Interview d'Henry Correy


Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer, Octobre 2005


Ce n’est pas à 56 balais que l’on change, surtout après 40 années passées à jouer du Blues. Henry Correy ne changera donc jamais !
Dans ses disques comme au quotidien Henry vit sa vie de Bluesman avec un plaisir énorme, comme si chaque journée qui passe pouvait être la dernière. Quand il parle de ses disques, de ses concerts et de tous les musiciens avec qui il a croisé le fer, le visage de Henry s’illumine, sa voix est passionnée et le débit intarissable. Vous découvrez alors une autre facette de ce routier du Blues australien : une amitié, sincère et profonde derrière un éternel sourire.

Trois CD sortis sur le tard, dont Prisoner of Desire en 2005, viennent rappeler que Henry Correy est plus que le bon élève du Blues australien : même s’il est encore beaucoup trop tôt pour dire s’il aura le profil du super Papy du Blues, Henry démontre avec ces trois albums qu’il est un Bluesman universel, défiant les années et les frontières. Et dans vingt ou trente ans on se rendra compte que Henry Correy aura été aussi important et aussi novateur que l’ont été John Mayall ou SRV…!

BM : Quand as-tu touché ta première guitare ?
HC : C’était en 1968 et c’était une guitare basse. J’ai tout de suite commencé par la guitare basse, sans passer par une six cordes.

BM : Mais tu avais commencé par apprendre le violon…
HC : Oui, c’est vrai ; j’ai commencé par apprendre le violon. C’était à l’école, et avec un prof qui était une bonne-sœur. J’en ai fait pendant sept ans, de 7 ans à 14 ans. Et quand j’ai commencé à écouter du Blues alors j’ai laissé tomber cet instrument à quatre cordes, le violon, pour un autre instrument à quatre cordes, la guitare basse. (rires)

BM : As-tu commencé tout de suite par jouer du Blues ou as-tu commencé, comme tant d’autres, dans un groupe de rock ?
HC : Non, j’ai tout de suite joué dans des groupes de Blues. Ils jouaient des cover, des reprises qui me permettaient de me faire la main sur le jeu des grands bassistes, et de travailler ma voix, aussi.

BM : Un Bluesman canadien, Kevin Mark, nous a expliqué qu’il avait laissé tomber la basse pour jouer de la six cordes car pour lui, jouer de la basse et chanter en même temps était trop difficile.
HC : (rires) Oui, c’est vrai,…il a raison. Mais quand il t’a dit jouer de la basse, il voulait dire jouer vraiment de la guitare basse – je dis bien : vraiment… ! Et c’est vrai que jouer de la basse et chanter en même temps c’est très très dur, parce que tes doigts suivent une certaine ligne alors que ta voix en suit une autre. Mais contrairement à Kevin, comme moi je n’ai jamais su jouer de la six cordes, je n’ai pas eu le choix et j’ai du m’accrocher…(rires)…C’est aussi pourquoi, quand je chante, je simplifie mon jeu de basse.

BM : Tu as donc commencé tout de suite comme bassiste d’un groupe de Blues. C’était Spoonful, c’est cela ?
HC : Exact… ! Mon premier groupe s’appelait Spoonful. C’est pas très original, non… ? (rires) …Puis avec un line-up différent j’ai fondé The King Biscuit Blues Band,…avant de connaître un premier vrai succès avec un autre groupe, Sun, en 1972. Dans ce groupe ont joué des musiciens comme Richard Clapton et Renee Geyer, qui sont devenus depuis cette époque de grosses pointures du Blues en Australie. J’ai eu aussi le plaisir de jouer avec John Mayall ; c’était en 1973. Notre groupe venait d’assurer la première partie de son concert à Perth, une ville située dans l’ouest australien, et nous étions tout de suite repartis pour jouer dans notre club habituel. Il était près de minuit quand John Mayall est entré dans ce club pour boire un verre. Il venait juste de finir son concert et cherchait un endroit sympa pour se détendre et finir la nuit. Il nous a immédiatement reconnu et est monté nous rejoindre sur la petite scène, en sortant son harmonica de sa poche. Et voilà comment nous avons passé le reste de la nuit à jammer avec John Mayall. Et je peux te dire que ceux qui étaient là ce fameux soir de 73 se souviennent encore de ce concert… !
John est un mec super, quelqu’un de gentil et d’amical, et je peux te dire qu’après ce concert improvisé nous avons beaucoup discuté sur le Blues et la musique en général. John m’a dit cette nuit-là : « Henry…! Dans la musique aussi y’a des modes, et y’en aura de nouvelles qu’on ne peut même pas imaginer aujourd’hui (nous étions en 73 !)… Mais si tu restes fidèle à ta musique, le Blues, et qu’elle n’est plus à la mode, le jour où elle reviendra à la mode tu seras là, et devant tous les nouveaux musiciens qui auront été attiré par cette mode… ! ». J’espère que ce sera le cas pour moi également, car John, lui, est indémodable.

BM : Tu as joué également avec Eugene Bridges, et bien d’autres…
HC : Oui, j’ai joué avec Eugene ”Hideaway” Bridges, Lynwood Slim, et beaucoup d’autres encore, dont un jeune canadien bourré de talent et que tu as cité tout à l’heure, Kevin Mark.

BM : Justement, en début d’année tu as joué au festival de Blues de Tremblant avec Kevin Mark et des musiciens lauréats des Maple Blues Award. Tu n’aimes pas tourner avec tes musiciens ?
HC : (rires) Mais bien sûr que si…. ! J’aimerais bien tourner avec mes musiciens ! Ils sont supers ! Avant de te répondre il faut absolument que je dise qui ils sont : tu as Mick Pandelis à la lead guitar, Joe Tribelmayr – un néo-zélandais installé maintenant en Australie – à la lead guitar également, et un batteur au toucher très fin, Peter Clarke. Ce sont tous les trois des garçons qui ont une grosse expérience dans le Blues et qui sont aussi de très bons amis. Et quand je présente le groupe comme cela, rapidement, y’a des gens qui te disent : mais alors vous n’avez pas de bassiste ? Mais si, le bassiste c’est moi… ! (rires) Je chante et je joue de la basse, aussi. Même si c’est dur…. ! (rires)

Pourquoi j’ai joué avec Kevin et ses musiciens et pourquoi pas avec les miens ? En fait c’est tout simplement une question de fric. Il faut savoir le dire, et je le dis. Tu sais, quand un billet d’avion aller-retour – car il faut bien rentrer à la maison, ensuite… ! (rires) – coûte aussi cher, on fait au mieux, au plus raisonnable. Et le plus raisonnable….était que l’on ne pouvait pas se payer autant de billets d’avion pour moi et mes musiciens. Mais qu’est-ce que j’aimerais pouvoir les emmener avec moi… ! Ils le méritent, tu sais… !

BM : Cela veut dire que tu ne tournes pas souvent en Europe, alors ?
HC : Tu sais, les Bluesmen ne sont pas des rock-stars, et ils ne roulent pas sur l’or ! En Europe peut-être, mais cela m’étonnerait… ! (rires) Non, c’est vrai que je n’ai encore jamais joué en Europe, mais j’aimerais bien… ! J’ai joué au Canada, et le public était formidable. De vrais amateurs de Blues, des passionnés. Et je suis sûr qu’en France c’est le même public, chaleureux et fan de Blues…!

BM : Comment définis-tu le Blues que tu joues aujourd’hui ?
HC : C’est un Blues qui vient du cœur… ! J’écris paroles et musiques en espérant qu’ils seront compris et appréciés par le plus grand nombre de personnes. J’écris sur des choses qui touchent au quotidien, des trucs que des gens peuvent avoir vécu ou pourraient vivre à leur tour. Que ce soit joyeux ou triste, car dans la vie tout n’est pas triste, comme tout n’est pas joyeux non plus. En fait je cherche à communiquer avec les gens sur ce que l’on vit tous, en passant par le canal du Blues.

BM : Et ta voix…?
HC : Je sais que j’ai une voix un peu spéciale, que l’on peut aimer ou détester… ! (rires) Tu sais, je ne me considère pas comme un grand chanteur, mais comme un Bluesman passionné.

BM : Préfères-tu jouer sur scène ou en studio ?
HC : Les deux. En studio, ce que j’aime c’est concrétiser, faire vivre ce que j’ai mis sur le papier. Et travailler encore, pour être sûr que chaque morceau soit abouti et devienne un élément complémentaire aux autres, pour proposer un bon album.
La scène, j’aime aussi, bien sûr… ! Car c’est là que je sens le public réagir à ce que j’ai écrit et composé. Et quand le public aime, et qu’il te le fait sentir, woaaaa…, ça c’est super !

BM : Ton premier album, Time is a Teacher, a été une étape très importante pour toi…
HC : Time is a Teacher est en effet mon premier album. Je l’ai enregistré en 2000. C’est moi qui l’ai produit, comme les deux suivants d’ailleurs. Pendant de nombreuses années avant de sortir cet album j’ai produit pas mal d’artistes australiens, et de tous genres, mais après un gros pépin de santé et un divorce, je suis retourné à mes racines, le Blues, et je me suis mis à écrire et à composer à nouveau. Cet album a été très important pour moi, et pour deux raisons : la première c’est qu’il m’a permis de me libérer de tout ces problèmes et du stress lié aux questions que l’on ne cesse de se poser, en écrivant et en composant à nouveau, et la seconde c’est que j’ai pris conscience que je ne devais plus quitter le Blues – souviens-toi de ce que disait John Mayall…. !

C’est pourquoi j’ai donné ce nom à ce premier album : Time is a Teacher, car le temps est toujours le meilleur professeur. Je n’avais pas encore formé mon groupe pour enregistrer ce CD et ce n’est qu’après la sortie du disque que j’ai formé mon groupe, The Correydors (que tu dois prononcer corridors), dont le nom est un jeu de mots basé sur mon nom…(rires) Pas mal, non… ? (rires)

BM : Ton troisième CD s’intitule Prisoner of Desire…
HC : Cet album aussi est lié à quelque chose de personnel, un amour perdu. Mais c’est une expérience de la vie que nous avons tous vécue, d’une manière ou d’une autre, non… ? Tu vois, j’écris mes textes à partir d’expériences personnelles mais traitées de manière générale, afin que tout le monde puisse y trouver quelque chose en relation avec sa propre vie et ses propres expériences. C’est cela aussi le Blues, partager ce que l’on a en soi, de beau, de bon, et de triste aussi.

BM : Tu as sorti ton second CD, Heat of the Moment, en indépendant, après le premier chez Full House Records,…chez qui tu es retourné pour le troisième CD. Tu n’aimes pas être indépendant…? Ou bien était-ce au-dessus de tes forces…?
HC : (rires)…Laisse-moi t’expliquer : Full House Records a distribué mon premier CD, Time is a Teacher. Et sincèrement, tout s’était très bien passé. Quand je suis allé les voir pour le second CD, ils avaient, malheureusement pour moi, engagé pas mal d’argent sur d’autres artistes et ils m’ont dit, très gentiment, que je devrais attendre un peu. Et moi je n’avais pas envie d’attendre… ! Alors j’ai tout fait tout seul…en indépendant ! Tu sais, dans les années 80 j’avais mon propre label de Heavy Rock, donc être indépendant c’était pas une nouveauté pour moi. Produire Henry Correy c’était pas plus compliqué que produire un autre artiste, je pense… ! (rires) Mais maintenant je suis de retour chez Full House Records, et on est entrain de discuter ensemble du prochain album.

BM : Un « live »….?
HC : (rires) Oui, ce sera sûrement un live.. !

BM : Tous les titres de ces trois albums sont des compos originales. Tu n’as fait aucune reprise, exact ?
HC : Exact… ! Sur le premier CD, Time is a Teacher, tous les titres sont des compos à moi. Sur le second CD, Heat of the Moment, tous les titres sont de moi sauf Smokin’ and Drinkin’ Woman Blues qui a été écrit par mon guitariste, Smokin’ George Babich, et un autre titre, Hopes and Dreams, signé Peter Clarke, mon batteur.

Le troisième CD, Prisoner of Desire, contient deux instrumentaux écrits par mes deux guitaristes : Tiger Jump, par Smokin’ George Babich, et Poke in the Eyes, par Mick Pandelis. Tous les autres titres sont de moi.

BM : Si tu devais choisir un titre de chaque album, ce serait lequel… ?
HC : Question piège…. En fait, je ne sais pas. J’aime tous ces morceaux, tu sais, et je suis incapable d’en écarter un seul, ou d’en choisir un en particulier. Ils ont tous quelque chose qui me relie à eux, ne serait-ce qu’à cause des moments de ma vie où je les ai écrits… C’est dur de répondre à une question comme celle-là quand on est attaché à ce que l’on a fait.

BM : Et le titre que ton public aime le plus… ?
HC : Prisoner of Desire… ! Les femmes trouvent ce morceau très sexy….(rires)

BM : Tu travailles tout de même sur un prochain album studio, même si ton prochain CD est un live ?
HC : Oui, bien sûr… ! (rires)  J’aimerais sortir le prochain album studio dans 12 ou 18 mois. Je me suis déjà mis au travail, mais je n’ai encore aucune idée pour le titre… Ca viendra…

BM : Et rien de plus à annoncer…?….en exclusivité pour les lecteurs de Blues Magazine…?
HC : (rires)…Allez, une info, oui, mais à ne pas diffuser, n’est-ce pas…! (rires)  Comme tu le sais, j’ai joué avec Kevin Mark à Tremblant et nous avons pris tellement de plaisir à jouer ensemble que j’ai décidé de reprendre l’un de ses titres, So Blue Without You, sur mon prochain album studio,…et lui, il pense à reprendre l’un de mes titres, Double Dealin’ Mama, pour son prochain album. Comme tu le vois, la collaboration et l’amitié dans le Blues traversent facilement les océans… ! Et c’est d’autant plus important pour moi que je n’ai jamais fait de reprises dans mes albums…!

BM : Sur scène également tu ne joues que rarement des reprises.
HC : C’est vrai. Je ne joue que rarement des morceaux d’autres artistes. Ma cover favorite est Red House, de Jimi Hendrix. Je peux le chanter correctement, et surtout il laisse pas mal de place à mes guitaristes…! (rires)

BM : Tu as vu les films réalisés par Martin Scorsese sur le Blues ?
HC : Oui, je les ai vus, et j’espère que ces très beaux films ont pu ouvrir les yeux et les oreilles de nombreuses personnes et leur faire aimer le Blues.

BM : Comment se porte le Blues en Australie ?
HC : Ici, en Australie, le Blues se porte bien, car nous avons de nombreux musiciens de talent. Bien sûr, et il ne faut pas se le cacher, le blues en Australie est comme le Blues dans de nombreux autres pays : ce n’est pas la musique préférée des radios, et c’est dommage….!!!…mais elle est très aimée et soutenue par de nombreuses personnes. En Octobre, je vais jouer au Great Southern Blues & Rock Festival qui est l’une des manifestations les plus prestigieuses en Australie, et je suis heureux que des Bluesmen comme moi puissent participer à ce festival… ! Tu vois que le Blues est toujours vivant… !
Je pense aussi que par rapport à d’autres pays, comme les Etats-Unis, le Blues est ici moins rock. C’est mon sentiment.

BM : Quels sont les musiciens que tu apprécies le plus ?
HC : Des Bluesmen, bien sûr… ! (rires) B.B. et Freddy King, Johnny Winter, John Mayall, Lynwood Slim,…et bien d’autres encore, comme Kevin Mark, par exemple.

BM : Si tu pouvais choisir le guitariste que tu aimerais inviter à  jouer avec toi, lequel choisirais-tu ?
HC : (sans hésiter 🙂 J’en aime beaucoup, et ils ont tous des qualités. D’ailleurs n’est-ce pas cela le plus passionnant : pouvoir jouer avec des individualités… ? Voilà pourquoi je ne choisirais personne en particulier.

BM : Si tu ne devais garder qu’un seul album de Blues, lequel choisirais-tu ?
HC : John Mayall and The Bluesbreakers with Eric Clapton.

BM : Et le titre qui pour toi est la plus belle signature de la musique Blues?
HC : (sans hésiter :)The Thrill is Gone,…B.B. King.

BM : Le musicien que tu aimes écouter en ce moment ?
HC : Kevin Mark,…pour sa voix, très originale et très belle, et pour la qualité de ses compos !

BM : Un concert important pour toi ?
HC : Le Sydney Blues Festival 2004,…et le festival de Mont Tremblant, en 2005. Deux concerts qui m’ont rempli de plaisir et d’émotions.

BM : Un regret ?
HC : Dans le Blues et la musique en général, aucun…! Dans ma vie privée, c’est autre chose….

BM : La chose la plus importante pour toi ?
HC : La santé, et la santé avant tout…. ! Puis l’amour, et jouer la musique que j’aime partout à travers le monde… ! C’est beau la vie comme ça, non… ?

Henry Correy