Avec Yvonnik Prene, l’harmonica en totale liberté

              Avec Yvonnik Prene, l’harmonica en totale liberté

Interview préparée et réalisée par Dominique Boulay
Réalisée au Baiser Salé (Paris), le 14 juillet 2010
Photos : © DR (Yvonnick Prene)

C’est à l’occasion de son dernier passage au fameux ‘Baiser Salé’, rue des Lombards, à Paris, que j’ai pu discuter avec ce jeune harmoniciste talentueux que j’avais déjà eu l’opportunité de voir et d’écouter, il y a quelques années, au Duc Des Lombards. Un compte-rendu de cette superbe soirée se trouve d’ailleurs dans un récent numéro de Blues Magazine.

PM: Peux-tu te présenter à nos lecteurs…
Yvonnick Prene (YP) :
Je m’appelle Yvonnick Prene, j’ai 26 ans, je suis musicien et mon instrument est l’harmonica chromatique. En général, je gravite dans le monde du jazz mais j’aime également de nombreuses autres musiques improvisées ou écrites, comme la musique brésilienne, le hip hop, la chanson française, et le blues.

PM: Ton engouement pour cet instrument te serait venu vers 7 ou 8 ans, au moment où tu découvrais le blues, et particulièrement Sonny Boy Williamson…
YP:
Bien que tout le monde aime la musique, dans ma famille, personne n'en joue et les premiers sons que j’ai entendus provenaient des disques qu’écoutaient mes parents. A cette époque, mon père était abonné à la collection Atlas et il recevait chaque semaine un CD de jazz ou de blues. Cela m’a permis ainsi de découvrir un tas d’artistes et d’accroitre ma curiosité pour la musique. Les premières notes d’harmonica que j’ai entendues sont celles de Mick Jagger avec les Rolling Stones, Sugar Blue, Sonny Boy Williamson et Jean-Jacques Milteau. Le son de l’instrument m’a plu instantanément.


PM: Et le blues, pour toi, aujourd’hui?
YP:
Mon intérêt pour le blues est toujours aussi grand, aujourd’hui. Le blues reste présent dans mon jeu car j’ai grandi en écoutant cette musique. Maintenant, c’est plus un état esprit, une manière de ressentir la musique. Comme dit John Patitucci, ‘le blues c’est autre chose que la gamme blues!’. C’est aussi ça que j’aime chez certains improvisateurs comme Louis Armstrong, Charlie Parker, John Coltrane, Joe Henderson,…

PM: Qu’écoutes-tu comme blues?
YP:
J’écoute B.B. King, notamment l’excellent ‘Live at San Quentin’, mais aussi Albert King et Sonny Boy Williamson, car ses histoires me font marrer.

PM: T’arrive-t-il d’écouter des harmonicistes dans d’autres domaines que le blues et le jazz?
YP:
Oui, car je suis ouvert à tous styles de musique. J’ai joué dans des groupes de funk, de rock et de reggae depuis que je suis ado. La musique, pour moi, est comme un territoire sans frontières, et les possibilités sont infinies. En ce moment, je m’intéresse plus au rythme. Il y a encore plein des chemins qui restent à explorer dans ce domaine et pour revenir à ta question, c’est toujours enrichissant de découvrir un autre harmoniciste. Il y a quelques années, j’avais fait la connaissance de Gabriel Grossi, quand il était venu à Paris avec l’orchestre de Hamilton de Hollanda. Un mec super sympa! Sinon, j’adore Grégoire Maret. On se croise de temps à autre dans les clubs, à New York. Et puis il y a aussi Antonio Serrano, en Espagne, qui joue du jazz et du flamenco avec Paco de Lucia.

PM: Je sais que tu as eu certains professeurs d’harmonica connus et reconnus, dont Greg Zlap et Jean-Jacques Milteau. Y en a-t-il eu d’autres?
YP:
Il y a eu Olivier Ker Ourio, qui est mon préféré avec Toots Thielemans. Il m’a donné deux ou trois cours quand j’avais 17 ans. Je jouais toujours de l’harmonica diatonique à cette époque et c’était un excellent prof. C’est lui qui m’a initié à l’improvisation jazz.

PM: Peux-tu nous expliquer pourquoi tu as choisi l’harmonica chromatique plutôt que le diatonique, que l’on a l’habitude de rencontrer dans le blues?
YP:
J’ai pratiqué le diatonique pendant environ 10 ans. A 17 ans, je me produisais dans les clubs de jazz de Paris tels que le Sunset, le Baiser Salé, le Caveau des Oubliettes, où j’allais faire le bœuf. J’avais une résidence au Square de Rivoli avec un groupe du nom de Jazz Panique et dans lequel il y avait Yaron Herman, Pierre Borel, Mathieu Bordenave, Yann Joussein et Anne Paceo, notamment. Quelques temps après, je me suis aperçu que l’instrument ne me satisfaisait plus. Je sentais des barrières techniques inhérentes à celui-ci qui m’empêchaient de m’exprimer librement. Par te donner un exemple, je rencontrais des problèmes d’intonation avec certaines notes. De plus, l’obtention d’un jeu chromatique se faisait au détriment de l’homogénéité de la palette sonore, ce qui est un problème lié à l’ergonomie du diatonique car contrairement au piano, chaque note possède une sonorité particulière, une saveur unique. Néanmoins, je respecte le travail de musiciens comme Howard Levy et Sébastien Charlier qui arrivent à faire des choses merveilleuses avec. Et puis, lorsque j’ai entendu pour la première fois Olivier Ker Ourio au chromatique sur l’album ‘Central Park North’, ce fut pour moi une véritable révélation, un changement de cap.

PM: Peux-tu, brièvement, me parler de la somme de travail que cela représente que de très bien jouer de cet instrument? Des sacrifices que cela représente pour un jeune alors que les copains sont, autour de toi, plus insouciants?
YP:
Cela demande un investissement certain si l’on a envie de progresser, mais bon, on ne va quand même pas sortir les mouchoirs, non plus, Dominique!

PM: Avant ton départ aux States, en plus de la Sorbonne, trouvais-tu le temps de faire des concerts? De jazz?
YP:
Bien sûr! Je jouais avec ma formation, qui comprenait Romain Pilon, Scott et Tony Tixier, Joachim Govin et Anne Paceo. J’ai également joué dans les groupes de Laurent Cugny, Alex Tassel, Manu Pekar, Scott Tixier et d’autres, encore. Concernant ta question sur le jazz, je dirai qu’aujourd’hui le terme jazz englobe selon moi beaucoup de styles différents. Et comme je suis très ouvert à toutes les bonnes musiques, c’est pour cela que je m’efforce d’étudier des musiques et des répertoires variés. En ce moment, par exemple, j’ai la chance de travailler avec Andy Milne, la musique du collectif Mbase, celle de John Coltrane aux côtés du contrebassiste Reggie Workman, le répertoire des Jazz Messengers avec Charles Tolliver… et à côté de cela, je me concentre sur mes projets, comme le duo guitare-harmonica avec Michael Valeanu et mon quintet!

PM: Quels sont tes jazzmen favoris?
YP:
Il y en a beaucoup qui ont une grande influence sur moi, quel que soit l’instrument qu’ils jouent, d’ailleurs. Je pense à Louis Armstrong, Lester Young, Charlie Parker, Miles Davis, Lee Konitz, Kenny Garrett, John Coltrane, Freddie Hubbard, Herbie Hancock, Bill Evans, Joe Henderson, et plein d’autres encore. Chez les harmonicistes, ce sont surtout Toots Thielemans, bien sûr, mais aussi Stevie Wonder, Olivier Ker Ourio et Grégoire Maret, principalement.

PM: Peux-tu nous résumer ton cursus universitaire et musical en France?
YP:
Apres mon bac L je me suis inscrit en fac d’histoire, à la Sorbonne. Cela se passait bien mais à un moment donné, mon envie de musique a pris le dessus. J’ai transité vers la musicologie où j’ai eu la chance d’avoir Laurent Cugny comme professeur. Une fois la licence en poche, je suis parti à New York, en échange universitaire au City Collège puis à la Columbia University. En 2009, j’ai été admis à The New School of Jazz and Contemporary Music avec une bourse d’étude. En parallèle, je suis toujours inscrit à la Sorbonne où je termine cette année avec un Master en recherche. Mon mémoire est consacré au saxophoniste Lee Konitz, avec qui j’ai étudié pendant un an.

PM: Qu’es-tu parti chercher aux Etats-Unis?
YP:
En arrivant à New York, en 2007, j’ai été choqué par le niveau des musiciens. Je ne me sentais pas à la hauteur et presque découragé. Sans perdre de temps, je suis entré en contact avec des musiciens talentueux tels Jérôme Sabbagh et Ben Street, qui m’ont donné de bonnes méthodes de travail. Je me suis plongé dans l’étude du jazz de manière boulimique. C’était comme tout réapprendre depuis le début, mais avec une juste approche. Ça m’a permis de rebondir. J’ai progressé rapidement et comblé pas mal de lacunes. Par la suite, j’ai pris des leçons avec Lee Konitz, Peter Bernstein, Kevin Hays, Dave Glasser, Reggie Workman et d’autres encore, à la New School for Jazz and Contemporary Music. Je crois que je ne jouerais pas la même musique si j’étais ailleurs.

PM: Te produis-tu maintenant régulièrement là-bas?
YP:
Oui, je joue assez souvent avec ma formation, mais aussi avec des groupes différents. Le mois dernier, j’ai fait la seconde partie du saxophoniste alto Myron Walden, du Countryfield Trio, dans un club à Harlem. En février, je devrais jouer pour l’ouverture du trio du pianiste Kevin Hays. Sinon, j’ai eu l’occasion de ‘performer’ dans des clubs célèbres comme l’Iridium Jazz Club, le Zinc Bar, le Manhattan Center…

PM: Comment se passent les contacts avec les musiciens américains?
YP:
Très bien, car ils sont en général très ouverts. J’ai participé à de nombreuses sessions avec des musiciens incroyables et d’origines diverses. De plus, New York est un véritable réservoir de talents et d’artistes curieux prêts à expérimenter. Il y a une communauté de musiciens de jazz passionnants qui explorent des voies nouvelles. Encore une fois, le fait d’étudier à la New School me permet de faire des sessions quotidiennes et de rencontrer beaucoup de musiciens de ma génération. Les occasions de jouer sont très fréquentes!


PM: Tu t’es produit au Duc des Lombards, il y a quelques années, et cette semaine tu joues au Baiser Salé. Ce sont des endroits réputés qui font bien sur un CV. Quels sont les autres endroits fameux où tu as joué en France?
YP:
En France, j’ai eu l’occasion de jouer au Cirque d’Hiver, au Sunside, au Festival du Lamentin, en Martinique, et dans plein d’autres caves enfumées…

PM: As-tu participé à des enregistrements discographiques en France et aux USA?
YP:
En France, j’ai participé à plusieurs CD dont l’enregistrement d’Alexandre Tassel sur son album ‘Movement’, aux côtés de Laurent Dewilde, Manu Katché et Guillaume Naturel. C’était en 2008. Il y a eu aussi en 2007 une démo qui s’appelait ‘Roll the Dice’ avec mon groupe qui comprenait Romain Pilon, Anne Paceo, Joachim Govin, Tony et Scott Tixier. Ensuite, à New York, on m’a appelé pour des projets avec des chanteuses comme Rebecca Vallejo, Bianca Wu, Linda Fisher, notamment. J’ai produit aussi une démo en 2009 avec le pianiste Jeremy Siskind, le bassiste Noa Garabedian et le batteur Julien Augier. Nous avions enregistré des compositions et des standards. La séance s’était passée en trois heures, dans les conditions d’un concert, sans trucages. Plusieurs titres sont d’ailleurs disponibles sur CD Baby, à cette adresse https://www.cdbaby.com/cd/yvonnickprene

PM: Tes projets immédiats?
YP:
En novembre, je vais travailler au mythique Bennett Studio, à Hoboken, pour un album en tant que sideman. Et je suis aussi entrain d’écrire la musique de mon prochain CD. Bref, je continue à jouer et à profiter de ma vie à New York le plus possible!

Yvonnick Prene