ITW de Derek Trucks pour la sortie de son CD Already Free

ITW préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer
Traduction: Nathalie Nat Harrap
Photos de concert: Frankie Bluesy Pfeiffer / Autres photos : TDR
 
 
Guitariste prodige, Derek Trucks est né le 8 juin 1978 à Jacksonville (USA). A neuf ans il joue avec son oncle, Butch Trucks, batteur du Allman Brothers Band, avant de former à douze ans son premier groupe. Classé dans le Top 100 des meilleurs guitaristes de l’histoire de la musique, Derek Trucks est à trente et un ans une des légendes vivantes de la slide et de la guitare. Membre du mythique Allman Brothers Band et leader de son propre groupe, The Derek Trucks Band, Derek est revenu avec nous sur ces 15 concerts du 40ème anniversaire des ABB, son groupe, sa famille, mais aussi ‘ses’ familles.
 
 
FB: Ca te fait quoi quand tu vois des gens te demander pour la cinquantième, ou centième fois, ce que tu ressens parce que tu figures dans la liste des 100 meilleurs guitaristes de tous les temps?
DT: (sourire) Tu sais, je ne prends pas ça très au sérieux. Sûr que c’est sympa d’être dans cette liste, mais il y a beaucoup de musiciens que j’admire qui devraient figurer sur cette liste et qui ne le sont pas, et puis d’autres y sont sur alors qu’ils ne devraient pas y être.
 
FB: Des noms. Tu peux donner des noms ?
DT: (rire) Non, mais tu sais, c’est très subjectif ce genre de chose…
 
FB: Tu n’es pas sensible aux prix, style Grammy Awards?
DT : Non, pas du tout. Comme je te l’ai dit, celui qui est pour moi un excellent guitariste ne l’est pas forcément pour un autre, et c’est pour ça que je pense que les prix comme les Grammys sont en réalité plus faits pour les maisons de disques que pour les musiciens. Mais bon, c’est mon avis à moi et c’est pas forcément celui de tout le monde.
 
FB : Ton oncle Butch me disait que le seul Grammy qu’il ait gagné avec les ABB, il l’utilise comme cale-porte…
DT: (sourire) Oui, je sais.
 
FB: Tu as joué récemment au Beacon Theatre à New York avec les ABB pour leur quarantième anniversaire. C’était comment?
DT: Magique, vraiment. C’est difficile d’exprimer ce que l’on peut ressentir dans des moments pareils, mais je pense que le mot qui colle le mieux à ce que je ressentais c’est magique. Tu sais, ça fait dix ans que je joue avec ce groupe et ces 15 jours de concerts ont été sans doute le meilleur moment que j’ai jamais vécu avec ce groupe. Quand on était en coulisse, j’étais avec plein de musiciens extraordinaires, des géants, tu vois… Il y avait Taj Mahal, Eric Clapton, et plein d’autres. Oui, c’était vraiment magique.
 
FB: Compte tenu de l’importance de cet événement, franchement, as-tu passé beaucoup de temps à t’y préparer?
DT: (sans hésiter une demi-seconde) Oui, franchement oui. J’ai pas mal répété certains morceaux, mais pour d’autres, qu’on a décidé d’incorporer au dernier moment, on a eu moins d’une heure pour répéter, et ça a été un peu difficile, parfois…
 
FB: On ne s’en rend pas compte du tout quand on vous regarde via Moogis.
DT: Hé bien tant mieux, parce que je peux te dire que ce ne fut pas toujours facile…
 
FB: De tous les guests avec lesquels vous avez joué, avec lequel as-tu eu le meilleur rapport, une grande complicité?
DT: Avec Taj Mahal, et puis avec Clapton, mais aussi avec ma femme, lorsqu’elle est venue jouer avec nous. C’était émouvant pour moi, et j’ai beaucoup apprécié qu’elle accepte de venir jouer avec nous.
 
FB: On parle d’un album, ou d’un double album de cette série de concerts…
DT: Sincèrement, je ne sais pas, parce que rien n’est décidé. Il y a beaucoup de rumeurs qui circulent, et je pense que ce serait une bonne idée d’en sortir un, mais on parle aussi d’un DVD. Et peut être de faire les deux.
 
FB: J’ai entendu dire qu’il y aurait un double album, avec un CD juste avec les ABB et un autre avec les guests.
DT: Ouais, et si ça se fait, ce serait super, non? Moi, j’achèterai tout de suite l’album, pas toi? (rires)
 
FB: Tu sais que pas mal de personnes qui t’ont côtoyé disent que tu es l’esprit de Duane Allman. Une sorte de réincarnation. Comment tu vis ça?
DT: (long silence – songeur) En fait, c’est quelque chose d’étrange, de bizarre. D’un côté je suis très fier d’être comparé à un tel musicien et assimilé un peu comme son ‘fils spirituel’, mais ce n’est pas moi qui fait que les ABB continuent leur route. Les ABB sont un groupe et je ne suis qu’un musicien de ce groupe. Et puis il ya plein d’autres guitaristes qui sont des ‘fils spirituels’ de Duane. Je pense que les gens voient en moi, come dans toute autre personne, ce qu’ils veulent voir. C’est sûr que quand un artiste, comme Clapton par exemple, a une énorme influence sur toi, tu vas prendre quelque chose de lui, mais quand tu joues ensuite dans un groupe, ta valeur personnelle c’est d’amener ce que tu es et d’en faire quelque chose pour qu’il y ait une cohésion avec le groupe. Tu vois ce que je veux dire?
 
FB: Oui, bien sûr, mais tu n’as pas vraiment répondu à ma question. N’essayes-tu pas d’éviter de répondre en disant ‘je suis ce que je suis et il était ce qu’il était’.
DT: Je sais ce qu’on a dit et ce que l’on dit encore sur moi, mais je n’y prête pas attention. Tu sais, si on commence à parler de ça, on va en parler tout le reste de la journée…(sourire). Si on parlait plutôt des concerts des ABB…?
 
FB: OK, alors comment était ton oncle, Butch, à la fin des 15 concerts? Parce qu’il m’a dit que quand il commence un concert, a son âge, dès le deuxième morceau il pense qu’il a 20 ans mais qu’à la fin du concert il se rend compte qu’il n’a plus 20 ans…
DT: (rire) Il était super. Tu sais, ces gars ont tellement d’énergie que leur âge n’a aucune importance. Ce que tu dois savoir, c’est qu’ils ont autant d’énergie que moi et qu’à la fin des 15 concerts ils étaient aussi fatigués que moi. Mais ça a été vraiment un moment très spécial, ces 15 concerts. Je te l’ai dit, magique.
 
FB: Quelle sorte de relation tu as eu avec Butch dans le passé?
DT: Tu sais, quand j’étais jeune, on se voyait peut-être une fois par an et on n’était pas vraiment aussi proches que depuis que j’ai rejoint le groupe. Maintenant on est devenus vraiment très proches, et c’est super, parce qu’on porte tous les deux le même nom. On est de la même famille.
 
FB: Et ton groupe, c’est une famille, aussi?
DT: Oui, absolument, c’est une vraie famille. On s’entend vraiment bien, et on est arrivés à une période, maintenant, où on est tous très bien ensemble. On joue bien ensemble, on a les mêmes idées, les mêmes envies. On a fermé la boucle, en quelque sorte. Je dirais qu’on est arrivé à une certaine maturité et qu’on s’amuse plus que jamais.
 
FB: Si je comprends bien, tu as trois familles: les ABB, ton groupe et ta propre famille…
DT: (large sourire) Tout à fait. La chance que j’ai, c’est de passer mon temps avec des gens avec qui je suis vraiment à l’aise, qui me permettent de faire ce que j’ai envie de faire, et que j’apprécie beaucoup. Et même quand je suis en tournée, loin de chez moi, je suis ‘en famille’,…dans une de mes familles.
FB: Et maintenant que tu es père, comment fais-tu pour concilier la vie de musicien et celle de papa, parce que tu es tout de même très souvent parti…
DT: (silence) C’est vrai que ce n’est pas facile, mais avec Susan on essaye de ne pas faire de tournée en même temps, pour que l’un de nous deux soit toujours à la maison. On essaye de s’organiser comme ça, mais je dois avouer que ce n’est pas aussi facile que ça. Par exemple Susan est à la maison en ce moment, moi je rentre demain, on reste ensemble quelques jours ensemble et puis c’est elle qui part.
 
FB: Mais il vous est arrivé d’emmener les enfants avec vous, exact?
DT : Oui, c’est vrai qu’on essaye de les emmener avec nous chaque fois que l’on peut. Par exemple cette année, en juillet, ils vont passer une semaine en Europe avec nous. On fait tout ce qu’on peut pour qu’ils aient la vie la plus normale possible, mais avec deux parents musiciens c’est pas évident non plus…(sourire) Mais ils ont de la chance, quand même, car ils ont déjà pas mal voyagé. Ils sont allés au Japon, dans le midi de la France, à Londres, et beaucoup d’autres enfants n’auront jamais cette chance là.
 
FB: Est-ce que vous les encouragez à jouer de la musique?
DT: C’est sûr que comme nous sommes tous les deux musiciens, ils ont une certaine prédisposition à la musique, mais on ne les pousse pas. C’est à eux de voir, et de décider s’ils ont envie de faire de la musique. Mon fils, pour le moment, ne s’intéresse qu’au sport, au baseball. Mais il y a des signes…(sourire) Par exemple, quand je le conduis à l’école, mon fils me demande de lui faire écouter Marvin Gaye, et ça, ça me fait vraiment plaisir… Surtout quand je vois tous ses copains qui écoutent de cette musique vraiment horrible qui passe sur certaines radios. Peut être que lui aussi, un jour, il aura envie d’écouter ce genre de musique, mais je ferai tout ce que je peux pour que cela ne se passe pas chez moi (rire). Et ce n’est pas moi qui lui achèterai ces albums (rires).
 
FB: Avec ton dernier album tu as ouvert, plus qu’avec les autres, la porte sur des musiques soul, funk et jazz. C’est du à quoi? Un besoin de changer?
DT: Je crois que tout cela est fonction de ce que tu ressens à un moment donné, de ce qui te passionne, de ce qui te rend heureux quand tu vas en studio. En fait, chez moi c’est très spontané. C’est toujours ‘Qu’ai-je envie de jouer aujourd’hui? Qu’est-ce qui m’inspire?’. Cet album représente là où j’étais au moment où l’on a enregistré, et là où le groupe était. Et puis j’ai été influencé par beaucoup de styles de musique, beaucoup de styles de jazz, je ne me sens pas de frontière entre tel style ou tel style de musique. Je joue comme cela me vient.
 
FB: Ne crois-tu pas que c’est également le signe d’une certaine maturité?
DT: (sourire) Sincèrement je pense que oui, parce que dans ce groupe on est tous arrivés à une certaine maturité et que l’on n’a plus besoin de se prouver quoi que ce soit. On est arrivé au stade, je pense, où l’on peut jouer ce qu’on a envie de jouer, en espérant que ça plaira aux public, même si c’est différent de ce que l’on faisait dans d’autres albums. Je dois te dire qu’avec cet album je ne me suis jamais senti aussi décontracté, aussi honnête avec moi-même et aussi sûr de ce que je faisais. Et c’est la première fois que ça m’arrive.
Je pense aussi que c’est bien de voir le public évoluer avec le groupe. C’est vrai que jusqu’à maintenant nous avons toujours eu de la chance car le public nous a toujours suivis. Et puis on a aussi eu la chance de commencer tout doucement. Tout s’est fait petit à petit, ‘step by step’. Je suis persuadé que si tu réussis trop vite dans ce métier, tu ne t’épanouis plus dans ta musique, car tu n’as pas le temps de t’épanouir. De toute façon, je crois qu’il faut toujours rester humble et apprécier le succès que l’on a, parce qu’il y a tellement de gens qui travaillent très dur et qui n’y arrivent pas. Le plus important pour moi, vis-à-vis de notre public, est de rester honnête et sincère avec ce que l’on joue.
 
FB: Et si un jour tout basculait, et qu’au lieu de jouer devant 3.000 personnes, tu joues devant 300 personnes, ou 30 personnes?
DT: (sourire) Mais ce n’est pas un problème, du moment que tu es sincère avec toi-même et que tu as su rester humble. Le problème c’est quoi? Descendre dans un tout petit hôtel au lieu d’un 4 étoiles, et manger une soupe? Mais ce n’est pas un problème, du moment que tu es sincère avec toi-même et que tu as toujours joué ce que tu aimes jouer. Et puis, je vais te dire, je préfère les petits hôtels, car dans ces hôtels tu sens vraiment comment les gens vivent, et c’est cette relation là que j’aime avoir avec les gens.
 
FB: Et cette volonté d’avoir dans ton groupe deux batteurs/percussionnistes, ne serait-ce pas du aux ABB?
DT: Bien sûr que j’ai été influencé par les ABB, mais aussi d’autres comme Otis Redding, James Brown, et ce que je voulais pour mon groupe, c’est cette puissance qui est remarquable avec deux batteurs.
 
FB: Et toi qui parles d’humilité, est-ce que le nom de ton groupe, The Derek Trucks Band, ça ne gêne pas les autres membres du groupe?
DT: (sourire) Il y a environ 8 ou 10 ans, j’ai voulu qu’on change le nom du groupe mais tous les autres ont préféré qu’on garde celui-là, alors on l’a gardé.
 
FB: Ce groupe est une de tes trois familles, disais-tu. Est-ce parce que tu connais certains musiciens depuis longtemps?
DT: Oui. Todd [NDLR : le bassiste] et moi on se connait et on joue ensemble depuis très longtemps, depuis qu’on a 14 ou 15 ans. Pareil pour Yonrico, puis Kofi et Count sont arrivés plus tard, car ils jouaient à Atlanta, tandis que Mike, lui, est le dernier rentré,…mais cela va faire plus de 7 ans maintenant, et la famille est toujours aussi soudée (sourire).
 
FB: On te classe parmi les joueurs de slide les plus doués. C’est quoi ton secret?
DT : Il n’y en a pas. C’est peut être une question de feeling par rapport à l’instrument, et aussi à cause du jeu de ma main droite, puisque je joue sans mediator.
 
FB: Ta dernière tournée avec Clapton, en quelques mots? Parce que tu dois en avoir un peu marre qu’on te reparle sans cesse de Clapton, non?
DT: (gêné et souriant) Non, non… C’est normal que cela intéresse les gens. Clapton c’est quelqu’un, et dont le nom a marqué la musique, tout comme Duane Allman.
 
FB: Ce n’est pas un de tes frères qui porte le nom de Duane ?
DT: Si, mais il est batteur (sourire). Il a commencé très tôt, vers 6 ans, et il est maintenant à Atlanta où il commence à se faire un nom.
 
FB: Comment sera ton prochain album? Plus jazzy encore?
DT: (songeur) Je ne sais pas. Actuellement on joue avec des idées, mais tant qu’on ne sera pas en studio, one ne saura pas ce qu’on fera. Quand tu es en studio, tu ne sais jamais ce qui va se passer.
 
FB: Est-ce que tu serais prêt à ouvrir ta musique à de la World Music?
DT: Oui…! J’adorerais faire un album avec des rythmes africains. Ce serait passionnant de mélanger ainsi les différents rythmes, et les sons de nos instruments, si différents. Oui, j’adorerais.
 
FB: Et ce groupe, Soul Stew Revival, que vous avez monté à deux, avec Susan, pourrais-tu nous en dire quelques mots ?
DT: En fait c’est un mélange de son groupe et du mien auquel participe mon frère Duane, celui qui est batteur. Le nom, on l’a pris à cause d’une chanson de King Curtis, qui s’appelle Soul Stew et que l’on jouait lorsqu’on se retrouvait, Susan, moi, et nos musiciens. On n’a pas cherché à faire compliqué et on s’est donc appelé Soul Stew Revival…(sourire). On a déjà donné plusieurs concerts avec ce groupe et la musique que l’on joue plait aussi beaucoup à notre public. On interprète des titres de Delaney and Bonnie, et puis aussi de Derek And The Dominos. Ce sont des chansons d’une époque qui nous a beaucoup marqués, Susan et moi, et on a un grand plaisir à les interpréter.
 
FB: Question subsidiaire, Derek, en parlant de Susan justement, mais tu réponds si tu le veux bien: qui est tombé amoureux de l’autre en premier, toi ou Susan?
DT: (grand sourire) Elle, je pense. Oui, c’est elle…
 
FB: Si je lui pose la question, que penses-tu qu’elle me répondra?
DT: Que c’est moi, bien sûr! (rires)
Derek Trucks