Interview de Eric Ter

ITW de Eric Ter

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer & Nathalie ‘Nat‘ Harrap
Photos : Frankie Pfeiffer

Avec son faux air à la Keith Richards, ce ‘loner’ français a tout du loup solitaire planqué dans l’ombre pour mieux vous surprendre le moment venu. Et c’est exactement ce qu’il vous réserve avec la sortie de ce nouvel album au titre évocateur, ‘Soundscape Road’, car la route du lascar a été remplie d’obstacles, d’anecdotes, d’embûches, mais aussi de belles rencontres. Une route sur laquelle Eric Ter a bien voulu revenir avant de nous immerger dans son nouvel album.

Ton départ aux States, dans les années 70, c’était par dépit ou par curiosité ?
Plutôt dépit. Le climat, l’ambiance et l’état d’esprit parisien de l’époque, très étriqué et très noir et blanc me pesait et j’avais aussi besoin de me secouer d’une situation contractuelle difficile entre deux maisons de disques : TREMA chez qui j’avais signé pour mon nouvel album et les menaces juridiques de CHARLY Records (avec qui j’avais fait l’album précédent) qui en bloquait la sortie. Pas mon genre de dossiers favoris! En plus, j’avais d’autres ennuis et je ne me sentais pas en bon état… Comme j’avais un ami batteur, Marc Frentzel, qui était à New-York, j’ai pris la décision de revendre tout ce que je pouvais pour avoir de quoi partir et aller le rejoindre. J’ai squatté chez lui pendant trois mois et on est parti vers l’ouest dans une grande Cadillac Coupe De Ville. Plein les mirettes, le voyage. Quel trip!

Qu’as-tu retenu de ‘fort’ de cette période ? Et qui est toujours gravé en toi ?
D’abord digérer la rupture des repères et l’aventure des galères de squats en squats parce qu’on n’avait qu’un ou deux contacts indirects, puis le changement de mentalité, et je n’étais pas d’une efficacité redoutable pour créer des liens et faire exister ma musique et au lieu de foncer, de contacter plein de gens et d’ouvrir des portes, j’ai plutôt fait dans les petits jobs de survie en remettant la musique à plus tard. Du coup, j’étais un peu en conflit avec ma nature et je sentais un contraste énorme entre la vie que je menais et la musique dans ma tête que j’étais frustré de ne pas faire. Jusqu’à ce que j’arrive à me donner les moyens de recommencer à enregistrer en créant mon propre studio et en faisant un peu de business pour me maintenir à flot.

Tu dois avoir pas mal de souvenirs de cette époque…
J’ai beaucoup de souvenirs de musiciens et de rappeurs dont je produisais les enregistrements. J’étais tout le temps dans mon studio et quand je ne travaillais pas pour eux je pouvais enfin me remettre à ‘peindre mes tableaux’ au lieu de les garder dans ma tête. C’était vital pour moi et ça l’est resté. J’ai d’ailleurs compris et accepté le fait que ça fait partie intégrante du sens de ma vie. J’ai aussi gardé le contact avec Theodore Welch, un super percussionniste (qui jouait avec Barry White) et qui joue sur deux titres de l’album. D’une façon générale, bien sûr, plein de choses étaient différentes d’ici, j’en préférais beaucoup d’aspects et j’en préfère d’autres ici. Enfin c’était il y a déjà longtemps…et le temps file!

Tu as connu quelques belles désillusions dans ta vie d’artiste. Avec le recul, comment analyses-tu tout cela ?
L’origine de ma suite de désillusions a été une grande illusion, due en partie à mon manager de l’époque, Jean-Pierre Ezan (le seul manager que j’ai jamais eu, d’ailleurs), que j’avais rencontré en portant une de mes bandes chez Barclay. Il me donnait l’impression que tout ce que j’avais à faire était de me laisser aller. Les démos que j’avais faites l’avaient vraiment fait flasher et il était de tendance un peu mégalo mais très actif et entreprenant. Et moi, du coup, je devenais mégalo aussi, mais par contre de plus en plus inactif et retranché dans mes rêves. Il avait réussi, et sans aucune thune, à nous loger mon groupe et moi d’abord au château d’Hérouville, où on était nourris, logés, blanchis, chauffés, et sans aucune contrainte, puis dans une autre grande maison, à la même enseigne. Le problème, c’est que j’étais de moins en moins capable d’assurer les rapports avec les gens autour de moi, si bien que quand Jean-Pierre m’a fait rencontrer Michel Magne, Richard Branson, Joe Boyd, Andrew Oldham et sûrement d’autres que j’ai oubliés, je restais complètement renfermé sur moi-même et incapable d’aligner trois phrases.

Et malgré ton renfermement sur toi-même, il y a eu un premier disque…
Oui. Il m’a quand même trouvé mon premier contrat de disque chez CHARLY Records et le disque étant fait, il nous a trouvé une grande maison (à nouveau) à Londres où j’étais censé préparer une tournée de promo. Sauf qu’il n’y avait aucun budget, contrairement aux prévisions. D’où une grosse déconvenue pour moi. Après, il y a eu le deal avec TREMA et la sortie du deuxième disque, sabotée, et grosse désillusion à nouveau, puis mon départ aux U.S.

Comment as-tu ressenti tout cela, alors que tu avais vécu au château d’Hérouville, tout de même?
Tu sais, à côté de ces grandes résidences, il m’est aussi arrivé de beaucoup camper et squatter des coins de matelas et de vivre chichement, mais la plus persistante des désillusions était qu’au fil du temps il était de plus en plus difficile de faire entendre mes enregistrements. Devoir relancer sans arrêt des maisons de disques qui, il faut le dire, n’écoutaient quasiment jamais mes enregistrements, m’énervait de plus en plus, et du coup je me remettais à travailler ma musique, parce que la seule chose qui me rassurait et sauvait ma fierté était le résultat de ce que j’entendais de mon travail.

Ton nom, Ter, c’est un pseudo ou ton vrai nom ?
C’est le début de mon nom, qui est Ter-Sarkissian. Je le trouvais un peu compliqué et pas très vendeur sur une pochette de disque. J’ai donc signé mes premiers albums sous le pseudo Sirkel. Avec le recul je peux dire que c’était une mauvaise idée. Ter me convient beaucoup mieux mais je n’y avais même pas pensé à l’époque. Je me suis donc fait appeler Éric Sirkel pendant une décennie, de 1976 à 86 et mes deux premiers albums sortis sous le nom d’Éric Sirkel étaient ‘Sirkel & Co’ (1976) chez CHARLY Records puis ‘Vertige’, deux ans plus tard, chez TREMA.

Les suivants l’ont été sous le nom de Eric Ter?
Oui. Le troisième, ‘Barocco’, est sorti en 2003 sous le nom d’Éric Ter, et puis il y a eu ‘Chance’ et ‘Nu-Turn’, tous deux sortis chez Bluesiac.

Tes deux précédents albums ont eu un succès plutôt confidentiel. Comment toi, tu expliques cela ?
Déjà par le fait que très peu de gens les ont entendus! D’une part parce qu’il y a de plus en plus de disques qui sortent et qui sont de moins en moins écoutés à cause d’internet, de la surproduction, de la complexité du marché, et d’autre part parce qu’ils n’ont pas eu de promo, que j’ai fait peu de concerts dans de vrais salles et surtout parce qu’aussi bien pour les disques que pour les concerts, je déteste faire mon autopromotion. Et il est sûr que sans véritable structure autour de moi pour s’en occuper, ça ne se fait pas tout seul. Mais être toute la journée devant un écran sur les réseaux sociaux pour dire ‘Ecoutez-moi, j’ai fait ça, je joue là tel jour, etc, etc…’, j’ai vraiment du mal…!

Comme tu le disais, tu n’es pas du genre facilement expansif, et plutôt renfermé sur toi-même.
Cette tendance au ‘renfermement’ a évoluée et s’est plutôt transformée en goût de la solitude et puis je suis aussi du genre à penser que les gens ont des qualités et qu’il y en a donc qui savent faire ce que je ne sais pas, ou ne peux pas, faire. Téléphoner, démarcher des salles de concert et des festivals, retéléphoner,…tout ça ce n’est pas moi, et quand je me force à le faire je le fais à contre-emploi. Je préfèrerais évidemment qu’un tourneur, un agent, en tous cas quelqu’un d’autre, se charge de tous ces contacts et que je n’ai qu’à faire la musique.

Sur ton premier album, ‘Sirkel & Co’, il y a eu du beau monde, dont Mick Taylor, exact ?
C’est Robin Millar qui l’a produit et il a été enregistré aux studios de Rockfield, au Pays de Galles, avec Collin Allen à la batterie, qui avait joué avec John Mayall et plus tard Donovan et Dylan, et Marc Frentzel, que j’ai retrouvé plus tard à New York, à la batterie également, Ronnie Leahy aux claviers, qui était un mec et un musicien épatant, et Gordon Raitt à la basse…puis au Studio Olympic à Londres où Mick Taylor est venu jouer sur quatre titres et où sont venus aussi des choristes et toute une section de cuivres!

Un album qui fut d’ailleurs (volontairement ou involontairement?) attribué à Mick Taylor…
En 1995 je découvre une soudaine amélioration de mes revenus en droits d’auteur sur mes relevés de Sacem avec notamment ce code qui m’est affecté: GéRo. Je téléphone à la Sacem, qui me dit que GéRo signifie ‘Génies du Rock’, une série des éditions Atlas. Je vais donc voir les éditions Atlas, n’ayant jamais eu de rapport avec eux et je constate que mon album ‘Sirkel & Co’ dans son intégralité a été renommé ‘Mick Taylor’! Ce que je regrette encore aujourd’hui est de ne pas m’être donné les moyens de prendre un bon avocat!

Mais n’est-ce pas flatteur de voir ainsi son album attribué à un tel guitariste? C’est tout de même le signe qu’il n’y avait rien à jeter de cet opus…
Autant le fait que Mick Taylor ait apprécié et participé à mon enregistrement a pu être gratifiant, autant ceux qui ont supprimé mon nom et l’ont remplacé par le sien a été tout simplement frustrant et énervant!

Si tu devais qualifier ce nouvel album en deux mots, ce seraient lesquels ?
Vachement bien!

Un album dont le style diffère du précédent. Qu’est-ce qui a motivé en toi ce changement de direction musicale? D’ailleurs estimes-tu que tu as pris une autre orientation musicale, ou pas?
Pour le précédent j’aspirais à créer un genre d’espace simple et calme, très aéré. Mon appétit de groove et d’électricité m’a repris en commençant cet album. Cela dit, il fait aussi partie de la même vision. Mais celui-ci est plus gai, plus riche en sons. Je n’ai pas décidé de m’orienter d’une façon particulière. Simplement une couleur en amène une autre, comme pour un tableau, et au bout de deux ou trois titres, au bout d’une certaine avancée de l’album, le truc se dessine presque de manière automatique, par fascination. En tout cas, j’aime bien quand un album t’envoûte et se répand où il faut, quand tu ne peux pas le lâcher titre après titre. Et même si je connais ma tendance à être indulgent pour le dernier truc réalisé, je pense vraiment que cet album arrive à fonctionner comme ça.

Un album que je qualifierais bien de psyché-blues. T’en penses quoi?
Je ne suis pas très bon en définition de styles mais il y a effectivement un côté psychedelic, bluesy, et le groove a une grande importance. Je pense aussi qu’il a un côté bien fun.

Eric Ter