Interview de Philippe MENARD

Interview de Philippe MENARD, le 2 octobre 2020
Interview préparée et réalisée par Patrick Dallongeville (Paris-MoveBlues Magazine, Illico & BluesBoarder)
Photos: Samuel Rames & Brigitte Ménard

Cela fait plus de quatre décennies que ce forçat du boogie-blues arpente nos scènes (d’abord en groupes, puis en solo). Personnage aussi chaleureux que haut en couleur, Philippe MENARD en a avalé, des couleuvres et des kilomètres, pour se maintenir à flot parmi les remous et aléas de la musique du diable en milieu hexagonal. Il vient de nous gratifier d’une double galette bien roborative. L’occasion était trop belle de le cuisiner à notre tour!

(Info du rédacteur en chef : Les photos de Philippe MENARD mises en ligne ici sont en très basse résolution pour éviter toute utilisation de celles-ci sans l’accord des photographes. Pour obtenir des photos en haute résolution, contactez nous par email à info@paris-move.com)

Patrick Dallongeville: Bonjour Philippe. Avant tout, félicitations pour cet excellent double album, dont tu nous gratifies à présent.

Philippe Ménard: Merci beaucoup, Patrick.

Patrick Dallongeville: On y retrouve sans surprise l’essentiel de tes références depuis plus de quarante ans: Rory Gallagher, bien sûr, mais aussi les Stones, le country blues et Hendrix, avec même des touches de folk et de funk…

Philippe Ménard: Exact, plus le temps passe et plus je me dis qu’il faut ignorer les barrières qu’on se met soi-même, inconsciemment ou pas, et faire ce dont on a envie sans se soucier des modes et des cases.

Patrick Dallongeville: Sur le plan des paroles, que tu as tenu à faire imprimer dans le livret accompagnant ce coffret, tu exprimes quelques préoccupations personnelles. “An Eye For An Eye”, par exemple…

Philippe Ménard: C’est un texte à deux facettes: le premier couplet est sur le retour de bâton subi par une personne un peu trop dominatrice, et le deuxième suggère que les problèmes mondiaux actuels (climat, virus, inondations..etc…) ne sont que la vengeance logique de mère Nature. Dans les deux cas, c’est œil pour œil, dent pour dent…

Patrick Dallongeville: “The Golden Watch”, ça parle de la panne d’inspiration?

Philippe Ménard: Oui, moi qui ai du mal à écrire mes textes, je me torture pas mal la tête pour quelques strophes, alors j’imagine le désarroi d’un vrai poète devant la feuille désespérément blanche… et je vois ça assez insupportable!

Patrick Dallongeville: “Hey, Girl, Don’t You Cry”, des prédateurs sexuels?

Philippe Ménard: C’est vrai que cette histoire totalement inventée collerait bien avec le parcours d’un Dutroux ou d’un Fourniret et je pensais un petit peu à eux en l’écrivant, mais c’est plus proche de l’enlèvement du gosse de Lindberg (l’aviateur). Il n’est pas question de sadisme, juste de pognon.

Patrick Dallongeville: “Fake News” de ce qu’on appelle “le choc des civilisations”?

Philippe Ménard: L’idée du texte de ce morceau a pour origine le discours lamentable de Trump après le succès de l’expédition d’un commando parti tuer le chef d’Al Qaida. Son coté naturel de redneck mal dégrossi persuadé d’être le sauveur du monde des gentils contre les méchants est remonté à la surface, et sa façon de raconter l’opération avec force détails en bavant de plaisir m’a vraiment énervé et dégouté, et en bon athée convaincu, j’ai voulu rappeler à ceux qui veulent bien l’entendre que les crimes tels que pendaisons, assassinats, décapitation etc. ne datent pas d’hier, et que toutes les religions (sectes) en ont leur part. Les conquistadors et les croisés, par exemple, étaient aussi des fous de Dieu.

Patrick Dallongeville: Et “Oh What A Lovely Day”, des hauts et bas de la vie maritale, c’est bien ça?

Philippe Ménard: Celui là, c’est beaucoup plus léger, c’est l’histoire classique (…disons blues) du gars qui se réjouit du départ de sa femme, croyant qu’une chouette nouvelle vie s’offre à lui, et qui déchante rapidement. Je tiens à préciser que c’est une histoire purement fictive. La preuve, c’est que le morceau suivant (“She’s My 6L6, My EL34”), est une déclaration d’amour à ma chérie qui est ma lampe de puissance (ceux qui jouent sur des amplis à transistors ne peuvent pas comprendre) .

Patrick Dallongeville: C’est déjà ton douzième album en 25 ans de carrière solo. Avec le recul, quelle comparaison peux-tu établir entre l’aspect business de l’industrie musicale à tes débuts, et ton statut actuel dans l’autoproduction?

Philippe Ménard: L’autoproduction est un choix délibéré et complètement assumé, car le but du jeu, en ayant décidé de jouer en one man band et en réalisant mes albums tout seul, c’est de n’avoir aucune contrainte extérieure, ni avis ou orientation. Je ne dis pas que c’est forcément l’idéal, mais c’est l’expérience que je veux vivre. Les quelques années où j’ai approché ce que tu appelles le business, je ne les regrette pas du tout.

Patrick Dallongeville: Tu te produis à présent dans de nombreux autres pays européens (ton usage de l’anglais y contribuant évidemment), mais aussi aux Etats-Unis et au Japon. A part la France, où es-tu le mieux reçu?

Philippe Ménard: Les USA et le Japon ont été des expériences ponctuelles, je joue le plus régulièrement dans des pays beaucoup plus proches. Mes pays favoris, pour ce qui est de l’accueil de ma musique, ce sont la Hollande, L’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg… Ah, oui, et aussi deux petits pays top niveau: la Bretagne et le Ch’Nord-Pas d’Calais.

Patrick Dallongeville: Plus de quarante ans de carrière dans ce registre, et de surcroît dans un pays comme la France, ça laisse rêveur. Tu as du en voir passer et disparaître, des nouveaux-venus, au cours de cette période. Comment as-tu pu t’arranger pour durer si longtemps, quand tant d’autres jetaient successivement l’éponge?

Philippe Ménard: Je n’ai pas la science infuse, mais je pense simplement que quel que soit le domaine, si tu aimes ce que tu fais et que tu essaies de le faire avec toujours la même sincérité, et toute ton âme, il y a quelque chose qui se dégage qui fait que ça fonctionne et que les gens y sont sensibles (consciemment ou pas, je ne sais pas). Pour ce qui est des nouveaux-venus, comme tu les appelles, il y en a en permanence, et c’est très bien comme ça, il faut que ça bouge, et la sélection se fait naturellement (par le critère expliqué précédemment).

Patrick Dallongeville: Après deux premiers albums sur une major (WEA, en 79 et 80), ton trio Tequila s’est trouvé remercié. A l’époque, Ganafoul, Backstage, Factory et Little Bob Story se partageaient plus ou moins le même public, tandis que sur le reste de la scène française, dominée par Téléphone et Trust, des groupes tels que Bijou, Starshooter et les Dogs recevaient le soutien de la critique, incarnant (à tort ou à raison) le renouveau du rock à la française. Le troisième LP de la formation originale du groupe, “Rebelle”, est ensuite paru sous licence auprès de Musidisc, avant que tes comparses ne se découragent à leur tour… Quelques line-ups plus tard (dont un sous le nom d’Appaloosa), tu te résolvais à te produire en one man band, et à ne plus t’exprimer qu’en anglais.

Philippe Ménard: Pour ce qui est de l’anglais, c’est après avoir constaté que le blues-rock que nous jouions n’intéressait personne à l’étranger si on chantait en français. Du jour où je me suis mis à l’anglais, nous avons commencé à tourner un peu partout en Europe. La contrepartie, c’est que nous avons disparu complètement des radars en France (du moins pour ce qui est de la presse rock).

Patrick Dallongeville: Comment en es-tu venu à prendre la décision de te produire seul? Par nécessité, ou par choix artistique?

Philippe Ménard: L’aventure Téquila a duré 17 ans à peu près, et c’est vrai que j’en ai eu marre des changements de personnel (quatre bassistes et cinq batteurs). Ce n’était plus vraiment un groupe sur la fin, mais un guitariste chanteur accompagné par des mercenaires peu impliqués dans l’aventure de groupe. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est que les deux derniers batteur et bassiste de Téquila étaient de Bratislava, et ne pouvaient pas prétendre au même statut que les musiciens français. Lorsqu’ils sont repartis, j’ai décidé d’arrêter et de me consacrer uniquement à mon one-man -band. Je jouais déjà sous cette formule de temps en temps et ça m’intéressait de plus en plus de travailler l’indépendance batterie-guitare, et de voir jusqu’où ça pouvait aller.

Patrick Dallongeville: Tu as beau te produire essentiellement en tant que one-man-band, tu ne répugnes jamais à des rencontres, notamment sur scène ou lors de festivals. Lesquelles t’ont-elles le plus marqué?

Philippe Ménard: Un grand souvenir pour moi c’est le concert donné à Nantes en hommage à Rory Gallagher (mon héros à moi), avec Gerry McAvoy, son bassiste, et mon pote Peter Kempe batteur des Juke Joints (NL), en 2010, je crois.

Patrick Dallongeville: Un récent numéro de Rock n Folk (revue où ton nom n’apparaît plus si souvent) consacrait un long article aux musiciens gauchers. Comme c’est aussi ton cas, et qu’ils ont manifestement oublié de te consulter, j’en profite pour te poser la question: quelle incidence cette particularité a-t-elle sur ton jeu?

Philippe Ménard: Aucune, à part le fait que ce soit plus difficile de trouver certains modèles de guitares.

Patrick Dallongeville: Parce que tu joues aussi des percussions avec les pieds (sans parler de la mandoline et de l’harmonica): tu fais tout à l’envers des droitiers, avec la bouche et les pieds aussi?

Philippe Ménard: Pour l’harmo je joue avec les graves à gauche, comme presque tout le monde. Pour la batterie, je joue avec la grosse caisse à droite, comme les droitiers. Cela vient du fait que j’ai appris les percussions (et donc la batterie) au conservatoire, et c’était à droite obligatoirement pour le coté pratique, tout le monde pareil. Je pense que finalement c’est une bonne chose car l’énergie de la main gauche qui attaque les cordes s’équilibre avec celle du pied droit (grosse caisse)… Enfin, c’est ce que je pense…

Patrick Dallongeville: Tu sembles ne jamais avoir voulu trancher parmi tes amours entre le blues, le rock et le boogie. À part Rory Gallagher et Johnny Winter, quels sont tes favoris dans ces registres?

Philippe Ménard: En vrac, Jimi Hendrix, Keith Richards, Billy Gibbons, George Thorogood, Sean Costello, Ollie Halsall, etc. Et pour le blues originel, JB Lenoir, RL Burnside , JB Hutto, Lightnin’ Hopkins, Hound Dog Taylor, Blind Boy Fuller, Rosetta Tharpe, etc… Il y en a des centaines!!! Ce sont juste les premiers noms qui me viennent à l’esprit.

Patrick Dallongeville: Avant de conclure, quel serait ton meilleur souvenir de carrière à ce jour?

Philippe Ménard: Tous les bons concerts, avec peut être une mention spéciale au tout premier concert en festival de Téquila, en 1978 à Carquefou, où on a reçu un accueil incroyable de la part du public. Ce qui nous a d’ailleurs valu d’être signés pour enregistrer notre premier album.

Patrick Dallongeville: Et le pire?

Philippe Ménard: Tous les accidents, sur route ou sur scène, il y en a eu pas mal.

Patrick Dallongeville: Et si jamais nous parvenions tous à survivre à la pandémie actuelle, ainsi qu’à ses conséquences, quels seraient tes projets?

Philippe Ménard: Continuer à tourner, et à enregistrer… Et ne jamais oublier que “With the power of soul, anything is possible”.

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Chronique du dernier opus de Philippe MENARD – “EXILE ON MÉMÈNE ST.”, noté “Coup de Coeur” par la rédaction de PARIS-MOVE: ICI

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