Rodney Branigan et Eric McFadden au Café de la Danse

                                     
          Rodney Branigan et Eric McFadden au Café de la Danse

Reportage : Dominique Boulay
Concert du 26 mars 2010
Photos : © Yann Charles

On l’avait pressenti en rentrant dans la salle du Café de la Danse. Ce que nous allions voir ce soir allait nous laisser sur le cul…! A posteriori, je dois avouer que j’avais eu du mal à capter toute l’originalité de l’artiste lorsque j’avais écouté pour la première fois son album, ‘1 Man 2 guitars’ (chez Bad Reputation), car je n’avais pas pris le temps de lire les notes de la pochette. Du coup, de prime abord, j’avais la sensation d’écouter un très bel album qui me donnait toutefois le même feeling que pas mal d’autres bons CD de blues et de folk.
Mais une fois les notes de la pochette lues, on écoute l’album d’une toute autre oreille car la particularité de cet artiste est, en effet, de jouer de deux guitares à la fois. Ce qui, convenons-en, n’est pas coutume.

Presque intimidé par le public présent, le jeune Texan entre en scène discrètement, genre ‘je m’excuse de vous déranger’, s’installant sans faire de bruit avant d’empoigner les deux guitares. Et cela commence comme cela, direct, dans un surprenant tsunami de notes. Sur l’une des deux guitares, Rodney Branigan joue les accords tandis que la seconde lui sert pour égrener les notes et battre la mesure. Et vice-versa, car les deux instruments changent de position pendant le concert, devenant guitare puis instrument de percussion.

Rodney Branigan nous joue les morceaux de son premier album, qui est un enregistrement ‘live’ reprenant des extraits de plus de 90 heures d’enregistrement de performances sur différentes scènes des USA, ainsi que des morceaux revisités, tel ‘Come Together’, des Beatles, ou ‘Creep’, de Radio Head.
A l’écoute de son disque et sans savoir que le bougre joue seul, on ne remarque rien d’exceptionnel si ce n’est un jeu de guitare débridé et une dextérité certaine. Un nième excellent musicien de folk ou de blues, serait-on tenté de penser, même si Rodney Branigan qualifie lui-même sa musique d’un peu plus que cela: de ‘musique folk progressive’.
Par contre, au niveau d’une prestation en live, il est beaucoup plus qu’un habituel folkeux: il devient hyper-talentueux, diaboliquement habile et explosif de dextérité. Un artiste que vous devez absolument aller écouter, et voir, en direct, car ses mélodies et ses compositions ne suffisent plus. En le regardant jouer en live, cela gagne en intensité et vous prenez votre dose de frissons, car le bonhomme ne laisse personne indifférent. Et même si les grincheux vous diront qu’une bonne partie du show consiste en une démonstration de prouesses techniques et guitaristiques, il y a une grande, très grande place, laissée à l’émotion et à la chair de poule.

Est-ce également le fait qu’il ait séjourné à Londres pendant deux ans environ, mais ses textes sont quelque peu critiques par rapport à la situation dans son pays, à ce qui s’y déroule tous les jours, dans la vie quotidienne de chacun. Chose pas très commune chez nombre de ses collègues musiciens américains, tout le monde ne s’appelant pas Steve Earle et n’étant pas versé dans le ‘protest song’. Un autre atout, donc, qui fait de ce Rodney Branigan un artiste à suivre absolument!

Pour McFadden, le clan des aficionados se renforce au fil du temps, de manière certaine. Preuve que les passages précédents du bonhomme ont laissé des traces. Et que le bouche à oreille fonctionne, et c’est tant mieux.
Comme à chacun de ses concerts, il y a des différences, et c’est vrai que les fans ont tous les prétextes souhaités pour revenir! Tour à tour guitariste d’Eric Burdon et ses nouveaux Animals, puis ‘guest’ de Taste, au Plan, ou comme ce soir, chanteur-guitariste à la tête d’une formation originale pour nous restituer, entre autres, l’atmosphère sublime de son dernier opus, ‘Train to Salvation’ (chez Bad Reputation) Eric McFadden sait surprendre.

La salle du Café de la Danse est comble et il y a du monde appuyé sur la rambarde du bar situé à la mezzanine. Nous avons même dû batailler et nous livrer à quelques bousculades pour aller rejoindre Rodney dans sa loge pour une ITW, et c’est de là que j’ai assisté à quelque chose qui m’a bluffé: Eric McFadden et tous les membres de son groupe se tenaient par la main afin de se donner le courage d’exorciser tous les démons qui pouvaient leur mettre le moindre bâton dans les roues, une fois sur scène. Une manière aussi de transmettre aux autres toute l’énergie positive dont chacun dispose, une mise en commun de cette volonté de jouer et de communiquer qui habite chacun des artistes avant d’entrer en scène. Impressionnant…! Et d’autant plus impressionnant que, comme je l’ai écrit précédemment, on ne sort jamais indemne d’une prestation de McFadden.

Comme lors de son précédent passage, il y a à peu près six mois, Eric est accompagné de Max Marcilly à l’accordéon, Fabrice Trovato à la batterie, Vincent Di Bona à la guitare et son frère Adrien à l’harmonica, rejoints cette fois-ci par Gregg Michel au ukulélé. La basse est toujours tenue par Paula O’Rourke et cette fois-ci, une jeune et jolie violoniste, Stéphanie Valentin, est venue renforcer la formation. Il est indéniable que la charge émotionnelle du concert a tout de suite été multipliée par dix, ou plus encore, avec l’apport de cet instrument à cordes qui fit passer de longs frissons au travers de toute la salle du Café de la Danse.

Magistral, le concert a été un habile dosage de morceaux extraits d’un répertoire rock ‘classique’, avec par exemple ‘Run Through the Jungle’, emprunté à Creedence Clearwater Revival, et de très nombreux titres du dernier album d’Eric, ‘Train to Salvation’, nous plongeant direct dans des univers musicaux mélangeant rythmes d’Europe centrale aux musique tziganes, en passant par des flamencos et des rocks bluesy à la densité émotionnelle énorme. Car ce qui caractérise la musique de ce jeune homme, la quarantaine à peine entamée, c’est l’absence de banalité dans ses compositions. Non seulement rien n’est laissé au hasard, mais il y a en permanence comme une charge émotionnelle explosive dans l’air. Ce que d’aucuns écriraient en trois ou quatre accords, lui, il va le composer en glissant ici et là deux à trois accords supplémentaires, avec cet art, magique, somme toute, de rendre simple ce qui ne l’est pas.
Et sa voix envoutante se fait tellement attirante (parlez-en aux femmes présentes!) et passionnée qu’il n’y a plus qu’à s’abandonner et se laisser chavirer. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé, qui a rendu un vibrant hommage à l’artiste et à son band. Standing ovation follement méritée.
En sortant de là, nous avions tous le sentiment d’avoir côtoyé les étoiles. Délicieusement broyés, il nous aura fallu un bon moment avant de revenir sur terre.

Dominique Boulay
Paris-Move & Blues Magazine
Rodney Branigan et Eric McFadden au Café de la Danse