TYRANT FEST – Site du 9-9bis, Oignies (62)
19-20 Octobre 2024
Texte et Photos: Jean-Christophe Baugé (BLUES MAGAZINE/ JAZZ NEWS/ LEGACY (DE)/ MYROCK/ PARIS-MOVE/ ROCK & FOLK)
Le Métaphone, salle de spectacle du site de la fosse 9-9bis des mines de Dourges à Oignies, est l’ultime étape d’une bien étrange transhumance de petits hommes en noir dans la bruine d’Octobre. Le Tyrant Fest, septième du nom, annonce en effet être complet (1.000 spectateurs par jour) avec ses préventes. Dans la file d’attente pour la seconde scène du petit auditorium, à la jauge très limitée, le fatalisme vire même à l’exaspération. Le travail de bénédictin, incluant la programmation de dix-sept groupes à la communauté de destins dans l’underground le plus obscur, porte enfin ses fruits.
SAMEDI…
Après la conférence sur les scribes de l’extrême en 2023, le Tyrant Fest propose, en prolégomènes, un moment d’échange sur la création de personnages à l’esthétique black. L’aréopage qui fait tourner le micro de l’hérétique Hyacinthe Gomérieux est composé (de gauche à droite sur la photo) de Léon «Hyver Mor» Guiselin, chanteur de Véhémence et patron d’Antiq Label, Guillaume Tocco, graphiste chez Les Acteurs De L’Ombre et créateur du jeu de rôles cachés Le Mal Ardent, Jean-Baptiste Le Bail, chanteur d’Igorrr et de Svart Crown, Lucas Vangheluwe, metteur en scène de la compagnie Laisse-Moi Manger Ton Cœur, et Augustin Jouant, acteur bien-nommé de Kongeriget Danmark, cueilli à peine démaquillé au sortir de sa pièce.
Des retours d’expérience convergents dans les domaines de la musique et du théâtre, on retient que le quatrième mur, sur scène, est brisé par la profondeur du sujet abordé, comme le deuil, ou par le maquillage, en écho au masque dans une dynamique de rituel.
16h00: le carillon moderne du Métaphone bat le rappel pour les chalands du metal market, les piqués du salon de tatouage et la caravane des food trucks.
DÖDSRIT, envisagé en 2017 comme le projet black/ crust du seul Christoffer Öster, ex-Totem Skin, est désormais un groupe féroce qui ne se départ plus d’accortes mélodies harmonisées.
De la Suède aux USA, même combat: LAMP OF MURMUUR, sur son backline de prêt, porte au pinacle le clair-obscur musical, en ne s’interdisant pas d’accumuler les clichés, de la capuche d’Illuminati au logo illisible en backdrop.
Mike Paparo, homo chaoticus aux yeux exorbités d’INTER ARMA, cristallise tout ce que le black/ death psychédélique de son groupe a de «post», aidé par un thérémine, créateur d’ambiance sonore des films de science-fiction des années 1950, occasionnellement dépoussiéré par les Rolling Stones («2.000 Light Years From Home») et Led Zeppelin («Whole Lotta Love»).
Si Jon Krieger, «faucon sorcier» amérindien de BLACKBRAID, joue la carte de l’indépendance dans l’industrie musicale, il abat ici celle de la réappropriation culturelle, voire cultuelle, dans le verbe (l’introduction indienne samplée) et dans le geste (la flûte traditionnelle, invisibilisée dans le mix pour black épique). Le blackened doom de MIZMOR («psaume», en hébreu) peut et doit se consommer les yeux fermés pour vivre pleinement l’aventure intérieure promise. Et faire fi de l’immobilisme de son homme-orchestre Liam «A.L.N.» Neighbors, recourant aux samples pour les introductions en son clair bien qu’officiant en quartet pour cette première date française.
Formé en 1999 à Courtrai par Colin Van Heeckhout (chant) et Mathieu Vandekerckhove (guitare), AMENRA, patronyme-valise de la déclamation hébraïque «amen» et du dieu égyptien Râ, a commis six messes réparties en deux EP et quatre LP de 2005 à 2017. Et gagné son totem d’immunité dans le microcosme du post-hardcore d’ascendance doom. Bousculé par des questions vertigineuses sur la naissance et la mort, la lumière et les ténèbres, dualités mises en musique par des cycles de rage débridée, Colin a engagé une rupture radicale mais non définitive en susurrant et vociférant dos au public. Pour déplacer la matrice du pouvoir? Contemporain de l’avachissement de sa cité, de l’odium plebis, Colin ne chante pas seulement dans son flamand maternel pour se jouer de quelconques complexités sémantiques: il fait appel à l’âme de son peuple, au Kleinkunst, ce «petit art» passeur de témoin… Avant de déverser son trop-plein d’énergie négative dans une cri-thérapie qu’on sait hautement cathartique.
DIMANCHE…
Retour au charbon! C’est à Oignies que son histoire dans le Pas-de-Calais a commencé et s’est terminée. Le pôle patrimoine du 9-9bis est pris d’assaut pour la visite de la fosse attenante à la cité-jardin De Clercq… où la machine d’extraction des gueules noires n’a malheureusement pu être remise en mouvement. La montée aux flambeaux sur le terril 110 qui complète l’ensemble minier, au gré des mots du conteur médiéval Julian «Draglen» Delgrange, présuppose de faire une croix (renversée) sur quelques concerts.
GRIFFON, dont on peut discuter la portée didactique des textes historiques tant le chant black est saturé (seule la tirade «Et que maudite soit la guerre!», extraite de «L’Homme Du Tarn», est intelligible), évolue sur une plus faible profondeur de champ qu’au Motocultor, entre la batterie des têtes d’affiche et les retours bains de pieds.
L’absence de crash barrière, et donc de photo pit, ne doit pas seulement interroger les professionnels de l’image: les machines à brouillard utilisées en façade par les Danois d’AFSKY gênent voire irritent certains spectateurs placés à moins de cinquante centimètres des buses, distance de sécurité pourtant préconisée par le constructeur Stairville pour son modèle AF180. De quoi relancer le débat sur l’innocuité de l’aérosol de propylène-glycol du procédé (par ailleurs support des aromatiques dans la vape). Sont-ce les véritables musiciens sous la cagoule? UADA, rétroéclairé à la lampe de chantier et au panneau de signalisation «sortie de secours», est contraint de meubler cinq minutes de coupure du son de la guitare Parker du chanteur Jake Superchi… Le temps pour le batteur et membre fondateur Trevor Matthews de faire montre de ses talents d’improvisateur.
Retour des lights et du show: le leader charismatique de KAMPFAR Per-Joar «Dolk» Spydevold, tel un Hulk blafard sur son promontoire, déclare, trente-cinq ans après François Valéry, nous aimer vivants («Dødens Aperitiff»). Il n’est pas le seul à tenir, ou plus exactement casser, la barraque puisque Ole Hartvigsen (guitare) et Stig «Ese» Eliassen (basse) ne reculent devant aucun sacrifice pour flatter l’objectif. 1349, année d’arrivée de la peste noire en Norvège, est désormais synonyme de punition black, façon Gorgoroth/ Marduk. Devant Olav «Ravn» Bergene, les bras cloutés en croix, un premier crowd surfer officie en boucle fermée pour s’assurer de figurer au générique de l’aftermovie.
IHSAHN, né Vegard Sverre Tveitan, hier chanteur/ guitariste d’Emperor, aujourd’hui maître de l’art noir, n’a besoin ni de verres de correction, ni de catogan, pour nous convaincre de l’intelligence de son black progressif. «The Promethean Spark», «Pilgrimage To Oblivion» et «Twice Born», extraits de son dernier album homonyme et orchestré, pansent les plaies de tous les exilés de l’intérieur, cernés au quotidien par la muzak aseptisée.
Texte et Photos: Jean-Christophe Baugé (BLUES MAGAZINE/ JAZZ NEWS/ LEGACY (DE)/ MYROCK/ PARIS-MOVE/ ROCK & FOLK)