Christophe BECKER, chanteur-guitariste-compositeur de Ze Bluetones

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer et Jean-Marcel Laroy
Photos :
Frankie Bluesy Pfeiffer et Lucky Sylvie Lesemne
Octobre 2005

C’est au cours d’un concert de Jimmy Vaughan, en 1998, que Christophe Becker rencontre Jacky Morand, alias Mister Jack. Leur passion commune pour les douze mesures estampillées West Coast années 40-50 va les conduire très rapidement à monter leur propre groupe. Parti pour débuter avec un saxophoniste, le duo guitariste-batteur change immédiatement d’idée en entendant Thomas Troussier lors d’une jam session. Harmoniciste de talent, Tom va intégrer le groupe, tout comme Luc Mulot, bassiste discret mais terriblement efficace.

Les mois de travail se succèdent avant que les Bluetones n’assurent leurs premiers concerts, puis présentent une première démo, bien accueillie par la presse. Vainqueur du Tremplin au festival Blues sur Seine, le groupe sort en juin 2003 son premier CD : « from B to M. J ». L’album est apprécié par la presse et par le public ; il va lui ouvrir les portes de nombreux festivals (Cahors, Tremblay,…). Nouvelle reconnaissance en 2004 lorsque le label Dixiefrog retient trois titres de l’album pour la compilation « Blues Radio vol. 1 » avant que Pacific Records, le label du non moins célèbre Jerry Hall, ne les référence sur son site. Sorti en décembre 2004, le second album du groupe, « Step by Step », est unanimement apprécié (chroniqué dans Blues Magzine n° 37). L’année 2005 sera l’année de la consécration. Le rêve devient réalité : Ze Bluetones reçoit le premier « Prix Cognac Passions » au festival de Cognac, prix qui leur ouvre « la » scène du festival pour 2006, tandis que le groupe travaille déjà sur son troisième album.

Nous avons retrouvé Christophe après le concert donné par Ze Bluetones à Andilly, le 24 septembre 2005, pendant le festival Blues en VO. Entouré de Tom, Luc, Guillaume et Pascal, Christophe a répondu à nos questions avec beaucoup de gentillesse et de disponibilité.
 
BM : Le groupe a beaucoup évolué depuis vos débuts, il y a un peu plus de cinq ans. Présente nous les musiciens qui forment Ze Bluetones aujourd’hui.
CB : La section rythmique, tout d’abord, avec Luc Mulot, bassiste, qui est avec nous depuis le début. On l’avait débauché de chez les Blues Guys…(sourire). Il y a Guillaume, à la batterie, qui nous a rejoint il y a une petite année,…

BM : Et qui vient d’où ?
CB :
Il vient d’un horizon différent du Blues, il vient du Jazz. Tu sais, on a eu énormément de….soucis…avec nos batteurs, et là, enfin, on a trouvé le bon !

BM : Tu parles de soucis. Pourquoi était-ce aussi difficile de trouver le bon batteur ? C’est à cause de ton caractère…. ?
CB :
(rires) Non…j’espère pas… !

BM : Alors, pourquoi… ?
CB :
Peut être parce qu’en France beaucoup de batteurs pensent que pour jouer du Blues il suffit de faire poum-tchac-poum-tchac et c’est bon, quoi. Ils pensent que leur bagage technique va leur suffire pour jouer dans un groupe de Blues, et quand ils se retrouvent derrière les fûts, ils se rendent compte que la subtilité est bien présente et qu’il y a besoin de jouer avec l’âme…plus qu’avec sa tête et sa technique. Je ne jette pas la pierre mais autant en France on a beaucoup de très bons guitaristes, autant on a très peu de bons batteurs de Blues. Je sais qu’il y en a qui ne vont pas aimer entendre ça, mais c’est ce que je pense.

Guillaume, lui, avait déjà fait un premier essai chez nous, il y a….trois ans maintenant. Essai qui n’avait pas été concluant. Il est aller bosser pendant deux ans dans le jazz, puis il est revenu,….et on l’a repris tout de suite !

Voilà pour la rythmique. Ensuite, on a Thomas, dit Tom Snow, qui est à l’harmonica et avec nous depuis le début. Lui, il fait partie des meubles… ! Le premier morceau qu’on a joué avec Tom c’était dans un poulailler. (rires) Véridique ! (rires) …Et puis on a aussi Pascal Fouquet qui nous a rejoint comme deuxième guitariste. Ca fait trois mois qu’il est avec nous et puis,…il continue d’ailleurs de jouer avec Hoodoomen, et en parallèle avec nous.

(Christophe serre la main de Pascal en riant) Pascal est très content de jouer avec nous, et nous, on est très content de jouer avec lui… !

Sur le disque il y avait aussi Francis Marie, que je ne veux pas oublier de citer. Francis est un bon batteur de Blues, voilà… ! Maintenant il a un autre travail, et puis on n’avait pas forcément la même vision….(silence)

BM : Tu vas piquer les musiciens des autres, c’est ça ?
CB :
(rires) C’est pas ça… ! Tu sais, comme je te l’ai dit, trouver « le » batteur, ça n’a pas été facile. En studio, pour l’enregistrement de notre deuxième CD, on s’est vite rendu compte que quelque chose ne collait pas. Tu as des batteurs qui sont de très bons batteurs de live, mais le boulot en studio c’est autre chose. Et on a du jongler avec deux batteurs pour faire le joint et pouvoir sortir le CD.

BM : Tu es le compositeur du groupe…
CB :
Oui….

BM : Et donc quelque part tu en es le leader, non ? Même si tu n’aimes pas qu’on te qualifie ainsi.
CB :
(large sourire) Non,….et non. Dans ce groupe il n’y a pas un leader et les autres. Chacun de nous a la même importance. Il n’y a pas de rivalité entre nous, et pour nous il n’y a pas de leader même si, je le sais bien, dans la tête des gens, c’est le chanteur d’un groupe qui doit être le leader. Pourquoi les gens doivent-ils toujours penser que le chanteur est le leader d’un groupe… ? Chez nous ce n’est pas ça, et être leader n’est absolument pas un truc que je revendique.

BM : Nous vous suivons depuis 5 ans maintenant, et notamment depuis ce concert de Pornic où nous avons décelé en vous un futur grand groupe de Blues. Pourquoi, après toutes ces années, avoir changé votre nom ? Pourquoi ce Ze ? C’est pour vous faire remarquer ? Pour que l’on vous pose la question, au moins… !
CB :
(rires) Sur ce plan là, c’est gagné ! Il y en a qui pensent, avec beaucoup d’humour, que c’est pour bien figurer dans les bacs des disquaires,…(rires)…mais en fait c’est tout bête : comme tu le sais, il y a un groupe de pop anglais qui marche très très bien et qui s’appelle Bluetones. Et pour nous différencier on s’est dit « Appelons-nous The Bluetones ! », mais The, ça fait banal,….alors on a cherché le truc qui pourrait être propre à notre groupe et on a gardé le son du The, mais écrit avec un Z. D’où Ze Bluetones.

BM : Vous êtes attachés à ces particularités qui vous démarquent d’autres groupes… ?
CB :
Oui et non. Il y a des choses qu’il faut savoir assumer, comme pour la pochette du premier CD où on m’avait dit : Voilà, il faut mettre la tête du chanteur. J’ai dit OK, en avant, si vous me dîtes que c’est ce qu’il faut faire, j’assume.

BM : Par contre ce qu’un album studio ne propose pas, ne montre pas, ce sont les mimiques, les expressions de ton visage pendant que tu joues. Alors, à quand le DVD live ?
CB :
(rires)…joker… ! (rires)…je passe mon tour… ! (rires)

BM : Votre premier album était très jump, et le second plus…
CB :
Plus posé. C’est comme cela qu’on aime le définir : plus posé. Le premier c’était plutôt le côté « cour de récréation ». Tous ces morceaux on les avait joué et rejoué sur scène, et nous n’avions aucune pression particulière. On voulait faire un album qui existe, qui respire, sans imaginer un instant qu’on serait ensuite chroniqué dans Blues Mag et d’autres magazines. On était rentré sans pression aucune en studio car on voulait avant tout se faire plaisir.

Après, pour le deuxième album, ce fut beaucoup plus délicat. Vu que le premier avait eu des retombées positives pour nous, il ne fallait pas décevoir, et je n’avais surtout pas envie, moi qui compose, de faire la photocopie du premier album. Cela n’aurait eu aucun intérêt de faire un second album similaire au premier. On s’est dit qu’on allait essayer de proposer des atmosphères musicales qu’on ne retrouve pas forcément dans nos concerts mais qu’on sait faire,…et qui sont un complément de ce que sont Ze Bluetones. C'est-à-dire que tu as les Bluetones live qui sont très vivants et puis tu as aussi les Bluetones qui peuvent composer des trucs comme Mr Drill, qui est plus jazzy années 30-40, tu vois,….des morceaux qui sont plus tranquilles, plus posés.

BM : Et le prochain album, il proposera quelles atmosphères musicales ?
CB :
Je dirais, sans trop me mouiller, que le prochain album sera plus dans les années 50, plus rock’n’roll peut être, plus…, mais de toute façon ça restera Ze Bluetones. Je vais dire un truc qui n’engage que moi : je pense qu’en France il y  a de bons groupes de Blues….mais qui n’ont pas d’identité propre. Ils savent parfaitement jouer T-Bone Walker ou machin, mais à la sortie je suis toujours un peu frustré par ces albums. Même s’ils sont très méritants, ce n’est pas T-Bone Walker. Moi je préfère écouter SRV plutôt qu’un mec qui fait du SRV, même s’il est bon.

BM : Où trouves-tu ton inspiration ?
CB :
Bonne question. En fait je m’inspire du quotidien, et même si c’est rabâché, le thème de l’homme et de la femme, avec tout ce que cela comporte, c’est un truc que j’aime vraiment beaucoup.

BM : Comme tu l’as d’ailleurs dit ce soir sur scène, pour commenter plusieurs chansons…
CB :
C’est exactement ça. Un exemple : Mr Drill, c’est un voisin qui m’a cassé les burnes pendant trois mois, tous les dimanches, avec sa perceuse. Et plutôt que d’aller frapper à sa porte et de m’engueuler avec lui, j’ai écrit une chanson. Ce sont des bouts de vie qui peuvent m’appartenir, ou qui peuvent appartenir à l’un de nous, ou à quelqu’un de notre entourage. Après, musicalement, c’est un mélange de tout ce que j’ai écouté, de tout ce que j’ai aimé, depuis Presley. Tous ces gens sont en moi, là, et c’est tout ce mélange aussi qui m’inspire.

BM : Quel est pour toi le Bluesman que tout amateur de Blues se doit d’avoir écouté ?
CB :
Sans hésiter, T-Bone Walker… ! Et quelqu’un qui dit qu’il aime le Blues et  qui n’a pas un album de T-Bone Walker, il n’a pas tout compris… C’est ce que je pense.

BM : Et ce prix que vous avez reçu cet été à Cognac, comment l’avez-vous ressenti ?
CB :
C’est con à dire, mais on en est très fier ! Quand on a appris que l’on avait ce prix,….(silence)…D’abord il faut dire qu’on ne s’y attendait pas du tout, mais pas du tout… !

BM : Vous ne l’espériez pas ? Même un petit peu ?
CB :
Mais pas du tout… du tout… ! Sans l’ombre d’un mensonge ou d’une quelconque prétention. On a appris ça, il devait être 11 heures environ, on s’est tous retrouvés dans une chambre et on a chialé. Ouais…On était tout retourné. C’était incroyable, impossible,… impensable. On avait beaucoup de mal à réaliser totalement ce que cela représentait. Maintenant, avec un peu de recul, on doit reconnaître, et on ne le cache pas, que l’on en est très fier. Très fier, ouais… Et puis savoir que tant de vedettes et de légendes du Blues sont passées sur cette scène de Cognac que l’on va fouler l’année prochaine, et que maintenant des jeunes comme nous on va y être à notre tour, oui, y’a de quoi être fier.

BM : Ce prix c’est aussi une reconnaissance de ce que vous êtes, et de tout ce travail que vous avez fait…
CB :
J’espère,…j’espère,…car comme je te l’ai dit, on a bossé, vraiment. Sincèrement, y’a deux choses importantes quand on joue : c’est d’abord sentir le public. Comme tu as pu le voir ce soir, y’a des gens qui veulent ton autographe et un mot sympa alors que t’es rien d’autre qu’un p’tit français…

BM : Tu penses qu’il faut….
CB :
Oui, je pense qu’il faut insister là-dessus parce que pendant trop longtemps on n’a juré que par les américains. Lorsqu’un américain venait, il était forcément bon. Même s’il jouait de la m…  On le trouvait bon parce que c’était un américain. Et là, c’est entrain de changer, et c’est vachement important. Et c’est pour ça aussi que ce Prix Cognac Passions est vachement important, c’est parce qu’il reconnaît la qualité des p’tits français. Et je regrette qu’à part quelque lignes ici et là on n’a pas lu grand-chose dans les médias sur ce que représente ce prix. Parlez-en, parce que c’est vachement important pour les musiciens et les groupes français… !

BM : On le fera, en joignant l’info à ton interview.
CB :
Merci pour nous, et pour eux aussi, parce qu’ils l’ont fait.

BM : Tu disais donc qu’il y a deux choses importantes quand vous jouez : la première c’est de sentir le public, et la seconde ?
CB :
La deuxième chose importante c’est d’être reconnu par ses pairs. Nous, on fait du Blues depuis sept ans, et on bosse, on bosse sans arrêt. On cravache dur pour donner ce que l’on a de mieux en nous, et le fait qu’il y ait des gens dans notre métier – dans des radios, des magazines, sur des sites internet – des gens qui partagent la même passion, la même chose que nous, qui viennent nous dire « Merci, c’est bien ce que vous faîtes. », ça c’est très important aussi.

Mais je veux être clair et que l’on me comprenne bien : on ne bosse pas pour épater la galerie, quelle qu’elle soit. On bosse pour faire partager notre passion.

BM : Quels sont les guitaristes qui t’ont profondément marqué ?
CB :
Sans hésiter, T-Bone Walker.

BM : Ceux qui écoutent vos disques et qui ne vous ont pas vu en concert ne le savent sans doute pas, mais tu es gaucher. Comment expliquer que les gauchers, comme Jimi Hendrix et tant d’autres, soient de si bons guitaristes ?
CB :
(large sourire) Tu sais, si j’étais aussi bon guitariste que cela, jamais on n’aurait fait jouer Pascal avec nous… ! (rires) Tu sais, je ne me considère absolument pas comme un bon technicien. Il y a des guitaristes qui travaillent sans cesse leurs plans, et d’autres, comme moi, qui jouent comme ça vient. Avec l’âme, quoi. Et c’est vrai que quand tu joues avec tes tripes y’a parfois telle note qui accroche,…et je le sais. Techniquement je ne suis pas irréprochable, je le sais, je le reconnais, mais je joue avec mes tripes et ça, je pense, le public le sent bien. Avant de lancer les Bluetones avec Mister Jack, j’étais ce que j’appelle un folkeux, un mec qui grattais des accords, et c’est avec Ze Bluetones que j’ai vraiment appris à jouer de la guitare. Tout seul, en bossant comme un dingue, comme un grand.

Ceci dit, je suis plutôt compositeur et chanteur que guitariste. Quand je me lève le matin je pense aux morceaux sur lesquels je travaille, aux paroles, aux arrangements, trouver pourquoi ça ou ça ne me convient toujours pas,…mais jamais je ne me suis dit : je dois travailler tel ou tel plan de guitare. Guitariste n’est pas mon métier. J’adore le faire, mais c’est pas mon métier. Mon métier c’est compositeur-chanteur.

BM : Tu travailles depuis un bon moment déjà sur votre prochain album…
CB :
Oui, et c’est du boulot….(rires)

BM : Tu as déjà composé combien de titres ?
CB :
C’est bouclé, en fait. J’ai composé tous les morceaux. D’ailleurs t’as pas encore reçu le CD… ? (rires) L’album, on espère le sortir au début de l’année prochaine. Et puis on a tellement galéré pour le second que l’enregistrement du troisième devrait être plus relax et nous permettre de nous consacrer qu’à ça, sans autres soucis. Allez, je vais le dire devant eux, mais c’est vrai qu’avec Pascal en plus, j’ai la Dream Team pour aller enregistrer. Et on va bosser, et bosser encore, pour sortir un super album… !

BM : Rendez-vous début 2006, alors… ?
CB :
Oui, mais revenez nous voir avant….. ! (rires)

Le "Prix Cognac Passions"

Depuis sa création, le festival Cognac Blues Passions a toujours eu pour parti pris de soutenir la scène française et ses artistes qui perpétuent le Blues avec passion et talent. Et nombreux sont ceux qui soulignent combien fut important voire décisif pour eux une apparition à Cognac.

En 2005 le festival a voulu aller encore plus loin dans ce soutien en créant le « Prix Cognac Passions » ; un prix basé sur la qualité du répertoire et de l’interprétation, et d’autant plus important qu’il consacrera chaque année un artiste ou un groupe français !

La vocation de ce prix n’est pas seulement de découvrir ou confirmer des artistes mais de prolonger cette action par des supports dont nous devons souligner l’importance qu’ils auront sur la scène Blues française : 1ère partie sur la scène principale du festival (6.000 places), enregistrement d’un CD et/ou d’un DVD live, programmation au Festival International de Lafayette, aide à la promo du groupe ou de l’artiste sur le territoire.

Il s’agit donc d’un Prix qui fera date et qui, n’en doutons pas, deviendra non seulement incontournable mais d’une importance capitale pour le Blues en France.

Attribué pour la première fois cet été, le Prix Cognac Passions a été remis à Ze Bluetones.

Toute la rédaction de Blues Magazine tient à féliciter le groupe lauréat, mais elle tient également à saluer et remercier le Président et toute l’équipe du festival Cognac Blues Passions pour avoir mis en place ce Prix.

Ze Bluetones