ITW de Brooke Fraser

                                    ITW de Brooke Fraser

ITW préparée et réalisée par Dominique Boulay
Traduction : Josée Wingert

Impossible pour moi de ne pas accepter de croiser la route de cette folk singer, même pour quelques minutes, car la jeune et jolie chanteuse revenait de Nantes et n’avait que quelques minutes à me consacrer. Avec un avis très intéressant sur tous ceux qui filment ou prennent des photos avec leur téléphone portable pendant un concert…

Paris-Move : Tu n’en es pas à ton premier album, mais c’est bien la sortie de ton premier CD en Europe…
Brooke Fraser :
Oui, c’est mon premier CD en Europe, mais c’est en réalité le troisième que je sors. Et c’est aussi, par la même occasion, la première fois que je parcours un peu l’Europe. J’avais eu l’occasion de donner un concert, ici, à la Maroquinerie, en septembre 2011, et j’avais aussi donné un concert au Nouveau Casino le 2 avril.

Comment as-tu trouvé le public français?

Très bien, et j’espère que nous avons conquis de nouveaux fans depuis…(sourire)

Depuis combien de temps es-tu musicienne professionnelle?

L’année prochaine, cela fera dix ans.

Et tu arrives de Nouvelle Zélande?

Oui, je suis de Wellington, en Nouvelle Zélande, mais je vis en Australie depuis au moins huit ans. J’ai l’habitude de vivre à Sidney, mais comme je suis en tournée la plupart du temps…je vis là où je chante. Lors de la sortie de mon premier album, j’étais restée en Australie et en Nouvelle Zélande, mais avec mon deuxième album j’ai poussé jusqu’aux Etats Unis. Et avec celui-là, mon troisième, j’essaye de conquérir le monde entier. Avec ce disque on va peut-être aller dans dix ou douze pays différents. Et je vais essayer de me faire connaître en Europe, aussi.

Quelles sont tes influences musicales?

Lorsque j’ai commencé à écrire mes premières chansons, à l’âge de douze ou treize ans, on ne peut pas dire que j’étais soutenue par le noyau familial. Ma famille n’a jamais été très portée sur la musique, mais mes amis, par contre, écoutaient beaucoup de musique, de pop et de R’n’B. Et je me rappelle qu’un jour j’ai eu l’occasion d’écouter James Taylor! Et là, cela a été la révélation. C’est à peu près à la même époque que j’ai commencé à écrire des chansons. Tout ce que faisait James Taylor était génial, aussi bien le chant que la guitare acoustique ou le piano. C’est vraiment lui qui a été l’initiateur de ma vocation. Après, un peu plus tard, vers l’âge de dix sept ans, l’un de mes amis m’a fait écouter l’album ‘Blue’ de Joni Mitchell, et puis ensuite j’ai découvert Paul Simon. Toutes ces influences là restent mes influences majeures.

Tu écris paroles et musique?
Oui, je fais tout. Je suis chanteuse song writer (rire)!

Comment écris-tu tes chansons?
Pour écrire, j’ai besoin de solitude et de calme. C’est donc quelque chose qui est impossible pendant une tournée. J’écris et je compose à la maison, seule, au calme, avec mes instruments de musique, guitare et piano. J’ai besoin de toucher physiquement un instrument pour pouvoir écrire de la musique. Ce ne serait pas possible dans un avion, par exemple. Surtout qu’habituellement c’est quand même la musique qui prime. Pas forcément tout de suite, car la mélodie peut commencer par des accords de guitare ou au piano. Cela fait comme un patron, une trame. Puis, à partir de là, s’installe comme une ambiance musicale qui va déclencher la mélodie…

Ton mari est-il musicien, lui aussi?
Non, pas du tout, il est créateur photographe et designer graphiste.

Est-ce lui qui a fait la couverture de ton CD ?
Non, ce n’est pas lui. D’ailleurs je n’aime pas qu’il essaye de me prendre en photo.

Lorsque l’on écoute ton disque, on retrouve l’ambiance qui devait régner pendant le Festival de Woodstock, en 69, pourtant tu n’étais pas encore née…
C’est vrai ce que tu dis, et j’ai souvent le sentiment de n’être pas née au bon moment. Mais je pense que nous devons être beaucoup à penser cela, non? Tu sais, je trouve cela frustrant d’être de la génération Internet, YouTube et Twitter… Cela rend la vie plus pratique, c’est vrai, mais je me sens mal à l’aise pendant un concert, lorsque je vois tous ces gens qui prennent des photos ou filment avec leur téléphone portable pour ensuite aller le diffuser sur le net. Tu sais, j’ai souvent l’impression que ces gens là sont plus préoccupés par ce qu’ils filment que par ce qu’ils écoutent. Moi, quand je vais à un concert, c’est pour écouter l’artiste et non pas pour le filmer. Je pense que lorsque l’on filme, on ne ressent pas l’intensité, la puissance émotionnelle de la chanson, car on plus préoccupé par ce que l’on enregistre que par la chanson elle-même.

Mais tu as également besoin de ces nouvelles technologies pour mieux te faire connaître…
Tu as raison, c’est vrai, mais c’est une arme à double tranchant. Tu vois, j’apprécie beaucoup Internet lorsque cela me permet de communiquer avec les amis, ou pour faire des recherches sur quelque chose. Et je n’utilise internet que si je ne peux pas faire autrement. Internet, il y a vraiment deux manières de l’utiliser: la bonne et la mauvaise.

Etes-vous nombreux à vous réclamer d’une sorte de Folk Revival en Nouvelle Zélande et en Australie?
Il n’y a pas vraiment de folk singer en Australie. C’est plus de la pop, du rock ou de l’Indie. En Nouvelle Zélande, il y a davantage de rock alternatif, d’Indie, de reggae et de musique électronique. Mais il y a aussi une tradition de chanteuses. J’ai grandi en écoutant ce que chantaient ces femmes. Chez moi, dans ma famille, comme je te l’ai dit, c’était le néant musical le plus total. Peut-être que cela a finalement été un avantage ou un désavantage, mais je me suis fait ma propre culture musicale. Et c’est valable aussi bien pour la musique que pour les textes. Tout compte fait, c’est plutôt un avantage (rire).

Alors comment t’es venue l’envie de jouer d’un instrument dans ce milieu familial apparemment peu propice?
Je ne m’en souviens pas, mais c’est ma mère qui me l’a raconté. J’avais deux ans, environ, et j’étais chez ma grand-mère. Dans son salon, il y avait un piano. Je me suis mise spontanément au clavier et j’ai commencé à pianoter. Ce qui n’est pas, semble-t-il, ordinaire chez un enfant de deux ans. Je n’en ai gardé aucun souvenir, mais c’est ce que ma mère m’a raconté. Cela devait être inné chez moi… Après, vers sept ans, j’ai pris des leçons de piano.

Qu’en est-il de l’éducation et de l’approche culturelle de la musique dans ton pays?

Nous sommes un petit pays où la plupart de la population vit sans de grandes villes: Auckland, un million d’habitants, Wellington, la capitale, cinq cent mille habitants. Le gouvernement néozélandais est très impliqué dans tout ce qui concerne le développement culturel. Il y a de très nombreuses expositions. La culture dite ‘de rue’ tient une place qui n’est pas négligeable dans tout cela. En tant que créatrice, je pense que cela a été une chance de grandir en Nouvelle Zélande, grâce justement au soutien de nombreuses institutions.

Qu’est ce qui t’inspires lorsque tu composes tes chansons?

Les deux premiers albums étaient très personnels. Je ne suis pas quelqu’un qui écrit des chansons d’amour, de cœur brisé… J’écris plutôt sur des thèmes sociaux, des idées philosophiques. Et avec ce nouveau disque, ‘Flags’, j’ai davantage essayé d’écrire des histoires concernant des personnes à travers des trames narratives. J’ai voulu écrire des textes en me situant sous différents angles. En écrivant, j’essaye à chaque fois de renouveler le style de mon écriture. Mes textes sont inspirés par les événements qui ont lieu autour de moi, les grands débats du moment, sur tout ce qui se déroule dans l’actualité et à propos de quoi je me sens concernée, impliquée. Je parle également de voyages. J’ai des idées qui surgissent après la lecture de certains bouquins.

Est-ce la raison pour laquelle l’un de tes titres s’intitule Jack Kerouac?
J’ai lu bien évidemment Sur La Route, qui m’a inspirée. C’est amusant parce que je ne me souviens pas particulièrement de l’endroit où j’écris mes chansons, mais par contre, en ce qui concerne Jack Kerouac, tout est clair. J’étais en Californie, sur une autoroute, en direction du sud. L’écoutais un album de Paul Simon, Graceland, dans la voiture. Je venais juste de terminer le livre de J. K. et c’est là que m’est venue l’idée de cette chanson. Certainement une combinaison des impressions à propos des vastes espaces autour de moi, du fait que je me trouvais moi-même sur une route, du style de la narration du livre qui me hantait encore. Et puis cette musique en stéréo qui passait par les enceintes, la voiture qui allait vite… Dans cette chanson je parle du fait d’être sur la route, de la solitude, du voyage, du sentiment de se sentir étranger dans la ville. Un peu tous ces sentiments qui habitent le personnage de Kerouac dans son livre.

Mais tu n’es pourtant pas seule, toi?
Non, mais je ressens parfois le besoin de partir, de m’isoler. Et au moment dont je t’ai parlé, en voiture, j’étais seule. J’ai donc fait mon propre périple en solitaire.

Apprécierais-tu le genre de vie de Neal Cassady ou de Jack Kerouac?
Bien sûr que non!

Tu trouves donc le temps de lire?
Pour moi, c’est quelque chose d’essentiel. De temps en temps je lis des romans, mais je lis aussi beaucoup de biographies. En ce moment, je suis sur celle de Keith Richards, Life.

Et le cinéma?

Cela dépend des sentiments qui m’habitent au moment T. Si j’ai envie de faire une découverte artistique, je vais voir un film indépendant. Mais si j’ai juste envie d’aller au cinéma pour me détendre, me changer les idées, je vais voir des films d’action.

Je trouve qu’il y a comme un hiatus entre toi, la musique que tu fais et la photo en cover de ton album. Etait ce un choix délibéré?

Comme je te l’ai dit tout à l’heure, je déteste être photographiée. Je ne suis jamais naturelle devant un appareil photo. Et voilà pourquoi je suis incapable d’exprimer en image ce que je suis dans mes chansons.

Tu es effectivement beaucoup plus jolie que sur la pochette!

Merci…(rire)

Serais tu capable de te produire seule, comme Joan Baez, par exemple?

Oui, mais ce n’est pas quelque chose que j’apprécie particulièrement. J’ai besoin d’avoir des musiciens avec moi. J’ai besoin de leur énergie. Et j’ai besoin de connaître les gens qui vont jouer avec moi. Il faut que l’on ait des échanges au préalable. Il est nécessaire que certains liens d’amitié existent. En général, j’ai l’habitude de jouer avec des amis ou des amis d’amis, c’est plus simple comme ça (rire).

 

Brooke Fraser