ACE FREHLEY (1951-2025): L’EXTRA-TERRESTRE DU ROCK’N’ROLL

ACE FREHLEY (1951-2025) : L’EXTRA-TERRESTRE DU ROCK’N’ROLL

ACE FREHLEY (1951-2025): L’EXTRA-TERRESTRE DU ROCK’N’ROLL

De livreur de bouteilles à guitar hero cosmique, l’histoire d’un autodidacte du Bronx devenu pionnier du jeu de guitare théâtrale combinant sens du spectacle et talent musical.

Texte: Philippe Saintes (METAL OBS’)
Photos: Jean-Christophe Baugé (BLUES MAGAZINEJAZZ NEWSLEGACY (DE)MYROCKPARIS-MOVEROCK & FOLK) et al.

Les débuts dans le Bronx

Né le 27 avril 1951, Paul Daniel Frehley, cadet de trois enfants, grandit dans un quartier difficile du Bronx dans une famille luthérienne (malgré son image rock’n’roll, Ace n’a jamais abandonné ses racines spirituelles). Sa maman Esther est femme au foyer. Carl, son père, est ingénieur électricien à West Point – il entretenait les moteurs des ascenseurs de l’Empire State Building et avait participé à la conception du système d’allumage de secours des missions Apollo pour la NASA.

Pas étonnant qu’Ace ait développé très tôt un amour pour l’espace et les étoiles. Si tous les enfants sont initiés très jeune à la musique, il devient le mouton noir de la famille. Alors que son frère étudie la guitare classique à l’université de New York et que sa sœur Nancy enseigne la chimie, lui devient membre d’un gang bagarreur et prêt à tout. Il sera renvoyé de deux lycées pour actes de délinquance et tenue incorrecte – notamment pour ses cheveux longs.

C’est durant cette période où il écume les rues du Bronx en compagnie de petits malfrats qu’il est affublé du sobriquet ‘Ace’. Il me confiait en 2018:
Vers 16 ou 17 ans, j’ai connu l’école de la rue en côtoyant les fameux Ducky Boys, un gang d’Irlandais. Nous étions des guerriers errants dans les quartiers du Bronx. Il était difficile de renoncer à un groupe qui vous procurait protection et sécurité. Les bandes rivales nous regardaient avec méfiance. Comme on n’avait pas d’argent, on bricolait ensemble des armes de poing. Cela avait quelque chose d’excitant mais je n’ai jamais vu quelqu’un se faire tuer. J’ai quitté cet environnement avant de sombrer dans la criminalité. Le rock a été une sortie de secours.

«Bronx Boy» (Spaceman, 2018):

La musique comme échappatoire

Tout commence après un concert de Mitch Ryder & The Detroit Wheels, en première partie de The Who et Cream. Ace se souvient:
Voir Clapton manier la guitare avec une aisance incroyable était fascinant, mais ce qui m’a vraiment marqué, c’est The Who et leur mélange de théâtralité et de puissance musicale. Keith Moon attaquait sa batterie avec frénésie, tandis que Townshend éblouissait par sa puissance et son sens du spectacle. Ils ont détruit leurs instruments et quitté la scène en fumée en laissant le chaos derrière eux! C’était brut, violent… et incroyablement divertissant (…) ll y a toujours eu une petite voix dans ma tête qui me disait: «Tu peux faire ça. Tu peux monter sur scène et faire la même chose. Tu joues assez bien de la guitare pour y arriver, et tu as la personnalité et le look pour le faire.» (Ace Frehley, No Regrets)

Carl Frehley offre à son fils sa première guitare à 13 ans. Le jeune Paul la perfectionne vite avec son argent de poche et s’offre une Ashton, puis une Fender Telecaster, et enfin une Mustang modifiée, branchée sur un ampli Marshall. Peu d’effets, du son brut:
Les gens me demandent souvent quel est mon secret, mais je n’en ai pas. Depuis que je suis gamin, je reste fidèle à la même formule : moi, branchant une Gibson Les Paul sur un ampli Marshall poussé à fond! (Guitar Magazine)

Le style “plug and play” est né! Apprenant à l’oreille (il n’a jamais su lire la musique), Ace enchaîne les groupes – Magic People, Four Roses, The Exterminator, King Kong, Molino – tout en multipliant les petits boulots: livreur, chauffeur de taxi, et même roadie pour Jimi Hendrix, montant la batterie de Mitch Mitchell.

Encouragé par sa fiancée Jeanette Trerotola, d’un an sa cadette, il décroche son bac après avoir suivi des cours du soir.

«Back To School» (Trouble Walkin’, 1989):

Kiss: l’étincelle originelle

Le 14 décembre 1972, il se présente à l’audition d’un groupe encore inconnu, Wicked Lester, avec une Epiphone Coronet marron rouge et un ampli, chaussé d’une basket rouge et d’une orange. Les membres de Wicked Lester sont sceptiques à la vue de cet énergumène mais Ace branche sa guitare et se lance dans un solo endiablé sur le morceau «Deuce». Son jeu brut et puissant séduit immédiatement:

Je suis reparti de l’audition avec la conviction que j’allais décrocher le poste. Ils prévoyaient encore d’écouter quelques autres guitaristes, mais j’avais le pressentiment que les choses allaient tourner en ma faveur. Et j’étais vraiment enthousiaste. Les morceaux que nous avions joués étaient accrocheurs, et Paul (Stanley, chant/guitare rythmique), Gene (Simmons, chant/basse) et Peter (Criss, chant/batterie) étaient tous d’excellents musiciens. Certes, je ne les connaissais que depuis peu, mais je sentais déjà qu’ils prenaient ça très au sérieux. En toutes ces années passées à jouer de la musique, je n’avais encore jamais fait partie d’un groupe où tout le monde semblait à la fois aussi investi dans le projet… et doté du talent nécessaire pour le mener à bien. (Ace Frehley, No Regrets)

Parmi trente candidats, Paul Frehley est choisi. L’une des premières décisions du groupe est de changer de nom. «Albatros» et «Fuck» sont envisagés mais tous flashent sur KISS. Le maquillage ne rebute pas le nouvel arrivant. Celui-ci va créer son avatar «The Space Ace», l’extraterrestre de la planète Jendell qui communique avec le cosmos grâce à sa guitare. Pour éviter la confusion avec Paul Stanley, il reprend son surnom de «Ace».

Nous étions fascinés par Alice Cooper, mais il ne portait du maquillage qu’autour des yeux. Après l’avoir vu sur scène – et après avoir aussi assisté à un concert des Who – nous avons eu une réunion de groupe. C’est là qu’on a compris qu’on voulait, nous aussi, créer un groupe de rock théâtral. Porter du maquillage, oui, mais pousser le concept beaucoup plus loin que quiconque avant nous.

Peu après cette décision, nous avons commencé à jouer dans un club d’Amityville, à Long Island, qui s’appelait The Daisy. C’est là que nous avons peaufiné notre maquillage, expérimenté, ajusté les dessins que chacun de nous avait imaginés. Et avant même de vraiment nous en rendre compte, nous étions signés chez Casablanca Records.

Je n’oublierai jamais le jour de la séance photo pour la pochette de notre premier album. Neil Bogart, le président du label, nous a appelés et a demandé: «Vous êtes sûrs de vouloir garder le maquillage sur la couverture?» Il hésitait un peu, il voulait se protéger au cas où. Mais nous étions totalement convaincus de notre choix. Nous lui avons répondu: «Absolument. On le fait comme ça. On le fait à notre façon.» Il a fini par nous suivre – et ce fut, pour lui, une décision plutôt rentable.

Nous avons conquis le public, je crois, parce que notre engagement et notre sincérité transparaissaient dans nos concerts. Nous prenions notre image et notre démarche très au sérieux. Mais c’est vrai que, dans les débuts, quand quelqu’un entrait dans le club sans savoir à quoi s’attendre, il devait se dire: «Bon sang, c’est qui ces dingues ?» (ultimate-guitar.com)

«Deuce» (Kiss: Kiss, 1974):

L’arme fatale

À l’été 1973, Ace abandonne son Epiphone Coronet à un seul micro pour une Ovation Breadwinner, guitare futuriste utilisée sur le premier album Kiss (1974). Son rêve? Une Les Paul Custom, à l’image de celle d’Eric Clapton. Faute de moyens, il adopte une Gibson Les Paul Standard à finition tobacco sunburst, qui donnera naissance à son légendaire Smoking Pickup, combinant lumière et pyrotechnie.

Entre moi et ma Les Paul, c’est une véritable histoire d’amour qui dure depuis toujours. Peu de gens le savent, mais l’un des secrets de cette guitare, c’est l’inclinaison de son manche d’environ six degrés, qui lui confère cette incroyable tenue des notes. Contrairement à une Fender, dont le corps est plat et peut être posé sur une table, celui de la Les Paul est légèrement bombé, ce qui participe à sa résonance unique. C’est ce qui fait toute sa magie. Un design de génie, créé par un maître – et en plus, un ami à moi. Je me considère vraiment chanceux de l’avoir connu. (The Official Ace Frehley Magazine)

Outre la Deluxe finition Tobacco Burst, Ace Frehley s’appuie sur deux autre guitares principales, devenues aussi emblématiques que son personnage du Space Ace au cours de ses premières années avec KISS: une Les Paul Custom Cherry Burst et une Les Paul Custom noire. Chacune avait sa propre personnalité sonore et visuelle.

«Cold Gin» (Origins Vol. 1, 2016):

Dessin d’Yves Budin, extrait du Kissionnaire de Gorian Delpâture chez Lamiroy (15/10/2014):

Quatre New-Yorkais dans le vent

Il faudra plusieurs mois et une succession d’essais dans des clubs avant que le groupe ne trouve enfin sa véritable identité. Pas encore de cracheur de feu ni de pyrotechnie, mais déjà une énergie brute et contagieuse. Il suffit de jeter un œil aux rares images de l’époque pour comprendre: la foudre était déjà là, prête à frapper. Fasciné par les Beatles, Ace et ses comparses ont toujours voulu que chacun interprète un chant principal, comme John, Paul, George et Ringo.  La pochette de leur premier opus est d’ailleurs un clin d’œil à celle de Meet The Beatles.

Mars 1973. Le groupe pousse les portes des mythiques studios Electric Lady de New York. Sous la houlette du magicien Eddie Kramer – l’homme derrière le son des Stones, d’Hendrix et de Led Zeppelin – ils mettent en boîte une démo de cinq titres qui scellera leur destin. En novembre, direction les studios Bell afin d’enregistrer un vinyle 33 tours. Pour Ace, c’est un tournant, la première vraie trace gravée de son univers sonore. Ses émoluments passent de 10$ à 80$ par semaine.

Entre 1973 et 1975, Kiss carbure sans relâche. Trois albums, trois tournées, zéro pause. Kiss, Hotter Than Hell et Dressed To Kill débordent d’électricité: riffs ciselés, refrains brûlants et ce groove de l’espace signé Ace Frehley, auteur de brûlots comme «Cold Gin», «Parasite» ou «Strange Ways». Pourtant, le succès commercial se fait attendre. Les disques transpirent la sueur et la spontanéité, mais la production de Kenny Werner et Richie Wise reste encore trop rugueuse – loin du son grandiose qu’Eddie Kramer apportera plus tard. En revanche, sur scène, le groupe déchaîne les foules: prestation extravagante et spectaculaire… Le public en redemande.

Le génial manager Bill Aucoin immortalise certaines prestations explosives, dont celle du Cobo Hall de Detroit, devant plus de 12 000 fans en transe. Le pari est lancé: tout miser sur Alive !, produit par Eddie Kramer. Résultat: quinze jours après sa sortie, le double album est certifié disque d’or. La formation de Big Apple passe du statut de curiosité scénique à celui de phénomène mondial.

Ace raconte dans ses mémoires:
Alive! est sorti le 10 septembre 1975. Notre quatrième album en dix-huit mois. Bon sang, c’est incroyable. Je me souviens m’être senti surmené et fatigué, mais avec le recul, le rythme paraît presque irréel: une quantité folle de musique de Kiss diffusée en si peu de temps. Aujourd’hui, personne ne ferait ça. Même les fans les plus passionnés des plus grands groupes seraient dépassés. Mais pas les fans de Kiss. Ils ont dévoré Alive !. L’album est devenu disque d’or, puis de platine… double platine. «Rock And Roll All Nite» est devenu notre premier single dans le Top 20. L’album a rapidement grimpé dans les classements Billboard et y est resté… deux ans. (Ace Frehley, No Regrets)

«Rock And Roll All Nite» (Kiss: Alive !, 1975):

Destroyer et la créativité sous contraintes

Destroyer (1976) est considéré comme le classique des quatre musiciens originaux de Kiss, avec 9 millions de copies vendues. Mais Ace se heurte aux compromis: remplacé par le producteur Bob Ezrin sur plusieurs titres, il confie:
La plupart des parties de guitare de Destroyer sont les miennes, mais pas toutes. À l’époque, je passais beaucoup de nuits dans les clubs, vivant à fond la vie de rock star – un style de vie pas toujours compatible avec l’enregistrement d’un album. Je commençais à perdre le contrôle, mais j’aurais sans doute été plus impliqué si j’avais eu plus de soutien de la part de Gene, Paul et Bob. Au final, ce n’était pas vraiment mon album. De tous les disques de Kiss sortis jusque-là, Destroyer me ressemblait le moins. Il appartenait surtout à Paul, Gene… et à Bob. (Ace Frehley, No Regrets)

Il ajoutera plus tard à propos de sa collaboration avec Ezrin:
Je voulais vraiment donner le meilleur de moi-même. Bob a su me pousser plus loin que d’habitude, tirer le meilleur d’Ace, et grâce à son influence, j’ai joué mieux que je ne l’aurais fait normalement. Il faut rendre à César ce qui appartient à César: c’est Bob qui a écrit le solo de «Detroit Rock City», pas moi. Il a créé la mélodie, Paul y a ajouté son harmonie, et ce solo est depuis devenu l’un des plus emblématiques de l’histoire du rock. Bob est le véritable génie derrière cette pièce. (The Official Ace Frehley Magazine)

«Detroit Rock City» (Kiss: Destroyer, 1975):

Mariage, bandes dessinées, film et album solo

Frehley retrouve sa liberté sur Rock’n’Roll Over et Love Gun avec l’appui de son producteur fétiche Eddie Kramer. Le jeune guitariste signe et chante même pour la première fois «Shock Me», inspiré d’une décharge électrique reçue sur scène. Il a avoué avoir enregistré cette chanson en étant allongé sur le dos, dans une ambiance tamisée pour vaincre son stress. En revanche, il brille par son absence sur quatre des cinq inédits de la face studio d’Alive II, n’étant crédité que sur «Rocket Ride».

Au sommet de la gloire de Kiss, Ace épouse son amie Jeanette.

Jeanette venait d’un tout autre monde. Moi, j’étais d’origine allemande et je vivais dans le Bronx. Elle, c’était une Italienne de Westchester. Son grand-père, Joseph Trerotola, était vice-président de l’un des syndicats les plus puissants des États-Unis. Nous avons commencé à sortir ensemble quand j’avais dix-huit ans. Dès le départ, notre relation a été aussi passionnée que tumultueuse – on a toujours su comment se pousser à bout. (Ace Frehley, No Regrets)

Une fille, Monique, naît de cette union en 1980. Le couple finira par se séparer sous la pression de la célébrité sans toutefois divorcer. Jeanette restera auprès d’Ace jusqu’à la fin, fidèle et présente dans les moments les plus sombres comme dans les plus glorieux.

En 1977, le statut de héros se renforce pour le quartette new-yorkais avec son apparition dans deux numéros du comic Howard The Duck. La même année, Marvel consacre au groupe A Marvel Comics Super Special: Kiss, un premier épisode lancé en grande pompe – le sang des musiciens ayant été mêlé à l’encre imprimant la couverture. Dans ce numéro, Kiss affronte le fameux Dr. Doom, s’imposant comme l’égal des Quatre Fantastiques. Paul Starchild Stanley, Gene The Demon Simmons, Peter Catman Criss et The Space Ace Frehley incarnent alors à la perfection le lien entre la science-fiction, le rock et la culture populaire.

«Shock Me» (Kiss, Love Gun, 1977):

Couverture du Marvel Comics Super Special #1 (21/06/1977) telle que répertoriée dans le Kiss Kompendium chez Collins Design / Harper (08/12/2009):

L’exercice des albums solos doit ensuite permettre aux quatre musiciens d’exprimer pleinement leur personnalité musicale en 1978. Le 18 septembre, Ace Frehley, toujours produit par Eddie Kramer, sort en magasin (il est rapidement certifié Platine – un million de copies vendues). C’est le plus hard des quatre mais il comporte un hit: «New York Groove», écrit par Russ Ballard (Argent).

J’ai été surpris et touché par la réaction du public, et particulièrement par la popularité constante de «New York Groove». C’était une chanson parfaite pour un gars du Bronx, ce que je reste après toutes ces années. C’était un véritable écart par rapport à Kiss et à mon style personnel, mais c’était absolument la bonne chanson au bon moment. Sur tous les plans, ça fonctionnait, et je dois créditer Eddie Kramer. C’est lui qui a rendu ça possible, et il est autant responsable que moi du succès de «New York Groove». Je suis fier de cet album dans son ensemble. (Ace Frehley, No Regrets)

«New York Groove» (Ace Frehley, 1978):

Pressages russes Lilith (01/08/2006) des picture discs Casablanca (18/09/1978) de Peter Criss, Ace Frehley, Gene Simmons et Paul Stanley:

Sur scène, Ace utilise la Light Guitar, équipée de lumières pulsantes et chaudes qui rendent chaque solo hypnotique. Ace devient le roi du show visuel. Après ses expériences solitaires, les quatre membres du groupe «le plus chaud de la planète» se retrouvent pour le tournage d’un téléfilm produit par Hanna-Barbera et dirigé par Gordon Hessler, Kiss Meets The Phantom Of The Park (Kiss Contre Les Fantômes). Bordélique mais cultissime, le film rencontre un énorme succès d’audience sur NBC lors de sa diffusion le 28 octobre 1978 et sera remanié l’année suivante pour une exploitation en salles.

Je me suis bien amusé, j’ai rencontré de nouvelles personnes et vécu une expérience intéressante hors tournage. (…) Paul a dit qu’il pouvait être un peu embarrassé par le film, mais pas moi. Je le trouve totalement hilarant : il y a des scènes drôles et d’autres plus sérieuses. Évidemment, avec les standards d’aujourd’hui, les effets spéciaux ne tiennent pas la route, mais dans l’idée, c’était un film amusant. (The Official Ace Frehley Magazine #1)

«Rip It Out» (Ace Frehley, 1978):

Sur le tournage de “Kiss Meets The Phantom Of The Park” (photo: Everett Collection):

Strass, disco et déchirures

Chacun des musiciens semble vivre dans un monde à part, sous l’emprise de la drogue, de l’alcool ou d’excès sentimentaux. Le 31 octobre 1979, soirée d’Halloween, Frehley vole littéralement la vedette lors du Tom Snyder Show. Hilare, un peu éméché, il confirme ce que tous savaient déjà : derrière le maquillage et les effets pyrotechniques, Ace est le joyeux luron de la bande. À cette époque, il déplore la transformation de Kiss en une marque axée sur le merchandising et le divertissement pour un public plus jeune: «Ce n’est pas du rock’n’roll.»

Si des fans commencent à déserter la Kiss Army, les chiffres des ventes grimpent avec Dynasty (jeu de mots sur Die Nasty, «crève charogne») alors que la disco règne en maître. Pour peaufiner le son, Kiss mise sur Vini Poncia, expert en dance-music. Cet album reste avant tout associé au hit planétaire «I Was Made For Lovin’ You», son intro disco et son solo de guitare devenu légendaire. Ace, lui, signe trois titres accrocheurs, comme il le fera encore sur Unmasked, un album calibré pour les radios et les discothèques toujours avec Poncia aux manettes.

«Talk To Me» (Kiss, Unmasked, 1980):

Magazine Bravo n°5 de février 1980 (Collection Alain Bellicha):

Malheureusement, le phénomène Kiss s’avère vulnérable aux pressions du succès, affectant sa formation originale durant la transition des années 80. Peter Criss est le premier à quitter le navire. «Mon meilleur ami au sein de Kiss» dira Ace. «Un type adorable, sensible… Passer du temps avec lui me manque.»

Un an plus tard, c’est au tour du manager Bill Aucoin de s’éclipser, après l’échec commercial du concept-album The Elder (1981). Autant de secousses qui élargissent le fossé entre Ace, Paul Stanley et Gene Simmons.

Déjà absent des quatre inédits de la compilation Killers, le «Celestial One» tire sa révérence après la promo de Creatures of the Night (1982). Dans une interview accordée au biographe du groupe, Ken Sharp, il déclare :
Nous partagions beaucoup de fous rires au début. Je n’aurais pas imaginé une seule seconde que l’aventure prendrait la tournure qu’elle a prise. Nous étions tous déterminés à réussir. Pour aller où? Je l’ai découvert plus tard, durant le voyage. Des regrets? Ouais, j’en ai quelques-uns. Il y en a trop peu pour en faire état.

Il expliquera plus tard avoir tout arrêté par amour pour sa fille Monique, avec laquelle il partage un lien profondément fusionnel.

«2.000 Man» (Kiss, Dynasty, 1979):

Ace est le dernier membre original à «tomber le masque» en 1983. Les excès retardent ses projets:
J’ai failli mourir à plusieurs reprises. Accidents de voiture, overdoses, bagarres… J’ai même failli me noyer. Deux fois, en fait. (Ace Frehley, No Regrets)

La mort de son ami, l’acteur John Belushi (The Blues Brothers) par overdose éveille sa conscience.

Nous avions une admiration réciproque. John Belushi était un type formidable et un artiste incroyablement talentueux. Je me sens très chanceux de l’avoir connu. Sa mort a été une véritable tragédie, mais elle a aussi été le déclencheur pour que je reprenne un peu ma vie en main pendant plusieurs mois. Je repense encore aux moments complètement fous que nous avons partagés, et ça me fait toujours sourire.

Ace revient sur le devant de la scène avec un nouveau groupe. Après une tournée dans les clubs de la côte Est, il retrouve Eddie Kramer et Anton Fig, batteur sur Ace Frehley, Dynasty et Unmasked, pour enregistrer l’album Frehley’s Comet en 1987.

J’ai été très impliqué dans le premier disque de Frehley’s Comet, coproduisant avec Eddie et écrivant ou coécrivant huit des dix chansons. Avant même que l’album ne soit terminé, je savais que j’avais accompli certaines des meilleures choses de ma carrière et j’étais impatient de découvrir la réaction du public. (Ace Frehley, No Regrets)

Celle-ci est positive puisque l’album se classe dans le top 50 des ventes aux Etats-Unis alors que les vidéos de «Rock Soldiers» et «Into The Night» passent régulièrement sur MTV.

Pour la première et unique fois de sa carrière, Ace Frehley fait une entorse à Gibson. Poussé par des raisons commerciales, il accepte de jouer sur une Washburn branchée sur un ampli Laney. Mais l’idylle tourne court: déçu par le rendu sonore et le feeling de l’instrument, Ace met rapidement un terme à cette expérience.

«Rock Soldiers» (Frehley’s Comet, 1987):

Fanzine Rock Soldiers #1 (collection Philippe Saintes):

L’année suivante, il invite Paul Stanley et Gene Simmons sur scène au Limelight à New York pour rejouer «Deuce», morceau emblématique du premier album de Kiss. Les fans devront cependant patienter encore sept ans avant de revoir le line-up originel réuni. En attendant, la comète Frehley poursuit son chemin avec un mini-LP de cinq titres live enregistrés à l’Hammersmith Odeon de Londres et un inédit, «Words Are Not Enough». Le groupe ouvre pour Iron Maiden sur 20 dates au cours de la tournée US Seventh Tour Of A Seventh Tour. Suivent Second Sighting (1988), plus marqué par les sonorités eighties, et Trouble Walkin’ (1989), album rock et vintage, avec Peter Criss sur trois titres. Ace retrouve le goût de la liberté musicale tout en gardant son esprit rebelle. Cette indépendance a ses avantages mais aussi ses inconvénients: confronté à des difficultés financières, le guitariste doit déclarer faillite en 1995. Autre mauvaise nouvelle, il ne peut répondre à une invitation de Ringo Starr en personne comme il nous le révèlera dans un entretien téléphonique en 2018:

J’ai reçu un appel de son manager. Il souhaitait que je parte avec Ringo en tournée, malheureusement j’avais de sérieux problèmes à une main suite à un accident. Je n’étais pas en mesure de m’en servir et donc de jouer de la guitare. J’ai décliné l’invitation la mort dans l’âme. J’ai acheté le 45 tours de «I Want To Hold Your Hand» lorsque j’avais 15 ans. C’est cette chanson qui m’a entraîné dans ce formidable voyage musical. Je n’aurais jamais imaginé à l’époque recevoir une invitation d’un Beatles pour jouer avec lui. Et pourtant, cela a bien failli se faire.

«Insane» (Frehley’s Comet: Second Sighting, 1988):

Unplugged puis rebranchés

Après des années de conflits publics, Ace Frehley et le batteur original Peter Criss se retrouvent enfin avec Paul Stanley et Gene Simmons en août 1995 pour quelques chansons lors de MTV Unplugged.

Tout s’est passé beaucoup plus sereinement que je ne l’avais imaginé. Nous avons tous mûri, et le respect mutuel était revenu. Dès les premières répétitions pour Unplugged, l’alchimie était là. Ça montrait que ça pouvait marcher. (Guitar World)

Le rêve des fans devient réalité le 16 avril 1996 à bord du navire de guerre USS Intrepid, réquisitionné par Kiss pour annoncer au monde entier que la reformation pressentie et attendue aura bien lieu. Devant un parterre de journalistes, Gene, Paul, Peter et Ace sont apparus pour la deuxième fois (la première lors des Grammy Awards) tels qu’on ne les avait pas vus depuis dix-sept ans, en grande tenue, avec les maquillages et les plateform-boots. La Kissmania s’empare à nouveau des États-Unis alors que les radios ne jurent que par le grunge et le rap.

Le groupe s’embarque dans une tournée pharaonique. Les places s’arrachent littéralement:
À Detroit, les 38 000 tickets du Tiger Stadium se sont vendus en 45 minutes.
À New York, les trois premières dates du Madison Square Garden sont complètes en l’espace d’une heure.
À Chicago et Cleveland, les billets se sont écoulés en… 6 minutes.

La formation reprend tous les classiques de l’époque dorée: effets pyrotechniques, plateformes hydrauliques et tempêtes de confettis. Un album live intitulé You Wanted The Best You Got The Best, contenant les bandes du bon vieux temps, accentue la nostalgie.

La tournée mondiale est la plus lucrative de l’année, mais Ace reste un électron libre. Sur Psycho Circus (1998), il ne joue que sur trois titres. Son dernier concert avec Kiss aura lieu aux J.O. d’hiver de Salt Lake City en 2002, sur «Rock And Roll All Nite», entouré de patineurs et de pyrotechnie, devant trois milliards de téléspectateurs.

Le groupe a également participé au tournage du film Detroit Rock City (l’histoire de quatre adolescents tentant d’accéder à un concert de Kiss en 1978) et fait une apparition remarquée dans un épisode de la série Millenium. Tommy Thayer reprend ensuite le rôle du Spaceman sur scène.

C’est moi qui ai créé le Spaceman, son look, son maquillage, son univers. Alors, quand j’ai vu Kiss continuer à utiliser ce personnage avec un autre guitariste, ma première réaction a été: «Est-ce que rien n’est sacré pour ces types?» Mais j’ai vite compris que chez eux, la soif d’argent passait avant tout – avant l’amitié, avant le respect, avant même l’esprit du groupe. (Ace Frehley, No Regrets)

«Into The Void» (Kiss, Psycho Circus, 1998):

Sobriété et renouveau musical

Rancunier, le guitariste plonge à nouveau dans une période chaotique. Vivant à 100 à l’heure, il se perd dans les excès : alcool et mauvaises fréquentations marquent ces années.

Ma fille m’a appelé et m’a dit: «Papa, je n’entends pas de bonnes choses sur toi.» Je me suis regardé dans le miroir et je me suis dit: «Merde… elle a raison.» Ce soir-là, j’ai appelé mon parrain, et il m’a emmené à une réunion des Alcooliques Anonymes. Depuis, je suis sobre. (Ace Frehley, No Regrets)

L’artiste soulignera la nécessité de l’éducation sur les questions relatives aux dépendances durant son speech au Rock’n’Roll Hall Of Fame. Un Ace qui ne titille plus de la bibine, pique là où il faut. Vingt ans après Trouble Walkin’, il propose à ses fans Anomaly (2009). Du tonitruant «Outer Space» en passant par la reprise de Sweet, «Fox On The Run», l’épique «Genghis Khan» ou l’autobiographique «A Little Below The Angels», Frehley sort un carré d’as, en gardant une quinte pour son album suivant.

Le solide Space Invader (top 10 au Billboard en 2014) témoigne davantage de la positive métamorphose du fils de l’Espace :

Mes fans ont trouvé que le jeu de guitare sur Anomaly n’était pas assez heavy. J’ai réécouté plusieurs fois mon album solo de 1978, avec lequel j’ai rencontré un très grand succès. A l’époque, j’avais tellement de choses à prouver à tout le monde. J’ai essayé d’intégrer des éléments de ce disque devenu culte sur Space Invader. Celui-ci est plus puissant et plus spontané qu’Anomaly. J’espère en tout cas avoir répondu à l’attente du public. Quand je suis impliqué dans un processus de création musicale, j’écoute toujours ce que j’ai déjà composé auparavant pour avoir une base de référence. Au-delà de cet aspect technique, j’ai toujours eu l’intime conviction que l’on ne devrait réaliser uniquement que des albums que l’on voudrait soi-même acheter, que l’on prendrait soi-même un immense plaisir à écouter. (Entretien avec Ace Frehley)

« Space invader » (Space Invader, 2014):

Rock and Roll Hall of Fame

Le 10 avril 2014, au Barclays Center de Brooklyn, Kiss fait son entrée au Rock and Roll Hall of Fame. Les quatre membres originaux – Paul Stanley, Gene Simmons, Ace Frehley et Peter Criss – montent sur scène ensemble pour la première fois depuis près de quatorze ans.

Le discours d’intronisation est prononcé par Tom Morello (Rage Against The Machine), fan de longue date du groupe. Mais la soirée, que les fans espéraient historique, vire à la déception. Paul et Gene refusent de rejouer avec Ace et Peter, les organisateurs ayant choisi d’honorer uniquement la formation fondatrice. À l’issue de la cérémonie, Ace est le seul à répondre aux journalistes, fidèle à lui-même, sincère et accessible. Ce rôle de «porte-parole» ne fut pas une décision collective comme il l’avoua plus tard:
En fait après la séance photos qui a suivi, Gene avait vraiment l’envie de rester mais Paul lui a jeté un regard qui sous-entendait «sortons d’ici». Paul n’avait pas envie de répondre aux médias car il était fâché avec les organisateurs. Je me suis alors retourné et j’ai constaté que Peter s’était lui aussi éclipsé. La presse semblait plus s’intéresser à moi ce soir-là (rires). J’ai passé un très bon moment et j’ai savouré cette belle récompense. (Entretien avec Ace Frehley)

Moins de deux ans après l’excellent Space Invader, Ace propose à ses fans un album de reprises: Origins Vol. 1 – sur lequel il rend hommage aux artistes et groupes qui l’ont inspiré et qu’il admire: Jimi Hendrix, les Rolling Stones, les Kinks, Cream, Thin Lizzy… Il s’est également entouré d’une belle brochette d’amis: Slash, Mike McCready (Pearl Jam), Lita Ford ou John 5… même Paul Stanley revient sur «Fire and Water» de Free. Le Kid du Bronx partage aussi l’affiche avec Gene Simmons et son groupe pour quelques dates en Australie et aux Etats-Unis (2018). Il invite d’ailleurs son frère de rock sur l’album Spaceman.

Gene s’est rendu à mon domicile en Californie l’hiver dernier et nous avons composé ensemble deux chansons. Il avait déjà la structure de «Your Wish Is My Command». De mon côté, j’ai écrit 90 % des paroles, conçu le solo et l’accompagnement de guitare. Ce titre aurait pu sans problème se trouver sur un album de Kiss. Gene a aussi donné un groove fabuleux en studio au morceau «Without You I’m Nothing». Quelqu’un m’a demandé récemment ce que cela faisait d’écrire de nouveau avec Gene mais en réalité c’est la toute première fois que nous composons ensemble (il s’esclaffe). J’ai collaboré avec Paul ou Peter autrefois mais jamais avec Gene et pourtant ces morceaux sont venus naturellement. On a eu beaucoup de plaisir, ça nous a aussi donné un coup de fraîcheur. L’ambiance était familiale. Je trouve juste ça cool de pouvoir rejouer de la musique avec lui. (Entretien avec Ace Frehley)

«Fire And Water» (Origins Vol. 1, 2016):

L’invasion vient de l’esp…Ace

Vêtu d’une combinaison d’astronaute digne de Temps X (cf. la pochette), Frehley évolue dans son répertoire favori (un rock rentre-dedans et pugnace) sur Spaceman dont le titre a été suggéré par Gene. On retrouve cette texture nonchalante et surtout ce jeu de guitare très personnel.

La même année, Ace rejoint Kiss et Bruce Kulick (guitariste du groupe de 1984 à 1996) pour une jam mémorable à bord du Norwegian Jade lors de la Kiss Kruise VIII. Pourtant, les tensions ne se sont jamais apaisées.

Origins Vol. 2 sort le 18 septembre 2020, alors que le Covid commence à s’essouffler. Si la plupart des chansons y sont reprises avec fidélité, le guitar hero parvient tout de même à se réapproprier certains titres, comme «Space Truckin’» (Deep Purple) ou «Good Times Bad Times» de Led Zeppelin, en y apportant sa touche personnelle, jusque dans les paroles.

«Space Truckin’» (Origins Vol. 2, 2020):

Au fond, les Origins de Frehley, c’est un peu comme un bon steak sauce béarnaise : une saveur qu’on reconnaît immédiatement, mais qui fait toujours son effet. Et quand nous lui avons demandé, avec un sourire, s’il pouvait grimper dans une machine à remonter le temps pour jouer avec le line-up de ses rêves, il n’a pas hésité une seconde:
John Bonham à la batterie, John Paul Jones à la basse et Robert Plant au chant! Et moi? Je serais Jimmy Page, l’une de mes idoles! (rires)

En 2023, Ace n’est pas invité au dernier concert de Kiss au Madison Square Garden – au grand désarroi des fans. Peu importe: il riposte avec 10,000 Volts, un album électrisant et sans compromis, coproduit avec Steve Brown (Trixter, Def Leppard). «Walking On The Moon», «Cosmic Heart», «Cherry Medicine», «Fighting For Life» – tout sonne juste, sincère, authentique. Sur «Blinded», Ace dénonce les dérives technologiques et prouve qu’il garde un vrai esprit rebelle.

«10,000 Volts» (10,000 Volts, 2024):

Une étoile s’est éteinte

Ace Frehley n’était pas simplement un guitariste, mais un showman, un alchimiste du rock. Ses riffs tranchants, ses guitares fumantes, son vibrato chargé d’électricité et ses solos étincelants ont traversé les décennies pour inspirer des générations entières. Il pouvait aussi être irascible, brouillon, parfois paresseux ou désinvolte. Il pouvait zapper une rencontre avec ses fans, arriver en retard ou l’œil encore embué de la veille. Mais c’est aussi ce qui faisait son charme: hilarant, imprévisible, un peu givré, mais totalement inoubliable.

À chaque fois qu’il hissait sa Les Paul sur l’épaule, posait sa botte en peau de serpent sur le retour de scène et lançait le solo final de «Deuce» comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, le rock’n’roll reprenait vie.

Le guitariste-chanteur continuait à tourner jusqu’à quelques semaines avant le drame. Une violente chute dans son home studio, entraînant une hémorragie cérébrale, a brisé une famille et, avec elle, le cœur de milliers de fans. Le 16 octobre 2025, Ace Frehley s’est éteint paisiblement, entouré de sa famille et de ses proches – parmi lesquels Peter Criss – à Morristown, dans le New Jersey. Inhumé selon la tradition catholique, il repose désormais dans son Bronx natal, tout près de la tombe de ses parents. Là où tout a commencé, le Spaceman est enfin rentré chez lui, laissant un vide sidéral dans la galaxie du rock, mais son éclat continue de brûler – incandescent et éternel.

KISS fut pour lui une fusée lancée à pleine vitesse, traversant orages et étoiles filantes – une aventure démesurée dont les secousses résonnent encore, plus d’un demi-siècle après le décollage. Une fraternité musicale qui a changé la vie de quatre individus. Gene Simmons, avec lequel Ace entretenait une relation faite de désaccord et de complicité, a prononcé une émouvante oraison funèbre le 21 octobre dernier: Ace a été le premier à faire rire et pleurer une guitare à la main. Personne ne pourra jamais remplacer cette énergie.

«A Little Below The Angels» (Anomaly, 2009):

La carrière du Space Ace sera mise à l’honneur en décembre au Kennedy Center à Washington, où il devait être célébré avec les autres membres originaux de Kiss mais aussi Sylvester Stallone et Gloria Gaynor. On regrette que la formation initiale ne se soit pas produite une dernière fois mais gageons que Paul, Gene et Peter sauront mettre de côté les conflits pour honorer la mémoire de leur ancien camarade – en musique, bien sûr. Et la musique, justement, n’est pas près de s’arrêter. Il révélait en 2014 avoir encore «des boîtes entières de plus de 200 chansons inédites.»  Il travaillait surtout sur de nouvelles compositions dans son studio au moment de son décès. Selon son manager, 80 % du nouvel album était déjà enregistré, sans oublier l’incroyable catalogue qu’il a laissé. De quoi prolonger la légende. Comme il aimait le dire: La musique, c’est ma fusée. Et je vole encore.

«2 Young 2 Die» (Trouble Walkin’, 1989):

Le son et le style Frehley

Les guitares abondent sur les albums d’Ace: Les Paul, Fender Stratocaster, Telecaster, ou même acoustiques. Une de ses techniques favorites consiste à doubler les pistes rythmiques:
Pour une raison quelconque, quand on mélange ce son avec une Les Paul, on obtient un son encore plus riche. Je fais ça depuis mon premier album solo. C’est une formule qui fonctionne. Parfois, je superpose une guitare électrique avec une acoustique, mais très discrètement dans le mix. On ne l’entend pas vraiment à l’écoute finale, mais si on la retirait, ça manquerait. Cela donne un son plus complet. (Modern Guitar Magazine)

Avec la puissance de Pro Tools, Ace pouvait empiler autant de pistes qu’il le souhaitait pour chaque morceau:
Quand j’ai amené le morceau à Anthony Fox pour le mix, il a failli avoir une attaque (rires), parce que cette chanson compte presque 100 pistes.

Cette complexité permet aussi de mettre en valeur le jeu du batteur Anton Fig:
Sur «Genghis Khan» et «Pain In The Neck», deux titres de l’album Anomaly, il y a un vrai swing. Il a cette façon de jouer où il ne suit jamais exactement le rythme. Il se place généralement derrière le beat, jamais devant. (Modern Guitar Magazine)

«Genghis Khan» (Anomaly, 2009):

On connaît le guitar-hero, moins le bassiste inspiré. Sur la plupart de ses albums solo, Frehley a enregistré lui-même les lignes de basse, cherchant d’autres vibrations comme il le déclarait au magazine Goldmine, au printemps 2024:
J’aime jouer de la basse, c’est amusant. Parfois, je prends une basse, je m’assieds et je commence à bricoler… Et il m’arrive d’écrire un riff qui sonne encore mieux sur une guitare classique, simplement parce qu’on ne pense pas de la même façon quand on joue de la basse. J’ai déjà composé des riffs à la basse que j’ai ensuite transposés sur ma Les Paul. Parfois, on trouve des idées qu’on n’aurait jamais eues sur une guitare électrique.

La production de ses quatre derniers albums studio, qu’il a assumée seul ou en collaboration, constitue un autre volet important de sa carrière. Curieux et ambitieux en studio, il envisageait d’explorer de nouvelles pistes.

J’aimerais me lancer dans l’enregistrement de bandes originales pour le cinéma ou la télévision. C’est un domaine que je souhaiterais vraiment explorer. J’aimerais aussi emmener de jeunes groupes en studio, les enregistrer, les produire, et leur donner quelques conseils. En fait, je me débrouille assez bien avec Pro Tools (rires). Je veux continuer d’apprendre des ingénieurs et des producteurs, puis mettre ces jeunes talents en studio et les aider à progresser. (Entretien avec Ace Frehley)

Le son de guitare distinctif, décrit comme liquide, et le style flashy d’Ace Frehley ont influencé d’innombrables guitaristes, aussi bien à travers son travail avec Kiss que durant sa carrière solo. Mike McCready, Slash, Zakk Wylde, Nuno Bettencourt, Dimebag Darrell, Tom Morello, John 5 ou Joe Bonamassa ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres. Peu importe vos groupes préférés, leurs guitaristes ont probablement, un jour, été des fans de cet extra-terrestre de la six-cordes!

Ace Frehley incarnait l’attitude rock’n’roll dans toute sa splendeur : sans compromis, puissant et irrésistiblement accrocheur. Ses riffs avaient du panache, le son mordait, et sa présence illuminait les scènes comme une supernova. Pendant mon adolescence, son jeu m’a inspiré, non pas parce qu’il était parfait, mais parce qu’il était merveilleusement brut et débordant de vie. Ace nous rappelait que le rock n’a jamais à s’excuser d’être fun, et qu’un peu de chaos peut sonner absolument divin. (Steve Vai)

«J’aurais sans doute un peu plus pratiqué si j’avais su que j’allais influencer autant de gens», confiait Frehley en riant lors d’une interview en 2023. «Cela me rend vraiment fier et heureux d’avoir inspiré autant de grands guitaristes.»

Mais comme il le racontait à Ultimate Classic Rock, le secret de cette magie reste pour lui un mystère, même des années plus tard:
C’est un truc que je n’ai toujours pas réussi à comprendre. Mon son de guitare, c’est une Les Paul branchée sur un ampli Marshall, réglé à fond. Je n’utilise que le micro chevalet. En fait, sur toutes mes Les Paul utilisées en concert, les micros central et manche sont déconnectés. C’est un peu comme Eddie Van Halen – lui aussi ne jouait qu’avec un seul micro. Voilà, c’est mon son.

Toujours curieux, il n’a jamais laissé à d’autres le soin de façonner son image. Ces dernières années, il s’occupait lui-même de sa communication, a conçu l’artwork de plusieurs albums solos et a supervisé ses clips. Graphiste à ses heures, c’est lui qui, dès les débuts, a dessiné le logo de Kiss, l’un des plus emblématiques de l’histoire du rock – deux éclairs mythiques devenus symbole d’une génération. Passionné par la science-fiction – il adorait les films cultes des années 50 et 60 – Ace mêlait souvent humour et autodérision dans ses dernières vidéos, où le Spaceman semblait encore dialoguer avec les étoiles. Nouvelles technologies, effets spéciaux: il aimait comprendre, bricoler (il a conçu entièrement le studio futuriste dans lequel il a effectué ses derniers enregistrements) ou innover (lors du Reunion Tour, Ace inventa un nouvel effet spectaculaire : un petit moulinet installé au bout de sa guitare, utilisé notamment sur «Rock And Roll All Nite»). Mais c’était aussi un collectionneur invétéré: pièces de monnaie, couteaux, timbres et bien sûr guitares: plus de 75 instruments reposaient dans sa demeure, chacune porteuse d’une histoire. À travers tout cela, il restait le membre originel de Kiss le plus prolifique et le plus entier, fidèle à son credo: ne jamais cesser de créer et de jouer.

«Remember Me» (Trouble Walkin’, 1989):

L’auteur, Philippe Saintes, (à gauche) avec le Spaceman (à droite) à Lausanne (CH), 18/06/1995

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