Interview de Philipp Fankhauser

Interview préparée et réalisée par Lucky Sylvie LESEMNE et Frankie Bluesy PFEIFFER
Photos : Lucky Sylvie LESEMNE et Frankie Bluesy PFEIFFER

C’est l’histoire d’un coup de cœur, d’un grand coup de cœur que nous avons eu pour un homme d’une discrétion et d’une tendresse humaine étonnantes, mais qui se révèle être sur scène un bluesman volcanique. Philipp Fankhauser est blanc ; un bluesman blanc, soit, mais dont le jeu de guitare, la voix, et l’âme de ses compos viennent en ligne directe de l’une des Légendes du blues américain, Johnny Copeland, le noir qui considérait le jeune blanc comme son fils : He’s my son !

C’est dans la maison familiale, perchée dans une petite rue qui monte sur les hauteurs de Bern, que Philipp nous a accueillis la première fois. C’est là, dans cette maison, que Philipp reçoit sa première guitare, à 12 ans, un cadeau de sa mère, parce qu’il a flashé sur un grand poster de Elvis Presley, tout de noir vêtu et avec une Gibson blanche, poster qu’il a punaisé sur le mur de sa chambre. Pourquoi la guitare ? C’était visuel, tout simplement… Sa mère lui offre, pour Noël, une Aria, copie conforme de la Gibson de Elvis, mais insiste pour qu’il suive des cours au lieu de gratter, seul, dans sa chambre. Elle trouve un prof de guitare, qui lui explique sans détour, après les deux premières leçons, que cela n’a aucun sens de continuer, le jeune garçon n’ayant aucune disposition pour la guitare. Déçu mais pas amer, Philipp se remet à gratter en rejouant les plans de guitare de disques qu’il écoute, et puis, chez lui, Philipp écoute du Blues, plutôt que du rock, …

PF : Parce que le blues est une musique plus lente. Pour moi, la musique doit contenir une certaine mélancolie, une douceur mélodique, et tout cela, je l’ai trouvé dans le blues, …et plus spécialement le blues noir. Cela peut paraître bizarre, venant d’un jeune homme, mais pour moi le blues c’était le blues noir, c’était Lightnin’Hopkins, Muddy Waters, Freddy King.

BM : Tu penchais donc plutôt vers l’acoustique que vers l’électrique…
PF :
Exactement. Au début, j’étais très orienté acoustique, et l’un de mes plus grands héros était Lightnin’Hopkins. Son Blues est un blues très simple, et les quelques notes qu’il joue, on peut les chanter. Ce qui a toujours été très important pour moi, c’est d’entendre et de pouvoir chanter ce que l’on joue ; c’est pourquoi je n’ai jamais été intéressé par ces guitaristes qui alignent les notes avec vélocité. Pour moi, les notes jouées à la guitare doivent pouvoir être chantées ; c’est aussi ce que j’ai appris avec Johnny Copeland.
D’ailleurs, jusqu’en 2000, je n’ai pas souvent joué de guitare en live. Ce n’est qu’à partir de 2002 que j’ai commencé à jouer de la guitare sur scène régulièrement. Avant, j’étais chanteur et je préférais avoir avec moi des guitaristes qui étaient très bons et qui faisaient bien leur travail, plutôt que de jouer moi même. C’était le cas dans mon premier groupe et dans mon premier album, Blues for the Lady, où je ne suis que chanteur.

BM : Cet album, tu l’as écrit et composé après avoir rencontré Margie Evans. Comment vous êtes vous croisés ?
PF :
J’ai vu pour la première fois Margie Evans en 1983, pendant un festival, à Zürich. J’étais très près de la scène, et pendant tout le concert j’avais l’impression qu’elle me regardait, qu’elle me souriait. En 1984 elle est revenue, à Bern, pour une semaine, et je suis allé tous les soirs dans le club où elle passait. Le deuxième soir, elle s’est approchée de moi et m’a demandé si je savais où elle pouvait acheter de belles chaussures. Moi, j’avais 19 ans, et je ne savais pas vraiment où on pouvait trouver de belles chaussures pour femmes, mais je lui ai dit que je savais où, et que je pouvais l’y emmener. Le lendemain, nous avons passé toute la journée ensemble. C’est comme cela que nous avons sympathisé et sommes devenus amis.
Margie est revenue à Zürich, en 1985, puis à Bern, en 1986, et à chaque fois nous nous sommes revus.

BM : Et tu lui as parlé de ce que tu faisais, musicalement ?
PF :
Non, pour moi ce n’était pas important du tout que Margie sache que je chante, car lorsqu’on était ensemble, It wasn’t about me, …Moi, ce que je voulais, c’est la voir, être avec elle. Qui j’étais, cela n’avait aucune importance… !

BM : Comment es tu parvenu à la faire chanter sur ton disque… ?
PF :
En 1987, j’ai fondé ce groupe, le Checkerboard Blues Band, et en 1989 j’ai contacté Margie pour lui dire que j’allais faire un album, et que j’aimerais qu’elle chante avec moi. Elle m’a demandé de lui faire parvenir tous les détails du contrat et du planning de travail, ce que j’ai fait, mais je dois avouer qu’elle ne m’a pas facilité la tâche, me posant sans arrêt des questions sur plein de petits détails. J’ai compris plus tard qu’en fait elle voulait voir si je faisais les choses justes, elle voulait me tester pour voir si je savais respecter mes engagements et si mon projet était bien ficelé.
Richard Cousins, mon bassiste, est aussi comme ça, et c’est pour cela que je l’ai désigné comme notre chef d’orchestre.

BM : C’est bien lui qui a été co fondateur du Robert Cray Band, et qui a dans sa poche 3 Grammy Awards… ?
PF :
(large sourire) Oui, c’est bien lui… ! Et tu comprends mieux pourquoi je l’ai nommé chef d’orchestre de mon groupe. Moi, je n’ai pas eu de Grammy Award… (rires) ! Tu sais, ce gars là est un musicien exceptionnel, et il mérite un énorme respect. Mais c’est aussi toute cette aura qui gêne les musiciens européens qui le croisent, car ici, en Europe, beaucoup de musiciens sont politiquement corrects. Je m’explique : quand un batteur, qui dit être très bon, ne sait pas jouer un shuffle, Richard le lui dit, directement. Et ici, en Europe, quand tu dis quelque chose de dur à un musicien, il va le prendre pour lui ; pas pour lui en tant que musicien, mais pour lui en tant que personne, et ça, … ça va le froisser, alors que les musiciens américains, et cela je l’ai vécu quand j’étais aux USA avec Johnny Copeland, réagissent différemment. Quand tu parles musique, tu parles musique, et cela ne te concerne pas en tant personne, tu comprends ? Ici, lorsque quelque chose ne va pas, on va dire au musicien qu’on va s’arranger, et finalement cela donne un truc où personne n’est vraiment content, mais voilà, on a ménagé la susceptibilité de chacun. Johnny Copeland disait toujours aux musiciens qui l’accompagnaient : My way, or the Highway (Tu fais comme je veux, tu suis ma route, ou c’est dehors, c’est l’autoroute).

BM : La solution ne serait elle pas de répéter, et répéter encore ?
PF :
Non, pas du tout. Avec ce band que tu as vu hier soir, nous ne faisons jamais de répétitions avant un concert. Tout d’abord, parce que nous jouons beaucoup ensemble, en live, presque 90 concerts par an, et puis aussi parce que quand un bassiste et un batteur ont le groove, il n’y a pas besoin de répéter. Un groove, tu ne peux pas le répéter. Tu l’as ou tu ne l’as pas. Si tu ne l’as pas, tu peux répéter autant que tu veux, tu ne l’auras pas… ! 

Et si on commence à tout répéter avant, même chaque solo de guitare, alors où est le live ? Live veut dire vivant, et non pas figé, à la note près. Dans mon groupe, on laisse tout ouvert, et le public le ressent, et apprécie. Etre musicien professionnel ce n’est pas répéter sans cesse ; cela n’a pas de sens. Tout comme je ne comprends pas ceux qui remplissent des albums avec des reprises. Si je veux écouter T Bone Walker ou B. B. King, je préfère écouter T Bone Walker et B. B King, plutôt que des reprises.

BM : Alors pourquoi, sur Talk to Me, avoir repris deux titres de Johnny Copeland et ne pas avoir proposé que des compos à toi… ?
PF :
(songeur) Tu vois, quand Johnny était encore en vie, jamais je n’avais pensé jouer un titre de lui. Je ne me sentais même pas le droit de le faire. Un an après sa mort, nous avons fait cette tournée, son groupe et moi, …et je me suis retrouvé à sa place, à jouer ses solos. Et jamais je n’avais joué ses titres à la guitare… ! Alors j’ai passé quatre semaines à San Diego, avec tous ses CD, que j’ai écoutés, pour les jouer, puisque c’était ce que l’on me demandait de faire. Et nous avons joué, et j’ai joué ses solos.

BM : Où as tu rencontré Johnny Copeland, la première fois ?
PF : C’était à Montreux en 1983, et il y avait plein de super musiciens à ce festival. J’avais déjà entendu son nom, mais je n’avais jamais entendu de titres de lui. Il est venu sur scène, avec une grande guitare blanche, et là, ça a été pour moi la révélation. Et ensuite, à chaque fois qu’il est revenu en Europe j’ai pris le train pour aller le voir, où que ce soit, mais je n’ai jamais eu le courage de l’approcher. En 1990, un agent de Montreux m’a téléphoné et m’a dit : Ecoute, j’ai un ami, Calvin Owens, trompettiste de B. B. King, qui va faire un tour d’Europe, et il aura avec lui comme special guest Johnny Copeland, et il veut faire faire 4 concerts en Suisse mais je n’ai pas le temps de m’en occuper. Tu veux le faire ?

J’ai accepté, surtout que Johnny avait eu un Grammy Award en 1985, et il était enfin reconnu comme un grand musicien de Blues. On a fait 4 concerts, …et j’ai perdu beaucoup d’argent ! (rires) Beaucoup ! Parce qu’en fait je ne m’étais pas rendu compte que peu de gens connaissaient Johnny Copeland et que son nom n’allait pas attirer les foules. J’ai payé Johnny et les autres, mais Johnny avait compris que j’avais perdu de l’argent. Il savait, et il m’a beaucoup respecté pour les avoir tous payé comme prévu. Après, on a commencé à se téléphoner, à s’écrire, et en 1992, il m’a appelé pour me dire qu’il avait une tournée organisée en Europe et qu’avant son passage au Méridien, à Paris, il était libre, et que je pouvais, si je le souhaitais, l’inviter à 3 ou 4 de mes concerts en tant que special guest. Nous avons fait 5 concerts, où je n’ai pas perdu d’argent (rires), car en 92 j’avais déjà un certain succès avec mon groupe, et la combinaison de mon groupe avec Johnny a très bien fonctionné. J’ai gagné beaucoup d’argent, et Johnny le savait également. (sourire)

En 93, avec mon groupe, j’ai ouvert la soirée pour Johnny et son groupe, pour 6 concerts, et nous avons eu beaucoup de plaisir à jouer ensemble. Après deux semaines, il m’a dit : Pourquoi ne viens tu pas aux States ? Pour un mois… C’était en septembre 93, et en avril mai 94, j’étais là bas, pour une vingtaine de concerts. Ce fut une expérience tellement forte que je suis rentré en Suisse, j’ai tout vendu, et je suis reparti aux States. Ce n’était pas Johnny qui me l’avait demandé, c’est moi qui avais pris cette décision, parce que pour moi, le Blues c’était là bas, et que j’allais vivre le Blues comme je le sentais. C’était comme quelque chose en moi qui me poussait ; je devais passer par là pour vivre le Blues.

Johnny m’a ouvert la porte de sa maison, le temps que je puisse m’organiser et m’installer. Je suis resté 6 mois chez Johnny, à partager la vie de la famille Copeland. Et environ six mois plus tard, je me suis installé dans un appartement que l’on m’avait trouvé, signe du destin, très près de la maison de Johnny.

BM : Cette relation que tu as eu avec Johnny Copeland était plus que professionnelle, … il te considérait comme son fils adoptif, non ?
PF :
(très ému) Ce serait prétentieux de ma part de dire que Johnny me considérait comme un fils, mais quand il recevait ses amis ou sa famille et qu’il me présentait en leur disant : He’s my son (C’est mon fils), cela me faisait chaud au cœur, … et Johnny éclatait de rire en voyant la tête des gens, car tu sais qu’il était noir, noir comme du charbon, et moi, j’étais un blanc, blanc.

BM : Est ce cette relation qui t’a amené à avoir un jeu de guitare très proche de celui de Johnny Copeland ?
PF :
J’espère, …j’espère, … (ému) Tu sais, parfois quand je joue sur scène je peux sentir comme…. son esprit. Je ne crois absolument pas à tout ce qui est mystique, mais parfois, oui, j’ai l’impression que…, et ces soirs là, sur scène, j’arrive à jouer des trucs que je n’avais jamais joué auparavant. Même Richard me regarde avec de grands yeux, et après le concert il vient me demander : Mais qu’est ce que tu as fait ce soir… ? Comment tu es arrivé à jouer un truc pareil ? 

BM : Tu n’as pas encore songé à enregistrer un album Tribute to Johnny Copeland ?
PF :
(silencieux) …Si, bien sûr… En fait, je pensais le faire pour 2007, pour les 10 ans de sa mort. Mais, d’un autre côté, je ne suis qu’un jeune musicien blanc, et je ne sais pas si j’ai le droit, …. le droit de faire un tel CD, et de penser que c’est important.

BM : Quel est le moment le plus fort que tu as vécu avec Johnny ?
PF :
C’était son 60ème anniversaire, que nous avions organisé au Cotton Club. C’était une fête surprise, dont il n’était absolument pas au courant. Johnny était déjà gravement malade, et sous cortisone. Dans le club, il y avait plein de monde, plein d’amis, plein de musiciens. On a organisé le band et on a fait venir Johnny, qui ignorait tout de cette soirée. Il était très malade et ne pouvait pas venir sur scène, alors on a joué ses chansons pour lui. On le sentait très heureux, et en même temps on voyait déjà… (très ému) …la mort sur son visage. En mai, il a enregistré Stormy Monday pour un CD que j’ai produit pour un magazine suisse, et dans ce titre on entend qu’il n’avait plus la force de chanter. Mais il voulait le faire, tout comme il a toujours lutté, et combattu la maladie, mais… (très ému, silencieux) … Voilà, c’est le moment le plus fort que je garde de lui, ce 60ème anniversaire.

BM : En 2000, tu quittes les USA et tu rentres en Suisse. C’était quoi : un ras le bol des States, la disparition de Johnny, ou… ?
PF :
En fait, j’ai eu un accident et le pied cassé. Je me suis retrouvé alors dans un hôpital public, et là, j’ai réalisé qu’il fallait que je rentre en Europe. C’était un hôpital comme tu penses qu’il en existe quelques uns dans un pays sous développé, mais pas aux Etats Unis. C’était terrifiant. Et puis, avec la mort de Johnny c’est comme si je devais tourner la page américaine. L’accident que j’avais eu était une excellente excuse pour rentrer.

BM : En 2000, tu sors aussi l’album Welcome to the Real World. Ce titre est il lié à ton retour des USA ?
PF :
Non, pas du tout. Welcome to the Real World est une phrase que Johnny me disait souvent. Chaque fois que je me plaignais, parce qu’en Europe on avait ça ou ça, il me disait simplement Welcome to the Real World, Bienvenue dans la vraie vie ! Et il me le disait d’autant plus qu’il avait tourné en Europe et qu’il était très sensible aux différences entre l’Europe et les States, surtout pour les noirs, … dans le domaine social, par exemple.

Cet album, nous l’avons enregistré juste après la tournée Tribute to Johnny Copeland. On venait juste de finir de tourner et le guitariste de Johnny est venu me voir et m’a dit que puisqu’on était chaud, on n’avait qu’à enregistrer. Et cela s’est fait comme ça, sans être planifié, juste parce que tout le monde était chaud. Sur Talk to Me, ce sont cinq titres de cet album qui ont été repris, retravaillés et remixés.

BM : A travers ce dernier CD, tu démontres que ton style est en fait un mélange de tendances…
PF :
Oui, et c’est vrai qu’il est difficile de me coller une étiquette dessus, mais je dois t’avouer que si je pouvais être totalement libre de jouer ce que j’ai envie de jouer, je jouerais uniquement du slow blues. Je rêve d’enregistrer un album avec uniquement du slow blues. Naturellement, les maisons de disques ont dit non… (rires).

BM : En 2003, tu sors un live enregistré en trio, maintenant tu joues en quartet, ou comme ce soir avec des cuivres. Est ce que cela signifie que tu te cherches ?
PF :
(sourire) Non,….le trio, c’est une idée de Tosho Yakkatokuo, mon batteur. Lorsque je suis rentré des States, mes anciens musiciens jouaient dans d’autres groupes et je devais donc chercher de nouveaux musiciens. En 2001, j’ai monté un groupe très moderne ; on a fait 5 concerts, dont je suis sorti très frustré. J’en étais arrivé au stade où je voulais tout arrêter, et ne plus faire de musique. Un an plus tard, je suis allé voir jouer Tosho en concert, en trio, avec un bassiste et un guitariste chanteur. 

Après le concert, il est venu dormir à la maison, et le lendemain, il m’a demandé pourquoi je ne montais pas un trio, avec lui comme batteur, et un bassiste. J’ai hésité, parce que, comme je te l’ai déjà dit, je suis chanteur, mais je n’avais pas régulièrement joué de guitare sur scène. Tosho m’a convaincu, tout bêtement, en me disant : Ce que tu nous joues ici, à la maison, tu sais le jouer, et bien. Alors pourquoi pas sur scène ? J’ai dit OK, on a fait un premier concert, et on a eu un succès incroyable.

BM : C’est ce qui explique que sur cet album on trouve essentiellement des reprises et uniquement deux de tes compositions ?
PF :
Tout a fait. C’est parce que ce sont des titres que je joue à la maison, chez des amis, …et c’est comme le voulait Tosho, que je joue comme à la maison.

BM : Compte tenu de ce succès, pourquoi ne pas avoir continué avec le trio ?
PF :
Nous avons joué en trio toute l’année 2003, dans de petites salles, et pour les salles plus grandes nous avons fait appel à Hendrix Ackle, pour assurer les claviers. Et parfois, pour des salles beaucoup plus grandes, comme hier, à Zürich, ou comme l’autre soir, à Bern, on rajoute des cuivres.

BM : Cet album, Live – So Damn Cool, n’a été distribué qu’en Suisse. Pourquoi ?
PF :
Ce qui s’est passé, c’est que je suis allé voir deux maisons de disques qui produisent des artistes de Blues, et les deux m’ont dit qu’elles ne croyaient pas dans ce concept de trio pour jouer du Blues ; ils m’ont refusé l’avance nécessaire. J’étais tellement furieux que j’ai décidé de tout faire moi même, et donc de tout financer moi même. J’ai emprunté l’argent nécessaire et j’ai sorti cet album.

BM : Et tu ne songes pas à le distribuer à nouveau ?
PF :
Je ne pense pas… (songeur) Tu vois, pour moi cet album c’est déjà du passé. Deux ans et demi après, je ne joue plus sur scène de guitare acoustique, et j’ai modifié une bonne partie de mon répertoire.

BM : Justement, pourquoi avoir abandonné la guitare acoustique ?
PF :
Parce que… (songeur) C’est une très bonne question. Je pense qu’en fait nous avons pleinement réalisé le passage d’un trio acoustique à un trio électrique, et c’est venu tout naturellement.

BM : Je sais que tu travailles actuellement sur ton prochain album. Tu garderas la même ligne, avec des compos de toi et quelques reprises ?
PF :
Oui, …. et ce seront deux titres de Johnny Copeland.

BM : Excepté Johnny Copeland, quel musicien de Blues t’a le plus marqué ?
PF :
Muddy Waters. Je dis d’ailleurs toujours que si un jour je ne devais emporter qu’un seul disque de Blues, ce serait…un des miens, (rires) …. non, sérieusement, ce serait un disque de Muddy Waters.

BM : Et pas de Johnny Copeland ?
PF :
Non, parce que j’ai tout de Johnny, là, dans le cœur, …et dans l’âme. Je n’aurais jamais besoin d’emporter un disque de Johnny, car tous ses titres sont en moi.

BM : Toi, tu en es déjà à 9 albums ?
PF :
Oui, 9 ; dont beaucoup sont épuisés, ou non disponibles en France, seulement aux States, ou en Suisse, mais la plupart des albums épuisés se trouve maintenant sur iTunes… !

BM : Et quel est celui qui te tient le plus à cœur ?
PF :
Sans hésiter, So Damn Cool, le live, car c’est le moins calculé, le moins bien produit. Il correspond exactement à ce que j’avais dans la tête à cette époque là. Certains vont te dire que le son n’est pas parfait, et c’est vrai, mais ce CD, c’est moi tel que je suis, tel que j’étais à ce moment là.

BM : De tout ce que tu as composé, quel est pour toi le titre le plus important, celui auquel tu es le plus attaché ?
PF :
(silence) Bonne question, …et que je ne m’étais jamais posée avant, tu vois. (silence) C’est difficile de te répondre. Pour être honnête, je dois dire que je ne suis pas un grand fan de mes propres compositions. J’en oublie d’ailleurs parfois les paroles. (rires) Tu me demandes de chanter un titre de Johnny, je te le chante tout de suite, sans avoir oublié une seule des paroles. Mais pour mes propres compositions, c’est autre chose… (rires)

BM : Depuis mars 2005, tu as pris un manager, Roger Guntern, quelqu’un qui a travaillé dans des maisons de disques et qui s’occupe aussi d’une grosse pointure de la chanson, Stephan Eicher. Pourquoi toi, le méthodique, le minutieux, tu as accepté de confier à quelqu’un d’autre toute la partie administrative de ton métier ?
PF :
Tout d’abord, parce que Roger est mon meilleur ami, et je lui fais totalement confiance. Je ne me pose jamais de questions avec lui, sur ce qu’il fait, ce qu’il organise, …car je sais qu’il ne fera jamais quelque chose qui me déplaira. Nous avons la même façon de penser, et il nous arrive souvent d’avoir les mêmes idées, presque au même moment.

C’est vrai que c’est la première fois dans ma vie de musicien que je confie ainsi à quelqu’un tout le travail administratif concernant l’organisation de mes concerts, mon planning, mes contacts. Avant, je faisais tout ça tout seul, et j’ai tout confié à Roger en pensant que j’allais avoir un peu plus de temps pour moi. Mais c’est le contraire qui s’est produit (rires), parce qu’à cause de Roger nous avons fait plus de concerts, dans des salles plus grandes ; il me fait réaliser des opérations de communication, comme avec toi, ou avec la télé. Bref, j’ai encore plus de boulot depuis que Roger est là, mais c’est super !
La seule chose qui me dérange un peu, c’est que je ne sais plus rien de mon planning à l’avance. Un peu comme aux Etats Unis, ce que j’ai connu avec Johnny Copeland : 5 minutes avant de quitter sa maison, on ne savait toujours pas où on allait jouer, et lorsque je le lui demandais, il me répondait simplement : No idea…. Et c’est vrai qu’à cette époque je ne comprenais pas comment Johnny pouvait accepter de ne pas savoir où il allait jouer le soir même. C’est sans doute aussi par réaction par rapport à cela qu’en rentrant en Suisse, je me suis occupé de tout. Mais bon, maintenant j’ai Roger, et grâce à lui je passe au New Morning. C’est génial… !

Lucky Sylvie Lesemne
Frankie Bluesy Pfeiffer
Octobre 2006
BLUES MAGAZINE©
http://www.bluesmagazine.net

Philipp Fankhauser