ITW : Cyrille Aimée, une française à New York

ITW préparée et réalisée par Dominique Boulay
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Je dois bien avouer que j’avais totalement craqué en écoutant le dernier album de la jeune et ravissante Cyrille Aimée, “Let’s Get Lost”, sorti en février 2016 et chroniqué ici sur Paris-Move, voilà pourquoi j’ai eu grand plaisir à pouvoir la rencontrer pour une interview pour Paris-Move, surtout que cette jeune française vit à New-York.

Dominique Boulay : Sur ton dernier disque tu chantes aussi bien en français qu’en espagnol et en anglais. Dois-je comprendre que tu maîtrises les trois langues ?
Cyrille Aimée : Oui. Ma mère est originaire de la République Dominicaine et j’ai donc grandi en parlant français et espagnol. Mais j’aime autant la France que la République Dominicaine, que j’adore particulièrement. Toute notre famille, du côté de ma mère, est là-bas. Il y fait chaud toute l’année et d’ailleurs j’y étais pour Noël et le Nouvel An derniers.

Raconte nous un peu qui tu es, Cyrille Aimée ?
Je suis née du côté de Samois sur Seine, d’un père français et d’une mère dominicaine. Et c’est là que la vocation de devenir chanteuse est née. En fait, j’ai toujours adoré la musique. Mes parents n’étaient pas musiciens mais ils adoraient danser et écouter de la musique. Ils aimaient organiser des fêtes, et il y avait toujours de la musique à la maison. Mais je n’ai commencé à chanter que lorsque j’ai rencontré les manouches. A Samois sur Seine, tous les ans, il y a le festival Django Reinhardt avec de nombreux manouches qui viennent de partout pour rendre hommage à Django et assister aux nombreux concerts qui y sont proposés chaque année. Ils viennent avec leurs caravanes, et quand j’étais petite je me suis lié d’amitié avec eux. Au début, j’étais juste fascinée par leur culture, leur manière de parler, et puis petit à petit, je me suis lancée dans la musique, et c’est comme cela que je me suis mise à chanter.

On pourrait établir un parallèle entre toi et Elvis Presley qui allait, en douce, écouter les bluesmen noirs qui passaient dans les Jukes-Joints, et toi, tu allais écouter les manouches. Quand tu dis que tu t’es lancée dans la musique, est ce que cela veut dire que tu as commencé par essayer de jouer de la guitare comme tes amis manouches ?
Oui, exactement ! Mais j’ai mis assez rapidement l’instrument de côté (rires). Au début, je m’appliquais à jouer la guitare qu’un manouche m’avait offerte et j’essayais vraiment d’en jouer, car lui, il m’apprenait la guitare et en échange je lui apprenais à lire. Hé oui… Et puis un jour son grand frère m’a demandé d’apprendre une chanson par cœur pour la chanter devant toute sa famille. C’était la première fois que je chantais devant des gens et j’ai adoré le sentiment que cela procure de voir des gens sourire quand tu chantes. J’étais très émue par le fait que cela rende les gens heureux… Et puis avec la guitare qui m’accompagnait, c’était merveilleux ! C’est comme cela que la vocation m’est venue. En fait, c’est le Jazz qui m’a donné envie de devenir chanteuse. Le sens de l’improvisation, la liberté, le fait de ne pas savoir ce qui va se passer, le grand saut dans l’inconnu. J’avais envie de faire cette musique là, et la voix, c’est ce qui m’est venue en premier plutôt que la guitare. J’ai chanté le jazz parce que je suis tombée amoureuse de cette musique là.

Et puis après, les Etats Unis. Comment s’est fait le lien ?
Entre Samois et ma venue aux Etats Unis, il y a eu beaucoup d’aventures. En gros, je suis partie là-bas pour étudier le jazz. Mais avant, j’habitais la République dominicaine et il se trouve que j’étais la seule chanteuse de jazz de toute l’île. C’était une situation qui était très confortable, je dois l’avouer. Je donnais 7 concerts par semaine, voire 8. Mais en réalité, je n’avais pas de concurrence, et c’en était presque trop facile pour moi. Je ne pouvais me confronter à personne. Je me suis alors demandé comment je pourrais m’améliorer. C’est pour cela que je suis partie aux Etats Unis, pour rencontrer d’autres musiciens, me confronter à eux. J’ai obtenu une bourse et je suis allée dans une école publique, aujourd’hui disparue. C’était beaucoup moins cher qu’une école prestigieuse comme Berkeley, par exemple.

Je connais quelqu’un qui est parti là-bas, tout d’abord pour étudier la musique puis pour essayer de se faire une place parmi le Gotha des musiciens, c’est Yvonnick Prene. Je sais qu’il a beaucoup ramé, et qu’il rame peut-être encore, car c’est le lot de tous ceux qui veulent réussir, tu ne penses pas ?
Mais je le connais, Yvonnick Prene ! C’est le colocataire de Michael Valeanu, mon guitariste. C’est marrant comme le monde est petit… J’ai ramé, moi aussi, au début, et j’ai réussi à m’en sortir, toute seule. J’avais bien gagné quelques sous en République Dominicaine, mais i faut bien dire que les pesos n’ont rien à voir avec les dollars.

Peut-on dire que ton septième opus a toujours une teinte manouche ?
C’est surtout Adrien Moignard qui apporte la couleur manouche. Tout le reste du groupe n’est pas orienté manouche. C’est vrai que le son de la guitare d’Adrien sonne manouche, mais on n’est plus vraiment tourné vers cela maintenant. Non, vraiment, ce n’est pas un disque de jazz manouche…

Peux-tu me dire quelques mots sur tes musiciens ?
Tout d’abord il faut que je te dise qu’il n’y a pas d’américains dans le groupe. Le batteur, Rajiv Jayaweera, et le bassiste, Sam Anning, sont australiens mais ils habitent New-York. Le guitariste électrique est français, mais lui aussi habite la Grosse Pomme. Adrien est le seul français qui habite Paris.

Le disque est-il “made in USA” ? 
Oui ! Cet album, comme le précédent, a été enregistré au même endroit, les Flux Studios, à New-york. On a vraiment un super contact avec le producteur, Fab Dupont, qui est français, lui aussi, et ingénieur du son. Un type incroyable avec lequel c’est un plaisir immense de travailler. Mes deux derniers albums sont produits par lui.

Et tu ne chantes évidemment pas que ce que tu composes ?
Bien sur que non. Il y a de tout, dans mon répertoire. Des standards de jazz, des reprises de Mickaël Jackson, que j’adore, des chansons françaises et même de la République Dominicaine…

Ce qui est le cas dans le dernier album, avec Estrellitas Y Duendes…
Tu as raison. Et puis il y aussi des compositions. En fait, je compose quand l’envie me prend. C’est toujours quelque chose de spontané ! J’aimerais bien faire comme certains auteurs, avoir une discipline stricte, mais je n’y arrive pas (rires). Je n’arrive pas, en réalité, à m’imposer de discipline, parce que je suis en tournée tout le temps, dans les transports et donc toujours en mouvement, en fin de compte.

Il ne me semble pas que tes cinq autres albums soient tous distribués en France…
Exact, seuls les deux derniers le sont, “Let’s Get Lost” et “It’s A Good Day”. En fait ceux produits par Fab. Les autres le sont aux Etats-Unis, mais il y en a un que l’on ne trouve même qu’au Japon !

Ce sont pourtant tes cartes de visite…
Exactement, et sans eux il serait sans doute beaucoup plus difficile de me programmer. J’en ai fait deux avec un guitariste brésilien, Diego Figueiredo, avec qui je fais souvent des concerts. Ce sont “Just A Two Of Us” en 2010 et “Smile” en 2009. Diego est quelqu’un qui compte encore beaucoup dans ma vie. J’aimerais bien, d’ailleurs, refaire un album avec lui. Sinon, j’ai également réalisé deux disques avec la formation avec laquelle j’étais auparavant, avec piano, basse, batterie, trompette et saxophone. Tout cela avec de grand jazzmen comme Wayne Tucker ou Roy Hargrove à la trompette et Joël Frahm au saxo ténor. J’ai aussi fait un disque avec le Chicago Jazz Orchestra, un grand orchestre, un Big Band. Comme tu le vois, il faut toujours avoir des projets en tête !

Chaque disque est avant toute chose un projet en soi. Comment s’élabore un projet, pour toi ?
Cela commence par une idée, une envie de changer, et puis par ce qui m’inspire à un moment donné. Moi je pense que ce CD et celui qui l’a précédé, avec cette nouvelle équipe, c’est le résultat de toutes les expériences que j’ai eues auparavant. J’ai grandi dans le monde manouche, puis j’ai quitté cet univers là, je l’ai mis de côté pour aller étudier aux Etats Unis et puis j’ai rencontré Diego, qui m’a fait découvrir la musique brésilienne… Je crois qu’avec cette nouvelle équipe je suis un peu revenue vers mes racines. C’est la synthèse de qui j’étais, de ce que j’ai étudié et de ce que je suis devenue. C’est un peu tout cela que l’on retrouve dans ce disque.

Tu retrouves souvent des musiciens devenus amis, dans les clubs de jazz new yorkais, je pense…
Oui, bien sûr ! J’ai même été invitée, une fois, au Carnegie Hall. Tu sais, ils sont souvent très fréquentés, ces clubs de N-Y. Il y a beaucoup d’endroits où écouter du jazz et j’ai eu la chance d’en fréquenter pas mal et d’y jouer souvent. D’ailleurs j’ai enregistré un “Live At Birdland” en 2013.

Sans être indiscret, as-tu d’autres centres d’intérêts ?
(Rires) Oui, bien sûr ! J’adore faire du vélo et regarder ce qu’il y a autour de moi, le paysage. J’adore aussi bien manger, j’aime la bonne nourriture et j’aime sortir dans les restaurants. Et puis j’adore danser, cela fait partie de ma vie. Et pour moi, cela va avec la musique. Sinon, j’adore le cinéma et j’aime beaucoup d’autres choses encore…(rires)

Tu es en fait à la fois une grande solitaire et une citadine très urbanisée…
Là où j’ai grandi, à Samois sur Seine, c’est vraiment un petit village. La nature y est omniprésente. Et maintenant j’habite Manhattan et c’est exactement le contraire. Je crois, en fait, qu’il faut un peu des deux.

As-tu finalement trouvé le juste équilibre ?
(silence)… Je ne sais pas, car il y a bien des moments stressants. Et je pense qu’il n’y a rien de tout blanc ou tout noir. Il y a toujours des passages difficiles à affronter… Mais il y a des récompenses tellement incroyables, lorsque l’on réussit, que l’on trouve toujours la force de continuer. Tu sais, quand on est sur scène, procurer du plaisir au public c’est quelque chose de spectaculaire, tout comme la connexion qui s’établit entre les musiciens. En tournée, on doit faire avec les voyages, les transports, les chambres d’hôtel différentes chaque soir, le fait de n’être jamais chez soi, le fait d’attendre pour faire la balance, attendre dans les aéroports, passer les contrôles de sécurité… Tout cela, c’est la partie difficile du job, mais après il y a l’heure et demie de concert. Et ce temps passé sur scène est ce qui réhabilite tout ! On est tellement connectés ensemble que c’est fantastique. On est comme une vraie famille.

Puis-je dire et écrire que j’ai rencontré une femme heureuse ?
C’est vrai qu’apporter du plaisir aux gens qui viennent m’écouter est quelque chose d’énorme. C’est même ce qui te procure la force de continuer à faire ce métier. A Samois, l’été dernier, j’ai peut-être joué devant 3000 personnes, dont beaucoup que je connaissais ou reconnaissais, et cela restera un moment de bonheur inoubliable pour moi. Et là, oui, je peux dire que je suis très heureuse !

Le temps qui m’était imparti pour cette ITW est désormais dépassé. Il est temps pour moi de saluer une dernière fois cette charmante et talentueuse artiste, une grande et belle jeune femme passionnée par ce qu’elle fait et qui vous communique, vous transmet cette passion. Un moment fort, comme on n’en vit pas beaucoup, je dois l’avouer…

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Site internet officiel : Cyrille Aimée

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