Interview: ALUNE WADE

ITW de ALUNE WADE
Interview préparée et réalisée par Dominique Boulay – Paris-Move & Blues Magazine (Fr)
PARIS-MOVE, Mai 2022

Richard Bona est originaire du Cameroun, Alune Wade du Sénégal, Linley Marthe de l’ïle Maurice et Clive Goviden de l’Île Maurice, lui aussi. Une génération de musiciens qui sont un apport essentiel au jazz en général et au jazz africain en particulier. L’opportunité de rencontrer l’un ou l’autre est toujours une formidable occassion. Et encore cela est-il peu de choses au regard d’une prestation live de ces artistes…

A l’occasion de la sortie de son nouvel album, Sultan, dont vous pouvez retrouver la chronique ICI, sur Paris-Move, nous avons interviewé Alune Wade, et voici ce que ce formidable musicien nous a confié:

Paris-Move: Bonjour, Alune Wade. Tu composes et tu hantes, mais aussi tu arranges et tu produis. On serait presque tenté de se demander ce que tu ne fais pas, sur ce nouvel album?
Alune Wade: (rires) C’est vrai! Je compose, je chante, j’arrange, mais je laisse surtout à mes collègues (musiciens) la liberté de jouer ce qu’ils ressentent, car c’est ce qui contribue à enrichir ma musique!

PM: D’ailleurs est ce que tu produis d’autres artistes que toi-même?
AW: Oui, ça m’arrive de produire et de réaliser pour d’autres artistes, oui.

PM: En quoi cet album est-il meilleur que Mbolo, sorti en 2006, Ayo Nene en 2011 et African Fast Food en 2018?
AW: Quand on est musicien, et à l’écoute de ce qui se passe autour de nous, on aspire forcément à un changement perpétuel. Entre Mbolo et Sultan, quinze années se sont passées et j’ai eu l’occasion de faire beaucoup de rencontres qui ont enrichi mon parcours. Ce sont elles qui m’ont permis de me forger une autre vision et, de plus en plus, découvrir les capacités que j’avais en moi.

PM: Une mention particulière pour Havana Paris Dackar, peut-être?
AW: Havana Paris Dakar fut une expérience spéciale. Je puisais dans le répertoire de mon enfance et la musique de mes parents… Mon but était de réinterpréter alors la Rumba africaine avec des musiciens cubains. La musique cubaine a marqué l’histoire des pays d’Afrique avec ce vent de liberté et d’émancipation qui soufflait partout sur le continent. Il y a 60 ans, je te rappelle qu’il y avait deux blocs (Est & Ouest) antagonistes. Deux géants qui étaient présents sur le continent, politiquement et culturellement. Du coup les pays anglophones étaient plus dans la soul music ou le Calypso, et les pays francophones comme le Sénégal, le Mali, la Guinée, le Congo Zaïre dans la musique cubaine. C’est donc forcément une musique qui a laissé des traces sur toute une génération. Cet album a été enregistré à Cuba, en 2012. Ce fut une belle expérience d’aller à La Havane pour l’enregistrer avec des musiciens exceptionnels comme Harold Lopez Nussa et son frère Ruy Adriano Lopez Nussa! D’ailleurs on est resté très proches, depuis cette belle aventure! On a fait le tour du monde ensemble et les gens en redemandent encore!

PM: J’imagine que le Alune Wade des trois albums solos cités ci-dessus n’a plus rien à voir avec celui de University Of Gnawa ou celui du temps d’Ismaël Lô?
AW: Ces deux expériences on été capitales dans mon parcours! Huit années passées avec Ismaël Lô et dix années de plus avec Aziz. Avec Ismaël on peut dire que j’ai rejoint un train qui était en marche, tandis qu’avec Aziz nous avons créé et fait démarrer un autre train dont l’objectif était de fusionner nos deux cultures, l’Afrique du Nord et celle subsaharienne, un mélange assez naturel, en fin de compte!

PM: Quelles sont les grandes leçons que tu as retenues de ton temps écoulé avec eux?
AW: Je ne pourrai les citer toutes, mais une chose est néanmoins certaine, elles continuent à déteindre sur tout ce que je fais de qualité!

PM: Et pourtant tu n’as invité Aziz Sahmaoui (Orchestre National de Barbès) que sur un titre?
AW: Le fait d’inviter Aziz sur ce titre, Dalaka, qui veut dire “Ouvre la Porte” a sa raison d’être: cette chanson parle de nos frontières et des difficultés que subissent les jeunes africains contraints de traverser l’océan et le désert rien que pour espérer trouver une vie meilleure. Ils sont à la fois victimes d’une situation et d’un système chez eux, mais cela fait également d’eux des coupables de l’autre côté!

PM: Tu as joué avec Marcus Miller, Afrodeezia, que tu admires. As-tu déjà eu envie de travailler avec Richard Bona, un autre grand bassiste?
AW: C’est toujours un plaisir pour moi de collaborer avec d’autres musiciens issus d’un autre territoire. Car cela contribue à m’enrichir de ces autres apports. Il n’y a que comme cela qu’on évolue!

PM: Ce qui est époustouflant dans ce nouvel album, outre sa qualité musicale, c’est la richesse des références historiques auxquelles tu te réfères. Te considères-tu comme un musicien intellectuel et lettré? Puisque tu déroules toutes les épopées des mythes fondateurs du continent africain…
AW: Je me considère comme un artiste en quête de savoir et de sonorités, un porteur de voix, et je laisse les gens faire leurs appréciations: je me dois de raconter le peu que je connais de l’histoire du continent.

PM: Quels sentiments t’inspirent le fait de faire partie d’un collectif de musiciens qui revendiquent haut et fort leur “africanitude”?
AW: L’afrique a eu une histoire avec la musique, et la musique a aussi sa propre histoire. En ce qui concerne la musique, on a le devoir de porter haut ses couleurs, comme l’ont fait nos aînés, sachant que tant que le lion n’a pas son propre historien les histoires de chasses glorifieront toujours le chasseur.

PM: As-tu prévu de tourner avec ce “casting” impressionnant de musiciens pour promouvoir cet album?
AW: Je tournerai avec le même line up que celui que j’ai depuis trois ans maintenant, avec quelques petits changements pour la couleur. Je pense que c’est important de trouver un son collectif, cela nous permet de garder l’authenticité sonore du groupe,  avec des invités en plus, peut-être… en l’occurrence le chanteur Tunisien Mounir Troudi.

PM: J’écrivais dans ma chronique que cet album était plutôt jazz que world music. Qu’en penses-tu: world mis en jazz ou jazz exprimé en world?
AW: Je ne me suis jamais considéré comme un musicien de world music car je trouve ce terme plutôt géographique, en fait. Ce qui est world, en occident, peut être jazz en Afrique, et ce qui est pop music en Europe peut devenir world aux Etats Unis. Je suis donc plutôt jazz!

PM: Merci pour le temps passé à répondre à nos question, et souhaites-tu dire quelque chose de plus à nos lecteurs?
AW: J’espère vraiment que beaucoup de monde aura l’occasion de découvrir cet album après avoir lu ta chronique! Cette musique est vraiment le fruit d’un travail collectif et j’espère qu’il sera apprécié comme tel.