucoup tout ce qu’il fait, en général, et que c’est quelqu’un de vraiment très doué.
PM : Eric est belge, mais avec quels musiciens joues-tu plus souvent? Des européens ou des américains?
K E : J’aime bien travailler avec des musiciens européens, car il y en a de très bons à Paris et à Londres, mais il m’arrive aussi bien sûr de jouer avec des musiciens américains.
PM : Revenons au titre de l’un de tes albums précédents, ‘Paris Blue’. Est ce qu’il faut y voir une allusion au blues, ou bien s’agit-il d’un Paris un peu triste?
K E : Oh non, pas du tout! C’est une création de ma fille et cela a tout simplement à voir avec le bleu du ciel. C’est regarder le ciel bleu qui l’avait inspirée.
PM : Tu as deux enfants, n’est ce pas?
K E : Oui, j’ai une fille qui joue de la batterie et un fils qui est encore trop petit pour s’occuper de musique.
PM : Crois-tu que cela soit important d’avoir des parents qui sont musiciens, ou qui aiment la musique?
K E : Oui, je crois que c’est important. Moi, mon père jouait du piano, à la maison, et j’ai eu la chance de baigner dans un climat vraiment très favorable à la musique
PM : Vous arrive-t-il de jouer encore ensemble?
K E : Nous avons beaucoup joué ensemble, mais cela fait un moment que nous n’avons pas eu l’occasion de le faire. Simplement parce que nous n’avons plus le temps. Chacun est pris par ses nombreuses occupations.
PM : De quels instruments joues-tu donc, puisque je crois savoir que tu ne joues pas que de la basse et du piano…
K E : En effet, j’ai commencé par jouer un peu de guitare et de violoncelle, puis je me suis mis au piano. C’est d’ailleurs au clavier que je compose mes morceaux.
PM : Peux-tu nous donner un secret, la manière dont tu composes?
K E : (rires) Oui, bien sûr! Je commence généralement par jouer des notes sur le clavier, mais il m’arrive parfois de commencer aussi avec ma basse. C’est toutefois toujours au clavier que je compose la mélodie, et l’inspiration dépend en fait de ce que je fais, de l’endroit où je me trouve. Tout peut être source d’inspiration. Je suis très réceptif à ce que j’écoute, ce que j’entends autour de moi.
PM : Et juste une petite question, si tu le permets, pour finir cet entretien: comment va ton père?
K E : (rires) Hé bien, il va très bien! Je te remercie pour lui. En ce moment il est à Los Angeles et il travaille sur le projet d’un nouveau film. Dont je ferai peut être la musique (rires).