ITW de Daniel Darc

                                       ITW de Daniel Darc

ITW préparée et réalisée par Anne-Marie Calendini et Dominique Boulay.
Photos : © DR et Yann Charles

C’est dans un café parisien du 11ème arrondissement de Paris que nous avons rencontré Daniel Darc, l’ex chanteur leader du groupe Taxi Girl, à l’occasion de la sortie de son dernier album solo intitulé ‘La taille de mon âme’, chez Sony Music.

PM : Daniel, vous dites que la beauté d’un disque tient à des accidents. Vos rencontres avec Laurent Marimbert, qui a réalisé votre dernier album, et Frédéric Lo, les deux précédents, étaient-elles aussi des accidents?
Daniel Darc
: Je ne sais pas… Avec Frédéric Lo nous étions voisins. Il ne vivait pas loin de chez moi, dans la rue où j’habite toujours, d’ailleurs. Mais oui, c’était un accident. On se croisait de temps en temps, on s’est connu comme ça. En ce qui concerne Laurent Marimbert, c’est différent, je l’ai rencontré chez Christophe, le chanteur, qui m’a présenté à lui. Quand je dis que les disques sont parfois dus aux accidents, je veux dire que c’est comme au cinéma ou dans la vie. Au cinéma, par exemple, dans Taxi Driver, quand Robert de Niro dit ‘Are you talking to me?’, qui est devenue la phrase la plus célèbre du film et l’une des plus célèbres du cinéma en général, hé bien au départ, ça n’avait pas du tout écrit par Scorsese. C’est juste De Niro qui essayait le flingue et qui voulait voir ce que ça pouvait donner en disant ça, et ils ont gardé la séquence telle que, voilà, et c’est pour ça que je crois aux accidents.

PM : Puisque vous parlez de cinéma, votre album fait référence à cet art avec un extrait des ‘Enfants du paradis’ de Marcel Carné, et il me semble aussi qu’il fait un clin d’œil au ‘Mépris’ de Godard dans la chanson ‘La taille de mon âme’. Vous confirmez?
DD
: (Rires) En le faisant, je n’y pensais pas…et c’est en le réécoutant que cela m’a paru évident, bien sûr.

PM : Le Mépris est- il un film que vous aimez particulièrement?
DD
: Oui, Le Mépris est en effet l’un des films que j’aime le plus, et Godard est l’un de mes réalisateurs préférés, depuis toujours.

PM : Aimeriez-vous écrire des musiques pour le cinéma? Et avez-vous déjà été contacté pour cela?
DD
: Non, j’ai été contacté pour jouer dans des films mais les rôles ne me plaisaient pas. C’était toujours pour jouer le rôle d’un mec qui faisait une overdose au bout de 10 minutes, ou alors un dealer. Pourtant j’aimerais bien jouer dans un film. Pour ce qui est des B.O., ouais, je rêverais d’en faire une.

PM : Cet accident là ne s’est pas encore produit?
DD
: Personne ne me l’a demandé pour le moment, c’est donc non.

PM : Si cela devait se faire, qu’est-ce qui guiderait votre choix? Le réalisateur ou l’histoire?
DD
: Je ne sais pas, ça dépendra complètement. C’et sûr que si Scorsese me demandait quelque chose, ça pourrait être n’importe quoi, oui, je serai content, oui…(silence) Non, ça dépendra.

PM : Parmi les musiciens qui ont participé à l’enregistrement du dernier album on retrouve Rémi Bousseau et Jean-François Assy qui vous ont accompagné sur scène, l’année dernière, au Palace. Allez-vous reconduire cette formation pour vos concerts à venir?
DD
: Oui, Rémi c’est mon pianiste. Cela doit faire 5 ans, peut-être même plus, qu’il m’accompagne. D’ailleurs, sur l’album il ne joue pas du piano, il joue de la flûte, et Jean-François, c’est mon violoncelliste. Oui, je les connais depuis longtemps. Ce sont vraiment des amis.

PM : Vous jouerez donc en acoustique sur vos prochains concerts?
DD
: Oui, les concerts que je vais donner au Collège des Bernardins, à Paris, au mois de Décembre, se feront en trio avec Rémi et Jean-François, donc en acoustique. Pour la suite de la tournée, ça dépendra. On retrouvera cette formation et puis un groupe, aussi, celui qui a joué sur mon album. On changera de formule selon les dates et les moments. Il y aura parfois des guitares, basse et électrique, et une batterie. Parfois nous trois en formation réduite, parfois avec les autres musiciens qui complèteront le groupe et là, ça sonnera sans doute plus rock.


PM : Nous vous avons vu au Palace l’année dernière, en trio acoustique, et nous avons été bluffés par ce choix artistique qui vous mettait totalement à nu face au public. Auriez-vous pu le faire il y a 5 ou 10 ans?
DD
: (sourire) Non, sans doute pas. C’est vrai que c’est un exercice périlleux pour lequel il faut se sentir prêt, prêt de l’intérieur.

PM : Comment avez-vous travaillé avec Laurent Marimbert, qui a réalisé et arrangé l’album?
DD
: On a improvisé. Oui, presque tout est improvisé.

PM : Vous avez donc enregistré dans les conditions d’un live…
DD
: Oui, tout à fait…!

PM : Vous en avez évidemment écrit tous les textes. L’écriture est-elle toujours aussi salvatrice pour vous?
DD
: Oui, oui, oui…! Oui, bien sûr, car cela évite de devenir fou, quoi…! Comme tous ceux qui écrivent et qui en ont besoin. Mais je pense qu’on n’a pas forcément besoin d’écrire. L’écriture, c’est mon truc, c’est ma vie, voilà, c’est tout.

PM : Vous êtes votre propre matière dans l’écriture. Avez-vous d’autres sources d’inspiration?
DD
: Non, ma vie, ce que je vis, c’est ça que j’écris. Je n’écris pas des histoires ou des contes pour enfants, j’écris ce que je connais. J’ai toujours des carnets sur moi, j’écris tous les jours, vraiment tous les jours. Mais en même temps, quand j’arrive en studio, je ne me sers pas de ce que j’ai sur moi, j’improvise, et tout de suite. J’écris tout le temps, un peu comme un mec qui fait des arts martiaux, qui s’entraîne tout le temps pour être totalement prêt quand arrive le combat.

PM : Ces écrits ont été publiés…
DD
: Oui, exact, il y a des nouvelles qui ont été publiées, peut-être une vingtaine. Il y a un truc sur Coltrane, et puis d’autres… Mais en ce moment j’écris un bouquin sur moi. Une autobiographie, avec Bertrand Dicale.

PM : N’avez-vous pas été tenté par l‘écriture d‘un roman?
DD
: Moi, au départ, je voulais être romancier, mais je n’ai jamais réussi à écrire un vrai roman. Je pense que je ne suis pas doué pour ça. En fin de compte, je dirais que je suis doué pour le 100 mètres et pas pour le marathon.

PM : Quels sont les écrivains qui vous ont donné envie d’écrire?
DD
: Avant que je ne commence à écrire, il y avait Salinger et Fitzgerald. Mais ceux dont je me sens le plus proche sont Jack Kerouac et William Burroughs ainsi que le mouvement artistique de la Beat génération que ses détracteurs qualifiaient de manière injurieuse de Beatnik, en réaction aux peurs suscitées par l’envoi dans l’espace du premier satellite soviétique appelé Spoutnik. Moi, je trouve ce mouvement artistique intéressant, voilà, et j’aime Bukowski aussi.

PM : La culture américaine semble vous avoir beaucoup influencée…
DD
: Bien sûr, et si j’avais pu choisir, j’aurais demandé à naître dans les années 50 aux Etats-Unis. Ou mieux encore, j’aurais aimé avoir 20 ans en 1956 aux Etats-Unis. Ce qui m’intéresse, c’est ça, et ce que j’écoute c’est surtout de la country ou du jazz, du free jazz, John Coltrane, Albert Ayler, et des trucs plus anciens comme Charlie Parker, Thelonious Monk. Et puis le Rock’n’Roll, bien sûr, avec Elvis Presley, Gene Vincent, et puis la Country music avec Hank Williams. Voilà, moi c’est tout ça qui m’intéresse.

PM : Et le Blues dans tout ça?
DD
: Tu sais, moi je suis un blanc et ça fait très fasciste de dire qu’on aime la Country. On entend souvent dire que ouais, la Country c’est pour des gros cons de blancs alors que le Blues c’est pour les bons gentils. Non, moi je suis un blanc et le blues, je sais que je ne comprends pas à 100% ce truc là, même si j’aime bien. Evidemment que Robert Johnson c’est sublime, mais mon truc reste la Country. Hank Williams, Waylon Jennings, Johnny Cash…

PM : Tu dirais que la Country c’est le Blues des blancs…?
DD
: Ouais, voilà, c’est exactement ça.

PM : Dans L’album ‘Crèvecoeur’ vous avez mis en musique le psaume 23 extrait de la Bible, et sur la pochette de votre dernier album vous êtes agenouillé dans une église, et le titre ‘Sois sanctifié’ évoque le pardon. Quelle place tient la religion dans votre vie?
DD
: La religion… (silence) Hé bien moi, je suis protestant, et ce qui m’intéresse, c’est Dieu, et la foi plus que la religion. J’ai foi en Dieu, ça s’arrête là. Et puis pour moi, être croyant sans être pratiquant, je ne comprends pas trop ce que ça veut dire.

PM : Votre foi vous apporte-t-elle des réponses par rapport à votre existence?
DD
: Non, elle m’apporte des questions (sourires)! Et c’est ça qui m’intéresse. En cela, c’est proche de la philosophie, se questionner pour avancer. Ne pas forcément trouver des réponses mais réussir à se poser des questions.

PM : Depuis l’album ‘Crèvecœur’ sorti en 2004, votre voix, ou tout au moins la façon de vous en servir, a évolué…
DD
: Oui, c’est vrai. Déjà dans ‘Crèvecoeur’ j’utilisais beaucoup le talk over. En fait, j’essaye de moins tricher et d’aller à l’essentiel dans mes chansons. C’est ça qui a évolué. Cela vient naturellement et ça s’impose comme ça, en fonction des mots, du moment, de l’humeur…, et j’essaye de me poser le moins de questions possible à ce stade là de mon travail.

PM : Cela a du nécessiter une forte complicité avec Laurent Marimbert…
DD
: Oui, c’est sûr, il faut une réelle convergence, c’est la raison pour laquelle avec Frédéric Lo cela fonctionnait moins bien. Avec Laurent, nos instincts artistiques ont parfaitement coïncidé, c’est pourquoi nous avons envie de refaire un album ensemble. Et puis peut-être qu’un jour cela ne fonctionnera plus aussi bien, ou que je voudrais faire autre chose,…ou peut-être que je s’rai mort, ou… Mais pour le moment ça se passe très bien.

PM : Tout comme votre voix passe d’un niveau d’intensité à un autre, l’humeur de vos chansons le fait aussi, tantôt grave et tourmentée, tantôt drôle ou décalée…
DD
: Ouais, je crois que je suis un funambule, je suis entre deux choses (écartant ses bras en croix). Il faut toujours que je fasse gaffe, parce que je risque de m’électrocuter si je touche un côté ou l’autre (gardant ses bras écartés…). Ouais, j’essaye d’avancer comme ça, dans un équilibre précaire, comme un funambule. Je risque de me casser la gueule mais j’aime bien ce truc là, l’idée de pouvoir tomber est intéressante.

PM : Vous semblez ne jamais craindre la chute…
DD
: Non, je suis déjà tombé plein de fois…

PM : On sent chez vous un recul sur les choses. D’ailleurs Laurent Marimbert dit que vous êtes quelque un de très drôle.
DD
: Ouais, je ne sais pas… Ce n’est pas à moi d’en juger (rires).

PM : Il y a aussi une part d’autodérision dans cet album, quand vous dites de vous-même ‘Darc est crad, crad est Darc’. Un clin d’œil à Gainsbourg-Gainsbarre ou Renaud-Renard?
DD
: (rires) Ouais, Gainsbourg-Gainsbarre, évidemment. Pour Renaud, ouais, on me l’a dit aussi, mais je n’y avais jamais pensé.

PM : Vos provocations du passé auraient-elles laissé place à une certaine forme de sagesse?
DD
: Hé bien, c’est sûr qu’à mon âge, provoquer ne m’intéresse plus, même si j’ai toujours aimé le punk. Pas le punk des Sex Pistol, mais plutôt celui des Clash, et surtout le punk américain, celui de Patti Smith ou Richard Hell ou de groupes comme The Heartbrakers avec Johnny Thunders, Les Stooges et Iggy Pop évidemment. Mais tout ce qui est prov’rock, ça ne m’intéresse pas. Moi, mon truc, c’est le punk américain et le rock’n’roll des sixties.

PM : Sur votre dernier album figurent de petits intermèdes que vous nommez variations, il y en a quatre en tout. Ces captations improvisées sont-elles un prétexte pour nous inviter en studio avec vous?
DD
: (rires) Ouais, c’est un peu ce qu’on voulait faire, parce qu’en fait, les micros étaient branchés du début jusqu’à la fin de l’enregistrement et Laurent m’a demandé si je voulais que l’on garde des choses. Je lui ai dit d’accord, et moi j’ai mis un ou deux trucs et lui, il a choisi le reste. On trouvait ça marrant pour les gens qui allaient écouter le disque.

PM : Il n’y a pas de textes ‘engagés’ dans vos albums…
DD
: Clairement, je ne suis pas un chanteur engagé. Maintenant, en tant que citoyen, je me sens concerné par des questions politiques, je vote et si je peux faire quelque chose en accord avec mes idées, je le fais, surtout en ces temps qui sont si difficiles pour certains. Moi, j’estime qu’à partir du moment où quelqu’un vient ici, travaille ici, il est ici chez lui. On devrait tous pouvoir aller et venir librement.

PM : Justement, la dureté des temps explique-t-elle votre changement de maison de disque?
DD
: Oui, tout à fait. Universal ne voulait plus de moi,…et puis ça tombait plutôt bien. J’ai rencontré les gens de Sony et je me suis très bien entendu avec eux. Pour le moment tout se passe bien. Ils me laissent faire ce que je veux sur le plan artistique, donc on verra bien (sourire)…