Interview de Jim Yamouridis

                                 Interview de Jim Yamouridis

ITW préparée et réalisée par Anne-Marie Calendini et Dominique Boulay
Le 12 février 2011, au Théâtre de la ville
Photographies: © Anne-Marie Calendini


C’est avant sa prestation en ‘live’ lors de l’émission ‘Radio Libre’ présentée par Arnaud Laporte sur France Culture, que nous avons rencontré Jim Yamouridis.


PM: Jim, vous avez passé la plus grande partie de votre vie en Australie, à Melbourne, exact?
Jim Yamouridis:
Oui, c'est exact. J’ai fait des études d’architecture et j’ai eu mon bureau d'architecte à Melbourne. J'étais également professeur à l'université de Melbourne et aussi à l'institut de technologie de Melbourne.

PM: C'est en Australie que vous avez enregistré vos premiers disques…
JY:
Oui, j'ai enregistré deux disques là-bas avec mon groupe de l'époque, The Stream, dont j'étais le chanteur. Nous étions quatre dans cette formation et nous avions des influences allant du rock au blues, en passant par la folk music. Encore aujourd'hui il m'est toujours difficile de définir mon genre musical, car tout ce qui me touche et que j'aime dans ma vie se retrouve dans ma musique. Rien n'est définit à l'avance. Je suis ouvert à tout, et donc tous les genres de musique m’inspirent. C'était également vrai pour The Stream dans lequel on retrouvait tous les styles…, mais ce qui servait de base, c’était toujours les paroles.

PM: Qui écrivait les textes ?
JY:
Moi. Je suis auteur, c'est mon travail.

PM: Depuis que vous vivez en France, vous poursuivez une carrière solo et avez déjà enregistré trois disques, dont le dernier paru, ‘Into The Day’. Que de chemin depuis le premier disque, qui avait été produit par la Coopérative de Mai.
JY:
J'habite à une centaine de kilomètres de Clermont- Ferrand, là où se trouve la Coopérative de Mai. J'ai eu la chance de rencontrer Didier Veillault, qui en est le directeur, et il m'a proposé de produire mon premier disque en France alors même que je n'avais rien prévu de tel et que je n'étais pas préparé à cela! Mais quand on vous fait une offre pareille et qu'on met un studio d'enregistrement à votre disposition, vous acceptez. Alors je me suis mis à l'écriture et à la composition des chansons pour ce disque solo, ce qui était pour moi une expérience complètement différente par rapport à mon histoire avec The Stream, et cela a donné l'album ‘The Name of This Place’.

PM: En quoi cette expérience était-elle différente de celle avec The Stream?
JY:
Quand on est en solo, il faut trouver plus d'espace dans les chansons, dans les performances et dans tout. Cela demande une très, très grande discipline de faire un disque seul, avec seulement guitare et voix, comme ce fut le cas pour mon premier album en France.

PM: Vous jouez principalement des instruments à cordes?
JY:
Oui, je travaille avec la guitare et le piano, qui est aussi un instrument à cordes (sourire).

PM: Pour écrire une chanson, commencez-vous par le texte ou par la musique?
JY:
Cela dépend… Parfois je commence juste par un morceau de musique, parfois je commence avec un poème écrit depuis déjà longtemps…, car je garde tout. Mais souvent, quand je suis en phase d'écriture, j'aime mettre en mots trois ou quatre idées en même temps. Je n'écris pas de manière isolée. Ce que je veux dire, c’est que je préfère avoir à ma disposition plusieurs morceaux de textes qui peuvent ensuite s'articuler entre eux, puis j'opère une sorte de montage pour aboutir au texte d'une chanson.

PM: Vos origines grecques ont-elles encore une influence dans votre musique, aujourd'hui?
JY:
Je me sens grec de partout…! Mes origines sont le guide de ma vie et je me sens en grande phase avec la culture de ce pays, depuis toujours. Et je reste donc influencé en permanence par mes origines.

PM: Vous avez joué en Australie et en France, mais avez-vous déjà joué en Grèce?
JY:
Oui, j'ai déjà joué en Grèce, mais je chantais en anglais.

PM: Pensez-vous écrire un jour des chansons en grec?
JY:
Mes premières chansons étaient en grec. Quand j'étais petit et que j'ai commencé à jouer et à faire des spectacles, c'était dans un cadre familial et c'était en grec. Mais ensuite, parce que j'ai vécu en Australie, dans un pays anglo-saxon, il me semblait normal d'écrire en anglais pour le public australien. Je me suis toujours attaché à apporter beaucoup de sérieux et de précision à l'écriture en anglais. Pour en revenir à la Grèce…, il y a trois ou quatre ans j'ai joué en concert avec Nicolas Syros, qui est un grand joueur de Rembetika (blues grec), et c'était vraiment très bien. J'étais à la guitare et lui au chant et au bouzouki. Nous avons joué un répertoire de vieilles chansons du Rembetika car c’est ce qui, pour moi, incarne le mieux l'âme grecque.

PM: Richard Bona, bassiste africain qui vit à New-York, a composé un album sur les blues qui utilisent la gamme pentatonique. Est-ce le cas dans la musique grecque traditionnelle?
JY:
Oui, d'ailleurs j'utilise encore cette gamme dans mes compositions.

PM: Comment avez-vous rencontré Sébastien Martel, qui a arrangé et produit votre dernier album?
JY:
Après la sortie de mon premier disque, Sébastien venait de finir une tournée avec M en tant que guitariste. Un jour, j'ai reçu un coup de téléphone m'informant qu’il voulait jouer avec moi. Je lui ai fait écouter mon disque, il l'a aimé, et c'est comme ça qu'on s'est connu. Après, il m'a invité à participer à un projet d'artistes en résidence, dans le Moulin des Volontaires, près d'Issoire, en Auvergne, et qui fut inauguré par Alain Bashung en 2004. On a passé quatre à cinq jours là-bas et on a monté un spectacle complètement acoustique dans une vieille chapelle. J'ai joué quelques titres de Sébastien et lui a joué les miens. Au total, on a joué une trentaine de chansons en compagnie des autres artistes également invités. C'est comme cela que notre collaboration artistique est née.

PM: Qui fut à l'initiative de l'arrangement de l'album?
JY:
Au moment de quitter le moulin, j'ai lui ai dit au revoir et c’est lui qui m'a demandé si je voulais faire un disque avec lui. J'ai répondu que oui, et il m'a demandé si j'accepterai qu'il en soit l'arrangeur et le producteur. Quinze jours plus tard, nous avons commencé à enregistrer les chansons.

PM: Vous nous avez parlé d'Alain Bashung. L'avez-vous rencontré?
JY:
Oui, juste une fois, dans un festival. J'avais assuré la première partie de son concert.

PM : Et avez-vous rencontré d'autres artistes français?
JY:
Récemment, j'ai eu l'occasion de rencontrer plusieurs artistes, mais lorsque je n'étais pas encore connu j'ai rencontré Jean-Louis Murat, ainsi que d'autres chanteurs… mais dont je ne connaissais pas toujours le nom…! (sourire)

PM: Quelle différence faites-vous entre les artistes français et les artistes anglo-saxons?
JY:
Les artistes français sont plus calmes, et aussi plus gâtés…

PM: Qu'entendez-vous par plus gâtés?
JY:
Le monde anglo-saxon est plus difficile pour les artistes. En fait, quand je dis qu'en France les artistes sont plus gâtés, ce n'est pas vrai, c'est juste qu'ils sont traités normalement. Ils trouvent des lieux pour se produire, ils peuvent trouver du soutien auprès de personnes humainement et artistiquement curieuses, comme ce fut le cas pour moi avec la Coopérative de Mai. Chez les anglo-saxons cela ne se passe pas souvent comme ça, surtout quand vous débutez. Il arrive que des artistes payent pour pouvoir monter sur scène…!

PM: Warren Ellis, le guitariste de Nick Cave And The Bad Seeds, joue du violon sur votre dernier album. Sera-t-il avec vous sur scène à l’occasion du concert que vous donnerez au mois d'avril prochain, au Café de la Danse, à Paris?
JY:
Je ne sais pas, car il a un programme très chargé. J'ai déjà fait deux concerts avec Warren à Paris, c'était à la Java. Je lui avais demandé pour l'occasion de jouer un solo au violon, et bien qu'étant réticent au départ, il a fini par accepter et a joué seul pendant 15 minutes. C'était vraiment splendide. Après, il m'a accompagné pour le concert. Etaient également présents Sebastien Martel, Sarah Murcia et Fabrice Barré, qui ont joué sur mon dernier album. En ce moment, Warren est en Australie car il tourne beaucoup avec son autre groupe, Grinderman.

PM: Comment se sont passés les deux concerts acoustiques, guitare et voix, que vous avez donnés il y a quelques jours, à Paris?
JY:
Bien, mais le set a commencé un peu trop tôt, à 19h, et ce n'était pas facile pour le public d'être là si tôt dans la soirée… La deuxième fois, j'avais invité un ami que je connais depuis longtemps. Il s'appelle Nicolas Thomas, il joue du vibraphone mais il est aussi pianiste classique. Ce soir là, je lui ai demandé de jouer juste du vibraphone, et la combinaison de cet instrument avec ma musique a donné quelque de magique et d'hypnotique à la soirée. J'ai vraiment adoré ça. C'était une vraie découverte pour moi car c'était la première fois que nous l'expérimentions.

PM: Cela vous donne-t-il envie de travailler ensemble?
JY:
Oui, on s’est déjà dit qu'il faudrait pousser un peu plus dans cette voie. Après, il faut trouver du temps pour poursuivre cela, en fonction des disponibilités de chacun.

PM: Quels sont les artistes qui vous ont le plus influencé?
JY:
Oh, ce sont tous de vieux grecs. Vous savez, moi je suis né dans une famille de musiciens et j'ai commencé à jouer avec mes oncles. Quand j'étais petit, à trois ou quatre ans, je pensais déjà que la musique et les chansons étaient de formidables moyens d'expression, et puis on peut y ajouter la danse aussi. Chez nous, la musique était quelque chose de naturel, mais je voyais bien que cela n'était pas le cas dans toutes les maisons.

PM: Pour revenir à l’Australie, y-a-t-il beaucoup de grecs à Melbourne?
JY:
Oui, énormément. Les grecs qui ont émigré jusqu'en Australie depuis de nombreuses décennies ont reconstitué leur culture sur place, avec la bouffe, la musique, les associations, les réseaux sociaux. A Melbourne, les grecs ont cette volonté de préserver leur identité culturelle d'origine.

PM: Et ces grecs exilés aiment chanter le blues de leur pays d'origine?
JY:
Oui, absolument…! C'est un besoin. Ma mère, par exemple, écrivait des chansons formidables, elle était chanteuse.

PM: Et votre père?
JY:
Mon père, lui, bricolait (sourires). Il bricolait avec les instruments, mais ce n'était pas son truc!

PM: A vous entendre, il y a une vraie transmission de l'héritage musical dans votre famille. Aimeriez-vous que vos enfants soient musiciens?
JY:
Mon fils Aki, qui a 14 ans, joue du piano comme un ange (sourire).

PM: Vous vivez dans un village de 48 habitants. Quelle vie y menez-vous?
JY:
C'est une vie assez monastique, c’est vrai, car il n'y a ni restaurant, ni cinéma. Mes journées se déroulent de manière assez organisée: je m’occupe de la maison, je travaille à l'écriture des textes et aux compositions des musiques dans le studio que j'ai construit chez moi, j'attends le retour de mon fils, je cuisine, je bricole,… je fais tout. Et j'aime beaucoup cette vie là! Mais quand je suis à Paris, j'aime aller au restaurant, voir du monde, sortir.

PM: Etes-vous misanthrope?
JY:
Non, non, pas du tout! Je suis quelqu'un qui adore l'humanité mais j'ai besoin de contrôler ma vie et d'avoir du temps pour faire les choses, car l'écriture demande de la maturation. Je travaille chaque jour à cette tâche, et chaque jour je me rends dans mon studio. J’avance pas à pas.

PM: Vos textes sont plutôt narratifs ou poétiques?
JY:
Moi j'ai plutôt une approche poétique. Je ne peux pas écrire une histoire d'une traite. Par contre je me sers d'histoires ou d'évènements existants qui m'inspirent des images. Avec un langage qui s'apparentera plus à la forme poétique. La difficulté, c'est qu'avec une chanson on a un certain nombre de contraintes. D'abord celle du tempo. J’aime travailler à partir des syllabes et des sons contenus dans les mots pour aboutir à un langage qui pourra se combiner à la musique, mais je ne cherche pas à écrire une histoire dès le départ. Pour moi, la construction des textes est ce qu'il y a de plus contraignant dans le processus de création d'une chanson.

PM: Comment vivez-vous la comparaison que l'on fait de vous avec Léonard Cohen?
JY:
C'est évidemment très flatteur, mais ce n'est pas la même chose. Nous avons une voix grave tous les deux, certes, mais nous ne sommes pas les seuls! En ce qui me concerne, cela me vient du chant des églises grecques orthodoxes avec les psalmodies byzantines que j'ai beaucoup écoutées. J'ai toujours été captivé par cela. Pour moi, c'est vraiment une libération de l'âme, c'est ça qui transparaît dans ma manière de chanter. Léonard Cohen, lui, possède un vrai talent d'auteur qui le place à part!

PM: Votre musique a cette capacité de suspendre le temps, par moment. Comment arrivez-vous à cela?
JY:
Cette idée de la suspension, de l'espace temps qui s'arrête est un but que je cherche à atteindre lorsque je crée des chansons, et c'est l'une des choses les plus difficiles à réussir. Mais si on y parvient, on échappe au banal, même si ce n’est que l’espace d’une micro seconde. Dans mes compositions, j'essaye toujours de trouver cette porte d'entrée. Et quand on travaille avec d'autres musiciens, c'est parfois difficile de l'expliquer aux autres, car c'est quelque chose de très personnel, et introspectif.

PM: Sur votre dernier album vous élargissez votre champ musical, avec des influences de country américaines, par exemple.
JY:
Oui, la country est un genre musical que j'aime beaucoup car dans cette musique il y a toujours une belle histoire de racontée, ainsi qu’une dimension poétique.

Ce sera sur cette réponse que nous devrons quitter Jim Yamouridis, celui-ci étant attendu pour l’émission de radio, en nous promettant toutefois de nous revoir mardi 26 avril, pour son concert au Café de la Danse.

Jim Yamouridis