ITW de Judy Collins

                                        ITW de Judy Collins

ITW préparée et réalisée par Anne Marie Calendini & Dominique Boulay
Photos : Anne Marie Calendini

C’est à l’occasion de la parution de son nouvel album, ‘Bohemian’, et du concert qui en accompagnait la sortie, au Divan du Monde, le 7 octobre, que nous avons rencontré l’une des égéries des années ’70, la belle Judy Collins. Comme vous le découvrirez au travers de cette interview, cette grande Dame n’a rien perdu de sa verve et de son humour.

PM : Il parait que tu parles un peu français…
Judy Collins
: Oui, mais un tout petit peu. Je le comprends mieux que je ne le parle, et je le chante mieux également. C’est vrai que j’ai chanté du Jacques Brel, mais c’est le seul chanteur français que j’ai interprété.

PM : Quelles chansons as-tu reprises?
JC
: J’ai commencé par la chanson ‘Les Vieux Amants’, puis ‘Marieke’ et ‘La Colombe’. Je les ai chantées en français et en anglais. Tout comme ‘Les Désespérés’, et d’autres encore, que je reprendrai demain soir en concert. Et je suis toujours en train d’apprendre ‘Ne Me Quitte Pas’. Je serai certainement capable de la chanter un jour, mais certainement pas demain, en tout cas.

PM : Te souviens tu du nombre d’albums que tu as faits?
JC
: Je crois que cela doit tourner autour de la quarantaine… 42 ou 43… je ne me souviens pas exactement, à vrai dire.

PM : Tu n’as pas toujours écrit les textes et composé la musique…
JC
: Non, j’ai écrit quelques chansons mais j’ai aussi interprété des chansons écrites par d’autres. Quand j’ai débuté, je n’écrivais pas du tout de chanson et pendant six ans environ, entre 1961 et 66, et sur mes six premiers albums, je n’ai écrit aucune chanson. Et puis en 1966 j’ai rencontré Léonard Cohen. J’avais déjà interprété pas mal de ses chansons, et c’est d’ailleurs cela qui m’avait quelque part rendue célèbre. Il faut dire que j’en avais chanté des dizaines, de ses compositions! Et c’est lui qui m’a demandé pourquoi je n’écrivais pas mes propres morceaux. Je n’ai pu que lui répondre que je ne savais pas, en fait. Et c’est à partir de là que je me suis mise à l’écriture. Ma première chanson a été ‘Since You’ve asked’. Léonard Cohen l’a d’ailleurs chantée, ainsi que beaucoup d’autres. Et c’est à partir de ce moment là que je me suis mise à écrire. Sur mon nouvel album, j’en ai écrit cinq. Ce qui est pour moi un pourcentage élevé (sourire).

PM : Comment composes-tu tes chansons?
JC
: Tout simplement, je m’installe au piano et je chante, je cherche une mélodie… Et puis tout à coup, des mots et des phrases me viennent à l’esprit. En règle générale, c’est une combinaison des deux. Parfois je rédige d’abord tout le texte, comme pour une chanson qui se trouve sur l’album Paradise et qui s’intitule ‘Kingdom Come’. C’est une chanson qui a été inspirée par le numéro d’urgence 911, celui des pompiers new yorkais. Je l’ai écrite d’une traite, comme un poème. Et puis j’ai ajusté la musique aux mots. La même chose est arrivée pour une autre chanson, ‘The Fallow Way’, qui se trouve sur une compilation… D’ailleurs je ne pense pas qu’elle se trouve sur un disque particulier. Je ne l’avais pas mise dans un disque particulier et elle s’est retrouvée sur une compilation qui reprenait des morceaux électrifiés et qui s’intitule ‘Forever’. Après avoir écrit le texte ‘The Fallow Way’, je l’ai lu à quelqu’un qui m’a dit que cela ferait une très bonne chanson. Du coup, je me suis mise au travail pour composer la mélodie et c’est Jimmy Webb qui a enregistré cette chanson.


PM : Tu as travaillé avec Léonard Cohen, as-tu aussi travaillé avec Bob Dylan?
JC
: Je le connais depuis 1961 et j’ai enregistré pas mal de ses chansons. Je l’avais déjà rencontré alors qu’il s’appelait encore Robert Zimmerman. Il était venu m’écouter chanter dans un endroit qui s’appelle Central City, dans le Colorado.

PM : En te regardant, je repense soudain à ‘Suite Judy Blue Eyes’. C’est vrai que tu as toujours des yeux magnifiques!
JC
: Oh merci…!

PM : Es-tu toujours en contact avec Stephen Stills?
JC
: Mais bien sûr…! Nous sommes amis et ce, depuis notre liaison qui remonte à 1968 et depuis qu’il a écrit ‘Suite Judy Blue Eyes’, pour que je revienne… Cela n’a pas marché mais nous sommes très liés d’amitié. Nous avons enregistré ensemble une chanson sur ‘Paradise’, sorti en 2010, je crois. Je l’ai d’ailleurs eu au téléphone il ya deux semaines, à New York, et maintenant je publie ce livre, Suite Judy Blue Eyes qui sort aux Etats Unis le 18 octobre. Ce livre parle de notre vie à tous, dans les années ‘60. J’y parle de ma vie, de mes histoires d’amour, de mes mariages, et de ma carrière.

PM : Te considères-tu comme une chanteuse engagée ?
JC
: Non, le seul message de mes chansons réside dans le fait que je parle de ma vie, de mes expériences. Par exemple, dans le dernier album, la première chanson s’intitule ‘Morocco’. J’ai regardé dans un carnet…car j’ai toujours un carnet avec moi, dans lequel je note tout ce qui me passe par la tête. Et quand je suis prête à écrire, que j’ai pris le temps de m’asseoir et de me mettre en condition, je l’ouvre et je le feuillette. Et donc, ce qui a amené cette chanson, ‘Morocco’, ce sont des réflexions écrites il y a dix ans. Tu vois, cela a eu le temps de mijoter. La chanson ‘Big Sur’, je l’ai écrite à partir de notes sur un carnet qui remontent à la fin des années ‘90, alors que je voyageais le long de la Côte Ouest. La chanson ‘In The Twilight’, je l’ai écrite à propos de ma mère qui est décédée en décembre dernier. Il fallait que j’écrive cela, il fallait que ça sorte. Cela m’a d’ailleurs beaucoup aidée. Tu sais, tous les gens de mon âge, ou même plus jeunes, savent bien qu’ils vont devoir faire face tôt ou tard au départ de leurs parents. On devient alors orphelin. Et écrire cette chanson a été très important pour moi. L’écriture de toutes mes chansons rend compte de ce que j’ai vécu, elles sont parties intégrantes de mes expériences humaines. Peut-être que l’année prochaine sera l’année d’un album dans lequel ne figurera que mes compositions. Cela ne m’étonnerait pas…!

PM : Tu n’arrête donc jamais d’écrire et de composer?
JC
: Non, jamais. Tu sais, je suis pianiste, à l’origine, et je compose donc toujours mes chansons au piano. C’est probablement pour cela que je ne composais pas, au début. Je ne suis pas une guitariste. Je peux apprendre quelque chose et le jouer, ensuite, à la guitare, alors qu’au piano, tout me vient naturellement. Sans doute parce que j’ai eu une formation classique de pianiste. Mais durant ces années où j’étais surtout une folk singer, c’est certain que j’ai acquis l’habitude de jouer de la guitare et j’avais donc laissé tomber le piano, parce qu’une folk singer ne joue que la guitare. Comme pianistes, j’aime Billy Joël, Oscar Peterson et Jimmy Webb. Il est sensationnel, celui-là! C’est un immense pianiste. Je ne sais pas si tu as eu l’occasion de le voir sur scène, mais il est fabuleux! Et en plus il écrit des morceaux superbes. C’est un génie!

PM : Tu aimes beaucoup le piano, OK, mais aimes-tu toutes les musiques?
JC
: Oui, absolument…! Certainement parce que j’ai grandi en écoutant de tout. Tout le monde chantait et faisait de la musique à la maison. Mon père avait toujours une chanson à la bouche. Je me souviens de ‘Somewhere over the Rainbow’, que j’ai d’ailleurs enregistré sur le disque que j’ai fait pour les enfants. Et je viens juste d’enregistrer ‘When You Wish Upon A Star’, qui est aussi un album pour les enfants. Toutes ces chansons là ont bercé mon enfance et j’en ai repris trois sur un mini CD qui accompagne l’album d’illustrations pour enfants.

PM : Ce n’est pas le premier que tu fais…
JC
: Non, c‘est le deuxième que je fais.

PM : Peux-tu nous parler de ton travail concernant les enfants et l’UNICEF ? Est-ce que tes livres pour les enfants ont un rapport avec cela ?
JC
: Non, cela n’a aucun rapport. Ces livres sont publiés par une maison d’édition avec laquelle je travaille. Peter Yarow, de Peter, Paul & Mary, a lui-même fait ce genre de travail et il collabore avec le même éditeur. Un jour, il y a environ 3 ans, il m’a appelée et il m’a demandée si cela m’intéresserait de faire un livre façon ‘Over The Rainbow’, et maintenant c’est le deuxième livre qui sort. En ce qui concerne l’UNICEF, je m’y suis engagée en 1994. Ils faisaient un livre, ‘I Dream Of Peace’, qui est en fait une collection de dessins et de peintures faites par des enfants de l’ex Yougoslavie. Et à partir de cela, j’ai écrit une chanson, ‘When I Dream Of Peace’ qu’en fait j’ai appelé ‘La chanson pour Sarajevo’. Cela fait un moment que je ne l’ai pas chantée mais je l’ai beaucoup, beaucoup, interprétée. J’ai d’ailleurs un projet qui me tient à cœur. Je veux contribuer à faire bâtir un centre psychiatrique pour les enfants victimes du conflit et qui leur permettrait de se reconstruire à travers des activités artistiques.

PM : Tu es très impliquée, ne prends-tu donc jamais le temps de rester à la maison?
JC
: Non, je suis toujours sur les routes et pourtant j’ai un mari, trois chats et j’ai beaucoup d’amis. Quand je suis à New York, je prends quand même le temps d’écrire.

PM : Comment expliquez-vous que des artistes s’impliquent aussi fortement en faveur de causes humanitaires?
JC
: C’est quelque chose qui vient naturellement. Quand j’étais petite, mon père avait une émission à la radio. Il était extrêmement célèbre et c’était par ailleurs un merveilleux chanteur. Il a tenu son émission pendant 30 ans. Cela avait commencé à Seattle, puis à Los Angeles et ensuite à Denver. C’était un grand animateur et il était déjà impliqué dans des grandes causes humanitaires. Et il nous a donc fortement influencés à suivre cette route. Il chantait pour le Lyons ou bien pour l’hôpital du secteur. Il parlait politique à la radio, il parlait de la guerre du Vietnam, du Maccarthisme, et il essayait d’obtenir des fonds pour les enfants à l’hôpital, ou pour d’autres associations. Il était très impliqué dans les causes charitables. Et moi, j’ai toujours su que chanter pour de bonnes causes faisait partie de mon métier. Bien sûr que je me suis engagée dans des marches contre la guerre, contre la ségrégation dans le Mississippi. J’ai toujours été convaincue de la nécessité de lever des fonds pour les causes justes. Je ne fais pas tout ce que l’on me demande de faire, faute de temps, mais j’en fais un maximum. La musique, selon moi, possède une force telle qu’elle a le pouvoir de permettre le règlement de certaines choses. C’est une responsabilité qui incombe aux artistes que de rendre de cette manière ce que la société nous donne. C’est quelque chose de normal. Jerry Lewis avait déjà une fondation. Cela remonte à loin. C’est lui, en quelque sorte, qui est à l’origine du Téléthon. Il est à l’origine de ces shows télévisés qui permettent de récolter des fonds pour aider la recherche à trouver les moyens de soigner certaines maladies. Cela fait partie de notre métier que de s’impliquer dans de telles causes. J’ai déjà passé les vingt dernières années à essayer de récolter des fonds, via des colloques, des conférences et des concerts pour la prévention du suicide. Cela m’est nécessaire que d’aider les gens à se sortir de telle ou telle situation. Parce que c’est une situation que j’ai vécue et dont je me suis sortie. Neil Young le fait aussi, et Stephen Stills est également impliqué dans différentes associations qui s’occupent des enfants.


PM : Ce phénomène est intéressant parce qu’il montre que les artistes, aux Etats Unis, se substituent aux gouvernements locaux et au gouvernement fédéral pour entreprendre ce genre de choses.
JC
: Oui, c’est vrai. C’est un peu comme une ‘mission’ qui incomberait aux artistes. Et puis il y a une tendance, aux Etats Unis, à se lancer tête baissée dans de grandes actions, que ce soit pour l’Afrique, ou pour lutter contre la famine. On envoie des volontaires, des vivres. On a, par exemple, envoyé beaucoup d’argent pour Fukushima, au Japon. Nous ne sommes pas uniques en cela, mais je pense qu’on réagit beaucoup plus vite que d’autres. Regarde la chanson ‘We Are The World’, où je n’étais pas invitée, d’ailleurs. Ce qui n’est pas nouveau pour moi, puisque je n’étais pas invitée non plus à Woodstock… Ce que je veux dire, c’est un peu notre esprit pionnier qui subsiste dans ses implications sociales. Les Etats Unis, c’est un vaste pays, et il s’y passe plein de choses. Notre action à nous, les artistes, est une sorte d’invitation à ce que les gens ne baissent jamais les bras. Il y a toujours quelque chose à faire.

PM : Mais est ce que cela n’incite pas l’opinion publique à vous laisser faire, mais à sa place ?
JC
: Oh…! C’est très intéressant ce que tu dis. Et c’est vrai que peut-être ils se contentent parfois de prendre le train en marche. Mais il faut bien reconnaitre que nous sommes, politiquement parlant, dans une mauvaise passe. Je ne reconnais plus mon pays dans ce qui nous arrive aujourd’hui. Même s’il est vrai qu’il subsiste une certaine forme de résistance car des gens commencent à faire bloc contre toutes ces atteintes à nos libertés. Tout ce démantèlement de la société orchestré par le secteur de la finance. En ce qui concerne le secteur de la santé, par exemple, Obama a fait passer plusieurs lois dans ce domaine, mais on ne sait pas trop sur quoi cela va déboucher…, mais elles sont passées. C’est un grand défi qui nous attend, mais cela va être difficile parce qu’il demeure pas mal de gens qui s’en fichent et ne veulent pas écouter. Et puis tous ces financiers qui nous ont entraînés dans ce désastre devraient être en prison…! Ils se sont fait de l’argent sur le dos de tout le monde, les grecs, les français… (silence). C’est vrai que les temps sont durs et que c’est très compliqué partout. Nous, nous essayons de changer les choses sur tous les fronts en même temps, comme par exemple de nous retirer de toutes ces guerres dans lesquelles nous sommes impliqués. Ce n’est pas simple, mais nous ne nous décourageons pas et poursuivons la lutte. De toute manière, on n’arrêtera pas, jamais!

PM : Te considères-tu comme une artiste de folk music?
JC
: Peut-être…! (rires)

PM : Comment te définirais-tu, alors?
JC
: Comme étant Judy Collins…! (rires)

PM : Moi, quand je pense Judy Collins, je pense soleil, printemps, été, fleurs, paix et amour…
JC
: Tout à fait…! C’est bien tout cela…!

PM : Oui, mais lorsque tu écris, tu ne penses pas seulement à cela. Je viens d’entendre parler du Mouvement des Indignés. Tu sais, ces gens qui occupent la place devant Wall Street…
JC
: Ca, c’est complètement génial…! Et ce n’est pas qu’à New York. Mais encore une fois, je répète que tous les responsables de cette crise financière devraient être en prison, ceux de Goldman Sachs comme d’autres banquiers. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, en France, mais il y a eu une affaire aux Etats Unis, dans les années 80, où nous avons eu un scandale financier avec la BCCI. Et tous les responsables qui avaient volé le pays, en quelque sorte, sont allés en prison. Et aujourd’hui, c’est exactement cela que l’on réclame. On veut la justice contre ces gangsters. On veut voir ces gens-là en prison. La régulation des marchés, c’est notre problème à tous. Espérons que ce mouvement de protestation à partir de Wall Street pourra grandir jusqu’à devenir un véritable raz de marée qui porterait, à nouveau, Obama, au sommet. D’ailleurs même la droite, au Sénat, commence à prendre au sérieux ce que disent les protestataires.

PM : Est-ce plus facile ou plus difficile d’être Judy Collins, aujourd’hui?
JC
: C’est plus difficile, aujourd’hui. Cela a toujours été difficile, mais cela l’est encore plus de nos jours. Le business artistique a toujours été très dur avec moi. Et maintenant c’est pire qu’avant. Maintenant, en plus du reste, il faut gérer son site web et les contrats ne sont plus du tout les mêmes qu’avant. La promotion a pris d’autres formes, et le problème est de trouver le temps et l’énergie pour tout faire. Il ya des jeunes, dans le même label que moi, qui sont plus matures que moi et qui y parviennent, eux (rires)! Mais je ne te dis pas à quel prix. Les temps sont devenus plus difficile, car tout a changé, et pourtant il y a toujours des gens comme moi, qui voudraient que l’esprit des sixties demeure. Mais même si c’est beaucoup plus difficile pour les gens, de nos jours, il faut toujours conserver l’espoir. Rien n’est impossible. On peut encore changer les choses. Le rêve américain, non, je dis plutôt le rêve français ‘Liberté, Egalité, Fraternité’ demeure vivant malgré tout. Cette culture là nous vient des français et c’est dans le respect de ces valeurs que j’ai été élevée. Et nous devons toujours les garder à l’esprit…!

PM : Quels sont vos projets?
JC
: Mes projets immédiats sont de passer une bonne nuit de sommeil, car je suis fatiguée (rire). J’ai aussi quelques idées à propos d’une comédie musicale,… ou plutôt un opéra, de préférence. Et puis j’ai aussi mes livres. Allez, bonne nuit à vous…!

Judy Collins