Interview de Richard Galliano pour la sortie de New Viaggio

Richard Galliano – New Viaggio

Interview de Richard Galliano pour la sortie de New Viaggio (réédition)
ITW réalisée par Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio

New Viaggio: Un nouveau voyage pour un ancien chef-d’œuvre

Dans la grande histoire du jazz, l’Europe a toujours tenu un double rôle: celui d’hôte enthousiaste des légendes américaines, mais aussi celui de berceau pour des innovateurs locaux. Peu incarnent ce second rôle aussi pleinement que Richard Galliano. Avec son accordéon, instrument plus volontiers associé aux cafés parisiens qu’aux clubs new-yorkais, il a tracé une nouvelle voie, faisant entrer une voix autrefois jugée «pittoresque» dans le sérieux du discours jazzistique moderne.

En France, la carrière de Galliano reste indissociable de celle de Claude Nougaro, ce chanteur qui prouva que la langue française pouvait swinguer avec la même intensité que l’anglais. Mais la portée de Galliano a toujours été plus large, franchissant continents et genres, de ses collaborations avec Astor Piazzolla à ses enregistrements avec Chet Baker, Al Foster, Wynton Marsalis ou encore Jan Garbarek. Sa musique a longtemps brouillé les frontières: chanson et tango, bebop et musette, tout cela faisait partie d’un même langage.

Aujourd’hui, en 2025, Galliano revient sur un chapitre clé de son parcours: l’album Viaggio, paru en 1993, réédité sous le titre New Viaggio. Pour lui, ce titre n’a rien d’anodin. Le voyage n’est pas terminé. Il ne l’a jamais été.

L’interview

Ces dernières années, la réédition d’albums classiques est devenue une manière non seulement de préserver des héritages mais aussi de réintroduire des œuvres marquantes auprès d’une génération qui préfère le streaming à la collection de disques. Pour Galliano, Viaggio représente à la fois un jalon précoce et une déclaration d’indépendance artistique.

Thierry De Clemensat: Richard, merci d’avoir pris le temps de cette conversation. Commençons par l’évidence: qu’est-ce qui vous a conduit à rééditer aujourd’hui ce remarquable album, plus de trente ans après sa sortie initiale?

Richard Galliano: Ajouter du nouveau matériel à une réédition n’est jamais une décision anodine. Pour beaucoup d’artistes, cela peut risquer de rompre l’équilibre original de l’œuvre. Chez Galliano, en revanche, la réinvention a toujours fait partie du voyage, il traite la musique comme une langue vivante, et non comme une pièce de musée.

Thierry De Clemensat: Avec cette réédition, vous avez choisi d’ajouter quelques nouveaux morceaux. Qu’est-ce qui vous a motivé? S’agissait-il de retrouver l’esprit de l’album original ou de l’étendre pour refléter votre parcours actuel?

Richard Galliano: J’ai découvert que toutes les prises étaient dignes de figurer sur ce nouvel opus. J’ai dû malheureusement n’en choisir que quelques-unes.

Les années 1990 représentaient un moment culturel bien différent pour le jazz en Europe. Il y régnait un certain optimisme, un désir de relier tradition et modernité, d’embrasser des influences globales sans perdre son identité. Écouter Viaggio aujourd’hui fait résonner cet esprit, mais rappelle aussi la mémoire de musiciens qui ont marqué l’album et qui nous ont quittés depuis.

Thierry De Clemensat: Il y a, inévitablement, une part de nostalgie en réécoutant Viaggio. Non seulement parce que les années 1990 semblent si éloignées des années 2000 et 2020, mais aussi parce que l’album fait entendre deux musiciens disparus: Pierre Michelot, qui accompagna Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud, et Charles Bellonzi, batteur du titre emblématique de Claude Nougaro «Tu verras». Leur présence fait de Viaggio non seulement un enregistrement mais aussi une page d’histoire du jazz. Pouvez-vous nous raconter comment ces collaborations ont vu le jour à l’époque? Comment les aviez-vous rencontrés et vécus en studio?

Richard Galliano: Cette section rythmique est de loin la meilleure avec laquelle j’ai eu le plaisir de jouer. Je connaissais Pierre Michelot depuis longtemps pour avoir joué plusieurs fois avec lui dans ke spectacle intitulé «Java Forever» avec Roland Petit et Zizi Jeanmaire. Quant à Charles Belonzi, nous étions amis depuis des années (originaire de Nice, Côte d’Azur, comme moi). Et pour Biréli Lagrène, nous nous sommes rencontrés pour la première fois lors de cet enregistrement (sur le conseil d’Yves Chamberland).

Certains morceaux portent un tel poids de mémoire qu’ils dépassent la simple interprétation. «Tango pour Claude», l’hommage de Galliano à Nougaro, en fait partie dun dialogue à travers le temps, entre l’accordéon et la voix imaginée d’un ami disparu. Pour le jazz français, ce morceau est presque devenu un hymne, incarnant une filiation culturelle où chanson et jazz s’entrelacent naturellement.

Thierry De Clemensat: Pour ma part, et je ne suis pas seul, j’ai toujours le cœur serré lorsque je vous entends jouer «Tango pour Claude». Ce morceau possède une charge émotionnelle telle que l’on croit presque entendre la voix magistrale de Nougaro se poser sur vos lignes. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce titre, et ce qu’il signifie encore pour vous aujourd’hui?

Richard Galliano: C’est Claude Nougaro qui m’a demandé de lui composer un «tango rock» et il l’a chanté sous le nom de «Vie Violence».

Si l’accordéon paraissait autrefois cantonné aux traditions populaires, Galliano a brisé cette image. Ce faisant, il n’a pas seulement tracé sa propre voie, il a aussi ouvert la route à de nouvelles générations. En France comme ailleurs, des musiciens tels que Maxime Perrin ou Vincent Peirani témoignent de l’influence durable qu’il a exercée et de la transformation qu’il a imprimée à l’instrument.

Thierry De Clemensat: Avez-vous conscience que, tout au long de votre carrière, vous avez profondément changé l’image de l’accordéon? Et que vous avez suscité de nouvelles vocations, avec de grands accordéonistes comme Maxime Perrin ou Vincent Peirani?

Richard Galliano: Si je devais citer 7 accordéonistes actuels dont je suis «fan», les voici: Mestrinho, BB Kramer, Nonato Lima, Roberto Gervasi, Federico Gili, Vince Abbraciante, Seymur Hasansoy, Lionel Suarez… et beaucoup d’autres en France, Italie, Roumanie, Brésil.

Enfin, chaque réédition porte l’empreinte du présent. En invitant le guitariste Adrien Moignard et le contrebassiste Philippe Aerts à rejoindre ce projet, Galliano relie passé et avenir, esprit originel et résonance contemporaine. Ce n’est pas seulement de la nostalgie, mais une continuité, une affirmation que le voyage, le viaggio, se poursuit.

Thierry De Clemensat: Sur New Viaggio, vous avez convié deux nouveaux musiciens: Adrien Moignard à la guitare et Philippe Aerts à la contrebasse. Qu’est-ce qui vous a conduit à les choisir pour cette réédition, et qu’apportent-ils à la musique qui vous paraît essentiel en 2025?

Richard Galliano: Je joue avec Philippe Aerts depuis plus de 25 ans, et je le place au même niveau que des légendes comme Ron Carter, Pierre Michelot ou Charlie Haden. Pour moi, Adrien Moignard est l’égal de Biréli Lagrène. Ces deux musiciens sont géniaux, d’une grande humanité et de très chers amis.

En guise de conclusion

La réédition de Viaggio est bien plus qu’un regard en arrière. C’est un rappel que le jazz européen, autrefois perçu comme une simple imitation, a mûri pour devenir une tradition à part entière, avec ses propres voix, ses propres icônes, et même ses instruments transformés. Richard Galliano est depuis longtemps l’une de ces figures transformatrices. Avec New Viaggio, il ne se contente pas de rouvrir un ancien chapitre: il en écrit un nouveau, affirmant que l’accordéon a encore bien des histoires à raconter.

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Chronique de l’album New Viaggio sur Paris-Move
Un album noté “indispensable” par la rédaction de Paris-Move

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