Interview de Vieux Farka Touré – fils de Ali Farka Touré

 

Préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer – le 29 juillet 2008

© photos : Frankie Bluesy Pfeiffer
 
Il y a des ‘fils de’ qui n’hésitent pas à mettre en avant leur filiation pour ouvrir des portes et bénéficier d’un chemin dégagé et sans embûches. Vieux Farka Touré est bien ‘fils de’, mais lui ne s’en sert pas comme d’un sésame. Déjà, lorsque son père, Ali Farka Touré, lui avait demandé de choisir une carrière autre que musicale, Vieux Farka Touré avait obéi, et ce ne fut qu’en lui prouvant, seul et sans son appui, qu’il pouvait devenir chanteur et musicien, qu’il reçut l’approbation de son père pour se lancer dans une carrière musicale fort prometteuse. Un père qui s’en alla malheureusement trop tôt rejoindre le monde des anciens, sans avoir pu écouter l’intégralité du premier album de son fils. Un fils fier de son père et dont les yeux brillent d’une luminosité exceptionnelle à chaque fois qu’il doit en parler.
 
 
BM : Est-ce vrai que tu as fait de la musique contre l’avis de ton père?
VFT : Oui, c’est vrai (large sourire). Mais c’était au début, quand j’étais très jeune.
 
BM : Pourquoi n’a-t-il pas voulu que tu te lances tout de suite dans la musique?
VFT : En fait, mon père voulait que je fasse autre chose que de la musique. Il voulait que je sois sûr de réussir dans la vie,…car il y a tellement de bons musiciens qui n’ont aucune reconnaissance,… qui sont inconnus et gagnent très mal leur vie, que mon père avait voulu que je fasse vraiment autre chose. Il me disait que ce n’était parce que lui était connu que ce serait automatiquement la même chose pour moi. (silence) Et puis il y a autre chose aussi: il y a tellement de gens qui gravitent autour des artistes, qui vivent sur le dos des artistes et très souvent beaucoup mieux que les artistes,…et c’est ce qui s’est passé pour mon père, avant qu’il ne soit vraiment connu. Il ne voulait pas que je vive ça…
 
BM : C’était au début, quand tu étais beaucoup plus jeune…
VFT : (me coupant la parole) Oui, c’était au tout début. Mais quand tu es débutant, c’est toujours comme ça, c’est comme je te l’ai expliqué,… et puis après, c’est toi qui peut enfin fixer tes conditions. Tu n’es plus là à accepter n’importe quoi.
 
BM : Vu sous un autre angle, c‘est peut être aussi une très bonne école de la vie, non, cette absence de facilité?
VFT : Tout à fait ! Il faut le voir de cette manière, positive, et c’est exactement ce que me disait mon père : «Au début tu apprends, et après, tu sais.». Le musicien est comme le petit d’un animal qui naît dans la brousse: il doit apprendre pour se nourrir, apprendre pour grandir seul, pour vivre, apprendre aussi de quels autres animaux il doit se protéger.
 
BM : Et toi, tu en es où? Es-tu encore en phase d’apprentissage?
VFT : Oui… (silence) Oui, encore un peu. Peut être que dans trois ou cinq ans, lorsque je serai un artiste confirmé, reconnu, alors oui, je vais pouvoir dire que je ne suis plus en apprentissage. Lorsque pour un concert ou un festival les gens diront «C’est lui qu’on veut!». (sourire)
 
BM : Est-ce que ton premier album, ‘Vieux Farka Touré’ t’a permis de t’affirmer comme tu le souhaitais?
VFT : Oui ! Surtout que j’ai vu très peu d’artistes africains obtenir un accueil aussi chaleureux pour un premier album. J’ai été très content de lire tous ces compliments sur moi et sur mes chansons, comme ce que tu as écrit dans Blues Magazine. Ca m’a vraiment touché, car, en plus, on ne se connaissait pas et tu as écrit sur mon disque sans m’avoir rencontré avant. (rire) Mais ce que je veux te dire, aussi, c’est qu’il y a plein d’artistes africains qui sont d’excellents musiciens et qui n’ont pas cette chance, ce bonheur d’être félicité après un premier album,…et ça, tu vois, je suis triste pour eux. Je suis toujours partagé: d’un côté je suis très heureux pour moi, et de l’autre, je suis triste pour beaucoup d’autres artistes africains.
 
  
BM : Et tu penses réagir comment, par rapport à ça?
VFT : En faisant comme mon père, en les faisant déjà jouer avec moi, et en les aidant autant que je le pourrais.
 
BM : Comment sera ton prochain album? Très acoustique?
VFT : Plus électrique, je pense,… Avec quelques morceaux purement acoustiques, pour prolonger le feeling du premier CD, tu vois?
 
BM : Un feeling qui ne va pas sans rappeler celui de ton père….
VFT : Oui, mais c’est parce que nous sommes comme un arbre: mon père est l’arbre et moi, je suis une branche de cet arbre, et dans cette branche, dans les feuilles de cette branche coule la même sève que celle de l’arbre.
 
BM : On m’a dit que dans tes concerts tu joues des titres de ton nouvel album,…comme pour les tester, c’est exact?
VFT : (rire) Oui, tout à fait. Cela me permet de voir la réaction du public à ces morceaux, pour ensuite les arranger ou les modifier,…pour les jouer à nouveau et voir comment réagit le public par rapport à ce que j’ai changé.
 
BM : Et quand, comme hier, une partie du public se met spontanément à danser?
VFT : Alors là, c’est que ça marche bien ! (rire) Mais je ne vais pas mettre des morceaux dansants dans le prochain album.
 
BM : Pourquoi?
VFT : Parce qu’il y a des morceaux qui fonctionnent très bien avec un public face à toi mais qui ne donnent pas la même chose sur disque, tu vois? Quand c’est joué en public, un morceau ‘vit’ avec le public. Il y a une réponse, un échange. Avec le disque, tu as une écoute : ce n’est pas le même échange que lorsque les gens sont là, près de toi, et qu’ils dansent et tapent dans leurs mains.
 
BM : D’où parfois un long solo de percussions en concert…
VFT : (rire) Tout à fait ! Quand je vois un public qui bouge, qui est heureux d’être là et qui en redemande, alors je lui donne ce qu’il attend, et ce qu’il aime. C’est ça aussi, le respect du public: être à son écoute et lui donner ce qu’il aime, pour le remercier d’être là.
 
BM : Pourquoi alors mélanger acoustique et électrique dans ton prochain album? Est-ce que tu ne crains pas que cela va gêner ceux qui aiment t’entendre jouer du blues en acoustique?
VFT : (rire) Mais c’est pour cela que je le fais, ce mélange d’acoustique et d’électrique…! (rire) Je le fais pour que chacun puisse y trouver des morceaux et une atmosphère qu’il aime particulièrement. C’est comme pour les instruments…! Y’a de la guitare électrique, de la batterie, mais il y a aussi de la kora. La kora sera toujours présente dans mes albums. C’est une de mes racines, car c’est une des racines de l’arbre qu’est mon père,… mais c’est aussi ma signature musicale.
 
BM : Comment définirais-tu ta musique?
VFT : Pour ce qui est acoustique, je l’appelle kora-blues, et pour ce qui est électrique, je l’appelle kora-rock. (grand éclat de rire) C’est ça, tu vois…! Je suis celui qui joue du kora-rock. (rire)
 
BM : Et est-ce qu’il y a d’autres surprises que tu réserves sur ce prochain album?
VFT : Sans doute, oui. Sans doute un ou deux morceaux de mon père. Mon père… (long silence)
 
BM : Ton père est toujours très présent en toi…
VFT : Tu vois, avant de commencer mes concerts je me mets toujours dans un coin pour jouer un ou deux morceaux de mon père. Toujours! (silence) C’est pour continuer à être en liaison directe avec lui,… en harmonie avec lui. Et quand parfois lorsque je joue à la guitare et y’a un truc qui ne passe pas très bien, je pense très fort à lui… (silence) et d’un seul coup tout me vient très facilement, et le concert marche super bien.
 
BM : Pour composer tes chansons, tu trouves ton inspiration où? Dans quoi?
VFT : (sourire) Chez nous, en Afrique, il y a tellement de choses autour de nous que tout peut être sujet pour une chanson. Près de mon village il y a le fleuve Niger, pas de voitures mais des arbres,… et puis il y a aussi le sourire des gens, comment vivent ces gens. Et tout cela est une source infinie d’inspiration.
 
BM : Tu composes avec un instrument?
VFT : Oui, toujours avec une guitare.
 
BM : Et la chanson te vient facilement…?
VFT : Oui et non. Ecrire une chanson et la musique qui va avec, c’est du travail. Et moi, je travaille,… je travaille. (sourire)
 
BM : Et c’est pour quand, des chansons en français?
VFT : Ha oui, j’aimerais bien…! Surtout que j’aime bien tout mélanger, comme l’acoustique et l’électrique, la kora avec la guitare électrique. Alors oui, il y aura un jour des chansons en français dans un prochain album, c’est sûr. Surtout que j’aime le français, et j’aime parler français, comme tu l’entends, hein? (rire) Une fois, après un concert, il y a deux jeunes qui sont venus me voir, des jeunes qui font du rap, et ils m’ont dit qu’ils aimeraient bien faire quelque chose avec moi. Ca c’est le genre de choses que j’aime faire: mélanger. Alors pourquoi pas avec du rap. Et puis cela permettrait à des gens d’écouter ce que d’autres font, de les écouter et donc de les respecter. C’est très important de respecter les autres, et de les écouter.
 
BM : C’est ce mélange qu’ont réussi Lobi Traoré et Joep Pelt, avec leur album ‘I Yougoba’ , tu es d’accord avec moi?
VFT : Tout à fait ! Et ensemble ils ont sorti un album formidable, qui est un mélange parfait du blues occidental avec le blues africain, du blues blanc avec le blues noir, et ça, tu vois, c’est formidable…! (sourire) Non, ce n’est pas formidable, c’est magique! Et c’est ce genre de mélange que je veux réussir aussi. Peut être avec ces deux jeunes qui font du rap, qui sait? (rire) Et pour Lobi et Joep, ça a marché parce que comme je te disais tout à l’heure, il y a une écoute, et du respect l’un pour l’autre.
 
BM : Tu as pu rencontrer Joep Pelt quand il est venu au Mali?
VFT : Oui, quand il était venu à Niafunké pour voir mon père. J’avais bien discuté avec lui. C’est un gars très gentil, et un très bon musicien. C’est un gars qui mérite beaucoup de respect!
 
BM : Aurons-nous à nouveau le plaisir de te revoir en France, bientôt?
VFT : (rire) Oui, j’espère bien…!
 
Frankie Bluesy Pfeiffer
 
(*) La kora est un instrument à cordes africain (de 21 à 28 cordes, selon les régions africaines) désigné comme une ‘harpe-luth mandingue’.
La kora est constituée d'une demi-calebasse de 40 à 60 cm de diamètre, percée d'un trou de 10 cm faisant office d'ouïe. Elle est recouverte d'une peau de vache qui sert de table d'harmonie et dont donne toute l'ampleur au son de l’instrument. Le manche de la kora, long de un mètre vingt à un mètre quarante, est fait d'une longue pièce de bois appelée ‘kéno’, qui sert également pour la fabrication des balafons. C’est lui qui assure la tension des cordes grâce à des anneaux ou à des clefs.
Les cordes de la kora reposent sur un chevalet en bois maintenu sur la calebasse par la seule pression des cordes. La plus grosse de ces cordes est appelée ‘bajourou’, la ‘corde-mère’. Les boyaux utilisés autrefois pour la confection des cordes ont été remplacés de nos jours par du fil de pêche, quand ce ne sont pas des cordes de harpe.
La kora se joue debout ou assis, l'instrument placé devant soi.
 
 
Vieux Farka Touré