Interview de Tim Hain

Avez-vous entendu parler de ce que le blues anglais nomme le "bleggae" ? Le bleggae n’est autre qu’un blues façonné par Tim Hain, un auteur-compositeur-guitariste-chanteur qui a cette faculté qu’ont certains génies de la musique à s’approprier, s’imbiber de musiques existantes pour créer, à partir de celles-ci, un univers qui leur est propre, original et novateur. A l’instar de ce qui s’est fait avec le blues et le rap, le blues et les rythmes africains, entre autres, l’entreprise était-elle possible à partir du blues et du reggae ? C’est la réponse que nous sommes allés chercher en rencontrant Tim Hain.

La première chose qui vous frappe lorsque Tim vous reçoit, ce sont ses yeux : lumineux, pétillants, puis son crâne rasé à la Eddie Martin. L’homme est comme son blues, son bleggae : il refuse le confort et les recettes pour mieux officier dans le genre subtil, à l’équilibre fragile. Le mec est classe et son truc à lui n’est pas de venir grossir la liste des bluesmen reconnus qui savent manier une six cordes mais d’oser, de tenter des mélanges explosifs et qui étonnent. Tim surprend et aime surprendre. Le gilet brodé et classieux qu’il porte est à l’image du bonhomme : distingué et d’une grande simplicité.

Tim HainBM : Tim, c’est quoi, le bleggae ?
TH :
C’est un mélange de blues et de reggae. Et le nom bleggae n’est rien d’autre que la contraction des deux mots, blues et reggae.

BM : Comment es-tu arrivé à créer ce style là ? As-tu mis du temps à faire des essais, à chercher,…ou bien est-ce venu comme cela, d’un coup, en te disant que tu devais absolument trouver quelque chose d’original ?
TH :
Non, pas du tout ! (sourire) En fait, cela s’est passé tout simplement : il y a maintenant bientôt deux ans au mois de juillet, je terminais des mixages et plus particulièrement celui de la reprise que j’avais faite d’un titre de Jimi Hendrix, le fameux  Wind Cries Mary, et un de mes copains, qui est guitariste aux Etats-Unis – il a joué avec Lou Reed, tu vois… – mais aussi compositeur,…..bref, on était là, assis dans mon studio à savourer un excellent whisky, et après quelques verres (rire) je lui ai joué ma version de Wind Cries Mary et il a adoré… ! Il est devenu complètement dingue, me tapant sans cesse sur l’épaule en me disant que j’avais là un son d’enfer. Et c’est là qu’il m’a dit “Tu as inventé le bleggae”. Voilà comment tout a commencé. (rire). Sur un titre de Jimi Hendrix.

BM : Un blues mâtiné de reggae sur du Hendrix, c’est très provoc, tout de même…
TH :
C’est vrai que ce n’est pas évident de toucher à un titre de Hendrix, mais le blues est une musique vivante, qui n’est pas formelle, et à ma façon je fais ce que des bluesmen blancs ont fait avec le blues africain, je m’inspire, je fais vivre ce blues que l’on ne doit surtout pas laisser figé dans un carcan de règles établies. Le blues était à l’origine l’expression de la souffrance et de la colère des noirs qui travaillaient dans le coton et le reggae a été aussi l’expression d’une révolte, d’une colère des jamaïcains ; j’ai mis en liaison ces deux musiques, pour les ‘ouvrir’ l’une à l’autre, et le faire à travers des titres comme Wind Cries Mary de Jimi Hendrix était très provoc, c’est vrai, mais c’était là, en moi, et fallait absolument que je le fasse. Le genre de truc qui est plus fort que toi.

BM : Et après avoir enregistré ce titre de Jimi Hendrix, c’est là que tu as décidé de créer des chansons dans ce nouveau style, le bleggae ?
TH :
Non, pas du tout. Les chansons, je les avais déjà ; le style, je l’avais déjà. Ce qui me manquait, et sans que j’en ai eu conscience ou le besoin de lui donner un nom, c’était de qualifier ce son que j’avais créé. Ma musique était déjà là, tu comprends,… le nom est venu après.

BM : Cela veut dire que tu avais déjà travaillé sur plusieurs titres avec ce son bleggae. Des compos ou des reprises ?
TH :
Les deux. Je travaillais à la préparation de mon nouvel album et j’avais déjà prévu d’y mettre un quart des titres avec des reprises et les trois quart restants avec mes propres chansons.

BM : Pourquoi ce mélange ?
TH :
Hé bien parce que j’écris beaucoup… C’est ce que je fais en priorité, tu sais, écrire des textes et composer, mais au fil des années il y a certaines chansons qui ont été très bien reçues quand je les chante en concert, comme cette version de Wind Cries Mary, ou ma version de Need Your Love So Bad. C’est pour ça qu’il m’a semblé normal de les mettre sur cet album.

BM : Comment ont réagi les gens autour de toi à la sortie de cet album ? Tes amis, le public anglais, la presse…
TH :
Cela a été très drôle d’entendre et de lire tant d’opinions différentes sur cet album… ! Un producteur jamaïcain m’a dit : “Tes reprises sont super, mais ta propre musique est tellement bonne… Laisse tomber les reprises.”, et puis il y a un autre gars, chroniqueur pour un magazine de Blues, ici en Angleterre, qui m’a dit : “Rien que ta version de Jimi Hendrix vaut le prix de l’album !”. Il y en a eu aussi qui ont crié au sacrilège ou qui ont râlé parce qu’un blanc touchait à ces deux musiques, le blues et le reggae. Comme si la musique devait être réservée à une couleur de peau… D’ailleurs si t’écoutes tout monde, tu ne t’en sors jamais. Il faut faire ce que ton coeur te dit de faire, c’est tout.

BM : J’ai comme l’impression aussi que tu as réfléchi et voulu l’ordre des titres proposés dans cet album. Exact ?
TH :
Oui et non (sourire). Voilà comment ça s’est passé : j’ai fait écouter la maquette de l’album à un de mes copains, qui est un acteur jamaïcain, et il l’a adoré. Le Reggae, c’est sa vie, tu sais, et il m’a tout simplement dit qu’il adorait tout ce qu’il était en train d’écouter. Il était emballé, estimant que j’avais créé là la meilleure combinaison entre ces deux musiques. Et quand il a entendu le morceau de Hendrix, que j’avais placé au milieu de l’album, il m’a dit : “Ca, ce devrait être le deuxième morceau sur l’album,…. Pour que les gens comprennent tout de suite qui tu es, et ce que tu fais !”. Et puis une autre personne qui bosse dans les relations publiques a écouté la maquette modifiée et m’a dit : “Tu ne devrais pas avoir de reprises au début, sinon tout le monde va croire que tu es juste un artiste qui fait des reprises.” Alors qu’est-ce que je fais ? (sourire)

BM : Pour tous les français qui ne te connaissent pas encore, pourrais-tu leur dire en quelques mots comment tu es venu au blues, et ce que tu penses être important à dire sur toi…
TH :
(rire) Il n’y a rien d’important, juste des anecdotes, des petites choses qui font que je suis guitariste et un bluesman blanc (sourire). J’ai découvert le blues quand j’étais très jeune, et puis au milieu des années 80 je me suis trouvé plongé dans le reggae.

BM : Voilà… ! Et ceci explique cela…
TH :
Sans doute… (sourire) J’étais guitariste pour beaucoup d’artistes reggae qui venaient en tournée ici, et puis, il y a 8 ou 10 ans, quand j’ai commencé à faire des concerts, j’ai joué la musique que je jouais avec les autres, et que j’aimais. J’ai mis la main sur un bon duo bassiste-batteur et qui, tu ne vas pas me croire, étaient rastas, et nous avons joué ensemble la musique qui nous venait de l’intérieur, très naturellement : du Bob Marley bien sûr, mais aussi beaucoup de blues….Et c’est là que j’ai commencé à mélanger ces deux musiques et toutes leurs influences pour jouer ce que j’appelle maintenant le bleggae,…et  qui n’avait pas de nom avant l’année dernière (rire).

Tim HainBM : C’est ton premier ‘grand’ CD…
TH :
Oui, on peut dire ça comme ça. J’ai fait deux albums avant celui-ci, mais qui étaient, à mon avis, sans vraiment beaucoup de fond, ou de vision. L’un des deux ne s’est pas mal vendu mais ce n’était pas vraiment une représentation du son que je peux produire. Mojo est un album plus accompli, plus peaufiné,…

BM : Une étape importante pour toi…
TH :
Oui, je crois que oui, parce que je l’ai tout d’abord enregistré chez moi, à ma propre allure, et j’ai pu ainsi mettre en avant le son que j’ai développé au fil des années. C’est aussi le premier album où je propose des titres que j’ai joués et rejoués en concert. Ce que je veux dire, c’est que je n’aime pas enregistrer une chanson sans l’avoir interprétée auparavant en ‘live’, parce qu’une chanson qui n’a connu que les studios d’enregistrement n’existe pas encore vraiment,…pour moi. Une chanson n’existe pas vraiment tant que tu ne l’as pas interprétée. La chanter en live, la faire vivre est quelque chose de magique, de mystique qui se passe. C’est Willie Nelson qui, en réenregistrant des titres qu’il avait écrits il y a 30 ans a dit : “C’est seulement maintenant, après 30 ans que je peux faire justice à ces chansons parce que ça m’a pris tout ce temps pour comprendre cette chanson et la faire vivre,…même si c’est moi qui l’avais écrite.”. Pour moi une chanson est comme un enfant, il a sa propre vie à vivre…

BM : Comment vois-tu le ou les prochains albums… ?
TH :
J’ai plein de projets en tête mais j’aimerais surtout faire un album qui soit un véritable concept de groupe, dans lequel je ne serais pas le chanteur principal du groupe. Revenir à un truc comme les Beatles ou Fleetwood Mac, avec plusieurs chanteurs.

BM : Et tu as déjà pensé au nom du groupe ?
TH :
Pour Mojo j’ai mis “Tim Hain and The Sunnysideup”, alors ça pourrait être “The Sunnysideup” (rire).

BM : Un autre projet qui te tient à cœur ?
TH : Oui, je travaille sur une nouvelle série de titres, pas nécessairement dans le style bleggae,… des chansons sur les courses automobiles. Depuis que je suis gosse, j’adore les courses automobiles, surtout celles des années 60. Je prépare également un livre sur ce sujet et c’est le grand Stirling Moss qui en a écrit l’avant-propos. Et comme j’avais déjà écrit quatre chansons sur le thème des courses automobiles,…tu devines ce que sera la suite…(sourire)

Francky Bluesy Pfeiffer
Blues Magazine – Paris On The Move
 Octobre 2007

Tim Hain