Butch Trucks présente Moogis: évolution ou révolution?

Interview préparée et réalisée par Frankie Bluesy Pfeiffer et Nathalie ‘Nat’ Harrap
Traduction : Nathalie ‘Nat’ Harrap
Photos : Tous droits réservés

Enfin…! Il aura fallu qu’un ‘ancien’ s’y attaque pour que le concept devienne réalité, ouvrant la ‘fenêtre’ à des millions d’amateurs de musique ‘live’ grâce à Moogis. Une réussite due à la volonté et à l’acharnement d’un homme, musicien et légende vivante du blues-rock: Butch Trucks, le batteur des Allman Brothers Band.

Le concept du site www.moogis.com est une première dans le monde de la musique. Particulièrement ambitieux et complexe, ce projet voit le jour cette année, à une date importante, celle du 40ème anniversaire de carrière des Allman Brothers Band.

Incontestablement, ce nouveau concept fera date, car il apporte aux groupes et artistes, confirmés ou encore inconnus, une formidable ouverture sur le public le plus large possible, et cela de manière équitable et rassurante, aussi bien pour les artistes  que pour les auditeurs intéressés, la diffusion ‘live’ par ‘Streaming webcast’ n’étant pas téléchargeable.

Nous avons demandé à Butch Trucks, le concepteur de Moogis, de nous expliquer ce qui a motivé sa démarche et ce qu’il pense de l’état de santé actuel de l’industrie du disque.


FBP: Butch, aujourd’hui tu nous présentes un nouveau site, Moogis.com, que tu annonces comme un nouveau concept dans l’industrie de la musique. Qu’est-ce qui t’a incité à concevoir ce projet?

BT: C’est une idée qui m’est venue il y a pas mal d’années déjà. J’avais lancé un label Indy avec l’idée de pouvoir offrir aux groupes qui enregistreraient chez nous de devenir actionnaires du label. Et plus le label aurait eu du succès et plus tous ses actionnaires auraient reçu un juste retour sur investissement. Malheureusement le label a pris trop de temps pour décoller et entre temps le vieux modèle des maisons de disques s’est montré périmé, dépassé, tandis que les magasins vendant des disques fermaient les uns après les autres et que iTunes devenait le plus grand distributeur de musique. Pour moi il était devenu évident que l’industrie de la musique était entrain de connaître un véritable séisme et qu’il fallait faire partie de ceux qui seraient les premiers à commercialiser de nouveaux concepts.

FBP: Et Moogis, c’est toi tout seul?

BT: Le concept est de moi, mais j’ai un associé qui est avocat à New York et qui m’a accompagné tout au long de cette aventure.

FBP: Est-ce que les autres membres des ABB sont impliqués dans ce projet?

BT: Non, mais ils me soutiennent à fond. Si ça marche, ils sont tous conscients de ce que ce concept pourra apporter à leurs carrières. Ils n’y participent pas directement parce qu’ils ont tous leurs propres projets musicaux ou groupes en plus des ABB, et en plus, aucun d’entre eux ne se considère vraiment comme un businessman.

FBP: Quand as-tu commencé à travailler sur ce projet?

BT: Il y a cinq ans, quand mon label a fermé. Le concept m’est venu très rapidement: proposer tout simplement un site web dédié à un style de musique pour un public qui aime ce genre de musique. Ce site permet aux fans de se contacter pour échanger des informations ou des opinions par exemple, et nous avons rajouté la possibilité d’assister à des concerts retransmis en direct et d’avoir accès à une très importante collection de vidéos, de concerts en audio, d’ITW des membres du groupe, l’historique du groupe, etc.

FBP: D’où vient le nom de Moogis?

BT: Moogis vient de la manière dont mon plus jeune fils prononçait le mot musique quand il avait 2-3 ans.

FBP: Que souhaites-tu réaliser à travers ce concept?

BT: Mettre en place plusieurs sites web dédiés chacun à un style de musique. Un lieu virtuel où les fans pourront se rendre pour écouter la musique qu’ils aiment et partager leurs impressions avec les autres fans rencontrés par le site. Nous utilisons l’événement que représente le 40ème anniversaire des Allman Brothers Band pour tester le concept et voir comment les fans des ABB vont y réagir. Si ce site-test est une réussite, alors les investisseurs intéressés par notre projet nous soutiendront pour l’étape suivante.

FBP: Est-ce que le fait de lancer ce site en pleine crise économique va intéresser les gens?

BT: Oui, je pense, parce qu’en ces temps de crise les gens ont besoin de s’évader, et pour pas cher. Et ce type de site est le moyen d’utiliser les nouvelles technologies pour proposer des choses que par exemple dans les 70’s les radios FM proposaient comme nouveauté: des concerts en ‘live’, sauf que maintenant, c’est avec son et image de très haute qualité.

FBP: C’est aussi une manière de marquer cet anniversaire des 40 années de carrière des ABB…

BT: Ce que l’on fait, oui, c’est de vraiment célébrer les ABB. On commence le 9 mars une série de 15 concerts au Beacon Theatre de New York, et nous dédions tous ces concerts à la mémoire de Duane Allman. S’il n’y avait pas eu Duane, rien de tout cela n’aurait existé. Pour ces concerts on a invité beaucoup de personnes qui connaissaient Duane et qui ont joué avec lui, et aussi des musiciens avec qui nous avons joué pendant ces 40 années. Beaucoup viendront, et les surprises seront énormes, je peux te l’assurer.

FBP: C’est donc un site complémentaire au site officiel des ABB ?

BT: Oui, car le site officiel des ABB [NDLR : www.allmanbrothersband.com ] est plutôt dédié à l’historique du groupe et il ne proposera jamais de concerts en direct. En fait, Moogis c’est un peu comme le futur des ABB.

FBP: Sur Moogis il y aura donc quoi de plus?

BT: Dans Moogis il ya deux sections. Le côté ‘social’ est gratuit et donc ouvert à tout le monde. Tu peux t’inscrire, créer un profil, te faire des amis, rejoindre les forums, regarder des vidéos des membres des ABB, etc. Tu peux aussi t’abonner pour regarder les 15 concerts retransmis en streaming et avec un son de qualité supérieure à celui d’un CD. Tu peux ensuite regarder ces concerts autant de fois que tu le veux, sur une période de six mois, jusqu’au 30 septembre 2009. Dans cette section nous proposons également des vidéos de précédents concerts ainsi que de nombreux enregistrements audio de concerts. Et tout cela pour seulement $125, soit environ 100 euro.

FBP: Pourquoi ne pas avoir intégré ce concept de Moogis dans le site officiel des ABB?

BT: Le site que tu appelles ‘officiel’ est en fait un site réalisé et géré par des fans des ABB. Et même si on le soutient, il faut dire qu’il appartient à ces fans et pas à nous. Le site Moogis, lui, appartient à une société que j’ai créée pour ce projet.

FBP: N’aurais-tu pas aimé voir ce site ‘on line’ plus tôt?

BT: Oui, bien sûr, mais pour différentes raisons cela n’a pas été possible…

FBP: N’est-ce pas un risque de lancer ce projet pour le 40ème anniversaire des ABB?

BT: Oui, bien sûr, mais dans la vie il y a toujours des risques à prendre, quoi que tu fasses. D’ailleurs il y a même des risques que tu cours alors que tu ne fais rien: comme par exemple ta maison peut prendre feu et brûler alors que toi tu es tranquillement allongé sur ton lit. Si on ne devait rien faire parce qu’il y a des risques à prendre, il ne se passerait pas grand-chose…

FBP: En te lançant dans les nouvelles technologies avec Moogis.com, est-ce que cela signifie que tu ne croies plus dans l’industrie du disque telle qu’elle existe encore aujourd’hui?

BT: L’industrie de la musique telle qu’elle fonctionne actuellement est moribonde. Elle a pu gagner beaucoup d’argent sur le dos des musiciens puis survivre en contrôlant les deux leviers de ce marché: la diffusion, en contrôlant totalement ce qui passait sur les radios, et la distribution, en contrôlant parfaitement ce qui était mis dans les bacs des magasins de disques. Avec l’avènement de internet ces deux leviers sont devenus totalement secondaires. Les stations de radio classiques ne passent plus de nouveautés et c’est iTunes qui est devenu le plus grand distributeur de musique, mettant en difficulté ou en péril de nombreuses maisons de disques.

FBP: Justement, en tant que personne impliquée dans internet et les nouvelles technologies, comment réagis-tu au piratage des albums et au téléchargement illégal?

BT: Je suis très en colère contre ça. Nous, les musiciens, nous avons beaucoup investi pour enregistrer nos albums car ce ne sont pas les maisons de disques qui ont payé ces enregistrements. Pour moi, pirater un de nos albums, c’est comme si je rentre chez un ébéniste qui a passé beaucoup de temps à fabriquer un très beau meuble et que moi, je l’emporte, et sans rien payer. Le téléchargement illégal, c’est sans aucun doute un des aspects les plus négatifs de internet.

FBP: Mais ne penses-tu pas que c’est aussi à cause du prix très (ou trop) élevé des disques?

BT: Dire que c’est à cause du prix, c’est une mauvaise excuse. Pour les disques c’est comme pour tous les autres produits, si tu estimes que le prix du disque est trop cher, hé bien tu ne l’achètes pas, et c’est tout. Quand tu trouves que le prix de la voiture que tu veux est trop cher, est-ce que tu la voles?  Non, alors pourquoi le faire avec les disques…?

FBP: Comment changer cette attitude?

BT: Ce serait bien si l’homme, de manière générale, pouvait avoir un peu d’éthique et respecter l’autre,… et ce qu’il a fait.

FBP: Est-ce que Moogis ne pourrait pas apporter une solution à ce qui touche le téléchargement illégal en proposant par exemple à ses abonnés de télécharger des albums ou des titres ?

BT : On y a réfléchi, mais ce sera aux artistes qui seront présentés sur les sites de décider de ce qu’ils voudront faire…

FBP: Penses-tu, comme certains, que le CD est en fin de vie?

BT: Non, pas encore. Mais il est sûr que la qualité croissante des bandes passantes va rendre de plus en plus attractif l’accès à la musique et aux vidéos par internet et sans doute condamner à plus ou moins long terme le CD.

FBP: Et que penses-tu de ceux qui continuent à écouter des vinyles et qui en achètent encore?

BT: C’est une forme de nostalgie…

Butch Trucks