ITW préparée et réalisée par Dominique Boulay
Traduction : Josée Wingert
Photos : Anne Marie Calendini
C’est à l’occasion de son passage par l’Atelier du Moulin à Santeny (94) que nous avons eu l’occasion de rencontrer le fameux bassiste Darryl Jones. Celui là même qui joua avec Miles Davis avant de venir renforcer les Rolling Stones en tournée après le départ de Bill Wyman. L’opportunité était trop belle de pouvoir discuter avec lui, d’autant qu’il n’était pas venu seul puisqu’il jouait en trio jazz électrique avec le gigantesque guitariste Oz Noy et le non moins impressionnant Dave Weckl à la batterie.
On te voit jouer très souvent avec beaucoup de musiciens, comme ce soir dans le trio d’Oz Noy ou avec les Roling Stones, mais as-tu aussi ton propre groupe?
Non, en ce moment je n’ai pas de groupe attitré. Mais cela n’a pas toujours été comme ça. Le dernier groupe dans lequel je jouais s’appelait The Big Picture, à Chicago, et on jouait une sorte de jazz électrique, comme le faisait Miles Davis dans sa période Decoy.
J’imagine que tu as rencontré et joué avec de nombreux bluesmen, vu que tu es natif de Chicago…
Pas tant que cela, en fait. Je me suis le plus souvent entraîné à jouer avec des artistes de Soul comme Otis Clay, par exemple. Et lorsque j’ai joué du blues à Chicago, c’est plutôt seul que je l’ai fait.
Est-ce que tu vis toujours à Chicago?
Non, je vis désormais à Los Angeles, en pleine ville.
J’imagine que la scène jazz y est moins importante qu’à New York…
Absolument…! A New York, cela bouge effectivement davantage, mais il y a tout de même une scène jazz à LA. Ceci dit, je n’ai pas souvent l’occasion de jouer dans cette ville, car même si je vis là-bas, je travaille surtout en Europe et en Asie. Pour moi, LA, c’est pour me reposer et me ressourcer (sourire).
En profites-tu alors pour aller écouter d’autres musiciens?
Oui, bien sûr…!
Et tu peux y aller incognito…?
(rire) Pas besoin! Je ne suis pas connu à ce point là, à LA. Et quand quelqu’un me dit: ‘J’ai l’impression de t’avoir déjà vu quelque part…’, c’est là que tu vois que tu n’es pas si célèbre que ça (rires)…!
C’est peut-être parce que tu es bassiste et que tu es plus souvent en retrait des chanteurs ou des guitaristes.
Oui, cela doit être ça. Disons que je soutiens les autres musiciens, en fait.
Mais, sincèrement, est-ce que cette situation n’est pas trop difficile à vivre?
Non, pas du tout (rire)…! Et puis en ce moment je commence tout juste à entreprendre quelque chose dans un nouveau groupe dans lequel je suis co-leader. Ce groupe se nomme Stone Raider, c’est un trio, et je joue en compagnie de Will Calhoun à la batterie et de Jean Paul Bourelly. Dans cette formation, je chante, en solo, et sans faire de soli de guitare basse. Je chante des chansons, simplement, tandis que ce soir, vois-tu, j’accompagne Oz Noy.
Cela veut dire que tu composes, aussi…
Naturellement…! Pour ce nouveau projet, oui, je compose, mais j’avais déjà pris le temps d’écrire d’autres morceaux auparavant, pour d’autres et pour moi-même.
As-tu travaillé avec Vernon Reid?
Non, absolument pas! Je n’ai jamais eu l’occasion de jouer avec Living Colour. Par contre Will Calhoun, avec qui je joue en ce moment, vient de cette formation. Et ce que nous jouons tous les trois est fortement influencé par le Blues du Delta, par celui de Chicago et le blues électrique, en général. On peut même faire des rapprochements avec le Jimi Hendrix du Band of Gypsys.
Et qu’est ce que cela t’inspire de te retrouver dans des endroits comme celui là (*), en France?
(*) Un restaurant de bord de route nationale comme il y en a tant par chez nous, à proximité d’une zone industrielle.
Oh moi, tu sais, je vais là où la musique m’appelle. Si c’est dans une grande salle, j’y vais, mais si c’est dans un petit club, je m’y rends également avec beaucoup de plaisir. Je n’ai pas de préférence et ce qui importe, c’est que l’on fasse de la musique. Bien sûr que c’est toujours bien de jouer devant des foules gigantesques, mais j’apprécie aussi beaucoup l’intimité des petites salles. C’est une autre ambiance, et tu as une relation différente avec les gens. Dans des petites salles comme ici tu es très proche du public, et qui sont là comme tes amis sont chez toi. Près de toi. C’est très agréable comme sensation, autant que d’être sur une énorme scène devant plusieurs milliers de personnes.
A ce propos, tu n’as rien de nouveau en vue avec les Stones?
Non, rien à signaler pour le moment.
Les Stones, ce n’est pas vraiment la même musique que le jazz fusion que vous allez jouer pour nous ce soir.
Non, mais encore une fois je vais là où la musique m’appelle. Et à chaque fois, je donne tout ce que je peux donner de moi.
Qu’est ce qui est le plus difficile pour toi, techniquement parlant, jouer du jazz, du blues ou du rock?
Tu sais, moi je ne fais aucune distinction entre ces musiques et ce sont les journalistes et le public qui font ce genre de distinction. Pas moi. J’ai entendu des musiciens de jazz déclarer que si l’on peut jouer du jazz, on peut jouer de tout, et je pense qu’ils n’ont pas tord. Mais je pense qu’il faut savoir rester humble et respectueux vis-à-vis de toutes les musiques. Qu’elle soit simple ou compliquée, tu dois la respecter. Moi, j’aime la musique et je ne fais donc pas de distinction entre ce qui vaut la peine ou pas, ce qui est le mieux ou pas, ce qui est le plus difficile ou le plus facile à jouer. Je trouve même que ce genre d’attitude est dangereux pour un musicien.
Quel genre de guitare basse utilises-tu le plus? La toute simple, à quatre cordes, ou bien celle avec ordinateur embarqué?
Une fois de plus, j’aime les deux. Je trouve que c’est exaltant pour un musicien de pouvoir maîtriser l’apport des nouvelles technologies sur les instruments. C’est intéressant, et même si les puristes n’aiment pas trop, moi j’aime les deux! La guitare basse est un instrument magnifique et ce que nous ont apporté les bassistes africains de ces vingt cinq dernières années, c’est qu’ils peuvent jouer de tout sur leur basse. Ils peuvent jouer de la batterie comme ils peuvent faire les cuivres avec leur basse. Franchement, moi, j’applaudis à ces réalisations!
Joues-tu aussi d’un autre instrument?
Oui, je joue aussi de la guitare et du piano. Je être guitariste ou pianiste. C’est parce que j’aime beaucoup, en général, les instruments de musique. Tiens, un exemple: hier j’ai rencontré hier un incroyable joueur de tuba et maintenant cela me trotte dans la tête. Avec une très forte envie d’en jouer. Et c’est là que je me dis que j’aurais dû m’impliquer très tôt dans l’apprentissage d’autres instruments. Mais j’avais tellement fait une fixation sur la guitare basse que j’ai choisi de jouer de cet instrument au détriment de tous les autres. Tu vas rire, mais à la maison je possède beaucoup d’instruments et il y en a plein dont je ne sais pas encore en jouer. Mais je ne désespère pas… ! (rires)
A quel âge avais-tu décidé que tu serais bassiste?
A l’âge de 9 ans, en voyant l’un de mes amis en jouer. Il passait dans un petit crochet local, et à cette époque je ne faisais pas la différence entre une guitare à six cordes et une basse à quatre. Et quand je lui ai demandé qu’il m’apprenne à jouer, il m’a tout de suite questionné sur le genre d’instrument que je voulais jouer. Guitare solo ou basse? Et c’est à partir de ce moment là que j’ai appris à jouer de la basse.
Et as-tu étudié quelque part, ensuite, ou bien as-tu appris seul, en autodidacte?
En réalité, j’ai fait les deux. Cet ami m’a appris comment jouer de fameux morceaux de Led Zeppelin, de Sly and the Family Stone, des trucs indiens. Et puis mon père était un amoureux du jazz. Il était batteur, à l’occasion, et j’ai donc été influencé par tout ce que j’écoutais autour de moi. Et puis j’ai étudié dans un très bon lycée de Chicago où il y avait un excellent programme musical. Et dans cet établissement, pendant 3 ou 4 ans, on peut dire que j’ai suivi un entraînement musical quasi professionnel. Et c’est également à cette époque que j’ai appris à lire la musique. Il faut dire aussi que mon père m’avait un peu initié à cela quand j’étais plus jeune. Tout ça fait donc, comme tu peux le voir, un apprentissage à la fois en autodidacte et de manière académique.
Quels sont tes bassistes préférés?
Oh, il y en a tant…! Ray Brown, Ron Carter, Jaco Pastorius, Stanley Clarke, Anthony Jackson, mais James Jamerson est l’une de mes plus grosses influences.
Joues-tu également de la contrebasse?
J’en ai joué au lycée et puis aussi sur des bandes originales de film, mais je ne suis pas vraiment un spécialiste de cet instrument là.
Avec quels artistes aurais-tu aimé jouer?
Tous ceux avec qui j’aurais aimé jouer sont morts. J’aurais aimé jouer avec Jimi Hendrix, Louis Armstrong, John Coltrane… Il y en a beaucoup avec qui j’aurais aimé jouer.
Pas beaucoup de femmes dans cette liste!
Oh si, mais te donner trop de noms n’aurait pas été si intéressant que ça. J’aurais aimé jouer avec Billy Holiday, Sarah Vaughan ou Nina Simone, par exemple.
Et que penses-tu des nouvelles technologies, de Youtube et internet, et leur présence par rapport au monde de la musique?
Je trouve cela super! C’est peut-être enfin le début d’une époque qui verra les musiciens avoir le contrôle sur leur musique sans se soucier du marketing et du reste. Les maisons de disques étaient devenues de gros conglomérats et la diversité de la musique en a souffert. Tandis qu’avec Youtube, Facebook, etc, tu peux mettre ta musique en ligne, et à la portée de tous. Je pense que c’est juste le début de nouvelles opportunités pour les musiciens de se prendre en charge eux-mêmes, et d’élargir leur public. Ce n’est que le commencement d’une nouvelle ère, selon moi. Bien sûr que tout n’est pas encore au point, qu’il y a encore des ajustements à faire… C’est certain que les labels n’avaient pas pour objectif de promouvoir de nouvelles musiques, de nouveaux artistes ou de nouveaux courants musicaux. Leur seul but était de faire de l’argent avec ce qui pouvaient se vendre le mieux, ou avec les contrats les plus juteux pour eux. Ces nouveaux outils sur internet vont permettre de développer la scène musicale, de l’élargir et de toucher un public de plus en plus large. C’est ce qu’a fait Bruce Springsteen. Il a réussi à travailler et à se produire lui-même sans passer par les grandes multinationales. Je ne pense donc que du bien de ces nouvelles technologies.
Richard Bona m’avait dit qu’il recrutait ses musiciens grâce à Youtube.
Cela ne m’étonne pas. Internet, c’est vraiment bien. Et grâce à Internet beaucoup d’artistes se font connaître des autres musiciens, échangent et communiquent. C’est quelque chose de plus démocratique et, en quelque sorte, chacun a sa chance.
Autrement dit, tu as plein de choses nouvelles à développer!
Oui, oui, oui…! Car tout ce que les labels faisaient dans leur propre intérêt, nous le faisons pour nous-mêmes, aujourd’hui, y compris le marketing et la promotion. Nous devons faire de plus en plus de choses qui nous étaient complètement inconnues il y a encore quelque temps, mais c’est tellement passionnant, tout ça…!