Préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer – juillet 2008
Traduction: Nathalie Harrap – Active Languages
Photos: Kevin Kelly, Jenny Durrant & Kristin Sweetland
Saluée comme l’une des guitaristes les plus sensuelles de la folk comme du rock, Kristin Sweetland représente ce que l’on aime des chanteuses canadiennes : une écriture talentueuse et une voix qui ne laisse pas indifférent. Performeuse née et routarde inlassable pour rencontrer son public autant que possible, Kristin Sweetland nous propose en cette année 2008 un second opus, ‘Own Sweet Time’, dont la qualité et la classe en font l’un des tous meilleurs albums de cette fin d’année. Un album écouté et chroniqué ici… sur Paris-Move, qui lui a attribué la note d’INDISPENSABLE, car tel est cet album : indispensable.
FP: Si on reprenait tout, au tout début, Kristin? Qui es-tu? D’où viens-tu?
KS: J’ai eu une enfance très équilibrée, avec des parents qui m’ont beaucoup aimée. Mon père vient d’une famille où l’on faisait beaucoup de musique : mon grand-père a joué pendant 40 ans du banjo dans un groupe de bluegrass qui s’appelait ‘The Barber Shop Quartet’ et aussi en duo avec son meilleur ami. Mon père jouait de la guitare et écoutait beaucoup de Mississippi Blues alors que moi j’écoutais plutôt Madonna et Michaël Jackson, mais finalement je dois avouer que sans y faire vraiment attention j’aimais écouter tout ce que mon père passait comme vieux disques. Mais c’est dur à reconnaitre quand tu es jeune et que tu aimes le rock.
FP: Et le déclic pour jouer de la guitare t’es venu quand?
KS: C’était quand j’avais 8 ans. Je suis allée voir le film Satisfaction, avec Justin Bateman et Julia Roberts, qui raconte l’histoire de deux filles qui forment un groupe de rock. Je n’avais pas trouvé que c’était un bon film mais je ne sais pas pourquoi mais je l’ai trouvé très ‘cool’ et dès que je suis rentrée à la maison j’ai commencé à déchirer mes jeans…(rires) et à réclamer une guitare,…et le lendemain mon père m’a acheté une guitare électrique. C’est génial, non? Plutôt que de m’engueuler parce que je déchirais mes jeans, il a été très compréhensif et m’a offert cette guitare. C’est comme ça que j’ai commencé à jouer de la guitare électrique. Mon père m’a ensuite payé des cours particuliers et vers 13 ans j’ai commencé à écrire mes premières chansons.
FP: Tu as écrit des chansons si jeune, déjà?
KS: Oui, mais avec le recul je dois avouer que les premières n’étaient pas terribles (rires). Tu sais, j’écrivais déjà des nouvelles et des romans bien avant d’écrire mes premières chansons mais cela m’a pris plus de temps pour écrire des chansons parce que mon prof de guitare me poussait à apprendre d’abord la musique avant d’écrire des paroles. Il me demandait de jouer des morceaux après les avoir écoutés, en tentant d’en saisir les couleurs et l’atmosphère, et pas que les notes. C’était très prenant et ca m’a passionnée.
FP: Toutes les chansons de ton dernier album sont de toi et toutes les paroles des chansons sont proposées dans un superbe livret de 20 pages, avec pour chacune d’elle des notes de toi expliquant pourquoi et comment tu as écrit chaque chanson. Pourquoi proposer un tel livret?
KS: Parce que je veux qu’il soit lu comme un livre. J’ai un profond besoin d’écrire et si un jour j’ai le temps de le faire, je proposerai un album dont chaque chanson sera un chapitre d’une histoire, en joignant au CD un livre… (NDRLR : Décryptant mon regard interrogateur, Kristin précise). Oui, pas un livret, mais un livre, qui viendra compléter les chansons de cet album.
FP: C’est un beau projet et qu’à ma connaissance personne encore n’a réalisé, et qui est dans l’esprit de tes autres formes d’écriture, comme par exemple ce journal que tu tiens sur ton site web.
KS: Oui, tout à fait, (silence)….parce que l’écriture a toujours fait partie de moi. J’ai commencé à écrire un journal sur mon site web avant même que le blog ne soit à la mode. D’ailleurs je trouve le mot blog très laid.
FP: Depuis quand tiens-tu ce journal perso?
KS: Je tiens un journal de tout ce qui m’arrive dans la vie depuis le collège. C’était mon prof d’anglais qui nous obligeait à l’époque à écrire chaque jour, pendant une demi-heure, ce que nous avions fait la veille, et depuis je n’ai pas arrêté.
FP: Est-ce que tu as pioché dans tous ces textes un peu d’inspiration pour écrire des chansons?
KS: Oui, tout comme pour cet album je me suis replongée aussi dans des textes que j’avais écrits pour mon premier album. Il y a toujours des moments où tu es devant la page blanche et où tu ne sais plus comment traduire en mots ce que tu ressens, et tu restes là, devant ta feuille blanche sans que rien ne sorte,…et dans ces moments là je me replonge alors dans des textes écrits à d’autres occasions et j’essaye de trouver celui qui colle le mieux avec ce que j’aurais bien aimé coucher sur le papier et que je n’ai pas pu écrire.
FP: Pour plusieurs chansons de cet album, comme ‘Red Rain’ par exemple, tu t’es inspirée de faits réels.
KS: Oui, tout à fait. Le texte de ‘Red Rain’ m’est venu à la suite d’une émission que j’écoutais tard dans la nuit, à la radio, et au cours de laquelle des gens téléphonaient pour raconter des événements insolites ou extraordinaires auxquels ils avaient assisté. Une nuit, des personnes ont appelé pour signaler qu’ils avaient été pris sous une pluie rouge et certains pensaient que c’était lié à des extraterrestres. Cela m’a donné l’idée de cette chanson. Le plus étonnant c’est que le lendemain de cette émission de radio quelqu’un m’a contacté par internet et son pseudo était ‘Red Rain’.
FP: Tu es très intéressée par tout ce qui concerne internet?
KS: Je ne sais pas si c’est la même chose ici en France, mais chez moi on ne te prend pas au sérieux en tant que musicien ou chanteur si tu n’as pas un site web et si tu n’es pas sur MySpace. Et j’aime garder le contrôle de tout ce qui est sur mes pages web. J’ai par exemple changé la navigation sur mon site pour le rendre plus convivial et permettre ainsi aux visiteurs d’accéder plus facilement à ma galerie photos. Mais rien ne sert d’avoir un site web ou un MySpace si tu ne les fais pas vivre car les fans se lassent vite si tu ne leur propose pas de nouvelles choses. C’est pour cela que je propose toujours de nouvelles photos dans ma galerie photos et de nouveaux textes dans mon journal. Un site internet doit être vivant, attirant et toujours te faire revenir pour regarder ce qui est proposé de nouveau.
FP: Dans ce second album il y a des chansons qui relèvent du mystère et du mystique. Pour ton premier album, ‘Root, Heat & Crown’, on peut presque dire que tu nageais dans le mystique, non, car tu t’étais fortement imprégnée des lettres écrites par Héloïse et Abélard.
KS: Tout à fait. Je n’ai pas lu toutes les lettres mais j’avais découvert le livre à une période ‘difficile’ de ma vie (NDLR : ‘torturée’, en traduction littérale). Je suis allée en pèlerinage sur leur tombe, au cimetière du Père-Lachaise, et leur histoire m’a si profondément touchée que j’ai voulu en écrire des textes et de la musique. D’ailleurs pendant mes études j’avais fait un film pour lequel j’avais découvert un album dans lequel il y avait de la musique de Pierre Abélard et j’avais utilisé cette musique comme fond sonore pour mon film. C’était un conte de fée qui racontait en 15 minutes l’histoire d’une jeune fille qui devait être mariée mais qui ne voulait pas de ce mariage. Elle avait reçu quatre graines et chaque nuit elle devait mettre une graine sous son lit et…si tu veux connaître la fin du film, il faut venir le voir. (large sourire)
FP: Pourquoi ne le proposes-tu pas comme bonus, par exemple sur le prochain CD…?
KS: Pourquoi pas,…mais je ne pense pas que ce soit facile à faire et que le CD soit le support le mieux adapté pour le montrer. Je sais que d’autres artistes le font et proposent une vidéo en plus d’un album audio, mais est-ce vraiment ce que les gens attendent…, je ne le pense pas.
FP: Revenons à internet. Que penses-tu des personnes qui copient ou téléchargent des albums de manière illégale?
KS: J’ai un sentiment partagé sur ce sujet. D’une part je pense que c’est un excellent moyen de se faire connaître parce que tu es écouté par des milliers de personnes, mais d’un autre côté les musiciens doivent bien gagner de l’argent en vendant leurs albums pour pouvoir vivre…et faire d’autres albums, aussi. Moi j’ai une idée : peut être que l’on devrait proposer en téléchargement gratuit une chanson de chaque album, et faire payer les autres. Ainsi tous ceux qui aiment la première chanson seraient plus disposés à payer pour un artiste qu’ils apprécient. Ce serait super si les gens pouvaient accepter pareille démarche et jouer le jeu de la gratuité et du payant, non? (large sourire – puis Kristin continue, sans me laisser le temps de lui répondre) Tu sais, beaucoup de mes fans sont des personnes qui m’ont découverte sur internet et pas mal d’entre elles avaient téléchargé des chansons de moi….mais elles ont ensuite acheté mes albums car il y a vraiment une différence de qualité entre ce que tu trouves comme copies piratées sur le net et un CD de qualité. Et finalement cela fait la différence aussi, et les vrais amateurs de musique finissent toujours par acheter le CD des artistes qu’ils aiment. Et puis je pense que ce qui plait aussi, c’est le livret que tu as avec le CD, et c’est pour cela aussi que je fais de vrais livrets, pour que les fans y trouvent les paroles de mes chansons, des photos et des infos que tu n’auras jamais en piratant un CD sur internet.
FP: Sur ce second album tu as comme invités de grands noms comme Stephen Fearing, George Koller, Paul Brennan, Anna Lindsay et bien d’autres. Comment as-tu rencontré Stephen?
KS: Je l’ai rencontré en 1999, à l'Université de Victoria, pendant le ‘Festival of Arts’ où il animait le workshop consacré à l’écriture de chansons auquel je m’étais inscrite. On est immédiatement devenus amis et nous sommes toujours restés en contact. Et comme il vit pas loin de là où j’avais grandi, je suis retournée souvent le voir. Il est toujours présent sur mes albums, et sur le dernier il joue de la guitare sur deux titres.
FP: Et Ken Whiteley?
KS: Ken, je l’ai rencontré sur un festival dans l’Ontario. Ca a tout de suite collé avec lui parce que c’est quelqu’un qui a un grand cœur. Je suis très heureuse de travailler avec lui: c’est quelqu’un qui me donne beaucoup d’énergie,…et c’est un excellent musicien. C’est quelqu’un en qui je peux faire totalement confiance,…et pour produire un album il vaut mieux choisir quelqu’un en qui tu peux faire totale confiance, non ? (large sourire)
FP: Peut-on dire que Ken et Stephen ont indirectement de l’influence sur toi quand tu écris ou composes tes chansons?
KS: Spontanément je dirais ‘non’, mais mes amis me disent que ‘oui’, et en y réfléchissant je dois avouer que oui, ils ont sans doute une influence sur mes chansons. D’ailleurs j’aime tellement les chansons qu’ils écrivent que cela doit m’influencer, c’est vrai. Ken a également beaucoup d’influence sur moi pour tout ce qui concerne les arrangements de mes chansons, comme sur ‘Xanadu’, où il m’a aidé à structurer toutes les idées que j’avais en tête. (rire)
FP: Et la chanson ‘Gone, Gone, Gone’, c’est une expérience perso? C’est du vécu?
KS: Oui, c’est même très personnel. Je traversais le Canada en voiture pour aller voir des amis et quand tu arrives dans l’Ontario et que tu traverses les longues prairies tu penses être arrivé alors qu’il te reste encore trois jours de route. J’étais fatiguée et j’ai eu ma voiture qui s’est embourbée, et personne à des kilomètres pour m’aider. J’ai fait tout ce que je pouvais faire, jusqu’à creuser la terre de mes mains, jusqu’au sang, pour désembourber ma voiture. La chanson ‘The Fox Fires’, je l’ai écrite pour le mariage de Jenny, ma meilleure amie, en souvenir des bons moments que nous avons partagé dans les Blue Ridge Mountains,…et puis ‘Hotel Esmeralda’ je l’ai écrite en souvenir de deux moments forts que j’ai eus à Paris: tout d’abord la rencontre avec un groupe de guitaristes qui jouaient du flamenco dans la cave d’un club, et puis aussi cette vision que j’ai eue de Notre-Dame, illuminée la nuit, depuis la fenêtre de ma chambre d’hôtel. C’était magique.
FP: Et comme tu le laisses entendre dans ‘Gone, Gone, Gone’, tu aimes rouler tant que cela?
KS: J’adore rouler, j’adore faire de longues distances en voiture ; je trouve ça très romantique…et très fou à la fois. (rire) J’adore rouler pour aller à la rencontre de mon public. Rouler, c’est comme un besoin, une nécessité pour moi. Quand j’étais jeune, j’avais des cartes routières comme posters dans ma chambre. J’étais obsédée par prendre la route, découvrir le monde, aller à la rencontre des gens. J’aurais pu devenir exploratrice. (sourire)
FP: Mais tu as choisi la musique…
KS: Non, c’est plutôt la musique qui m’a choisie, qui m’a retenue à elle. A chaque fois que dans ma vie j’ai voulu faire autre chose, comme écrire des romans ou des nouvelles, réaliser un film, à chaque fois la musique est venu s’imposer.
FP : Comme pour ce court métrage sur lequel tu as mis de la musique d’Abélard…
KS: Exactement. Je voulais faire un film, et je l’ai fait, mais c’est finalement la musique d’Abélard qui m’a sans doute beaucoup marquée et qui, des années plus tard, s’est rappelée à moi, et de manière tellement forte que j’ai eu ce besoin de faire cet album, ‘Root, Heat & Crown’.
FP: Quand tu n’es pas sur les routes, combien de temps restes-tu chez toi?
KS: La prochaine fois je sais que je resterai environ 3 semaines à la maison, mais c’est parce que j’ai beaucoup de choses à faire, comme préparer mes prochains concerts. (rire)
FP: Et tu composes quand tu es sur la route?
KS: Non, mais je note plein de choses: des idées, des choses que je vois, que j’entends, des trucs surprenants comme des choses banales, des gens que je rencontre,…tout ce qui fait la vie, tu vois?
FP: Et la vie est belle, selon toi ?
KS: Oui, très belle. Surtout ici, à Paris… ! (large sourire)
Paris on the move
Kristin Sweetland sur le net :
Site officiel : www.kristinsweetland.com
MySpace : www.myspace.com/kristinsweetland
Site du label Bad Reputation : www.badreputation.fr/artiste?id=123 et www.badreputation.fr/produit?id=212