Née en 1930 à Perry, en Georgie, Essie Mae Brooks est l’une de ces étonnantes septuagénaires aidées et soutenues par la fondation Music Maker. Chez les Brooks, c’est le père, batteur qui perpétuait la tradition du fameux ‘Drumbeat’ afro-américain qui animait tous les week-ends des soirées où les gens du quartier venaient danser jusque tard dans la nuit. Chez les Brooks il y avait aussi le grand-père, harmoniciste et avec qui Essie, toute petite, commença à chanter.
Chez les Brooks il y avait aussi le gospel, ce chant qui fédère, qui soude les familles et le voisinage, qui apporte lumière et joie dans un quotidien bien triste. Et c’est dans le gospel que la jeune Essie va se plonger, "car telle a été la volonté de Dieu", me dit-elle en pointant un doigt vers le ciel. La volonté de Dieu combinée à la volonté d’une jeune fille qui commence à écrire ses propres chansons et qui les chante chez elle puis dans les églises. Comme toutes ses sœurs du Sud, Essie travaille en cumulant les boulots pénibles et mal payés et c’est dans le chant qu’elle trouve le réconfort, la force de se battre, d’avancer, et de composer d’autres chansons.
Sa rencontre avec Tim Duffy, fondateur de la Music Maker Foundation, il y a onze ans maintenant, a permis à Essie non seulement d’enregistrer ses chansons mais surtout de les graver pour l’éternité car sans Tim toutes ces chansons auraient sans aucun doute disparu après le décès de cette formidable mamie. Désormais c’est en compagnie d’un de ses frères, James Davis, guitariste, et d’un neveu, que Essie Mae Brooks se produit en concert, recueillant enfin un succès mérité et la reconnaissance de son talent de chanteuse,…à plus de 78 ans ! "Lorsque je chante je suis avec lui, (me dit Essie en pointant à nouveau un doigt vers le ciel) et les gens qui sont près de moi et qui écoutent mes chansons sont aussi avec lui car Dieu est bon avec tout le monde à partir du moment où tu te tournes vers lui avec ton cœur ouvert à lui."
Des chansons comme ‘I Wrote You A Letter’ et I’ve Been Gone Too Long’, qui figurent sur la double compil ‘Sisters of The South’ (Diexiefrog – Harmonia Mundi) chroniquée ici, illustrent parfaitement ce que Essie nous dit, ces chants s’inscrivant dans la tradition des ‘sermonettes’, un style incantatoire très utilisé par les prédicateurs noirs dont la puissance communicative hypnotisait leur auditoire.
Pour Essie, rien n’est hasard et si vous avez des problèmes à affronter, ce ne sont pas des problèmes mais des épreuves, qui doivent vous donner la force de vous battre, de vous dire que vous êtes plus puissant que ces problèmes. "Et si lui, là-haut, décide que je dois quitter ce monde, alors je le quitterais." Et lorsque je lui demande si elle a des regrets, Essie me sourit, plonge ses grands yeux dans mes yeux et me chante ‘I Don’t Have To Worry Where I Spend Eternity’.
Il y a des jours, oui, où on aimerait tous avoir eu une mamie comme Essie.
Paris On The Move
Juin 2008