Interview de John Greaves pour son CD John Greaves chante Verlaine

ITW préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer – 2008
Photos: DR & © Rémy Raemakers
 
Gallois d’origine et francophile de cœur, John Greaves est un personnage à multiples facettes. Bassiste, pianiste, chanteur, mais aussi auteur-compositeur, John Greaves fait partie de ceux qui ont connu l’éclat des projecteurs et la notoriété, mais aussi ces moments de repli sur soi, volontaires ou non, qui font que l’on porte un autre regard sur l’existence et le music business.
 
Musicien mais surtout artiste, John Greaves ne s’est jamais contenté de marcher dans les clous d’un passage piéton parfaitement délimité. Sa carrière, il se l’est façonnée selon ses envies, les musiciens rencontrés, au feeling.  L’homme est indépendant et passionnant, passionné. Ses collaborations avec Carla Bley et Robert Wyatt, il n’en parle pas de lui-même, alors que ces rencontres figurent dans toute bonne encyclopédie du rock. De même pour ses participations à ces ensembles inclassables que furent ceux de Michael Nyman ou de Peter Gordon, ou sa contribution aux incontournables groupes rock que furent Henry Cow et National Health.
 
Pour John Greaves, l’essentiel est ici et maintenant. ‘Ici’, c’est à Paris, dans un bistrot du quartier des Grands Boulevards, un verre de Brouilly à la main, et ‘maintenant’, c’est cet album, ‘Greaves chante Verlaine’, qui lui tient à cœur, comme s’il venait de trouver ce bout de sérénité qui lui manquait.
 
 
FBP: Ton idée de départ, c’était quoi ?
JG: Mon idée de départ? (sourire) Je voulais tout simplement faire un disque en français,… et chanter en français. Faire un disque de John Greaves chanteur. J’ai cherché des chansons, et dans le même temps je relisais des poètes français: Mallarmé, Baudelaire et Verlaine. Et à chaque fois que je relisais Verlaine, cela me ‘chantait’.
 
FBP: C'est-à-dire ?
JG: Que chaque fois que je lisais ou relisais un poème de Verlaine, la mélodie de ce poème était déjà en moi. Ce que je veux dire, François, c’est qu’il y a dans ces poèmes une certaine rigueur de construction, et que chacun de ces poèmes permet d’en faire une chanson. C’est comme si Verlaine avait écrit les paroles de chansons dont on n’a jamais trouvé la musique.
 
FBP: Ou bien ces poèmes attendaient que ce soit toi qui les mettes en musique…
JG: Oui, peut être… (sourire) En fait, la construction de ces poèmes correspond à ma manière de composer des chansons et c’est pour cela qu’en lisant Verlaine la musique est venue d’elle-même.
 
FBP: Comment as-tu composé les musiques? D’abord au piano?
JG: Non, cela dépend totalement de la musique qui vient en moi lorsque je lis un poème. C’est pour cela que dans ce disque il n’y a pas véritablement d’instrument principal, mais pour les harmonies, oui, je les ais presque toujours faites au piano.
 
FBP: Comment as-tu finalement fait ton choix final de poèmes, car certains ne font pas partie des plus connus…
JG: Je ne voudrai pas dire que certains sont inconnus, non, mais je pense que si tu fais lire certains de ces poèmes à des lecteurs français peu d’entre eux te diront les avoir déjà lus. En fait, je les ai choisis parce que comme je te le disais, ils ‘chantaient’ en moi lorsque je les lisais. Cela ne t’est jamais arrivé de ressentir une certaine musicalité en lisant un poème…?
 
FBP: Oui, je pense…
JG: Alors tu comprends ce que je te dis, hein…? (sourire) Mais ce n’est pas parce que tu ressens cette musicalité en lisant un texte que tu n’as plus qu’à mettre la musique en forme, là, tout de suite. C’est à chaque fois quelque chose qui doit ‘matûrer’, que tu dois laisser évoluer, et non seulement laisser ‘prendre forme’ mais ‘prendre couleur’. Comme un arc en ciel qui se forme dans un ciel nuageux et ensoleillé à la fois.
 
FBP: Combien de temps as-tu mis pour faire cet album?
JG: Deux ans.
 
FBP: Cela n’a pas été trop long?
JG: Mais que représentent deux ans si le résultat que tu obtiens correspond à ce que tu espérais, et auquel tu voulais parvenir. Le temps est quelque chose d’abstrait et de très concret à la fois, et il faut toujours savoir basculer entre les deux pour faire du temps ton meilleur allié. C’est ce que j’ai fait, je pense, pour cet album.
 
FBP: Pourquoi ce deuxième album en français?
JG: Par défi personnel, et par envie de le faire. Par défi, car pour moi c’était un vrai challenge de faire un album entièrement en français, et chanté en français. Tu te rends compte? Un english qui chante en français, et tout un album, c’était pas évident comme idée (rire). Quelle allait être la réaction du public français? Quand tu te lances dans un tel projet tu ne peux pas ne pas penser à ça, à la manière dont le public va réagir. Alors m’étant lancé ce défi, il me fallait le réussir, et proposer quelque chose de la meilleure qualité possible, et dans lequel on pouvait sentir que j’y avais mis tout ce que j’avais de moi. Et comme les poèmes de Verlaine me faisaient vibrer, et chanter, à chaque fois que je les lisais, je me suis dit que c’était là mon défi: chanter Verlaine. Et puis j’ai un registre vocal assez limité, disons… (rires) Et chanter des poèmes était donc plus évident pour moi que de bosser sur des chansons plus complexes sur le plan vocal.
 
FBP: Tu aurais pu aussi les lire, non?
JG: Oui, c’est vrai, mais à partir du moment où une musique montait en moi pour chacun de ces textes, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout? C’est cela qui fut passionnant. Je ne pouvais pas, et je ne voulais pas me contenter d’être simplement un narrateur, même si musicalement j’ai essayé de garder des effets proches de la narration car j’avais toujours un profond respect pour ces textes.
 FBP : Pourquoi ne pas l’avoir fait avec Rimbaud, par exemple? Et pourquoi ne pas avoir mélangé des textes de plusieurs poètes sur cet album?
JG: Bonne question… Très bonne question… Et qui me fait réfléchir, car oui, cela pourrait sans doute être le thème d’un autre album, des textes de différents poètes chantés sur un même album.
 
FBP: Alors pourquoi Verlaine et pas un autre poète?
JG: En fait, quand j’ai commencé à parler à des gens autour de moi de mon envie de chanter un album en français, ils m’ont recommandé de lire de grands poètes français comme Apollinaire, Rimbaud, et c’est ce que j’ai fait. Mais c’est en relisant Verlaine que j’ai eu ce profond déclic et que j’ai immédiatement senti ce feeling de musicalité associée à des textes en vers. Peut être aussi, comme je te le disais un peu plus tôt, parce que dans Verlaine il y a une construction qui me parle, qui me convient à moi, musicien. Et puis avec l’âge on devient plus réfléchi, et l’on a peut être cet acquis qui fait que lorsque l’on sent quelque chose on sait que l’on tient ce que l’on recherche. Y’en a qui appellent ça l’expérience, d’autres le privilège de l’âge,… je te laisse choisir la formule que tu préfères (rires).
 
FBP: Et musicalement, comment toi, l’expérimenté donc, tu t’y es pris, pour mettre ces poèmes en musique?
JG: (rire) L’expérimenté que je suis est parti sans idée préconçue, laissant venir les choses comme elles venaient, en prenant le temps. J’avais décidé de faire du temps un allié, et non un ennemi (rire). A partir de ce moment là, sans stress et sans pression aucune j’ai commencé à aller ‘Chez Jean’, un petit studio dans lequel je pouvais essayer des choses et enregistrer, chaque fois qu’il était libre, et c’était souvent la nuit. C’est là que j’ai commencé à composer, avec un Fender Rhodes, puis j’ai rajouté les autres instruments au fur et à mesure, au fil du temps.
 
FBP: Et cela t’as pris combien de temps pour faire tout ça ?
JG: Un an (sourire), hé oui, un an, mais ce n’était pas un problème puisque j’avais le temps comme allié (rire).
 
FBP: Et ensuite?
JG : Ensuite? Ensuite ce fut plus simple et plus compliqué à la fois. C’est d’abord Karen qui est venue pour enregistrer ses parties d’harmonica, puis tous les autres sont venus, un à un, comme Scott Taylor et son accordéon. C’est d’ailleurs grâce à lui et son piano à bretelles que les maquettes ont commencé à avoir un son plus ‘français’ (rire). Et puis comme Verlaine est un poète français, je trouvais que le lien avec l’accordéon était plus que normal, naturel en quelque sorte.

FBP: Heureux du résultat, John?
JG: Très.
 
FBP: Et si je te dis que pour moi ‘Le piano que baise une main frêle’ est sans aucun doute possible le plus beau morceau du disque, cela t’étonne?
JG : De la part d’un mec qui a joué de la musique, non, et cela me touche beaucoup que tu aimes cette chanson là, car elle a quelque chose de spécial, de particulier…
 
FBP: Peut être grâce au rôle important des Recycleurs de Bruits…
JG: Sans doute, oui, car c’est vrai que Jef Morin et Nico Mizrachi ont joué un rôle important sur ce titre. Ce sont des mecs absolument géniaux et qui ont réussi à faire de cette chanson un truc expérimental étonnant, avec des combinaisons d’orchestrations et une incessante recomposition de l’instrumentation, avec plein de bidouillages sonores et avec ce piano, celui de Marcel [NDLR: Marcel Ballot], qui va, qui vient. Sincèrement, c’est un truc génial que Jef et Nico ont réussi là.
 
FBP: Et ton prochain album?
JG : Je n’aime pas trop parler de ça à l’avance, parce qu’en fait je travaille déjà dessus depuis un moment et que j’aime bien la discrétion dans le processus créatif. Quel plaisir et quelle surprise auras-tu si je te dis déjà ce que sera mon prochain album…? Aucun, non? Alors fais comme moi, et utilise le temps comme un allié (rire).
 
 
John Greaves