ITW de Bruce Stringkiller (Dr Pickup, Bluesmakers & Co)

     ITW de Bruce Stringkiller (Doctor Pickup , Bluesmakers & Co.)

Préparée et réalisée par Alain Betton
Réalisée en septembre 2010
Photos : © Alain Betton

«Plus je voyage et rencontre des gens et plus je comprends que nous vivons tous sur une petite planète avec des aspirations emplies d'espoirs, parfois d'angoisses similaires. La musique est un langage international. De pouvoir s'y exprimer est déjà une chance mais de pouvoir y noter deux ou trois petites idées est un privilège!»
(Bruce Stringkiller, aka Dr Pickup.)

AB: Bruce, avant de découvrir ton actualité musicale, pourrais-tu, en quelques mots, revenir sur tes premiers pas?
Bruce
: Originaire d'Afrique, j'ai fait mes premiers pas au Congo, y passant la plus grande partie de mon enfance, et au Rwanda voisin, tout près du lac Kivu. C'est non seulement l'un des endroits le plus beau au monde mais c’est également le lieu du dernier génocide. J'ai dû quitter l'Afrique en 1960. J'avais 8 ans et je suis parti pour l'Angleterre, pour une autre vie, d'autres coutumes.

AB: Beaucoup de nostalgie dans tes paroles…
BS
: C’est qu’en arrivant en Angleterre, j'étais un gamin paumé arrivant dans un pays ‘étranger’ pour moi. J'ai donc dû apprendre l'anglais car bien entendu personne ne parlait le Swahili ni le Lingala, et très très peu le français. J'ai trouvé l'Angleterre froide, petite et décevante, comparée à la chaleur et aux étendues africaines. Pour moi, gamin, tout ce que mes parents m'avaient promis à propos de ce ‘retour au pays’ n'était que fausse illusion.

AB: Comment le gamin que tu étais a-t-il ensuite trouvé ses marques?
BS
: Heureusement, quand j’ai eu 12 ans, mes parents ont emménagé à Londres, près du quartier de Soho et non loin du Marquee Club, le temple de la musique, à cette époque. J'étais déjà fou de guitare et à 13 ans j'ai commencé à travailler pour des magasins de guitares, comme le Saint Gilles Music. J’ai ainsi pu me payer ma première Fender Telecaster puis une Gibson Hummingbird. Passionné, acharné, j'ai tout fait pour apprendre à en jouer .

AB: Pour revenir sur ce fameux Marquee Club, proche de ton domicile, je suppose que tu as du assister à quelques bons concerts…
BS
: Bien sûr…! Je m'y rendais à pied pour applaudir les plus grands: John Mayall, Peter Green, Ten Years After, Rory Gallagher, Free, Champion Jack Dupree, Memphis Slim, Pink Floyd, Family, Traffic, Yes, Graham Bond, Chris Farlowe, et ensuite ce que j’appelle l'invasion US, avec les Doors, le Jefferson Airplane,…et Jimi Hendrix. Tu ne peux imaginer ce bonheur que je ressentais. J'étais ailleurs,…je me sentais au cœur de l'univers.


AB: Et les Beatles, dans tout ça?
BS
: Les Beatles…? C'est une longue histoire…! J'ai travaillé douze mois, entre 1969 et 1970, comme 'office boy' chez Apple, au 3 Savile Row, dans la cité de Westminster. Un lieu entré dans la légende car c’est là-bas que se trouvaient les bureaux de leur maison de disques ainsi que le studio d'enregistrement, qui lui, était au sous sol. C'est d'ailleurs sur le toit de ce bâtiment que le film ‘Let it be’ a été tourné, en 70. Excepté Paul, j'ai côtoyé de très près John, Georges et Ringo. Je faisais leurs courses personnelles et je livrais tout ça chez eux comme aux studios Abbey Road. Cette expérience m'a énormément appris sur les musiciens, et les personnes en général, bonnes ou mauvaises, comme sur l'aspect très négatif de la célébrité.

AB: C’est pour cela que tu en parti?
BS
: Je suis parti parce que j'avais ma propre route à suivre.

AB: Cette route, nous la poursuivons donc en ta compagnie…
BS
: Cette route, je l’ai prise en voyageant à travers le monde et en passant une année au Kenya. Je débutais mes soirées en jouant dans les orchestres d'hôtels pour terminer à l'aube dans des clubs africains, et j’ai gardé de cette époque cette énergie qui me permet encore aujourd'hui de jouer quatre grands sets énergétiques, des heures durant. Ce voyage m'a également conduit aux USA, avec une halte de quatre mois à New York et un job de 16 heures par jour, puis je suis revenu pour un week-end en France, en 1973, et j'y ai finalement posé mes valises. Pour être franc, autant je savais que vivre de la musique à Londres ou à New York était déjà difficile, autant je me suis rendu compte qu'en vivre à Paris était pire encore. J'ai donc décidé de gagner ma vie autrement et de ne jouer que pour le plaisir, le soir et le week-end.

AB: Et cela représente combien de concerts au compteur?
BS
: Sur 2010 cela représente plus de 150 concerts dans des clubs, restaurants et salles de concerts. Et on aimerait jouer plus encore, comme dans des hôpitaux, pour des associations, dans des écoles et IUT, être encore plus au contact des gens.

AB: Depuis de nombreuses années, tu partages la scène avec différentes formations. La principale est Doctor Pickup Blues Band…
BS
: Le groupe Doctor Pickup est né au tout début des années 90 et j'en suis le fondateur. Avant de te présenter la formation actuelle, je tiens à mettre en valeur certains amis musiciens qui m'ont accompagné au sein de ce groupe, comme Fred Yonnet, un incroyable harmoniciste qui vit désormais aux USA où il enregistre et accompagne en tournées Stevie Wonder et Prince. Il y a aussi Robert Mouyen, un guitariste hors pair, diplômé de The Guitar Institute de Los Angeles et qui, lui, compose actuellement des musiques pour des courts et longs métrages, des films, de la publicité et également de la musique de scène pour théâtre. Il y a eu aussi Michel Parizet, super bassiste et multi instrumentiste, producteur de deux de nos albums. Il joue actuellement avec Benoit Przybyla, un des tous meilleurs accordéonistes français. Voila, maintenant nous pouvons parler de Doctor Pickup au présent.

AB: Dernièrement, et à deux reprises, j’ai entendu le trio Doctor Pickup avec deux formules différentes: l'une en formation guitare-basse-batterie, et l'autre en guitare-clavier-batterie. Pourquoi cette double formule?
BS
: La principale raison est d'offrir au public une plus grande variété musicale. Mais cela permet également à nous, musiciens, d'élargir et de diversifier notre répertoire suivant l'endroit où nous nous produisons: clubs ou festivals. Dans les deux cas, Danny 'Dynamite' Perrin est présent à la batterie et moi à la guitare et au chant. Lorsque Zahir Aribi nous accompagne à la basse, nous favorisons les compositions du groupe enregistrées sur nos CD ainsi que des reprises puisées dans un blues traditionnel, moins connu du grand public. Lorsque nous jouons avec Jean-Pierre Guillaume qui est, selon moi, un des meilleurs pianistes de boogie en Europe, notre blues est plutôt boogie, avec compositions et reprises que tu peux retrouver sur le CD ‘Live from Hôtel des Arts’. Mais bien sûr que nous pouvons jouer tous les quatre ensemble,… si le cachet le permet.


AB: Peux tu nous présenter les deux compères de l'autre groupe, les Bluesmakers?
BS
: Ce sont des amis de longue date. Jack Vodka, à la batterie, est également un des membres fondateurs du Dr Pickup, en 1990. Le second compère de ce trio est Paddy Keo, à la basse, au chant et à la guitare acoustique. Je partage de nombreux points communs avec Paddy, né comme moi en Afrique, mais lui, au Zimbabwe. On a beaucoup de choses en commun, sur notre enfance comme sur notre amour de la musique. J'aime jouer avec les Bluesmakers car avec eux je ne suis ‘que’ guitariste et chanteur occasionnel. Ce que je veux dire, par là, c’est que je n'ai pas à faire le travail d'organisation et d'arrangements que je fais avec Dr.Pickup. C’est pourquoi le répertoire est beaucoup plus basé sur des reprises.

AB: Dis moi, Bruce, pourquoi ce surnom de Stringkiller. Casserais-tu beaucoup de cordes…?
BS
: (sourire) C’est un surnom qui collait bien au guitariste que j’étais, car il y a une époque où je cassais beaucoup de cordes,… et cela m'arrive encore aujourd'hui (rire). C’est pour cette raison que j'ai toujours une deuxième guitare en concert, pour faire un changement rapide d’instrument, car en trio il faut faire vite. Voila pourquoi on a commencé à me surnommer Stringkiller. Tu veux aussi une explication, concernant le nom du groupe? Je te la donne avant même que tu ne me poses la question…(rire). Au tout début du groupe, avec Robert Pionner, le premier guitariste de la formation, nous avons dû changer plus d'une fois par semaine, et ce, pendant un an, les micros sur nos deux Stratocaster, d'où le nom du groupe Doctor Pickup. Pour répondre à ta question qui en fait n'en était pas une, je suis Dr Pickup avec Doctor Pickup Blues Band et Bruce Stringkiller avec les autres formations. Un p’tit coup de marketing, en quelque sorte.

AB: Lorsque l'opportunité se présente, tu n'es pas le dernier à faire appel à un ami musicien pour jouer avec vous. Je fais référence à ce concert de février dernier, à Rueil Malmaison, avec Eric 'Slide' Larmier, le guitariste de Slideaway.
BS
: Toute occasion de jouer et de partager est bonne à saisir. Eric 'Slide' est un ami rencontré au début du siècle. Nous avons pas mal joué ensemble en ‘électro-acoustique’ avant de nous perdre de vue. J'adore sa façon de jouer. Il est un des meilleurs guitaristes slide au monde, selon moi.

AB: Traversons maintenant ensemble l'Atlantique pour nous rendre aux USA, plus précisément en Caroline du Sud, comme tu le fais chaque année.
BS
: Nous allions souvent en famille aux USA pour les vacances d'été car une partie de ma famille y vit. J'ai rencontré là-bas des musiciens de Caroline du Sud et j’ai, depuis, de nombreux amis dans le monde du blues. J'y retourne donc pour ma dixième année, du 27 septembre au 11 octobre 2010, et participerai à deux festivals: le Moja festival, à Charleston, et le Carolina Down home festival, à Camden. Et puis je jouerai également pendant une croisière sur le bateau Carolina Belle. En tout, je vais partager une quinzaine de concerts avec The Shrimp City Slim Band et Wanda Johnson, la diva du blues en Caroline.

AB: En parlant des autres artistes, justement, tu as du en croiser pas mal, durant toutes ces années…
BS
: Ho oui, mais malheureusement certains ne sont plus de ce monde, et d'autres sont très âgés. Des artistes qui ont des vies incroyables à raconter. Tu vois, ce que j'aime, aux USA, c'est la qualité de la musique, le professionnalisme des musiciens, l'organisation des tournées, et toujours cette possibilité d'apprendre. Mon premier plaisir est de les rencontrer, les écouter, de parler avec eux et, s’ils me font ce privilège, de jouer avec eux. Un exemple: j'ai partagé la scène et la loge avec un géant du blues, James Cotton, au Savannah blues festival. Son comportement avec son entourage, ses musiciens et surtout avec le public, sa patience, sa gentillesse, son humour,… tout de lui était une leçon à ne pas manquer. Un autre grand moment fut également lorsque j'ai accompagné à la guitare cette grande dame qu’est Beverly Guitar Watkins. En 2009, mes musiciens français m'ont accompagné pour ce festival dont je t’ai parlé, en Caroline du Sud, et nous avons été avec Andrew Jr.Boy Jones, Cotton Blue, Jeff Norwood, Liz Mandeville et Donald Ray Johnson, pour ne t’en citer que quelques uns.

AB: Tes musiciens français t'accompagnent-ils encore là-bas, cette année?
BS
: Hélas non, car actuellement la parité euro/dollar ne nous est pas vraiment favorable, mais j'espère que nous y retournerons en février 2011.

AB: As-tu un coup de cœur particulier à nous faire partager?
BS
: Ils sont nombreux, tu dois t'en douter, mais je vais choisir ‘Blues in the school’. Avec un grand pianiste de renom et ami, Shrim City Slim, nous initions les jeunes au blues dans les écoles. Jouer devant tous ces enfants, faire partager notre passion, c’est vraiment le pied, comme on dit en France. Je retrouve d’ailleurs Shrim City Slim lors de ses tournées européennes, pour l'accompagner sur les scènes françaises.

AB: As-tu conservé tes anciennes guitares? Combien en as-tu désormais?
BS
: J'en ai possédé quelques dizaines, mais en ai revendu au fil des années. Nos trois enfants ont fait leur scolarité en France puis ensuite des études supérieures en Ecosse, en Angleterre et au Canada et j'avais, par deux fois, économisé un peu et investi en bourse pour payer leurs études, mais au plus mauvais moment. Je me suis donc séparé d'une partie de mes amplis et guitares, pour payer leurs études, car c’était pour oi la priorité absolue. Au revoir donc les vielles Telecaster, Stratocaster, Gibson Les Paul et autres Gibson ES 355, 345 et 335. C'était pour la bonne cause et je n'ai aucun regret.

AB: Quelles sont tes guitares préférées ?
BS
: J'adore jouer avec les Paul Reed Smith Singlecut Tremolo. Elles sont légères, avec des micros doubles bobines qui peuvent être splittées en simples bobines, un tremolo qui ne se dérègle pas, un manche et une action qui permet de jouer longtemps sans se fatiguer. J'ai également deux Paul Reed Smith Hollow Body, dont l'une en 'sunburst' avec un peizo. Elle a deux sorties, une électrique et une acoustique, et cela t’offre donc deux guitares en une. J'ai beaucoup de fun à jouer avec. J'ai toujours aimé les Gibson ES 335, 345 et 355, même si les 345 et 355 sont un peu lourdes. Je trouve que les Hollow Body PRS sont une continuation logique de ce design des années 50. Elles sont moins encombrantes et plus légères, mais avec autant de bonnes tonalités. J'utilise également toujours de temps en temps une Stratocaster et une Telecaster, car j'adore jouer avec.

AB: Et tu as bien une petite anecdote sur une de tes guitares…
BS
: Oui…(sourire) En acoustique j'avais une Gibson Hummingbird 66 dont je me suis séparé parce que je l'avais complètement usée. Elle commençait à avoir des trous dans le manche…!

AB: Comme quoi tu n’es pas qu’un Stringkiller…(rires). Je te remercie infiniment Bruce pour cet entretien et te laisse conclure sur ce qui est essentiel pour toi dans ta relation avec le public…
BS
: La musique est un métier, et il ne faut pas oublier que l'on s'engage pour une ‘prestation’. Il faut respecter les horaires et être ‘habillé’ pour un concert, quelle que soit la taille de la salle. Il faut avoir du bon matériel, les meilleurs musiciens, un répertoire planifié dans un ordre logique et jouer à un volume convenable pour l'endroit. Un ensemble de choses qui fait un tout, indispensable pour le respect du public.

Sites à consulter:
www.myspace.com/drpickup
www.myspace.com/lesbluesmakers

Bruce Stringkiller