ITW de Jimmie Vaughan : Le blues dans le sang

               
               ITW de Jimmie Vaughan : Le blues dans le sang

Préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer & Dominique Boulay
Réalisée le 2 juin 2010
Photos : © Frankie Bluesy Pfeiffer

C’est quelques heures avant son passage au New Morning, le 2 juin 2010, et quelques jours après avoir eu en main son dernier CD, ‘Plays Blues, Ballads & Favorites’, que nous avons rencontré Jimmie Vaughan. Lui et son combo avaient débuté leur tournée européenne la veille, à Nantes, et venaient tout juste d’arriver à Paris avant de repartir dès le lendemain pour la Grande Bretagne, pour y enregistrer pour une émission réputée sur BBC2.

PM: Bonjour, Jimmie, belle guitare que tu as là…
JV
: (tout sourire, en nous faisant essayer sa guitare) C’est une Jimmie Vaughan Signature. Les pièces sont américaines, usinées à Los Angeles, mais elles sont assemblées au Mexique. C’est exactement la même chose pour la seconde que vous voyez là-bas, à l’autre bout de la chambre, sauf que celle-ci est plus ancienne. Elle a bien vécu…

PM: Tu joues, tu chantes et tu produis. Que préfèrerais-tu faire, si tu devais choisir?
JV
: Si je devais choisir, je serais guitariste, et seulement guitariste! J’aime chanter et être dans les studios, oui, mais être producteur, bof… Mais cela fait partie du métier. Et mieux vaut être son propre producteur.

PM: C’est pourquoi tu ne produis pas quelqu’un d’autre?
JV
: Si c’est quelqu’un que j’aime vraiment, je crois que je pourrais le faire, mais comme je ne fais que ce que j’aime sur le plan musical, je m’autoproduis, et cela me suffit. Je ne suis pas hostile au fait de m’occuper d’autres musiciens mais je ne veux pas être assimilé à ces producteurs qui ne font cela que pour gagner du fric. J’aime l’argent, oui, mais il y a des limites. En fait, je me produis parce que je sais ce que je fais et parce que j’en avais assez des discussions interminables avec les producteurs à propos du contenu de mes albums. C’était toujours moi qui leur disais ce qu’il fallait faire, et au bout du compte, c’est eux qui empochaient l’argent.

PM: Ton fils a quel âge, maintenant?
JV
: 38 ans

PM: Comment te sens-tu, quand tu joues avec lui? Comme un père avec son fils, ou comme un jeune gars qui joue avec un autre jeune?
JV
: (rires) Les deux… ! Oui, les deux (rires). Mon fils est davantage un songwriter, mais c’est aussi un guitariste qui fait beaucoup de scène. Je crois que ce qu’il aime par dessus tout, c’est d’écrire des chansons. Et je dois reconnaître qu’il est doué pour cela.

PM: Plus que toi?
JV
: (large sourire) Je ne vais pas te dire oui, car je suis son père, tout de même (rire). Le plus sage, en fait, c’est que je ne me compare pas du tout avec lui. Chacun de nous fait du mieux qu’il peut ce qu’il a à faire. Lui, il est dans son propre trip. Il est complètement indépendant.

PM: Il est toujours dans le blues?
JV
: En ce moment, il est plutôt folk et pop des années soixante. Il s’essaie même à la soul et à la country. Et puis pour jouer ensemble ce n’est pas toujours facile car il doit manager sa propre carrière et moi, je m’occupe de la mienne.

PM: Est-ce que ce n’est pas un peu difficile à gérer, parfois, pour lui, d’être le fils de…
JV
: Si, je pense que cela doit souvent être difficile pour lui,…très certainement. D’autant qu’en plus il est aussi le neveu de Stevie, et ça, cela doit être encore plus difficile à gérer. Et quand je le sens stressé par tout ça, je lui dis d’oublier tout ça et de faire ce qu’il doit faire, comme il a envie de le faire, sans prendre en compte qui je suis, et de quelle famille il vient. Je trouve d’ailleurs qu’il s’en tire très bien avec tout l’héritage qu’il a à traîner. J’ai beau lui dire: ‘ignore tout cela, tu n’as rien à foutre de tout ça et sois toi-même!’, cela reste difficile pour lui parce qu’on le compare toujours à moi-même, ou à mon frère, car il porte notre nom. Mais ce n’est pas une raison pour qu’il ne suive pas sa propre voie, au contraire. Et il est suffisamment têtu pour ne faire que ce dont il a envie et être lui-même (sourire).

PM: Tu nous dis que tu es très occupé avec tout ce que tu fais, pourtant, depuis 2001 et ‘Do You Get The Blues’, tu as dû avoir du temps?
JV
: (tout sourire) Je me suis marié et j’ai eu deux ravissantes jumelles, âgées aujourd’hui de cinq ans. Cela m’a pas mal occupé, et regardez comme elles sont mignonnes, mes filles… (nous dit Jimmie en nous montrant une grande photo sur laquelle sourient deux adorables petites filles blondes). C’est la vie, voyez-vous…une vie que notre ami Bill a quitté.


PM: Peux-tu nous parler un peu de Bill Willis, justement?
JV
: C’était un grand organiste. C’était un spécialiste de l’orgue Hammond. Il avait appris à en jouer avec Bill Daughin. Mon ami Bill Willis se tenait toujours derrière lui et ce talentueux organiste professeur lui montrait comment jouer…(silence) Bill était également un bon bassiste. C’était vraiment un grand artiste! Nous avons travaillé ensemble pendant près de quinze ans.

PM: Quelle est ta relation avec l’orgue Hammond?
JV
: Quand j’étais môme, je jouais dans un groupe et on écoutait beaucoup Jimmie Smith, Jack Mc Duff et Jimmy Mc Griff. Et donc je me suis dit qu’il fallait que j’en joue, moi aussi. J’ai toujours aimé cela. Enfant, je me disais toujours que lorsque je serai plus grand, j’achèterai un orgue Hammond et que je deviendrai un organiste célèbre (rire).

PM: Est-ce que tu en joues, alors?
JV
: Oh non, ce serait une catastrophe (rires)…! J’en possède un, oui, mais je ne sais pas en jouer correctement. Je possède aussi un piano, mais je ne fais que tapoter le clavier avec mes doigts. C’est pas ce que je peux appeler savoir jouer du piano. Et vous savez pourquoi? Parce que je ne suis pas assez coordonné et que je ne relie pas le travail des deux mains. Ce que je veux dire, c’est que je n’arrive pas à faire jouer les deux mains ensemble. Pour jouer de la guitare je n’ai aucun problème, mais par contre pour jouer sur un clavier, j’ai beaucoup de mal à coordonner mes deux mains. Allez comprendre pourquoi…(rire)

PM: Et avec la batterie? Car tu as bien commencé par la batterie, non?
JV
: Exact! J’ai bien commencé la musique en jouant de la batterie, mais en fin de compte, je préfère, et de loin, la guitare.

PM: Tu aurais presque pu jouer en one man band, avec batterie, orgue et guitare. N’as-tu jamais pensé enregistrer un disque avec juste une partie guitare et une partie orgue ?
JV
: Ha non…(rires) je laisse ça à des mecs plus doués que moi.

PM: Est-ce que les musiciens qui jouent avec toi, ce soir, au New Morning, sont les mêmes que ceux avec lesquels tu as enregistrés le disque?
JV
: Oui, absolument, à l’exception du saxophoniste baryton, Kas Kasenoff, qui est sur le disque mais qui n’a pas pu se joindre à nous car il donne des cours de saxo et il a des élèves qu’il ne pouvait pas quitter pour faire cette tournée.

PM: Quand tu joues de la slide, cela sonne comme Muddy Waters. Peut-on dire qu’il t’a fortement influencé?
JV
: C’est vrai que je joue un peu dans son style et cela est sans doute dû au fait que je l’aimais beaucoup. C’est vrai qu’il m’a sans doute beaucoup influencé.

PM: Qu’est-ce que tu possèdes, comme guitares?
JV
: A la maison, j’ai quelques Kesguitars et des Gibson, dont une ES 350 et une 330, mais aussi d’autres guitares comme des Fender et des Coronados que j’aime beaucoup. Mais celles que j’utilise pour jouer sont principalement des guitares récentes. Les anciennes, je les ai mises de côté, car on m’en a volé quelques unes. Du coup, si on me vole celles avec qui je joue en ce moment, ce n’est pas bien grave. Les plus vieilles, je préfère les conserver loin du tumulte. C’est le privilège de l’âge (rires)…!

PM: Très sincèrement, Jimmie, qu’est ce qui est le plus important pour toi, tes vieilles grattes ou bien tes vieilles Chevrolet?
JV
: (rires) Mais je n’en ai pas tant que cela, des voitures. J’en ai retapées certaines, j’ai travaillé dessus pendant des années et celles-là, bien sûr que je les garde. Mes voitures, c’est exactement comme pour les guitares. Si, par malheur, j’en vends une, des années plus tard je me demande encore pourquoi et je le regrette. Mes voitures, c’est un hobby et j’y suis très attaché. C’est typiquement et exclusivement pour le plaisir de les posséder.


PM: D’où t’es venu ce plaisir pour de vieilles bagnoles?
JV
: Je crois que les voitures ont été mon premier amour! Quand j’étais enfant, mon oncle m’installait sur le siège avant de sa voiture et on partait pour de longues virées. Et pendant qu’on roulait, il me donnait le nom de toutes les voitures que nous croisions. C’est ainsi que j’ai appris à toutes les reconnaître. Adolescent, lorsque j’ai commencé à jouer de la guitare, je me suis dis que dès que je gagnerais de l’argent en étant musicien, ce serait pour m’acheter des voitures (rire).

PM: Est-ce que cela veut dire que tu n’as appris la guitare que pour pouvoir t’acheter des voitures?
JV
: Exactement…!

PM: Est-ce que cela signifie que tu vis plutôt dans le passé que dans le présent…?
JV
: Oui, car j’ignore tout de mon avenir, évidemment. Je suis du genre à faire abstraction du futur. Je ne fais que ce qui me plait et que ce que j’aime, en profitant le plus possible du moment présent. Dans la musique comme dans ma vie de tous les jours. Pour revenir aux voitures, je dois vous dire que je n’ai aucun plaisir à conduire les voitures modernes. Elles n’ont pas l’âme que possédaient les anciens modèles. Les vieilles voitures, il y avait de la passion en elles, quelque chose de fort qui te reliait à elles. Tu devais les avoir en main pour les conduire, alors que maintenant elles se conduisent toutes seules.

PM: Tu sembles donc préférer tout ce qui s’est fait dans le passé…
JV
: Oui, et tout simplement parce que c’était mieux! C’est vrai qu’il y a toujours des exceptions, comme il y a de nouvelles voitures qui sont bien, de nouvelles chansons qui sont bien, elles aussi, mais elles ne te procurent plus les mêmes sensations que les anciennes. Avant, les choses n’étaient pas si standardisées, si uniformisées, si inhumaines. Avant, il y avait toujours un espace de liberté, alors que maintenant tout est régulé, stérilisé.

PM: N’est-ce pas aussi une manière cachée de vouloir rester jeune. De te dire que tu as toujours 20 ans…?
JV
: Non, parce que quand j’étais jeune, je n’avais pas les moyens de m’acheter une voiture, ni une guitare d’ailleurs. Je ne pouvais rien m’acheter du tout. Pas même une paire de chaussures. C’était ça, ma jeunesse…

PM: Si l’on se balade sur ton site web, il y a une rubrique merchandising où l’on peut acheter des disques, des T-shirts,… Es-tu toujours musicien ou es-tu devenu homme d’affaires?
JV
: (rire) Non, je suis un artiste! Mais on peut faire les deux. Ceci dit, je dois vous avouer qu’en tant que businessman, je ne suis pas terrible. Je suis bien meilleur comme artiste.

PM: Vous avez commencé cette nouvelle tournée européenne hier soir, à Nantes, et déjà, sur ton site les dates récentes ont été effacées. Qui te gère ce site si bien?
JV
: (grand sourire) C’est ma femme qui s’occupe des mises à jour presque quotidiennement. Cela lui permet de savoir exactement où je suis (rires).

PM: Pour évoquer les Fabulous Thunderbirds, que tu as quittés en 1989, ne pourrait-on pas imaginer que tu les rejoignes à nouveau?
JV
: (songeur) Peut-être… Cela serait marrant, mais je m’amuse tellement avec ce que je fais, en ce moment, que cela m’apparait comme secondaire. Mais tu as raison de poser la question car c’est une éventualité qu’il ne faut pas négliger. Si on ne pouvait le faire pour produire de la bonne musique et avoir du plaisir à être ensemble, cela serait bien. Peut-être qu’un jour cela se fera. On verra… Pourquoi pas…

PM: Pour terminer cet entretien, Jimmie, pourrait-on parler un petit peu de cinéma? On se souvient des Blues Brothers 2000 dans lequel tu joues le rôle de guitariste. Tu as également joué dans Great Balls Of Fire en tant qu’artiste…
JV
: (faisant un grand geste de la main) Je suis bien meilleur musicien qu’acteur. Et pour être très franc avec vous, je n’aime pas être acteur parce que c’est toute la journée que tu traînes pour apprendre ton texte, le répéter encore et encore. Je trouve que ce n’est pas spontané et que cela sonne un peu faux. Tu n’es pas naturel, quand tu es acteur, et cela ne me convient pas vraiment. Mais bon, il ne faut jamais dire jamais, mais je préfère rester guitariste plutôt qu’acteur! Vous verrez ça ce soir au New Morning (rire)…!