Interview de Saga – blues music – CD Le monde est têtu

Préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer, le 21 janvier 2009
© photos : Bruno Pellerin, Angélique Le Goupil (AWcreation.com) & Frankie Bluesy Pfeiffer
 

Saga, c’est un pseudo, une présence, une voix. Français installé en Californie, Saga chante le blues, et en français ! Son dernier opus, ‘Le monde est têtu’, est à l’image du bonhomme : direct, sans langue de bois. Et c’est en français qu’il chante aux States, imposant son style et ses chansons aux paroles finement ciselées,… alors qu’en France il est encore boudé par les médias et que d’autres chanteurs français s’escriment à vouloir composer et chanter en anglais.
De passage à Paris pour quelques jours, Saga nous a consacré un long moment, histoire de répondre à nos questions et de nous dire en face tout ce qu’il pense, ce qu’il ressent, et nous exprimer cette envie qui le tenaille encore : chanter en France.
 
 
BM : Ton nom, Saga, c’est ton vrai nom ou un pseudo ?
Saga : C’est un pseudo (sourire). Je l’ai adopté à l’époque des radios libres, quand j’en faisais avec Daniel Guichard. Si tu te rappelles, il fallait avoir des noms très courts, car c’était la mode. J’avais entendu un groupe de heavy metal rock qui s’appelait Saga et c’est ce nom là que j’ai gardé pour moi (sourire). Et puis après, je suis devenu comédien. Je n’ai pas cherché midi à quatorze heures, c’était comme ça, voilà.
BM : Justement, si tu pouvais nous dire deux mots sur ce parcours de comédien…
Saga : Au départ, je suis un comédien. Je suis allé au Cours Simon et j’ai fait 4 ans de théâtre classique. J’ai fait mes classes avec des gens comme Bernard Campan, qui jouera avec les Inconnus, Zabou Breitman, Dominique Pinon, Chevallier et Laspalès, et puis plein d‘autres. Après ma formation, j’ai eu la chance d’aller en Italie, où j’ai fait une dizaine de films. Puis j’ai commencé à faire aussi du théâtre là-bas.
 
BM : Tu parlais l’italien couramment ?
Saga :
Je parle l’italien, l’anglais et le français. Une partie de ma famille est originaire du Piémont mais en fait, j’ai appris l’italien là-bas, sur place, quand j’étais comédien. Ca t’étonne ? (rire) Après, je suis retourné en France, mais la mentalité et l’état d’esprit d’ici ne me plaisaient pas trop. Ce que je veux dire, c’est qu’en Italie c’est un grand bordel, mais c’est un bordel sympathique et créatif. Les gens sont sympathiques, et moi j’aime ça. Ici, à Paris, par rapport à ce que j’avais vécu en Italie, la mentalité ne me plaisait pas vraiment, alors je suis parti aux Etats-Unis. C’est un pays qui me faisait rêver. Alors je suis parti, sans me poser de questions,… et j’y suis resté. (sourire)
 
BM : Pour faire quoi ? Acteur ?
Saga : Non. En fait, en Italie, j’avais commencé à chanter pour des spectacles de théâtre. Les gens avaient aimé ma voix,…. qui a un grain très particulier, si on peut dire (sourire). Et quand je suis arrivé aux USA, c’était avec mon gros bagage d’acteur,…et mon tout petit bagage de chanteur.
BM : Tu n’avais jamais fait de musique avant ces spectacles-là, pas de conservatoire, d’école de chant ?
Saga : Non. La musique, je l’ai apprise avec les musiciens, là-bas, ce qui est un avantage pour moi !
 
BM : Comment cela, un avantage ?
Saga : Oui, (sourire) parce que n’ayant pas de formation musicale, je suis complètement libre dans la création. Je ne me pose pas la question de savoir si c’est possible ou non. Si par exemple on me dit «Mais ce n’est pas du blues !», moi je m’en fiche. Parce que ce qui m’intéresse ce n’est pas la grille du blues, ce n’est pas le ‘carton’ qui va avec qui m’intéresse, c’est l’état d’esprit, le message que l’on fait passer. C’est cela que je recherche. L’une de mes références, tu vois, c’est John Lee Hooker, qui était un gars qui faisait ce qui lui passait par la tête. Il jouait, et les autres musiciens suivaient. Il faisait ce qu’il voulait. C’est ça, l’esprit du blues !
 
BM : Toi qui écris et chantes en français, tu appréciais la chanson française ?
Saga :
Oui,…oui. Dans ma famille on écoutait Georges Brassens, Jean Ferrat, Léo Ferré, que j’adore, et puis après j’ai écouté du blues électrique, avec des incontournables comme les Stones. Le blues est une musique qui me touche énormément, qui a une efficacité énorme dans ce qu’elle ‘donne’,… et puis, les Stones, les Doors, Led Zep, c’est bien du blues.
 
BM : Tu as toujours été branché blues, comme cela ?
Saga : (sourire) A une certaine période de ma vie j’étais très branché heavy metal, sur AC/DC, par exemple,… mais c’est aussi du blues, non ? (rire) Le blues, c’est une musique humaine, qui me fait vibrer, car j’adore les mots et raconter les histoires. Mais pour moi, composer et créer des chansons ce ne doit pas être du copier-coller, et c’est ce que je reproche un peu au blues à la française.

BM : C'est-à-dire ?
Saga : Ce que je reproche à certains auteurs et musiciens français, c’est de faire une mauvaise imitation de la musique américaine. Et ça, c’est dommage ! Cela ne sert à rien de plagier, d’imiter. C’est leur musique, elle est à eux, et puis c’est beaucoup plus excitant de créer. Moi, j’en suis à mon quatrième album. Les trois premiers ont très bien marché aux Etats-Unis et au Canada alors qu’aucun d’eux n’a marché en France. Ils sont passés inaperçus, et même l’avant-dernier n’a jamais été distribué en France,… alors que ce sont des albums en langue française !
BM : Problème de distributeur ?
Saga : Oui et non. En fait, il y a pas mal de raisons… (silence)…
 
BM : Et ton dernier album, tu ne le vends que par Internet, exact ? Tu dépends donc totalement d’internet…
Saga :
Bien sûr !Je pense même que mon prochain album, je vais le donner, tu vois. (rire) Oui, le donner. Je vais le donner parce que j’ai une autre approche, une autre vision de la musique.  Sans doute que je le proposerai en téléchargement libre.  Le problème des maisons de disques, c’est qu’ils n’ont pas anticipé ce qui allait se passer avec internet, et maintenant ils hurlent au loup, parce que l’industrie du CD se casse la gueule également. Ils auraient mieux fait d’y réfléchir avant, et d’agir. Quand un mec achète un CD à 15 euros et qu’il n’a que deux ou trois bons titres dessus, comment va-t-il réagir ensuite, le mec ? Tu crois vraiment qu’il va ensuite acheter d’autres CD les yeux fermés, parce que y’a une grosse promo sur ces albums ? Et si les CD étaient vendus 5 ou 6 euros seulement, peut être que beaucoup plus de gens iraient les acheter, histoire d’avoir un super son plutôt que d’écouter des copies compressées sur internet. Ce n’est pas la peine de crier au loup, il faut innover, faire des choses pour que le plus de gens possible puisse t’écouter, et venir à tes concerts. Tu sais, ce que je fais lorsque je chante en France, c’est que j’offre un CD à toute personne qui achète un billet pour venir me voir en concert. Et ça c’est une manière de montrer au public que tu le respectes, et que tu apprécies qu’il vienne te voir. Moi, ce n’est pas le CD qui m’intéresse, c’est la scène. Et pour moi, pour le moment, la scène ce n’est pas vraiment ici, en France, mais aux States, où je fais plus de 150 concerts par an.
 
BM : En chantant uniquement en français ?
Saga : (sourire) Bien sûr ! Et ça ne pose aucun problème aux gens. D’ailleurs ce sont les mêmes qui vont écouter Popa Chubby. Ca t’étonne ?
 
BM : Un peu, oui, parce que tes paroles sont tout de même importantes dans tes chansons.
Saga : Oui c’est vrai. Mais contrairement à ce que l’on pense, il y a beaucoup d’américains qui sont francophiles.
 
BM : Mais pourquoi ne pas chanter en anglais ?
Saga :
Parce que ce n’est pas ma langue. Et puis en français, je peux utiliser dix mots différents pour exprimer la même chose, jongler avec des constructions différentes. Je m’exprime avec des couleurs, des nuances, des images différentes, tu comprends? Alors qu’en anglais, c’est beaucoup plus cadré, beaucoup plus direct, et donc pour moi, écrire en anglais, ce n’est pas aussi coloré ou nuancé qu’en français. Surtout que j’ai une façon très personnelle d’écrire, je pense,…. parce que mon écriture est très cinématographique. Quand on lit mes textes, on voit des images qui arrivent tout de suite. En deux ou trois mots je dessine un personnage et je le place dans un lieu, et je le fais vivre. Ceci étant, peut-être que dans mon prochain album, il y aura un ou deux titres en anglais. (sourire)
BM : Tu pourrais par exemple proposer sur un prochain CD un mélange de chansons en français et de chansons en anglais, pour voir quel accueil serait réservé à tes chansons en anglais, notamment sur le marché américain ?
Saga : Oui,…et j’y pense, bien entendu, mais encore une fois, pour moi, aux Etats-Unis, musicalement on n’a rien à leur apprendre. Juste un exemple: mes deux voisins les plus connus sont Carlos Santana et Tom Waits. Des références, tu vois. Et le mec qui habite le ranch à côté du mien, c’est le producteur des Doobie Brothers. Et tous les ans, au mois de septembre, il organise un festival dont les recettes vont aux vétérans du Vietnam, et d’Irak, maintenant,… un festival où il y a les Doobie Brothers, bien sûr, mais aussi Taj Mahal et beaucoup d’autres, et moi j’y suis invité aussi. Cela dure un week-end et il y a trois mille personnes qui y assistent. Et donc, pour en revenir à la musique, moi je ne me voyais pas entrain de copier leur musique, et de chanter en anglais. Ils n’ont pas besoin de moi pour ça ! Moi, j’ai toujours dit je suis français, j’écris mes chansons et je raconte mes histoires en français, et ensuite, si ça marche ou pas, on verra bien… ! (rire) De toute façon, en France, dans mon propre pays, je n’avais aucune porte qui s’était ouverte et je n’avais donc rien à perdre (rire). Par bonheur, j’y suis arrivé aux States. Je m’en sors, et je vis de ma musique. 

BM : Tu as toujours quelque chose sur le cœur par rapport à la France ?
Saga : En fait, et pour être très clair, je n’en veux à personne. Les portes qui ne s’ouvraient pas, je ne voulais surtout pas que ça devienne de l’aigreur,… et puis heureusement pour moi, aux Etats-Unis, cela se passe bien. (silence) Non, par rapport à la France, je suis juste un peu triste. (silence) Ce qui me rend triste, ce n’est pas d’être un chanteur connu – d’ailleurs cela ne m’intéresse pas du tout d’être connu ou pas – mais qu’on ne me laisse pas la chance de me présenter au public français, de lui montrer ce que je chante. On ne passe pas mes disques à la radio, alors comment faire pour que les gens écoutent ce que je fais ? J’avais même eu l’idée, une fois, de faire distribuer mes CD aux stations de métro, en les donnant aux gens qui passent, pour que les gens puissent m’écouter. Ce serait génial, non ? (rire)
BM : On ne passe pas tes disques à la radio, en France, mais aux States ?
Saga : Là-bas je suis programmé sur 700 radios, tu vois. Je fais partie du gratin de la musique West Coast et je suis présent sur les CD de compilations. La première fois qu’ils m’ont contacté, je leur ai dit « Attends, t’as bien écouté mon album ? Je chante en français. », et ils m’ont répondu « Il est où, le problème ? ». Tu vois la différence… ? (rire) Ce sont eux d’ailleurs qui ont commencé à me surnommer le Tom Waits français. Mais je n’aime pas trop cette comparaison. J’ai trop d’estime et d’admiration pour Tom Waits pour pouvoir accepter un tel surnom.
BM : Pour moi, sincèrement, je trouve que ta voix ressemble plus à celle de Fred Blondin.
Saga : Ha oui… ! D’ailleurs au dernier concert qu’on a fait ensemble, on a fait un duo sur une chanson de Gainsbourg, et là, si tu avais pu éteindre toutes les lumières, tu aurais été incapable de savoir qui de nous deux chantait. (sourire)
 
BM : Et si les portes s’ouvrent, en France ?
Saga :
Je serais ravi de venir. Je n’ai rien contre la France, j’y ai ma famille, mes amis, mes musiciens… Oui, je serais ravi. Tu sais, l’hiver dernier j’ai fait 8 concerts sur la région parisienne, et à chaque fois c’était plein à craquer.

BM : Tu peux nous dire qui sont ces musiciens, justement?
Saga :
Oui, ce sont Georges Bodossian à la guitare,… c'est d'ailleurs avec lui que je compose et écris le prochain album ; il y a aussi Eric Surowy à l'harmonica et Christophe Vassiliadis à la guitare. C'est ce trio qui m'a accompagné lors de la tournée de printemps, dans l'ouest des States.

BM: Et ceux qui t'accompagnent en ce moment?
Saga :
Les musiciens américains qui m'accompagnent en ce moment pour la tournée acoustique sont Paul McBurney, à la guitare, et Lina Perlas, à la guitare et au dobro.

BM : Pour revenir à ton dernier album, et à tes chansons: comment composes-tu ? Et comment travailles-tu avec Paul McBurney ?
Saga :
Ca dépend des chansons. Quelquefois il m’amène des musiques et je craque dessus, et ensuite je fais les arrangements. Pour d’autres, je lui dis que cette partie là ça ne me plait pas, mais par contre que la musique sur le couplet me plait bien. Et puis ça m’arrive de réadapter, de réécrire un texte s’il y a quelque chose qui ne colle pas. Par exemple le dernier titre du dernier album, San Francisco, je n’étais pas entièrement satisfait de la version qu’on avait enregistrée en studio, alors on en a joué une version plus rythmée, et finalement la version originale je l’ai gardée également. (sourire)

BM : Et le prochain album ? Il sera également acoustique ?
Saga : Non. Ce sera un album totalement électrique, plus dans le style de Tony Joe White, tu vois ? Il sera écrit en France et enregistré aux Etats-Unis.
 
BM : Tu as déjà écrit les chansons ?
Saga : Non, parce que je n’ai pas encore écouté les musiques. Mais j’écris toujours… ! (sourire)
 
BM : Et tu gardes quel pourcentage de ce que tu écris ?
Saga : Dix pour cent.
 
BM : Et le reste ?
Saga : Le reste ? Le reste, c’est poubelle, et ma femme fait les poubelles. (rire)
BM : Et elle garde ce qu’elle trouve ?
Saga : Je crois, oui (rire). Tu sais, des fois j’écris une ou deux phrases dans un cahier et je le referme, parce que rien d’autre ne vient, et puis une ou deux fois par an, je me replonge dans mon cahier et je relis ce que j’ai écrit. Et puis avec deux phrases prises ici et là, je peux avoir un déclic. Même avec juste un mot. J’écris selon les émotions, j’écris beaucoup par rapport à ce qui se passe dans la vie, à ce que j’espère, à ce que je vois, et comment les gens se comportent.
 
BM : Il y a quelque chose d’écorché vif en toi, et parfois tu es très proche de Léo Ferré dans ton expression. Très dur…
Saga : Oui, tu as tout à fait raison. (silence) Je pense que j’ai l’expression poétique, mais ça n’empêche pas la violence. Et lorsque j’écris, c’est avec une vraie recherche stylistique, un véritable travail sur les mots. Comme dans la chanson ‘Aujourd’hui dans la rue’, où en quelques mots je te dessine une image de SDF qui est sans doute pour certains très dure à regarder en face. Mais c’est ma manière d’exprimer les choses, de les traduire dans l’écriture.
 
BM : Dans ton écriture, justement, il y a des jeux de mots à la Gainsbourg et la violence chantée de Léo Ferré…
Saga : Cela me fait plaisir que tu le ressentes ainsi, et c’est pour ça que j’aime écrire en français, parce que même si je maîtrise parfaitement l’anglais, cette façon de m’exprimer en français, cette poésie, je ne l’aurais peut-être pas en anglais. Quand tu écris une chanson, tu n’écris pas une nouvelle sur cinquante pages ; tu veux raconter une histoire mais tu n’as que vingt lignes maximum, et encore, il y a le refrain. 

BM : Et écrire ces textes, c’est un gros boulot ?
Saga : (silence) Généralement cela vient souvent comme un jet. Après, je retravaille mes textes, mais globalement ça sort quand même sur une émotion. Quand je me balade dans les forêts près de chez moi, ce sont des émotions, et quand je regarde les gens, ici, à Paris, ce sont aussi des émotions. Et une chanson peut venir de là, d’un regard, d’un seul regard.
 
BM : Avant de te souhaiter un bon retour vers la Californie, puis-je savoir si l’on aura le plaisir de t’entendre en France, en 2009 ?
Saga : J’espère… ! J’espère…. ! (rire)
 

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Frankie Bluesy Pfeiffer
Saga