Ce mercredi 23 novembre 2022, dans une déclaration sur son compte Twitter, il a été dévoilé que Wilko Johnson est décédé à son domicile, lundi 21 novembre au soir (sans précision toutefois sur la cause du décès), à 75 ans:
This is the announcement we never wanted to make, and we do so, on behalf of Wilko’s family and the band, with a very heavy heart:
Wilko Johnson has died. He passed away at home on Monday evening, 21st November 2022.
Thank you for respecting Wilko’s family’s privacy at this very sad time, and thank you all for having been such a tremendous support throughout Wilko’s incredible life.
RIP Wilko Johnson
Le guitariste de Dr Feelgood et récente star de Game of Thrones (il y a joué un bourreau muet) avait reçu un diagnostic en 2013 lui confirmant qu’il avait un cancer du pancréas et lui disant qu’il avait 10 mois à vivre après avoir choisi de ne pas subir de chimiothérapie. Pourtant, suite à cette provocation face au cancer qui le rongeait, le rockeur a défié tous les pronostics médicaux et deux ans plus tard, il avait déclaré qu’il était sauvé, les médecins lui ayant retiré une tumeur (de 3 kg) au cours d’une opération de 11 heures.
En hommage à ce grand bonhomme, PARIS-MOVE vous propose de relire l’interview de Wilko Johnson réalisée par Patrick Dallongeville le 20 novembre 1999, il y a 23 ans, quasiment jour pour jour.
(Photo de Wilko Johnson: ©Leif Laaksonen)
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Nous sommes le 20 novembre 1999. Une association anglaise a réservé les 4 Écluses de Dunkerque pour son annuelle “John OTWAY Party”… Et a amené dans ses soutes une vieille connaissance: WILKO ! Sans agent en France depuis des années, il s’y est fait aussi rare que les baisses d’impôt. Après un set ramassé en soixante minutes intenses (au cours desquelles il démontra aisément n’avoir rien perdu de son style légendaire et inimitable), aimable et détendu, il nous accorda une interview qui compte sans doute parmi les plus émouvantes (et les plus longues !) qu’il nous ait été donné d’enregistrer…
From pub to punk…
Paris-Move: Bonjour Wilko! T’avoir vu sur scène ce soir est pour moi la réalisation d’un rêve vieux de 24 ans! C’est carrément Noël en novembre! Euh… Je vais essayer de ne pas trop ressembler à un fan, bien que cela soit déjà bien difficile à cacher! Donc, ton vrai nom est bien John Wilkinson?
Wilko Johnson: Non, mon vrai nom est Wilko Johnson (rire)!
PM: Ok. Je vais essayer de ne pas te poser trop de questions sur ta période Feelgood, mais…
WJ: Pose toutes les questions que tu voudras, mec.
PM: Le line-up originel de Feelgood est de retour dans l’actualité, avec ce “Live at the BBC 1974-75” qui vient de sortir…
WJ: Ouais.
PM: As-tu été impliqué dans son édition, d’une manière ou d’une autre?
WJ: Non, on m’a bien prévenu de sa sortie, mais je n’ai plus de relations contractuelles avec Feelgood depuis… 1977 (rire)!
PM: Je sais bien, hélàs, je me demandais juste…
WJ: Je veux dire que, parfois, je les vois, ou alors ce sont eux qui me contactent, mais en général ma vie est séparée de la leur…
PM: Oui, excepté qu’ils interprètent encore essentiellement ton propre song-book!
WJ: (rire) Yeah… Quand nous nous sommes séparés, eux et moi, c’était plutôt lourd à porter pour moi… A tel point que je n’avais au départ même plus envie de continuer de jouer du tout!.. Mais alors, mes amis m’ont dit: “Mec, il faut que tu continues, c’est tout ce que as à faire”… Je leur ai donc répondu “Ok, je vais continuer, mais cette fois à ma propre manière”, donc… Tu vois… Je n’ai plus rien à voir avec eux (rire triste).
PM: Oui. Mais il y a 25 ans, étiez-vous conscients du choc que vous alliez provoquer en réintroduisant le British R&B dans la scène contemporaine, un peu à la manière de ce que firent les Stray-Cats six ans plus tard pour le rockabilly?
WJ: Well… Quand nous avons débuté, avec Feelgood, nous n’étions qu’un simple groupe local, et nous jouions ce style de musique tout simplement parce que nous l’aimions, et que nous en retirions du plaisir. Nous n’en attendions pas davantage. Puis, au bout d’un an ou deux, au milieu des seventies, nous avons commencé à attirer l’attention du public et des maisons de disques, et à remporter quelque succès. Et je pense qu’alors, nous nous sommes engagés – sans que ce soit aussi excessif – dans une sorte de “croisade”, tu vois ? mmm… On adorait ce genre de musique simple, et je crois qu’on était conscients de ce qu’on faisait.
PM: Et vous vous êtes retrouvés fers de lance d’une vague qu’on a baptisée alors le “pub-rock”, avec des groupes comme les Count Bishops, Ducks-De-Luxe…
WJ: Oui, je pense… Je vais te dire, j’en suis venu ensuite à connaître personnellement la plupart des musiciens punk: Clash, les Pistols etc… et je pense, non pas qu’ils aient été influencés, non, mais qu’ils furent en un sens “inspirés” après avoir vu Doctor Feelgood. À l’époque, au fond de moi, je me disais qu’on allait peut-être relancer une sorte de grand engouement pour le R&B, tu vois? Mais cela ne s’est pas produit. Le punk est arrivé, et ce que ces groupes avaient appris de nous, c’est que tu peux être très direct, très simple et sans détour. Tu sais, beaucoup de ces musiciens n’étaient alors que des débutants (rire)… Ils ne savaient pas jouer! Ce qu’ils ont pris chez nous, c’était cette attitude très directe.
PM: Oui, je suis d’accord avec toi, mais par-delà même la compétence instrumentale, la principale différence à mes yeux entre pub-rock et punk-rock, c’est la culture. Je veux dire que vous aviez conscience des origines et du patrimoine de ce que vous jouiiez, quand bien même (et surtout) cela tranchait avec les courants alors en vigueur. La culture musicale des punks, bien souvent, commençait à T.Rex et s’arrêtait aux Stooges.
WJ: Oui, mais les musiciens punks étaient très jeunes, ils n’avaient pas pris – ni même souvent eu – le temps d’apprendre à jouer, ils se sont lancés comme ça… Mais d’autre part, pour être tout à fait honnête, je ne crois pas qu’ait jamais vraiment existé une musique quelconque appelée “pub-rock”. Un pub, c’est une salle, un endroit où l’on joue, ce n’est pas un style musical en soi. Dans les pubs, en 1974, il y avait beaucoup de groupes qui jouaient une multitude de styles différents. Ian Dury avec Kilburn & The High Roads: crazy music, Doctor Feelgood: R&B, il y avait des groupes influencés par la country-music, d’autres par le jazz. Je pense que la plupart de ces musiciens étaient expérimentés, mais qu’ils jouaient tous des musiques différentes (rire).
Lee and Me …
PM: Tu t’es séparé de Feelgood en mauvais termes, début 1977.
WJ: Ouais…
PM: As-tu eu l’occasion de te rapprocher de LEE (BRILLEAUX) avant son décès?
WJ: Non. Euh… Nous ne nous voyions plus depuis notre séparation. Tu dois comprendre: quand un groupe se sépare, il y a de très mauvais sentiments de part et d’autre – et c’est pourquoi il se sépare, OK?.. Je pense que nous étions alors presque contents, presque soulagés que celà arrive (rire). Oh, tout ça semble si dingue à présent!.. Et, de ce jour, nous ne nous sommes plus jamais revus… A présent, pour tout te dire, je considère ce groupe comme une des plus grandes expériences de ma vie, et les gens qui en faisaient partie ont certainement changé ma vie… LEE BRILLEAUX était une personne qui… Il était quelqu’un d’extraordinaire, et… (visiblement ému) il a changé ma vie… Je considère toujours ce groupe d’alors comme quelque chose de spécial… de grand… euh… et cependant, nous avons continué à ne plus nous revoir… Pour tout te dire, quelques années avant que Lee ne meure, mon groupe et moi-même nous produisions régulièrement au Japon. Et lors d’une de nos tournées là-bas, c’est Doctor Feelgood qui faisait nos premières parties (rire)!
PM: (Rire) Excellent!
WJ: Et les japonais, qui sont des gens très sensibles, veillaient soigneusement à nous éviter d’avoir à nous rencontrer. Ils nous installaient dans des hôtels distincts, afin que nous ne nous voyions pas (rire)!
PM: Mais vous deviez quand-même vous croiser back-stage, non?
WJ: Même là, ils s’arrangeaient pour l’éviter! Quand on arrivait, ils finissaient leur set, et ils déménageaient leur matériel d’un côté de la scène, pendant que nous montions le nôtre par l’autre côté (rire)… C’est à peine si nous nous faisions un petit signe de la tête… Et… quand j’ai finalement réalisé que… LEE était très gravement malade, j’ai voulu aller le voir, mais… ça faisait un sacré bout de temps qu’on ne s’était pas parlé, et je ne savais pas comment m’y prendre. Je me disais: “Peut-être qu’il ne veut plus me voir”, je n’en savais rien, après tout… Et j’aurais voulu que des membres de Feelgood viennent chez moi pour m’emmener le voir, tu comprends?.. Mais ce n’est pas arrivé… Mon frère… Mon frère est allé le voir, à ce moment là (Wilko déglutit, visiblement ému)… et j’aurais aimé en faire autant, mais cela ne s’est pas produit… Je ne sais pas…
PM: Dominique, le directeur des 4 Écluses, était à ses funérailles. Il m’a dit que tu y avais joué. C’est bien ça?
WJ: (sourire tragique, regard au ciel) Oh, oui, ah !.. Mec… LEE était mort… Et mes amis, ma famille et moi sommes allés à son enterrement… Nous sommes allés à l’église, et après la cérémonie, tout le monde est descendu en voiture à Canvey Island, au club, le Doctor Feelgood Club… Je n’y avais jamais mis les pieds auparavant… Et on était tous là, il y avait beaucoup de gens que je n’avais pas vus depuis des années, des musiciens, des gens des maisons de disques, tout çà… Et tout le monde buvait un verre… Et le patron du club est venu vers moi et m’a dit: “Allez, Wilko, viens jouer”… Sur la scène, tout le matériel était prêt pour le groupe… Quelqu’un m’a donc apporté une guitare, je me suis retrouvé sur scène (rire ému), et on a commencé à jouer. On jouait “Back in the night”, moi, SPARKO et FIGURE, et il n’y avait personne au milieu de la scène, la place de LEE était vide (visiblement très ému)… C’était un sentiment à la fois très beau et terrible… Je n’avais pas encore réalisé… On a commencé à jouer, et en regardant autour de moi, je me suis aperçu qu’on n’était plus que trois… On ne s’était pas revus depuis un sacré bout de temps… On a terminé le morceau, et je suis sorti de scène… Ma femme était au bras du manager de Feelgood (NDR: Chris Fenwick), et tout le monde pleurait… (petit rire nerveux, regard au plafond)… C’était… Well, pfff… Très beau et très triste, tu sais…
PM: Je me doute…
WJ: Et peu de temps après, nous avons donné un concert à sa mémoire… J’y ai joué 4 ou 5 morceaux avec les deux autres types, FIGURE et SPARKO… On avait une courte répétition juste avant, et… On n’a pas répété… On est juste restés assis, à se regarder les uns les autres, et à se dire: “Eh, les mecs, qu’est-ce qu’on fait?” (rire). Tu vois… N’est-ce pas triste?.. Enfin, c’est ainsi… Mais… LEE BRILLEAUX était vraiment quelqu’un de très spécial…
PM: Tout ce que je peux te dire (mais tu le sais sans doute déjà), c’est qu’il a toujours dit du bien de toi. Deux ans avant sa mort, il a donné une longue interview à un magazine français (Juke Box)…
WJ: Oui, je suis au courant. Comme je te l’ai dit, ce malaise entre nous datait de notre séparation. Nos relations s’étaient dégradées, on se criait dessus, etc… Mais, malgré tout cela, je n’ai jamais pu m’ôter de l’esprit que… c’était un foutu grand groupe (“that was a fucking great band”), de sacrés bonshommes, et un sacré grand moment dans ma vie. Et j’ai su tout de suite que cela ne m’arriverait plus jamais…
After Feelgood…
PM: Tu viens de dire avoir songé un temps à tout abandonner… Toutefois, après quelques semaines, on te retrouva avec un nouveau groupe – le tien – les Solid Senders, avec Steve Lewins (bassiste originel des Count Bishops), et un nouveau contrat discographique, cette fois avec Virgin.
WJ: J’aurais vraiment pu ne plus jamais revenir, pourtant. Tu vois, quand je me suis soudain retrouvé seul, j’ai été totalement livré à moi-même. Tu comprends, c’est comme une famille: tous ceux que je connaissais, dans le music-business comme dans ma vie privée, tournaient autour de Dr Feelgood. Et tout d’un coup, me voilà en dehors du groupe. J’étais complètement perdu, totalement consterné, et je ne savais pas quoi faire. Mais j’avais pas mal de pognon, et pas mal de notoriété. Et c’est marrant comme, quand tu as beaucoup d’argent et que tu es célèbre, tu as également beaucoup d’amis (sourire amer…).
PM: Oui, comme Bessie Smith l’a écrit dans “Nobody knows you when you’re down and out”…
WJ: C’était pire encore que dans cette chanson! Durant les deux années qui suivirent mon départ de Feelgood, c’était comme si on m’avait dit: “trouve les pires personnes dans ce monde, et elles t’utiliseront” (rire). C’était horrible. Ces types dans mon nouveau groupe ne m’aimaient pas du tout, ils étaient tous jaloux de ce que je représentais. Vraiment, je garde de cette période des souvenirs atroces: les relations avec Virgin, ce groupe, tout ça… Ils ne comprenaient simplement pas qu’au fond, tout ce que je voulais, c’était recommencer un groupe comme Dr Feelgood, qui était à la base une histoire d’amitié où tous étaient égaux. Je ne voulais pas d’un backing-band, genre “je te paye 50 livres par semaine”, je voulais que nous partagions tout. Mais ils ne l’entendaient pas ainsi. Dès lors, les choses ont duré tant qu’elles l’ont pu, mais je ne garde pas de bons souvenirs de cette époque.
PM: Ensuite, tu as eu une brève collaboration avec Lew Lewis (harmoniciste co-fondateur d’Eddie and The Hot Rods).
WJ: J’aime vraiment Lew. Il est encore passé me rendre visite la semaine dernière. J’ai toujours aimé ce type. Je l’ai connu juste avant les débuts de Feelgood. J’ignorais alors qu’il était musicien, ce n’était encore qu’un gamin (rire). Il est incroyable! Il a passé toute sa vie à se fourrer dans le pétrin. J’ai toujours essayé de l’en éloigner, et quand j’ai réalisé qu’il savait jouer, je n’avais quasiment plus de groupe moi-même. Je me suis alors dit: “Pourquoi ne pas monter un band avec Lew Lewis? Il est dingue, mais je m’en fous, je l’aime bien” (rire). Ca semblait une bonne idée au départ, et j’avoue qu’on s’est franchement bien marré, mais (rire) ça m’a vraiment coûté un paquet de fric!
PM: Après cet épisode, tu te retrouves donc à nouveau sans groupe, mais cette fois, par contre, complètement fauché. C’est pour ça que tu t’es fait embaucher par Ian Dury, pour faire partie de ses Blockheads?
WJ: Oui, cette expérience avec Lew est tombée en morceaux, tant à cause de problèmes financiers que de la folie ambiante (rire)! Actuellement j’en suis encore à lui dire à chaque fois que je le rencontre: “Eh, allez, Lew, viens avec moi en studio, on va jouer un peu de musique, mec”…
PM: Il a fait de la taule…
WJ: Ouais… Ces temps-ci, il vit carrément dans la rue, mec! (NDR: un comble pour quelqu’un qui a écrit “Boogie on the streets”!).
PM: Oh, quelle honte, un des meilleurs harmonicistes que l’Angleterre ait produit!
WJ: Oui (rire), et quand je lui dis: “Demain, toi et moi, on entre en studio, tout est prêt, j’ai tout réservé”, il me dit: “Ok”, et je ne le revois plus avant deux mois! Ce type est cinglé!.. D’un côté, c’est quelqu’un d’exceptionnel, un surdoué, mais de l’autre, il a aussi un don pour attirer les ennuis. Et c’est dommage, car il est si bon. Mais il y a une telle complicité entre nous que nos referons peut-être quelque chose ensemble un jour, en tout cas, je l’espère sincèrement. Mais il est très difficile à trouver (rire)!
PM: Je me suis laissé dire que tu étais revenu à ton premier job (professeur) et que tu avais repris l’enseignement de la littérature anglaise?
WJ: Pas depuis des années, non (rire)! J’ai été musicien toute ma vie! En 1974, je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir faire pour subvenir à mes besoins, et je me suis dit: “Je vais devenir musicien professionnel”. Je suis trop vieux pour être professeur à présent (rire)! Tout ce que je sais et que je veux faire, c’est jouer!
PM: Excuse-moi pour cette question, mais on te voit si rarement par ici que l’on s’était imaginé que tu avais peur-être raccroché, au moins partiellement. Il y a plein de lieux, en particulier en Belgique et au Nord de la France, où on aimerait te voir jouer plus souvent.
WJ: Je comprends, mais tu dois savoir que ce groupe (le trio avec Norman Watt-Roy à la basse!) existe depuis 10, voire 15 ans. Nous tournons à travers le monde mais nous sommes obligés de nous manager nous-mêmes. Nous n’avons pas de maison de disque qui nous soutienne.
PM: C’est pourquoi il est si difficile d’arriver à vous joindre pour vous programmer.
WJ: On joue partout où l’on nous demande, mais il y a quelques années, notre promoteur en France a cessé ses activités, et nous avons donc perdu tout contact avec votre pays. Mais nous nous produisons régulièrement en Grande Bretagne, en Espagne, en Scandinavie et au moins une fois par an au Japon.
PM: Tu y es encore très populaire, non?
WJ: Oui, oui, ça marche bien. Mais, bien sûr, nous adorerions rejouer en France, c’est un pays qui nous a toujours soutenus; nous avons juste perdu nos relais pour y tourner…
PM: As-tu d’autres concerts en vue après celui-ci? (NDR: rappel, nous sommes le 20 novembre 1999, aux 4 Ecluses à Dunkerque).
WJ: Non, non, John Otway avait ce concert prévu ici, et il nous a proposé d’en assurer la première partie (!!!). On a sauté sur l’occasion, car ça faisait en effet un bail que nous n’avions pas joué en France. Si nous trouvions un nouvel agent chez vous, nous y reviendrions plus souvent (NDR: avis aux amateurs, faire offres au journal qui transmettra).
PM: Mick Green and The Pirates se sont reformés brièvement il y a peu, pour un concert à Londres. Les y as-tu vus?
WJ: Non, ils ont joué un concert de retrouvailles avec Frank Farley, Johnnie Spence et Mick Green, mais malheureusement, j’avais moi-mùeme des engagements ce jour là, et je n’ai pu m’y rendre. Mais je vois Mick Green en privé régulièrement, il a travaillé récemment avec Van Morrison, et il est à présent avec Paul Mc Cartney. En fait, cela fait quelques mois que je n’ai pas vu Mick, mais je rencontre souvent son fils, et celui-ci me donne de ses nouvelles (rire).
PM: Quand je rencontre un musicien, j’ai une question rituelle, qui te paraîtra peut-être un peu stupide, mais je te la pose quand-même: peux-tu me citer 5 de tes albums favoris de tous les temps?
WJ: Je vais te répondre: “Highway 61 Revisited” de Bob Dylan, “Sticky Fingers” des Rolling Stones, “Saint Dominic’s Preview” de Van Morrison, “Everybody Knows This Is Nowhere” de Neil Young et “Mendocino” du Sir Douglas Quintet, voilà mes 5 albums favoris (rire)! (NDR: Wilko a récemment écrit un tire qui traduit l’influence du récemment disparu Doug Sahm: “The Beautiful Madrilena”).
PM: Je suis surpris que tu n’aies cité aucun J.Geils Band (NDR : un des groupes favoris du Feelgood des débuts).
WJ: J’aurais pu si tu m’avais demandé mes 50 albums favoris, mais là je t’ai cité ceux qui ont vraiment une signification particulière pour moi.
PM: Ce sont essentiellement des albums de songwriters, ce qui n’étonne guère puisque tu en es un toi-même (NDR: Wilko était le premier et le seul songwriter réellement prolifique dans Feelgood, qui s’en remit à bien d’autres plumes après son départ). Par ailleurs, je suis désolé d’avoir à te dire celà, mais tes derniers disques sont particulièrement difficiles à trouver.
WJ: (Rire) Je m’en doute, oui.
PM: En as-tu apporté quelques uns avec toi pour les vendre ici?
WJ: Oui, ils sont à l’entrée (NDR: ironie du sort, le John Otway Fan-Club, qui tiend le stand de CD ce soir, n’accepte pas l’argent français… N’ayant pas de livres-sterling en poche, j’ai donc dû me contenter de les “écouter avec les yeux”!!!). On a dû en enregistrer près d’une dizaine en tout, mais seul le dernier en date se trouve ici. Tu sais, Norman Watt-Roy (extraordinaire bassiste, transfuge des Blockheads du récemment disparu Ian Dury) et moi sommes ensemble depuis bientôt 14 ans. Monty, le batteur, vient juste de nous rejoindre (lui aussi appartenait aux Blockheads). Son prédécesseur, qui nous a accompagnés pendant des années, Salvatore Ramundo, un Italien, est retourné dans son pays. C’est donc une formation toute récente qui repart sur la route à présent. Nous sommes d’ailleurs en train d’enregistrer un nouvel album.
PM: Toujours cependant sans avoir de maison de disques?
WJ: Hélàs, oui, mais on espère bien être en mesure de sortir un nouveau CD au début de l’an 2000.
PM: En te retournant sur l’ensemble de ta carrière, quels sont aujourd’hui tes meilleurs souvenirs?
WJ: Evidemment, la majeure partie de la période Feelgood, parce que… tu ne peux être la dernière nouveauté qu’une seule fois dans ta vie, tu sais (rire). Et c’est le genre de feeling qu’on ne peut pas acheter, c’est vraiment unique. Tu te dis: “Waow, c’est comme si on était les plus grands, maintenant !” (rire)… Et je garde aussi de très bons souvenirs de ma collaboration avec Ian Duy (rappel: celui-ci est décédé 4 mois après cette interview), parce que, tout d’abord, c’était un grand groupe, et aussi car je n’y étais plus le front-man, je faisais juste partie de la section rythmique. C’était un tel plaisir (rire)! Mais, en y réfléchissant bien, j’ai toujours pris mon pied à travers tout ce que j’ai fait.
PM: Que pourrais-tu faire d’autre, de toute façon?
WJ: Je n’en sais vraiment rien (rire)!
PM: Donc, tu as intérêt à continuer à l’apprécier…
WJ: Oui (fou rire), oui!
PM: Et tes plus mauvais souvenirs?
WJ: … (pensif) Je pense, probablement, oui… les deux années qui suivirent mon départ de Feelgood. Et les derniers temps avec ceux-ci, quand les choses tournaient de travers, furent aussi une mauvaise période. J’en suis sorti sérieusement troublé, et j’en ai certainement conçu de mauvais choix. Ca a été dur, mais pas au point de m’amener à tout abandonner (rire).
PM: Et ce CD “Dr Feelgood-Live at The BBC 1974-75” qui vient de sortir, qu’en penses-tu?
WJ: Oh, je n’écoute jamais mes propres disques (rire). On m’a dit que ça sonnait bien.
PM: C’est très bon, oui! Pour tout te dire, en 1978 (tu étais déjà parti, mais je n’ai découvert ce disque que cette année-là), le disque que j’ai le plus écouté, c’était “Stupidity”. C’est vraiment l’album qui m’a branché sur Feelgood – que je ne connaissais jusqu’alors que par les singles à la radio. Eh bien, pour tout te dire (hormis l’ambiance dans le public), je trouve que ce “Live at the BBC” lui est supérieur. Le son y est nettement meilleur.
WJ: Quelqu’un, un fan de longue date qui est finalement devenu un ami, m’a dit: “Mec, c’est fantastique, ça sonne vraiment comme ce qu’était Feelgood”… Peut-être bien que je l’écouterai, un jour (rire).
PM: Il a été enregistré sur trois concerts, dans un théâtre où les gens étaient contraints de vous écouter assis…
WJ: C’est exact.
PM: Cela devait vous sembler plutôt inhabituel, non ?
WJ: Oui, quand j’y repense, l’ensemble de ces concerts me semble étrange, on était obligé d’en passer par là car c’était un irremplaçable moyen de promotion pour le groupe (NDR: c’était ensuite retransmis sur les ondes, comme pour les BBC Sessions des Beatles, Who, Stones, et autres…). Notre conception d’un vrai concert, c’était évidemment plutôt de jouer dans un pub, et de voir les gens de près, en train de réagir à ce que nous jouions. D’autant plus qu’à nos concerts venait le plus souvent notre public fidèle, des gens qui nous connaissaient bien, et que nous pouvions reconnaître. La BBC, quant à elle, organisait ces concerts à sa façon: vous deviez leur écrire pour demander les billets, sans être certain du concert auquel ils allaient vous inviter. Tu te retrouves donc à jouer devant cette assistance de gens assis, dont plus de la moitié ignore carrément qui tu es. Mais c’est très positif dans un sens, parce que tu as donc à les convaincre, tu dois les séduire, tu n’as pas affaire à un public conquis d’avance. Dans un sens, ces conditions nous ramenaient à nos tout débuts, quand nous devions vraiment nous battre pour être admis sur la scène londonienne ou dans d’autres villes anglaises où nous étions encore inconnus. Je me souviens que quand nous avons été signés par United Artits (NDR: premier label de Feelgood), pour nous aguerrir, la maison de disque nous a fait assurer les premières parties de cinq concerts d’Hawkwind dans des villes de province. C’est d’ailleurs ainsi que je suis devenu ami avec Lemmy (NDR: qui allait ensuite fonder Motörhead). C’est vraiment un chouette type. Nous nous sommes donc produits un peu partout, y compris à Glasgow et d’autres villes du Nord de l’Angleterre, dans de grands théâtres bourrés de kids venus voir Hawkwind!.. Et nous, on était la surprise chargée d’ouvrir le show (rire)!.. Je me souviens d’un concert à Manchester où le public nous a sifflés dès le début. Ca nous a vraiment stimulés, et on a été particulièrement bons ce soir-là. A tel point que quand nous sommes revenus l’année d’après en tête d’affiche, on y était adulés (rire). Tout ça pour te confirmer que, oui, quand tu sens que tu as quelque chose à prouver, cela ne peut qu’être bon pour toi (rire).
PM: Ouais… Sur ce disque, un seul inédit, un titre que vous n’aviez jamais enregistré, “My baby, your baby”. C’est une reprise. D’où vient ce morceau?
WJ: C’est une chanson des Righteous Brothers, la face B d’un de leurs singles. C’est un titre qu’on avait l’habitude d’interpréter en concert, j’ignorais qu’ils l’avaient mis sur ce disque. Je ne possédais pas le 45 tours d’origine, c’est juste une chanson dont je me souvenais depuis les sixties, quand j’étais gamin.
PM: Ca sonne plus “Mersey-Beat” que ce que vous jouiez à l’époque, on dirait presque une reprise des Mojos…
WJ: Oui, oui, il a ce genre de feeling en effet. Mais, crois-le ou non, c’est une chanson des Righteous Brothers, je t’assure (rire).
PM: Vous avez dû bien en modifier les arrangements, alors (rire). Une autre chose qui m’a frappé sur ce disque live, c’est votre version de “Rock me baby”. Ton son et ton jeu là-dessus sont étonnamment fidèles à ceux de B.B. King sur “Live at the Regal”…
WJ: Ce que tu dois comprendre, c’est que j’ai toujours aimé les grands bluesmen, c’est un genre musical que j’adore, mais je ne me suis jamais considéré comme un bluesman moi-même. Je veux dire, le blues est une musique spécifique qui vient des U.S.A. (rire), et nous, nous étions si typiquement anglais. Aussi, en règle générale, quand nous sommes devenus connus, nous nous sommes efforcés de ne plus jouer de blues au sens strict. A nos débuts, on essayait réellement de jouer de tout… Je pense, à dire vrai… que je ne suis qu’un petit garçon en comparaison de B.B. King (rire)!
PM: Je ne voulais parler que du son.
WJ: Je sais, mais… J’ai un sincère respect pour nombre de grands bluesmen, j’en ai vu pas mal sur scène, Muddy Waters et Big Mama Thornton, par exemple, que j’ai pu voir dans les sixties, et c’est pour moi une musique magique. Quand il m’est arrivé de jouer leur répertoire, j’ai essayé de leur être fidèle dans la mesure de mes possibilités, mais… Je ne pense pas être vraiment “blues’ moi-même (rire).
PM: Ce n’est pas ce que je voulais dire mais… Peter Green, par exemple, vient d’une ville proche de la tienne, et d’autres, comme lui issus de la génération qui précédait la tienne, se sont totalement identifiés à ce courant musical…
WJ: Je ne l’ai rencontré qu’une fois, il y a environ dix ans (rire), mais c’est vrai que, depuis les années 60, il y a toujours eu de bons musiciens de blues et de R&B par chez nous. Mickey Jupp, lui, c’était le roi, et son guitariste, Mo Witson, quel grand musicien… Et aussi les Paramounts avec Gary Brooker (NDR: groupe qui enfanta ensuite Procol Harum). Quand j’apprenais à jouer, j’allais les voir sans arrêt (rire). C’est vrai que pas mal de grands musiciens de R&B sont issus de notre voisinage, j’ignore pourquoi…
PM: Je ne sais pas comment l’expliquer, moi non plus, mais nous avons un peu connu le même phénomène en France : nombre de grands groupes de rock et de R&B y sont nés dans des villes portuaires, Le Havre, par exemple. Vous y étiez très populaires, d’ailleurs.
WJ: Oui, c’est aussi en jouant au Havre qu’on a fait la connaissance de Little Bob Story (rire)… Je ne sais pas, ça a peut-être quelque chose à voir avec les frites et les compagnies pétrolières (rire), je ne sais pas comment l’interpréter… Mais c’est vrai que les ports sont en général de bons lieux où jouer…
PM: Bien, nous pourrions sans doute encore discuter ainsi pendant des heures, mais cela fait déjà beaucoup à imprimer pour un petit magazine comme le nôtre… Merci, Wilko, et j’espère qu’on va te revoir bientôt!
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Propos recueillis par Patrick Dallongeville le 20 novembre 1999
Merci à Dominique Floch et Sophie, des 4 Ecluses, ainsi qu’à Guy et Dany Ferdinande et Benoît Vasseur.