Interview de Mathis Haug
Interview préparée et réalisée par Dominique Boulay
(réalisée au début de l’automne 2011, à Paris)
Photos : Anne Marie Calendini
Bonjour Mathis, ‘Playing my dues’ est ton premier album solo et aussi le titre de la première chanson. Sur la pochette de cet album on te voit tenant presque ta guitare comme une arme. Cela a-t-il une signification particulière?
Mathis Haug : (rire) Non, c'est tout simplement un hommage à la guitare, qui est un instrument populaire dans le monde entier et que l'on retrouve dans tellement de cultures et jouée de tellement de façons différentes. La guitare t’oblige aussi à avoir de l’humilité, car tu peux par exemple maîtriser un style et être complètement novice dans un autre. C'est un instrument fascinant qui a donné naissance à tellement de chansons d'amour ou engagées, populaires… Quand j'étais adolescent, on m'avait fait écouter un morceau que je n'ai jamais retrouvé, dont je ne connais ni l'auteur ni l'interprète et qui a été enregistré en Amérique latine lors d'une révolution. Le chanteur savait qu'en chantant cette chanson il serait fusillé et effectivement, à la fin du morceau, tu entends les détonations de son exécution (*). Cette écoute m'avait beaucoup marquée. Mais le texte de ‘Playing my dues’ ne porte pas exactement sur ça, et au niveau musical on peut penser à une inspiration malienne par son côté sautillant, ou encore irlandaise.
NDLR (*): Il s’agit de Victor Jara, chilien, 1932-73.
Le musicien Richard Bona a rendu un vibrant hommage à la gamme pentatonique dans son album The Ten Shades Of Blues qui est naturellement utilisée dans le blues, mais aussi dans beaucoup d’autres musiques à travers le monde. On sent également chez toi la volonté de transmettre tout ce que la guitare permet d'exprimer dans différents registres.
Effectivement, on peut voir les choses comme cela. Quand je chante ‘My Guitar is red, I have blood on my hands’ je me réfère à ce révolutionnaire qui a payé de sa vie sa chanson, tout en m'inspirant de Jimmy Hendrix et à tout ce qu'il a apporté à la musique et qu'il nous a laissé en héritage. Ca, c'est quelque chose qui m'impressionne.
‘Playing my dues’ est annoncé comme ton premier album solo, mais tu avais déjà enregistré auparavant…
Oui, c’est vrai, j'avais fait un album avec mon groupe Mathis and the Mathematiks intitulé ‘Five’.
Tu as vécu en Allemagne puis tu t’es installé en France, exact ?
Oui, j'ai vécu mes premières années en Allemagne, puis je suis venu vivre en France avec ma mère, jusqu'à l'âge de 18 ans. Ensuite, je suis reparti vivre en Allemagne, pour retrouver un peu mes racines, même si elles n'ont jamais été coupées puisque j'y retournais tous les étés… Et maintenant je vis en France, mes enfants sont français et je vis à Nîmes.
Tu es aussi devenu musicien professionnel…
Oui, et depuis 15 ans maintenant, j'ai la chance de pouvoir vivre de ma musique. Depuis toujours, le blues me passionne. J'ai appris la guitare en autodidacte car j'ai grandi en Ardèche et il n'y avait pas d'autres moyens pour apprendre la guitare à ce moment là, dans cette région. Et puis à l'âge de 18-20 ans j'ai commencé à écrire des chansons. A l'époque, j'écrivais plutôt en français, et je suis allé jouer un peu en Allemagne en semi-pro. Ce qui me permettait de gagner un peu d'argent. A mon retour en France, j'ai créé le groupe Mathis and The Mathematiks et nous avons sorti un album que Blues Magazine a été le premier à chroniquer! Super chronique, d'ailleurs, et petit à petit le milieu bluesy m'a ouvert ses portes. Mais je le trouvais aussi un peu ‘enfermé’ dans un style de musique très caractéristique et plutôt ancien. Bien qu'étant intéressé par le blues, je ne me sentais pas avoir à défendre une musique datant de 50 ans, moi qui ai vécu en Europe, en Allemagne et en France, parlant les deux langues et vivant en Camargue. Alors tu comprends pourquoi les codes du blues me semblaient parfois éloignés de mon quotidien. Et d'autres musiques m'influençaient de façon plus ou moins consciente. Un truc comme la techno, que je n'aime pas particulièrement, ou même les tubes des années 80 m’ont influencé, que je le veuille ou non, et ils ont contribué quelque part à forger mon identité musicale. On peut dire ce que l’on veut, mais je pense qu’on n'échappe pas à l'air ambiant, même si l’on est très cloisonné. Et puis je voulais aller plus loin que le blues dit ‘traditionnel’, que j'ai toujours aimé, et c’est ainsi que l’on a créé l'album ‘Five’, sans direction préétablie. On a utilisé beaucoup d'électronique, mais par manque de moyens, en fait, car on n'avait pas de quoi enregistrer de batterie alors on a utilisé des boîtes à rythme et ça s'est fait comme ça. En parallèle, il y avait un projet blues intitulé ‘Spoonfull’, et en 2004 j'avais enregistré en Allemagne un album solo en hommage à ma grand-mère qui venait de disparaître. Mais il n'est jamais sorti, celui là. Comme tu le vois, jusqu'à présent je n'ai pas enregistré beaucoup.
Tu as assuré la première partie de quelques artiste fameux…
J'ai fait la première partie des concerts de Jacques Higelin, Bjorn Berge, Moriarty ou Chris Whitley. Et j'ai également accompagné Emily Loizeau sur scène en tant que guitariste.
Comment as-tu signé chez Dixiefrog ?
En fait, je jouais avec un groupe de rock monté avec des copains au Festival ‘Blues autour du zinc’ de Beauvais et David, que je connaissais parce qu'il m'avait déjà programmé à ce même festival où il travaillait, m'a demandé ce que je faisais. Je lui ai donné des maquettes dont ‘Playing my dues’, le premier morceau, et c’est ce qui m'a permis de rencontrer Philippe Langlois, le patron du label. Voilà comment cela s’est fait, tout simplement (sourire).
Tu as souvent travaillé avec Seamus Taylor, exact?
Seamus est un ami d'enfance. On était tous les deux passionnés de musique et on habitait l'un près de l'autre. On a écrit pas mal de chansons ensemble, sur le premier comme sur le deuxième album. Et on en a encore beaucoup en stock. En ce moment on collabore un peu moins car Seamus a une activité professionnelle: il est menuisier et il a donc moins de temps disponible que moi pour la musique. Je commence, moi aussi, à me mettre à l'écriture, mais jusqu'à présent, je dois te l’avouer, j'ai eu beaucoup de mal à le faire. D'ailleurs sur cet album solo, c'est encore Seamus qui a signé la plupart des textes.
Quelques mots sur tes musiciens…
Pour mon album solo j'ai eu l'occasion de faire les premières parties d'Anis, entre autre, et j'ai rencontré son batteur attitré, Paul Jothy, qui a beaucoup aimé ce que je faisais et qui m'a proposé d'enregistrer gratuitement des maquettes au Studio Acoustique, un gros studio parisien. C’est aussi le batteur d'Arthur H et il a joué avec Juliette Greco, Benabar,… Du coup, on a commencé à faire des maquettes au studio. J'ai aussi fait venir Julien Capus, qui jouait dans les Mathematiks, et ces maquettes sont restées pendant quelques temps dans un tiroir parce que personne n'en voulait. Jusqu'à Dixiefrog. Paul Jothy est parti sous d'autres horizons et maintenant je travaille avec Stéphane Notari, qui est intervenu sur quelques morceaux. Tout ce qui est guitare, banjo et voix, je l'ai fait moi-même, tout seul, puis j'ai finalisé le disque dans un studio du sud de la France. Sur scène, c'est Stéphane Notari qui joue de la batterie, de la guitare et qui chante également. Il fait plein de trucs, Stéphane! Julien Capus, lui, joue de la basse, de la contrebasse et également du clavier. Moi, je joue de la guitare, du banjo, et je chante.
Joues-tu avec la guitare que l'on voit sur la pochette?
Non, cette guitare est inutilisable, à mon grand regret…! C'est une vieille Framus des années 50. Le manche a été cassé plusieurs fois et elle ne s'accorde plus, c'est vraiment dommage! Tu sais, je joue sur des guitares peu coûteuses et je n'ai pas de guitare de marques (rires). Les seules qui échappent à cette règle sont une très bonne Télécaster et une Breedlove qui me permettent de jouer électrique, car sur le dernier album il y a pas mal de guitare électrique. Je joue aussi sur des demi-caisses, une Framus mais aussi sur une Epiphone Sheratone.
Tu t’enregistres, chez toi ?
Oui, j'ai de quoi enregistrer, mais le côté très technique m'intéresse beaucoup moins, et comme je suis entouré par des gens compétents qui le font bien, je délègue…(rire)
Rejoues-tu en Allemagne?
Malheureusement non. J'ai l'impression que c'est très dur, en ce moment, de voyager pour jouer de la musique, mais mon album sortira là-bas en février et du coup, je pense que je vais y aller. Dixiefrog le sort dans quasiment toute l'Europe, ce qui est vraiment bien quand on sait ce que cela signifie comme prises de risques que de sortir un disque aujourd’hui. Les gens de ce label, à commencer par Philippe Langlois, sont vraiment des passionnés de musique, et c'est très, très agréable de travailler avec eux. Je me sens vraiment bien entouré chez Dixiefrog.
Cela te permet-il de ne te consacrer qu'à l'écriture et la composition?
Non, je suis encore obligé de faire un boulot d'agent: je me cherche des dates, j'envoie mes maquettes, tout ce genre de choses. Ceci dit, j'aime l'idée de sortir des sentiers battus et d'aller dans les campagnes, jouer pour des associations. Ce que je veux dire, c’est que ce n'est pas la peine de s'exténuer à vouloir contacter et relancer les Eurockéennes, car de toute façon, s’ils ont envie de toi, ce sont eux qui t'appellent. Et sur les gros trucs il n'y a pas de place pour tout le monde, compte tenu de la concurrence. Du coup, il m'arrive de faire des concerts dans de tous petits endroits, et même chez l'habitant. Il faut essayer de trouver d'autres manières de tourner pour toucher les gens, car le public est souvent prêt à mettre le prix pour des artistes très confirmés mais pas pour des ‘artistes-découvertes’. C’est pourquoi je joue aussi avec des musiciens manouches, on fait des fêtes privées, on joue pour des associations. On joue de la musique pendant que les gens préparent les buffets, les grands-mères font des gâteaux et tout ça a un côté convivial qui marche bien. Du coup, les gens viennent pour se rencontrer, passer un bon moment ensemble, et aussi écouter de la musique. Tout cela crée du lien social et ça me plaît bien.
Est-ce que tu te sers beaucoup d'internet pour faire ta promo?
Pas vraiment. Je sais que je suis sur You Tube, car je dois y avoir quelques vidéos qui traînent. Là, je suis en train de faire un clip, mais internet demande beaucoup de temps. Avec l'album ‘Five’ on était sur Myspace et beaucoup de gens nous écrivaient, je leur répondais puis je recevais un nouveau mail, et ainsi de suite… Je me suis ensuite retrouvé à converser comme ça avec 100, 150 personnes au bout de deux ou trois mois et le problème, à un moment, c'est que je ne pouvais plus répondre à tout le monde, ce qui a pu susciter de l'incompréhension, voire de la frustration de la part des personnes qui m'avaient écrit. Donc entretenir ce type de réseau virtuel, en étant seul, est très difficile, à moins d'y passer tout son temps. Et puis, comment te dire, je n'ai pas grandi avec ça et ce mode de communication ne me passionne pas. C’est évident que cela facilite les contacts et que comme tout le monde, j'en profite aussi, mais je n’ai pas envie d’y consacrer trop de temps.
Comment qualifierais-tu ton dernier album, folk, blues ?
J'ai beaucoup de mal à définir ma musique par rapport à un genre. Et je ne cherche pas à défendre un style musical plutôt qu'un autre. J'ai mes propres goûts musicaux. Par exemple, faire du jazz manouche ne me semble pas si éloigné de ce que je fais sur cet album, car on appelle la musique manouche du jazz, mais eux, ils estiment qu'ils jouent du blues, à leur manière bien sûr. On peut jouer du Elvis ou Eurythmics, qui ne figurent pas dans le répertoire manouche, eux, ce qui nous est reproché par les puristes du genre… Mais de tout ce que j'ai fait jusqu'à présent, cet album solo est ce qui me ressemble le plus. Il est fidèle à ce que je veux exprimer, tant dans les textes que musicalement. C'est quelque chose que je peux défendre. Avec ‘Five’, l'album précédent, c'était une musique beaucoup plus ‘urbaine’, avec des choses un peu empruntées, et quand je me retrouvais à jouer seul, en pleine campagne, je me sentais parfois complètement décalé, alors que là je peux me poser n'importe où. Cette musique me correspond à cent pour cent.
Comment en es-tu arrivé à jouer cette musique?
Je ne sais pas expliquer comment j'en suis arrivé à jouer cette musique et de cette manière. Mais pour te donner une piste, oui, je peux citer un nom comme Tom Waits, mais dont les influences sont plus inconscientes que directes. La plupart des morceaux sont travaillés de manière très instinctive et les influences sont plus liées à des artistes que j'aime et qui ont bercé mon enfance et mon adolescence, comme Higelin au piano ou quand il parle entre les morceaux, Ursula Rucker, adepte du spoken word dans les années 90, Gil Scott Heron dans un registre plus funky, les Stones forcément, Hendrix, bien sûr, et aujourd'hui une artiste comme Camille dont j'aime la fraîcheur et l'originalité. D'ailleurs pour en avoir discuté avec elle, je peux dire que l’on a beaucoup d'influences communes, tous les deux. On a eu accès à beaucoup de musique depuis toujours, on avait des cassettes, on recopiait des trucs. Ca ne se limitait pas à un genre précis, même si j'ai écouté beaucoup de blues. Mais avec une part critique, aussi, car tout ne me plait pas dans le blues. Il y a des partitions de guitare parfois très chiantes.
Comment procèdes-tu pour créer une chanson?
J’aurais bien aimé composer au piano, mais je commence tout juste à m’y mettre, car ma compagne est musicienne et joue du piano. Il y en a donc un à la maison. C'est un instrument dont j'aurais toujours voulu jouer, mais je n'ai pas reçu d'éducation musicale et je ne maîtrise pas du tout cet instrument. Alors j'utilise la guitare. Qui est déjà un instrument très difficile à jouer et qui me demande beaucoup de travail (sourire). Je m'y mets tous les jours et j'enregistre trois ou quatre minutes de création libre, complètement improvisée, sans aucune direction artistique, et chaque mois je réécoute tout et j'opère une sorte de classement qui débouche sur des idées que je développe. Voilà, ça fonctionne comme ça, par touche successives. Tu connais maintenant mon secret de la création…(rire).
Un artiste ne connaît-il donc pas le répit?!
C'est vrai que ces phases de création m'occupent l'esprit quasiment 24h sur 24. Quand tu es dedans, tu es pris par ce démon, mais c'est tellement passionnant…(sourire).