ITW de Hervé Krief
Réalisée par Pascal, sur Radio Canut
Contact: comboquilombo@free.fr
Le 1er décembre 2010
Photos : © HK & Phil Glorioso
Créateur du Swinging Art Ensemble de Paris puis fondateur ce que l’on a appelé ‘le funk à la française’, Hervé Krief est un guitariste qui non seulement se ressource auprès de Miles Davis et de Jimi Hendrix, mais qui s’implique totalement dans des projets originaux et novateurs, comme ce spectacle ‘Prévert et Champs de révolte’ qui fut proposé trois soirs de suite en décembre 2010 dans un lieu alternatif proche du canal de l’Ourcq, à Paris, ‘Le Vent se lève’. C’est ce musicien, ce personnage qu’a rencontré Pascal pendant son émission de radio ‘Le Blues des Canuts’, sur Radio Canut, à Lyon.
RC: Bonjour Hervé, un petit mot rapide, peut-être, pour présenter ton parcours à nos auditeurs…
HK: Je suis guitariste et compositeur. Je joue de la guitare depuis l’âge de 15 ans et ma première véritable passion de musicien a été Jimi Hendrix. Peu après, j’ai découvert grâce à un pote de lycée l’univers du Funk à travers James Brown, Funkadélic et Defunkt, et j’ai adoré! J’ai donc eu envie de créer une musique métissée, à l’image de mes goûts et de ma propre identité puisqu’étant fils d’immigrés et né à Paris, j’ai moi-même une double culture. Je me suis donc lancé dans un groupe de funk métissé, SAEP, et on a écumé la France pendant quelques années, sorti deux albums, en 88 et 91. Ensuite, j’ai monté un trio de blues pour exprimer mon côté voodoo chile. On a fait trois albums et autant de belles tournées qui restent mes meilleurs souvenirs de musiciens, surtout les deux premières. En parallèle, j’ai monté un big band de jazz-funk, toujours avec l’esprit de mélanger, de faire se rencontrer toutes les couleurs musicales que j’aime.

RC: Tu sembles avoir réussi, et l'image qui ressort de cette présentation est celle d'un véritable touche-à-tout musical, toujours à la recherche d'une aventure…
HK: Ma conception musicale, c’est le métissage, l’exploration de nouvelles contrées et aussi l’improvisation. Selon moi, il faut toujours une grande part d’improvisation dans la musique, surtout que le sens de ma vie de musicien est d’être sur scène et de communiquer avec des auditeurs. Je suis toujours à la recherche d’un nouveau concept, d’une nouvelle orientation, et bien sûr, d’une nouvelle rencontre. C’est un des beaux côtés de la musique que de rencontrer d’autres musiciens autour d’un projet commun.
RC: Comment en es-tu arrivé à chanter du blues?
HK: C’est la faute à Hendrix. C’est lui qui m’a entrainé vers le blues et vers le trio. Le blues, c’est la magie de la guitare et du feeling brut, et le trio, c’est le triangle. C’est la seule formule que j’aime vraiment. J’adore plein de guitaristes de blues, comme Stevie Ray Vaughan, John Lee Hooker, Robben Ford, Steve Johnson et le Clapton de l’époque Cream. Ce sont eux qui m’ont donné envie de faire un groupe de blues.
RC: Et pourquoi chanter en français?
HK: Parce que c’est ma langue maternelle, et puis j’aime bien écrire. Depuis l’adolescence j’écris des poésies et je ne suis à l’aise qu’avec le français. De plus, dans le set, il y a beaucoup de reprises qui sont chantées en anglais. Cela propose ainsi un juste équilibre entre le français et l’anglais.
RC: Tu as sorti un album intitulé ‘Insomnies’. Tu ne dors pas, la nuit?
HK: Cela dépend des périodes. Disons que lorsque j’ai enregistré cet album, je venais de perdre ma mère et j’avais beaucoup de mal à dormir la nuit…

RC: Je comprends, et toutes mes condoléances. L'un des thèmes récurrents de cet album est celui de la fuite et, par ailleurs, tes chansons sont émaillées de bruits modernes ou citadins. Tu ne te sens pas à ta place, dans ce monde?
HK: Non, j’y suis mal à l’aise, et de plus en plus, d’ailleurs. Je rêve toujours d’un monde différent, plus juste, plus équitable et plus en harmonie avec les humains et la planète.
RC: L'influence d'Hendrix est très présente dans cet album et en plus, on te voit en photo avec une Strat. Tu l'utilises toujours? Question matos, c'est quoi, tes plans?
HK: Oui, comme je te l’ai déjà dit, Hendrix est très important pour moi. D’ailleurs sa musique est très métissée, au fond. Pour répondre à ta question, oui, je l’ai toujours, cette Strat. Et elle n’est pas blanche, mais verte. C’est une super guitare que j’avais achetée d’occasion, il y a bien longtemps, et depuis, j’ai mis des micros Stevie Ray Vaughan dessus et elle sonne terrible…! Sinon, question matos, je joue avec deux amplis Marshall JCM 900 et quelques pédales…, dont une wha wha, bien sûr!
RC: Tu n 'as jamais enregistré en acoustique?
HK: Si, cela m’est arrivé, mais seulement sur quelques titres, et dans des albums qui étaient plutôt électriques.
RC: Dans le deuxième titre du dernier album, on perçoit un certain désarroi dans tes propos, une recherche d'un ‘ailleurs’…, malgré le refrain. Est-ce vraiment une chanson d'amour?
HK: Disons plutôt que c’est un appel au secours à deux niveaux. C’est l’expression d’un malaise, de la difficulté que j’ai à trouver ma place dans cette société et également la difficulté à trouver l’amour qui m’aiderait à soigner mes blessures et mes angoisses…

RC: Et puis il y a cette chanson, ‘Le temps est pluvieux’, qui est certainement un de tes textes les plus poétiques. Il présente un mélange assez intéressant entre différents ingrédients: la dimension poétique, les jeux de mots de ce texte que tu as choisi de poser plus que de chanter, le refrain en anglais, sans oublier le riff qui rappelle furieusement le Voodoo Child. Tu pensais à qui, en écrivant ce morceau?
HK: En fait, je voulais écrire un texte super poétique sur une musique bien hendrixienne. Je crois qu’au niveau des paroles, j’ai toujours Gainsbourg comme référence. D’ailleurs sur mes trois albums de blues, il y a toujours une reprise d’une chanson de Gainsbourg, qui est pour moi le maître en terme de textes en français.
RC: Sur celui-ci c’est ‘L'Hôtel Particulier’…
HK: Sur mon premier album de blues, j’avais repris ‘Je suis venu te dire que je m’en vais’, sur le deuxième, ‘Couleur Café’, et sur le troisième, oui, ‘L’Hôtel Particulier’, une chanson qui se trouve sur un album de Gainsbourg que j’adore, ‘Melody Nelson’.
RC: Il y a un autre morceau très étonnant à ton palmarès, c'est ‘On croit rêver’. Pour le coup, tu as trouvé un parolier de choix en la personne de Sarkozy! Mais là n'est pas le plus surprenant, car à côté de son discours, il y a quelqu'un qui rappe! C'est toi? Parle-nous un peu de cette chanson…
HK: C’est un extrait exclusif de mon prochain projet, ‘Prévert et Champs de Révolte’, que je t’ai envoyé. C’est assez long à expliquer car cette chanson s’intègre à toute une performance qui mêle rock, slam et poésie. C’est un projet passionnant dans lequel j’essaie de mêler plusieurs disciplines artistiques: le théâtre à travers la poésie de Prévert, le slam et des images qui seront projetées pendant le concert-spectacle. Et cette chanson se situe durant un chapitre où nous parlons du travail et des profits, de la redistribution du fruit du travail, qui n’est absolument pas équitable. Mais ce qui est le plus passionnant pour moi, dans cette tentative, c’est qu’à la fin on propose des solutions au niveau local, au niveau du citoyen, pour essayer de changer ces injustices. Ce n’est pas juste une contestation, c’est aussi une manière de faire des propositions, et le tout sur fond de poésie et de révolte, car la musique peut être très énervée à certains moments. Pour encore répondre à ta question, ce n’est pas moi qui slame, mais Gérard Mendy.
RC: En tout cas, un grand bravo pour ce projet! Le titre est déjà une belle réussite…!!! Mais revenons à ton répertoire car une autre partie de celui-ci se compose de reprises: ‘Roll Over Beethoven’, ‘Dust My Broom’ ou encore ‘Stormy Monday’, mais toujours avec un gros son…
HK: C’est le son que j’aime et avec lequel je m’exprime le mieux. J’utilise la saturation des Marshall comme base et ensuite je bidouille avec les pédales. Pour les reprises, cela me paraît indispensable d’en jouer, à la fois d’un point de vue personnel mais aussi pour ceux qui sont amenés à écouter mes disques et mes concerts.

RC: L'un de tes projets s’appelle ‘Le blues, de l'esclavage au guitar-hero’. Tu veux bien nous en dire quelques mots?
HK: Je me suis intéressé de près à la naissance du blues, à la fois d’un point de vue musical mais aussi du point de vue sociologique, voire anthropologique. J’ai trouvé passionnant d’essayer de comprendre comment cette musique qui a eu un impact immense sur le monde en générant toutes les musiques populaires du XXème siècle, est née. Comment une barbarie tout à fait ignoble qui s’est perpétuée pendant près de quatre siècles en prenant des formes de persécution, de crimes et de ségrégation atroces a pu donner, malgré tout cela, naissance à une musique aussi extraordinaire, le blues. Et quand j’ai eu envie de repartir avec mon trio de blues, j’ai eu l’idée de faire un concert en forme d’histoire et une histoire en forme de concert. Le set commence par un diaporama d’images qui racontent l’esclavage, puis arrive un chant d’esclaves que le trio finit par accompagner. Ensuite, la set list n’est composée que de reprises dans l’ordre chronologique. Et entre les chansons, je raconte des histoires, des anecdotes autour des chansons ou de leurs auteurs afin de narrer l’histoire du blues, mais du point de vue des opprimés. C’est cela qui m’intéressait. Un peu à la manière de l’historien américain Howard Zinn.
RC: Quel est pour toi le disque idéal pour commencer la journée?
HK: En ce moment, c’est un disque de Fela intitulé ‘Shuffering and Shmiling’, sorti en 78.
RC: Et pour finir la soirée?
HK: Albert King, avec ‘Born under a bad sign’.
RC: Un album à offrir?
HK: ‘Are you experienced?’, de Jimi Hendrix….!
RC: Quel est le titre que tu as écrit et dont tu es le plus fier?
HK: Sans hésiter, le prochain.
RC: Pour finir, quelque chose à rajouter qui te tient particulièrement à cœur?
HK: Je crois que les musiciens doivent s’engager afin d’aider les gens à prendre conscience que le monde qu’on nous propose est inacceptable. Les artistes doivent tirer la sonnette d’alarme, prendre leur baluchon et parcourir la planète pour dire qu’un autre monde est possible si chacun décide d’avoir une conscience dans ses actes de tous les jours.
RC: Hé bien, merci Hervé pour ta patience, ta gentillesse et ces propos pleins d'espoir.

‘Le Blues des Canuts’, c'est l'émission blues de Radio Canut – la plus rebelle des Radios ! –, tous les mercredis de 15h à 16h sur le 102.2 FM dans la région lyonnaise et sur www.radiocanut.org pour le reste du monde…!
Ce programme s'inscrit dans une démarche d'Éducation Populaire. Chaque édition est axée sur un(e) artiste, un groupe, une chanson, un style de blues, un aspect social et historique… en tâchant de garder un équilibre entre électrique/acoustique, femme/homme, contemporain/classique.
Nous nous intéressons aux thèmes riches et variés abordés par les blues de toutes les époques et de toutes les origines, replongés dans leur contexte social. A travers des sélections de titres, nous avons déjà commencé à nous pencher sur les thèmes du voyage, du travail, de la misère, de la prison, de l'armée, de la police, de la ségrégation et du racisme, sur les rapports de classes comme sur les rapports de genre,…
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