Interview de Ian Kent

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy – Juin 2008
Photos : © Ian Kent / Isabelle Kratz

Héritier spirituel de Jack Kerouac, Ian Kent fait partie de ces personnes – de ces ‘personnages’ – qui ont passé une partie de leur jeunesse à sillonner les Etats Unis en stop, s’y forgeant une âme de loup solitaire et de chef de meute à la fois. Installé en région parisienne depuis une dizaine d’années, Ian Kent n’est pas un américain qui a découvert la France sur le tard : né à Boulogne Billancourt de père journaliste et anarchiste dans l’âme, le jeune Ian a suivi une bonne partie de sa scolarité dans un collège parisien avant de retourner aux States, dans les années 80, pour y suivre sa famille.

Sa voix éraillée à la Tom Waits, son jeu de guitare et de mandoline, son talent d’auteur-compositeur lui ont permis de jouer dans de nombreux groupes, dont Blackstone, avec lequel il travaille sur leur quatrième album.

Trick Bag, son premier album solo, est un périple, similaire à celui qu’il entreprit pendant sa jeunesse, alternant soul, rock, country et blues au travers de 13 chansons originales et d’une reprise.

BM : Ian, qu’est-ce qui a motivé la venue de ton père en France ? Le journalisme ?
IK :
En fait, c’était à cause du maccarthisme. Anarchiste et communiste, mon père a préféré venir en France plutôt que de risquer de gros, de très gros problèmes. C’était aussi pour lui la possibilité de pouvoir s’exprimer librement. Pour lui, un journaliste est un homme libre et qui peut dire ce qu’il pense, comme dire ce que d’autres pensent et n’osent dire.

BM : Comment s’est passé pour toi le retour aux USA ?
IK :
J’ai commencé par faire des études de journalisme…

BM : Par choix personnel, ou par rapport à ton père ?
IK :
Les deux. Mon père disait toujours que toute personne devrait avoir fait au moins une fois dans sa vie le boulot de journaliste,…mais j’ai surtout choisi cette voie parce que j’avais déjà en moi un très fort désir d’écrire. Ceci dit, je me suis très vite désintéressé de ces études quand j’ai découvert la musique de groupes comme le Grateful Dead. Je me suis mis alors à bosser très sérieusement la musique,…vu que finalement la guitare pouvait me permettre de faire autre chose que d’épater les filles.

BM : Cet album, Trick Bag, est ton premier album solo ?
IK :
Absolument.

BM : Pourquoi avoir mis tant de temps à le sortir ?
IK :
(silence)… Tu sais, quant tu as été sur la route comme je l’ai été, ce n’est pas ce qui te stabilise. Et pour sortir un album solo il faut, à mon avis, une certaine stabilité, se poser. Et pour le faire, cela m’a pris pas mal de temps. Et puis je voulais d’abord vivre ce que je voulais vivre, en étant sur la route.

BM : Ce périple n’était donc pas ‘pour’ la musique…
IK :
Non. Quand j’avais l’occasion de jouer, je le faisais, mais je n’étais pas parti pour cela. Par contre, cela m’a permis de bien améliorer ma technique…(large sourire). Tu sais, quand tu es seul sur le bord de la route et que personne ne passe, et pendant des heures,…ce sont de grands moments de solitude. Ou alors une voiture passait et ne s’arrêtait pas, parce qu’il commençait à y avoir aussi un peu de parano sur tout ce qui pouvait se passer avec le stop… Et dans ces moments-là, tu sors ta guitare et tu te dis qu’il y a un truc que tu joues mal et là, tu le joues et rejoues encore,…et ça, tu vois, ça m’a permis de faire de gros progrès (rire).

BM : Mais tu n’as pas toujours été seul, tu as eu l’occasion de jammer pendant ce périple ?
IK :
Oui, bien sûr que j’ai eu l’occasion de jammer avec les musiciens que j’ai rencontrés, mais pas tant que ça parce que ces musiciens étaient déjà bien occupés à trouver des dates ou des lieux pour jouer,…quand ils n’étaient pas en train d’enregistrer un album.

BM : Pourquoi avoir fait ce périple aux USA ?
IK :
Ca peut paraitre banal de le dire comme ça mais j’ai été très marqué, à 16 ans, par deux choses : le bouquin ‘On the road’ et le film ‘Easy Rider’. Et puis j’avais un grand frère qui avait pas mal voyagé en stop – mon père aussi avait pas mal bourlingué – et tout ça n’a pu que me conforter dans l’idée de partir sur les routes.

En fait, je pensais réellement être parti pour pas mal d’années et pour devenir moi aussi un poète des routes américaines (large sourire).

BM : A quel âge es-tu parti ?
IK :
A 18 ans. Je suis parti dès que j’ai eu l’âge de pouvoir partir seul. Ma mère n’était pas contre mais elle m’a dit « Tu veux partir ? Alors tu te débrouilles tout seul ! ». Et je me suis débrouillé seul (large sourire).

BM : Ce périple n’était-il pas une fuite ?
IK :
(silence)… Oui, sans doute… (silence)… Oui, une fuite de tout ce qui était réglementé, des études aussi, de tout ce qui était trop bien formaté, mais ce n’est pas de cette manière qu’on l’analyse lorsqu’on décide de faire ce genre de chose. C’est comme lorsque j’étais étudiant. Il y avait plein d’avantages à être étudiant : aller souvent à des concerts, ou aller au cinéma tous les soirs pour presque rien,… Et finalement, avec le recul, je dois avouer qu’à cette période là je ne me rendais absolument pas compte de tous ces avantages que j’avais.

BM : Tu le regrettes, maintenant, d’avoir largué tout cela très vite ?
IK :
Non, absolument pas, car j’en ai profité. Moins longtemps que d’autres, c’est sûr, mais le fait de partir m’a apporté beaucoup aussi. Non, je ne regrette pas ce que j’ai fait,…surtout qu’après ce périple je suis revenu refaire des études.

BM : Combien de temps a duré ce périple ?
IK :
Un an.

BM : As-tu écrit des chansons pendant cette année sur la route ?
IK :
Non. En fait, j’étais totalement plongé dans l’écriture d’un roman,…qui n’a jamais été publié d’ailleurs, et ce que je composais je ne le trouvais pas suffisamment bon pour l’enregistrer. Quand j’écoutais Dylan et que je relisais ce que j’avais écrit comme chansons, y’avait pas photo (large sourire).

BM : Et si je te dis Townes Van Zandt…?
IK :
(large sourire) Je devine pourquoi tu me poses la question…. Sincèrement, j’ai un peu d’ambiguïté vis-à-vis de Townes Van Zandt. C’est un très bon songwriter mais je ne suis pas très fun de son côté « tous les malheurs du monde sont pour moi ». C’est tellement dans le tragique parfois, que j’ai un peu de mal avec ça.

BM : Pourtant certaines de tes chansons de ton album solo, comme ‘The Girl From The Song’, sonnent comme du Townes Van Zandt.
IK :
Oui, je sais,…on me l’a déjà dit à plusieurs reprises. C’est donc que ça doit être vrai. Mais je n’ai pas fait ces chansons pour sonner comme Townes Van Zandt.

BM : Alors comment expliques-tu cette filiation involontaire ?
IK :
(silence)… Bonne question… Je pense qu’entre Townes Van Zandt et moi il y a un maillon, important et fort, qui est Steve Earle. Ca doit être ça. Mais ne va pas imaginer que je n’aime pas Townes Van Zandt ! Il y a des chansons de lui que j’adore. J’en ai même joué une il y a pas si longtemps, à la Pomme d’Eve.

BM : Alors si un jour on te propose d’enregistrer un titre dans un album ‘Tribute à Townes Van Zandt’ ?
IK :
Ce sera oui, sans hésiter ! Mais c’est moi qui choisirai la chanson… (large sourire)

BM : Revenons maintenant à cet album, Trick Bag. Le premier des 14 titres est ‘Seven Seven Man’, une chanson qui ne dépasse pas les 4 minutes. D’ailleurs, à l’exception du second titre, Time Gone By, aucune autre chanson de ton album ne dépasse les 4 minutes. Sur la majorité d’entre elles il n’y a d’ailleurs aucun solo. C’est quoi le problème, docteur ?
IK :
(large sourire) Tu vois, pour moi un solo ne se prête pas à tous les titres. Dans certaines chansons un solo va te distraire de ce que tu veux exprimer à travers la chanson. Il n’apportera rien de plus. Quand tu travailles sur un certain format de chanson, tu sais que ton texte ne doit pas être interrompu, qu’il faut une continuité dans ce que tu exprimes. Pour d’autres chansons c’est comme dans des romans où en milieu de bouquin tu te prends 20 pages de digressions sur tel ou tel sujet qui a peu de choses à voir avec ce que tu viens de lire et ça passe super bien. Et là, oui, tu peux ajouter un solo. Mais il faut que le solo apporte musicalement quelque chose à la chanson que tu interprètes. Une chanson, c’est narratif, et selon ce que tu chantes, une coupure musicale n’est pas forcément adéquate. C’est ce qui est parfois chiant avec des groupes de blues qui pensent que là et là il faut mettre un solo, parce qu’un solo va montrer ta technique. Franchement, y’a pas besoin de faire de l’étalage de technique à travers un solo pour montrer que t’es un bon musicien.

BM : Et toi, te qualifierais-tu de bluesman ? Quelle étiquette te collerais-tu ?
IK :
Songwriter,…oui, songwriter. Sans hésiter. Ce qui est pénible c’est que le marché du disque, et beaucoup plus que le public d’ailleurs, veut absolument te faire rentrer dans telle ou telle case : pop, rock, blues, jazz,…alors qu’il suffirait simplement de dire ‘songwriter’.

BM : Dans le premier titre, Seven Seven Man, certains y trouvent un dobro et un son de guitare à la Dire Straits. La rythmique ne serait-elle pas plutôt fortement en ligne directe des premiers Creedence Clearwater Revival ?
IK :
Pour le dobro je n’ai aucune idée, mais pour la guitare, oui, tu as totalement raison. J’adore ce que faisait le Creedence Clearwater Revival, surtout à leur début, comme dans l’album Green River, et c’est sûr que cette influence là se ressent dans certaines de mes chansons.

BM : Tu te souviens qu’une certaine presse critiquait à l’époque cette rythmique ‘simpliste’ ?
IK :
Oui, mais c’était une connerie parce que contrairement à d’autres, eux au moins, ‘sonnaient’. Il y avait réellement quelque chose d’efficace et de beau dans cette simplicité là. Et puis je n’aime pas ces gens qui critiquaient Creedence Clearwater Revival comme s’ils étaient la parole de Dieu.

BM : Et la chanson ‘Little Wings’: si je te dis que pour moi elle sonne façon Tom Waits ?
IK :
Cela me fait énormément plaisir que tu le ressentes ainsi parce que TomWaits est un mec que j’aime énormément, que j’adore. Par contre, par rapport à lui, j’ai choisi des instruments légers, tu vois,….au lieu de tirer des chaises par terre (large sourire). Mais c’est aussi ça la force de Tom : donner une âme à une chanson avec des bruits de chaise par-dessus la musique, alors que sans ces chaises cela sonnerait ‘small’, tu comprends ?  Tom Waits est un mec ultra-sentimental et quand il chante il t’entraîne dans ses chansons, et là, t’en as la larme à l’œil.

BM : Dans la chanson Central New York Blues, qui est pour moi la plus belle de cet album, on te sent proche de Willie Nelson et Johnny Cash. Vrai ou faux ?
IK :
Vrai. Ils ont eu tous deux sur moi une influence très forte. Je les adore. Ce sont des chanteurs en ligne directe avec Dieu.

BM : Ton activité de journaliste et d’interprète, pour Eric Bibb notamment, a-t-elle eu une influence sur ton travail d’écriture ?
IK :
Oui, sans hésiter… Et je reste persuadé que toute expérience personnelle et professionnelle apporte quelque chose à l’écriture. Certaines activités, comme le journalisme, ont leurs caractéristiques, car tu dois t’adapter au support et tu dois, par exemple, communiquer une info en tant de lignes, ou tant de mots, et écrire devient un véritable exercice de style. Pour les chansons c’est un peu la même chose.

BM : Les personnes que tu évoques dans tes chansons ont-elles réellement existé ?
IK :
Oui, dans plusieurs chansons je parle de gens que j’ai connus, ou que je connais encore. Dans Central New York Blues, je parle d’un dénommé Craig, qui a vraiment existé. Dans d’autres chansons, comme Tijuana, il s’agit de personnages que j’ai inventés,…mais qui, quelque part, ont un profil ou une personnalité grâce à des personnes que j’ai connues.

BM : Ton intro à la mandoline, sur Angel, est absolument géniale et en t’écoutant jouer ainsi je ne peux pas imaginer que tu sois un autodidacte…
IK :
Hé bien si, je suis un autodidacte (large sourire). Quand j’étais gamin, avec mon frangin on chantait en duo des titres des Beatles et c’est lui qui m’a poussé à jouer mes premiers accords. Et puis comme le fait de jouer de la guitare faisait craquer les filles, ça m’a motivé pour en jouer (sourire). Après, c’est avec le fameux Craig que je me suis plongé dans la musique du Grateful Dead et que je me suis mis à bosser ma technique de guitare en y mettant du blues, du bluegrass et du folk-rock, le tout dans une sauce très psychédélique. Après, je me suis plongé dans le blues. J’ai joué avec plusieurs groupes de blues avant de changer de cap à nouveau et de monter un groupe de folk-rock avec lequel j’ai même bossé sur des morceaux tziganes mélangés à du folk irlandais et du folk-rock américain. T’imagines le boulot que cela nous a demandé pour arriver à en faire des titres sympas ? (large sourire)

BM : Et comment en es-tu venu à intégrer Blackstone ?
IK :
Faut tout d’abord préciser à tes lecteurs que Blackstone n’est pas un groupe de blues, mais un groupe de rock dans la lignée Led Zep. C’est en fait Marc Varez, un super batteur, qui a monté Blackstone. Le truc c’est que Marc ne cherchait pas de chanteur de hard-rock ou de metal-rock et il m’a laissé écrire des chansons comme je le sentais, avec ma sensibilité,…mais pour un groupe de rock. Cela m’a beaucoup appris car on n’écrit pas pour Blackstone comme pour un groupe de folk ou de blues, et en plus j’ai pu commencer à jouer de la slide guitar,…en autodidacte (rire).

BM : Pourquoi avoir appelé ce groupe The Immigrants ?
IK :
Parce que dans le groupe il y a Sami, à la basse, qui est à moitié kabyle, moi qui suis américain,…et puis nous sommes tous des immigrants de quelque part, non ? (large sourire)

BM : Et pourquoi Ian Kent & The Immigrants ? C’est pour ton ego ?
IK :
(silence)… C’est marrant que tu me poses la question ainsi car peu après la sortie du disque j’ai regretté de l’avoir appelé Ian Kent & The Immigrants (silence)… J’aurais mieux fait de le sortir sous ‘The Immigrants’, tout simplement.

BM : Surtout qu’il ressort de l’album une cohésion parfaite entre toi et tes chansons, et le groupe.
IK :
Ca c’est quelque chose qui me touche beaucoup, parce que j’avais très peur, quelque part, que cette suite de chansons avec des styles parfois très différents allait manquer de cohésion,….même si, dans mon esprit, le fait que je sois l’auteur des chansons et le chanteur du groupe pouvait déjà donner une certaine cohésion. Il est vrai aussi que les musiciens qui m’accompagnent sur cet album sont non seulement de super musiciens, mais qu’ils savent jouer du blues comme du folk ou du rock avec une totale disponibilité, et en y donnant toute leur âme. Et quand tu touches à l’âme, comme ça, tu ne peux qu’avoir de grands moments de bonheur.

BM : A quand un album avec des chansons en français ?
IK :
Chanter en français ?… (songeur)

BM : Tu ne te vois pas chanter du blues ou du rock en français ?
IK :
Sincèrement…., non. Quand j’entends du rock chanté en français, cela ne me dérange pas mais j’ai toujours dans l’oreille cette musicalité du rock chanté en anglais. Et comme je suis de langue maternelle anglaise, le rock en français me fait plutôt penser à quelque chose d’adapté, d’arrangé, tu comprends ?

BM : Tout à fait, mais alors pourquoi pas un album avec des chansons françaises ? Des chansons comme celles de Trick Bag, faisant moins de 5 minutes et sans véritable solo…, idéales pour passer à la radio.
IK :
(large sourire) Peut être,…un jour,… Le problème pour moi est que je ne connais pas grand-chose de la chanson actuelle française. Quand j’étais jeune, j’écoutais Nino Ferrer, Jacques Dutronc, Brel, Brassens,…et ça c’est ce que je connais de la chanson française,…de grande qualité et qui, malgré les années, n’a ni vieilli ni perdu de son originalité.

BM : Tes projets ?
IK : Je travaille sur le nouvel album de Blackstone qui va très bientôt sortir, et puis je continue à écrire des chansons pour un prochain album. Et puis prendre la route,…pour faire des concerts (large sourire).

Découvrez Ian Kent & The Immigrants sur www.myspace.com/iankentandtheimmigrants

 


Frankie Bluesy Pfeiffer

Paris Move & Blues Magazine
www.bluesmagazine.net

Interview de Ian Kent

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer – Juin 2008
Photos : © Ian Kent / Isabelle Kratz

Héritier spirituel de Jack Kerouac, Ian Kent fait partie de ces personnes – de ces ‘personnages’ – qui ont passé une partie de leur jeunesse à sillonner les Etats Unis en stop, s’y forgeant une âme de loup solitaire et de chef de meute à la fois. Installé en région parisienne depuis une dizaine d’années, Ian Kent n’est pas un américain qui a découvert la France sur le tard : né à Boulogne Billancourt de père journaliste et anarchiste dans l’âme, le jeune Ian a suivi une bonne partie de sa scolarité dans un collège parisien avant de retourner aux States, dans les années 80, pour y suivre sa famille.

Sa voix éraillée à la Tom Waits, son jeu de guitare et de mandoline, son talent d’auteur-compositeur lui ont permis de jouer dans de nombreux groupes, dont Blackstone, avec lequel il travaille sur leur quatrième album.

Trick Bag, son premier album solo, est un périple, similaire à celui qu’il entreprit pendant sa jeunesse, alternant soul, rock, country et blues au travers de 13 chansons originales et d’une reprise.

BM : Ian, qu’est-ce qui a motivé la venue de ton père en France ? Le journalisme ?
IK :
En fait, c’était à cause du maccarthisme. Anarchiste et communiste, mon père a préféré venir en France plutôt que de risquer de gros, de très gros problèmes. C’était aussi pour lui la possibilité de pouvoir s’exprimer librement. Pour lui, un journaliste est un homme libre et qui peut dire ce qu’il pense, comme dire ce que d’autres pensent et n’osent dire.

BM : Comment s’est passé pour toi le retour aux USA ?
IK :
J’ai commencé par faire des études de journalisme…

BM : Par choix personnel, ou par rapport à ton père ?
IK :
Les deux. Mon père disait toujours que toute personne devrait avoir fait au moins une fois dans sa vie le boulot de journaliste,…mais j’ai surtout choisi cette voie parce que j’avais déjà en moi un très fort désir d’écrire. Ceci dit, je me suis très vite désintéressé de ces études quand j’ai découvert la musique de groupes comme le Grateful Dead. Je me suis mis alors à bosser très sérieusement la musique,…vu que finalement la guitare pouvait me permettre de faire autre chose que d’épater les filles.

BM : Cet album, Trick Bag, est ton premier album solo ?
IK :
Absolument.

BM : Pourquoi avoir mis tant de temps à le sortir ?
IK :
(silence)… Tu sais, quant tu as été sur la route comme je l’ai été, ce n’est pas ce qui te stabilise. Et pour sortir un album solo il faut, à mon avis, une certaine stabilité, se poser. Et pour le faire, cela m’a pris pas mal de temps. Et puis je voulais d’abord vivre ce que je voulais vivre, en étant sur la route. 

BM : Ce périple n’était donc pas ‘pour’ la musique…
IK :
Non. Quand j’avais l’occasion de jouer, je le faisais, mais je n’étais pas parti pour cela. Par contre, cela m’a permis de bien améliorer ma technique…(large sourire). Tu sais, quand tu es seul sur le bord de la route et que personne ne passe, et pendant des heures,…ce sont de grands moments de solitude. Ou alors une voiture passait et ne s’arrêtait pas, parce qu’il commençait à y avoir aussi un peu de parano sur tout ce qui pouvait se passer avec le stop… Et dans ces moments-là, tu sors ta guitare et tu te dis qu’il y a un truc que tu joues mal et là, tu le joues et rejoues encore,…et ça, tu vois, ça m’a permis de faire de gros progrès (rire).

BM : Mais tu n’as pas toujours été seul, tu as eu l’occasion de jammer pendant ce périple ?
IK :
Oui, bien sûr que j’ai eu l’occasion de jammer avec les musiciens que j’ai rencontrés, mais pas tant que ça parce que ces musiciens étaient déjà bien occupés à trouver des dates ou des lieux pour jouer,…quand ils n’étaient pas en train d’enregistrer un album. 

BM : Pourquoi avoir fait ce périple aux USA ?
IK :
Ca peut paraitre banal de le dire comme ça mais j’ai été très marqué, à 16 ans, par deux choses : le bouquin ‘On the road’ et le film ‘Easy Rider’. Et puis j’avais un grand frère qui avait pas mal voyagé en stop – mon père aussi avait pas mal bourlingué – et tout ça n’a pu que me conforter dans l’idée de partir sur les routes.

En fait, je pensais réellement être parti pour pas mal d’années et pour devenir moi aussi un poète des routes américaines (large sourire). 

BM : A quel âge es-tu parti ?
IK :
A 18 ans. Je suis parti dès que j’ai eu l’âge de pouvoir partir seul. Ma mère n’était pas contre mais elle m’a dit « Tu veux partir ? Alors tu te débrouilles tout seul ! ». Et je me suis débrouillé seul (large sourire).

BM : Ce périple n’était-il pas une fuite ?
IK :
(silence)… Oui, sans doute… (silence)… Oui, une fuite de tout ce qui était réglementé, des études aussi, de tout ce qui était trop bien formaté, mais ce n’est pas de cette manière qu’on l’analyse lorsqu’on décide de faire ce genre de chose. C’est comme lorsque j’étais étudiant. Il y avait plein d’avantages à être étudiant : aller souvent à des concerts, ou aller au cinéma tous les soirs pour presque rien,… Et finalement, avec le recul, je dois avouer qu’à cette période là je ne me rendais absolument pas compte de tous ces avantages que j’avais.

BM : Tu le regrettes, maintenant, d’avoir largué tout cela très vite ?
IK :
Non, absolument pas, car j’en ai profité. Moins longtemps que d’autres, c’est sûr, mais le fait de partir m’a apporté beaucoup aussi. Non, je ne regrette pas ce que j’ai fait,…surtout qu’après ce périple je suis revenu refaire des études.

BM : Combien de temps a duré ce périple ?
IK :
Un an.

BM : As-tu écrit des chansons pendant cette année sur la route ?
IK :
Non. En fait, j’étais totalement plongé dans l’écriture d’un roman,…qui n’a jamais été publié d’ailleurs, et ce que je composais je ne le trouvais pas suffisamment bon pour l’enregistrer. Quand j’écoutais Dylan et que je relisais ce que j’avais écrit comme chansons, y’avait pas photo (large sourire).

BM : Et si je te dis Townes Van Zandt…?
IK :
(large sourire) Je devine pourquoi tu me poses la question…. Sincèrement, j’ai un peu d’ambiguïté vis-à-vis de Townes Van Zandt. C’est un très bon songwriter mais je ne suis pas très fun de son côté « tous les malheurs du monde sont pour moi ». C’est tellement dans le tragique parfois, que j’ai un peu de mal avec ça.

BM : Pourtant certaines de tes chansons de ton album solo, comme ‘The Girl From The Song’, sonnent comme du Townes Van Zandt.
IK :
Oui, je sais,…on me l’a déjà dit à plusieurs reprises. C’est donc que ça doit être vrai. Mais je n’ai pas fait ces chansons pour sonner comme Townes Van Zandt.

BM : Alors comment expliques-tu cette filiation involontaire ?
IK :
(silence)… Bonne question… Je pense qu’entre Townes Van Zandt et moi il y a un maillon, important et fort, qui est Steve Earle. Ca doit être ça. Mais ne va pas imaginer que je n’aime pas Townes Van Zandt ! Il y a des chansons de lui que j’adore. J’en ai même joué une il y a pas si longtemps, à la Pomme d’Eve.

BM : Alors si un jour on te propose d’enregistrer un titre dans un album ‘Tribute à Townes Van Zandt’ ?
IK :
Ce sera oui, sans hésiter ! Mais c’est moi qui choisirai la chanson… (large sourire)

BM : Revenons maintenant à cet album, Trick Bag. Le premier des 14 titres est ‘Seven Seven Man’, une chanson qui ne dépasse pas les 4 minutes. D’ailleurs, à l’exception du second titre, Time Gone By, aucune autre chanson de ton album ne dépasse les 4 minutes. Sur la majorité d’entre elles il n’y a d’ailleurs aucun solo. C’est quoi le problème, docteur ?
IK :
(large sourire) Tu vois, pour moi un solo ne se prête pas à tous les titres. Dans certaines chansons un solo va te distraire de ce que tu veux exprimer à travers la chanson. Il n’apportera rien de plus. Quand tu travailles sur un certain format de chanson, tu sais que ton texte ne doit pas être interrompu, qu’il faut une continuité dans ce que tu exprimes. Pour d’autres chansons c’est comme dans des romans où en milieu de bouquin tu te prends 20 pages de digressions sur tel ou tel sujet qui a peu de choses à voir avec ce que tu viens de lire et ça passe super bien. Et là, oui, tu peux ajouter un solo. Mais il faut que le solo apporte musicalement quelque chose à la chanson que tu interprètes. Une chanson, c’est narratif, et selon ce que tu chantes, une coupure musicale n’est pas forcément adéquate. C’est ce qui est parfois chiant avec des groupes de blues qui pensent que là et là il faut mettre un solo, parce qu’un solo va montrer ta technique. Franchement, y’a pas besoin de faire de l’étalage de technique à travers un solo pour montrer que t’es un bon musicien.

BM : Et toi, te qualifierais-tu de bluesman ? Quelle étiquette te collerais-tu ?
IK :
Songwriter,…oui, songwriter. Sans hésiter. Ce qui est pénible c’est que le marché du disque, et beaucoup plus que le public d’ailleurs, veut absolument te faire rentrer dans telle ou telle case : pop, rock, blues, jazz,…alors qu’il suffirait simplement de dire ‘songwriter’.

BM : Dans le premier titre, Seven Seven Man, certains y trouvent un dobro et un son de guitare à la Dire Straits. La rythmique ne serait-elle pas plutôt fortement en ligne directe des premiers Creedence Clearwater Revival ?
IK :
Pour le dobro je n’ai aucune idée, mais pour la guitare, oui, tu as totalement raison. J’adore ce que faisait le Creedence Clearwater Revival, surtout à leur début, comme dans l’album Green River, et c’est sûr que cette influence là se ressent dans certaines de mes chansons.

BM : Tu te souviens qu’une certaine presse critiquait à l’époque cette rythmique ‘simpliste’ ?
IK :
Oui, mais c’était une connerie parce que contrairement à d’autres, eux au moins, ‘sonnaient’. Il y avait réellement quelque chose d’efficace et de beau dans cette simplicité là. Et puis je n’aime pas ces gens qui critiquaient Creedence Clearwater Revival comme s’ils étaient la parole de Dieu.

BM : Et la chanson ‘Little Wings’: si je te dis que pour moi elle sonne façon Tom Waits ?
IK :
Cela me fait énormément plaisir que tu le ressentes ainsi parce que TomWaits est un mec que j’aime énormément, que j’adore. Par contre, par rapport à lui, j’ai choisi des instruments légers, tu vois,….au lieu de tirer des chaises par terre (large sourire). Mais c’est aussi ça la force de Tom : donner une âme à une chanson avec des bruits de chaise par-dessus la musique, alors que sans ces chaises cela sonnerait ‘small’, tu comprends ?  Tom Waits est un mec ultra-sentimental et quand il chante il t’entraîne dans ses chansons, et là, t’en as la larme à l’œil.

BM : Dans la chanson Central New York Blues, qui est pour moi la plus belle de cet album, on te sent proche de Willie Nelson et Johnny Cash. Vrai ou faux ?
IK :
Vrai. Ils ont eu tous deux sur moi une influence très forte. Je les adore. Ce sont des chanteurs en ligne directe avec Dieu. 

BM : Ton activité de journaliste et d’interprète, pour Eric Bibb notamment, a-t-elle eu une influence sur ton travail d’écriture ?
IK :
Oui, sans hésiter… Et je reste persuadé que toute expérience personnelle et professionnelle apporte quelque chose à l’écriture. Certaines activités, comme le journalisme, ont leurs caractéristiques, car tu dois t’adapter au support et tu dois, par exemple, communiquer une info en tant de lignes, ou tant de mots, et écrire devient un véritable exercice de style. Pour les chansons c’est un peu la même chose.

BM : Les personnes que tu évoques dans tes chansons ont-elles réellement existé ?
IK :
Oui, dans plusieurs chansons je parle de gens que j’ai connus, ou que je connais encore. Dans Central New York Blues, je parle d’un dénommé Craig, qui a vraiment existé. Dans d’autres chansons, comme Tijuana, il s’agit de personnages que j’ai inventés,…mais qui, quelque part, ont un profil ou une personnalité grâce à des personnes que j’ai connues. 

BM : Ton intro à la mandoline, sur Angel, est absolument géniale et en t’écoutant jouer ainsi je ne peux pas imaginer que tu sois un autodidacte…
IK :
Hé bien si, je suis un autodidacte (large sourire). Quand j’étais gamin, avec mon frangin on chantait en duo des titres des Beatles et c’est lui qui m’a poussé à jouer mes premiers accords. Et puis comme le fait de jouer de la guitare faisait craquer les filles, ça m’a motivé pour en jouer (sourire). Après, c’est avec le fameux Craig que je me suis plongé dans la musique du Grateful Dead et que je me suis mis à bosser ma technique de guitare en y mettant du blues, du bluegrass et du folk-rock, le tout dans une sauce très psychédélique. Après, je me suis plongé dans le blues. J’ai joué avec plusieurs groupes de blues avant de changer de cap à nouveau et de monter un groupe de folk-rock avec lequel j’ai même bossé sur des morceaux tziganes mélangés à du folk irlandais et du folk-rock américain. T’imagines le boulot que cela nous a demandé pour arriver à en faire des titres sympas ? (large sourire)

BM : Et comment en es-tu venu à intégrer Blackstone ?
IK :
Faut tout d’abord préciser à tes lecteurs que Blackstone n’est pas un groupe de blues, mais un groupe de rock dans la lignée Led Zep. C’est en fait Marc Varez, un super batteur, qui a monté Blackstone. Le truc c’est que Marc ne cherchait pas de chanteur de hard-rock ou de metal-rock et il m’a laissé écrire des chansons comme je le sentais, avec ma sensibilité,…mais pour un groupe de rock. Cela m’a beaucoup appris car on n’écrit pas pour Blackstone comme pour un groupe de folk ou de blues, et en plus j’ai pu commencer à jouer de la slide guitar,…en autodidacte (rire).

BM : Pourquoi avoir appelé ce groupe The Immigrants ?
IK :
Parce que dans le groupe il y a Sami, à la basse, qui est à moitié kabyle, moi qui suis américain,…et puis nous sommes tous des immigrants de quelque part, non ? (large sourire)

BM : Et pourquoi Ian Kent & The Immigrants ? C’est pour ton ego ?
IK :
(silence)… C’est marrant que tu me poses la question ainsi car peu après la sortie du disque j’ai regretté de l’avoir appelé Ian Kent & The Immigrants (silence)… J’aurais mieux fait de le sortir sous ‘The Immigrants’, tout simplement. 

BM : Surtout qu’il ressort de l’album une cohésion parfaite entre toi et tes chansons, et le groupe.
IK :
Ca c’est quelque chose qui me touche beaucoup, parce que j’avais très peur, quelque part, que cette suite de chansons avec des styles parfois très différents allait manquer de cohésion,….même si, dans mon esprit, le fait que je sois l’auteur des chansons et le chanteur du groupe pouvait déjà donner une certaine cohésion. Il est vrai aussi que les musiciens qui m’accompagnent sur cet album sont non seulement de super musiciens, mais qu’ils savent jouer du blues comme du folk ou du rock avec une totale disponibilité, et en y donnant toute leur âme. Et quand tu touches à l’âme, comme ça, tu ne peux qu’avoir de grands moments de bonheur.

BM : A quand un album avec des chansons en français ?
IK :
Chanter en français ?… (songeur)

BM : Tu ne te vois pas chanter du blues ou du rock en français ?
IK :
Sincèrement…., non. Quand j’entends du rock chanté en français, cela ne me dérange pas mais j’ai toujours dans l’oreille cette musicalité du rock chanté en anglais. Et comme je suis de langue maternelle anglaise, le rock en français me fait plutôt penser à quelque chose d’adapté, d’arrangé, tu comprends ?

BM : Tout à fait, mais alors pourquoi pas un album avec des chansons françaises ? Des chansons comme celles de Trick Bag, faisant moins de 5 minutes et sans véritable solo…, idéales pour passer à la radio.
IK :
(large sourire) Peut être,…un jour,… Le problème pour moi est que je ne connais pas grand-chose de la chanson actuelle française. Quand j’étais jeune, j’écoutais Nino Ferrer, Jacques Dutronc, Brel, Brassens,…et ça c’est ce que je connais de la chanson française,…de grande qualité et qui, malgré les années, n’a ni vieilli ni perdu de son originalité.

BM : Tes projets ?
IK :
Je travaille sur le nouvel album de Blackstone qui va très bientôt sortir, et puis je continue à écrire des chansons pour un prochain album. Et puis prendre la route,…pour faire des concerts (large sourire).

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Frankie Bluesy Pfeiffer

Paris Move & Blues Magazine
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