Interview Pura Fe’ – Tuscarora Nation Blues – Dixiefrog

Préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer – juin 2008

Il y a toujours une part de mystère qui subjugue, qui envoûte l’interlocuteur lorsque l’on est un artiste au ‘sang mélangé’. Pura Fe’ subjugue, envoûte, surprend, étonne, charme tout naturellement, comme si de rien n’était. Il émane de Pura Fe’ une sérénité et une quiétude qui vous font soudain oublier le stress du monde, les contraintes, tout ce qui est pénible à supporter. En écoutant Pura Fe’, l’air vous semble soudain plus léger et la vie belle, à en rire de plaisir.

BM : Racontez-nous un peu votre enfance, et comment vous avez commencé, très jeune, à chanter, en étant sur les routes avec votre famille….
PF :
J’étais dans un groupe à New York City avec ma mère, sa famille et mon beau-père.  Dans la famille de ma mère il y avait de nombreuses chanteuses, dont ses sœurs. A cause de tout cela, je n’allais pas à l’école très souvent. Les cours que j’avais m’étaient donnés par des personnes qui ont l’habitude de suivre les enfants qui ont un travail artistique, que ce soit pour être acteur, danseur ou chanteur. Et puis comme j’étais beaucoup sur la route, il m’arrivait aussi de me retrouver dans des écoles privées dans les villes que nous traversions. Je ne sais pas si on peut appeler cela une scolarité, dans le sens de la scolarité que suivent tous les enfants qui vont dans la même école pendant des années, mais en fait ma scolarité ce fut d’apprendre tout ce que je voyais de la vie et que les autres enfants qui ne sont pas sur la route ne voient pas. La route, c’est une autre école, mais c’est une école, tout de même.

BM : Mais la route, ce fut aussi votre école de la chanson…
PF :
Oui, tout à fait. La route fut une véritable école dans le sens où chaque formation musicale fut une classe différente, un autre professeur pour moi. J’ai beaucoup voyagé avec des comédies musicales de Broadway, j’ai travaillé avec de nombreux groupes, j’ai accompagné de nombreux musiciens et à chaque fois j’ai appris. Tout comme j’ai eu la chance que ma mère ait été chanteuse dans l’orchestre du Duke Ellington. Cela m’a ouvert à la culture du jazz.

BM : C’est après toutes ces expériences que vous avez monté votre propre groupe, Ulali ?
PF :
Oui. J’avais 20 ans et j’ai décidé de créer mon propre groupe vocal féminin. Nous étions trois femmes, nous chantions a capella avec parfois l’apport de percussions.

BM : Quand avez-vous appris à jouer de la guitare ? Est-il vrai que vous êtes autodidacte ?
PF :
Il y a quelques années, j’ai décidé de me lancer dans l’apprentissage de la guitare et d’écrire ma propre musique. J’ai également déménagé en Caroline du Nord car c’est là d’où est originaire la famille de ma mère.

BM : C’était un besoin de retrouver vos racines ?
PF :
Oui, sans aucun doute. (silence) Je pense que l’on a tous besoin de retrouver ses racines, tu ne penses-pas ? Tu n’as jamais eu envie de retrouver tes racines, toi ? De les sentir vibrer en toi ?

BM : Oui bien sûr, mais les miennes sont beaucoup plus banales, ou simplistes que les tiennes…
PF :
Cela n’a aucune importance si tes racines sont simples ou pas. Le plus important est de les retrouver, de t’y replonger, de comprendre et de savoir d’où tu viens, et pourquoi tu es là. Tu es comme un arbre qui pousse et ta famille, tes ancêtres sont tes racines. C’est comme cela que l’on est, et c’est pourquoi il est essentiel de vénérer ses racines, de les respecter, parce que si tu ne les respectes pas, tu ne te respectes plus toi-même. Moi, je suis issue de la nation indienne Tuscarora par ma mère, mais je suis métissée parce que j’ai aussi du sang noir et irlandais qui coule dans mes veines. Voilà toutes mes racines, et elles sont sans doute aussi simples que les tiennes, mais le plus important est d’en avoir conscience et d’avoir du respect pour elles. Tout comme nous devons avoir du respect pour cette musique qu’est le blues.

BM : Pour toi, quelle est l’importance du Blues dans la culture amérindienne ?
PF :
Tout ce qui est blues dans notre culture et dans notre musique remonte au temps de l’esclavage. Indiens et noirs travaillaient ensemble dans les plantations, unis comme des frères par le même sort. Je suis certaine que tout est venu de là, de ces souffrances partagées, de ces vies terribles et où seule la musique permettait aux gens de se libérer et d’espérer. Ensuite, comment cela s’est diffusé dans la musique indienne, je ne sais pas comment on pourrait l’expliquer. D’ailleurs est-ce que cela est vraiment intéressant ? (sourire ironique)

BM : Pourquoi t’es-tu orientée vers la slide guitar ? Est-ce vrai que tu en joues depuis moins de 5 ans ?
PF :
Oui, c’est vrai. Pourquoi ? Tu penses que je n’en aurais pas été capable ? (rire)  J’ai commencé à jouer de la slide en….2004, je crois. Il y a donc 4 ans.

BM : Ce qui veut dire que pour ton premier album, ‘Tuscarora Nation Blues’, tu ne jouais de la slide que depuis….
PF :
Trois ou quatre mois à peine (rire).

BM : Tu as un don, alors ?
PF : (sourire) Non, ce n’est absolument pas un don. C’est quoi un don, d’ailleurs… C’est juste que j’en ai eu la volonté, et je l’ai fait. Je sais que quand tu crois en toi et en ce que tu veux faire, tu le peux.

BM : C’est indien comme démarche, non ?
PF : Indien,…et universel à la fois.

BM : Quelle importance a, selon toi, la Fondation Music Maker ?
PF : Cette Fondation est vraiment exceptionnelle. C’est un don du ciel. Elle fait tellement de choses pour les musiciens qui ne trouvent pas d’endroits où jouer et pour leur permettre de faire vivre ce blues qui fait partie de nos racines communes. Elle mérite un grand respect pour tout ce qu’elle fait, pour la musique,…et pour les artistes, surtout. Et j’aime Dixiefrog parce que c’est un label français qui sait prolonger l’esprit de cette Fondation.

BM : Tu as toujours des contacts avec Tim Duffy ?
PF : Bien sûr ! C’est un homme merveilleux et qu’il faut saluer pour tout ce qu’il fait.

BM : Comment définirais-tu ta musique ?
PF :
Ce n’est facile de mettre des mots pour te dire qu’une musique est comme ceci ou comme cela. Est-ce que cela est nécessaire d’ailleurs ? (sourire)

BM : Et toi, comment te définirais-tu ? Une chanteuse de blues ? Ou bien n’es-tu pas comme Joan Baez et Country Joe Mac Donald l’étaient dans les 70’s, une ‘protest singer’, une protest singer des années 2000 ?
PF :
Si c’est pour dire non à la guerre, non au racisme, non à la discrimination, non à la violence, non aux injustices, alors oui, je suis une protest singer. Mais est-ce nécessaire de mettre des étiquettes sur les chanteurs ? (silence…)  Il y en a qui ont écrit des chansons contre la guerre et qui n’ont jamais été classés comme protest singer. Le plus important est le message que tu fais passer,…. Pas seulement celui de dire non à la guerre et à la violence, mais aussi celui de la paix, de l’amour et du respect entre les gens, d’où qu’ils viennent, où qu’ils vivent.

BM : Et Neil Young, avec sa chanson ‘Four Dead in Ohio’, tu le considères comme un protest singer ?
PF :
Protest singer ? Mais est-ce qu’un chanteur ne peut être que protest singer ? Le terme que je préfère pour définir un chanteur engagé, c’est plutôt songwriter. Neil Young est un songwriter, un excellent songwriter, et cette chanson est véritablement un hymne contre la violence et la guerre. Et puis, quelle importance d’être classé protest singer ou pas,…le plus important est que cette chanson soit écoutée. C’est cela qui est le plus important, qu’une chanson qui porte un message soit écoutée, et qu’elle fasse passer un message de paix.

BM : Alors j’espère que tes chansons seront très écoutées…
PF : (sourire) C’est gentil, merci !

Crédits photos : © Pura Fe'

Frankie Bluesy Pfeiffer
Paris-Move & Blues Magazine

 

Pura Fe’