
Miguel Zenón Quartet – Live @Parker Jazz Club, Austin TX
One night only! – September 11th 2025
Report & Photos: Thierry De Clemensat, Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
Une soirée avec Miguel Zenón: chaleur, harmonie et sincérité à Austin.
Austin porte sa fin d’été comme une médaille, chaleur implacable le jour, lourdeur du crépuscule la nuit, cette chaleur qui colle à la peau bien après le coucher du soleil. La ville bat d’un rythme constant: le grondement des voitures sur l’autoroute, la musique qui s’échappe des bars, les conversations qui s’éternisent sur les terrasses jusque tard dans la nuit. Ces soirs-là, on ressent le double pouls de la cité, moitié rock’n’roll, moitié improvisation.
Le Parker Jazz Club, niché au cœur du centre-ville, apparaît comme une oasis au milieu de ce tumulte. On y descend quelques marches, et l’on entre dans une salle à la fois intime et vaste. Le plafond bas crée un cocon, tandis que la scène s’illumine comme si elle ouvrait sur un autre monde. Les tables sont rapprochées, les lumières chaudes, l’atmosphère juste assez feutrée pour évoquer une autre époque. Ce n’est pas un lieu où l’on atterrit par hasard: on vient au Parker pour vivre une expérience.
Ce soir-là, en quittant la fournaise de la rue, je fus accueilli à l’entrée par un homme barbu au visage chaleureux, d’une bienveillance typiquement texane, directe, simple, sincère. Je déclinai mon nom, précisant que j’étais invité, et tournant la tête presque machinalement, je le vis: Miguel Zenón, debout juste à ma gauche.
Ces instants ont quelque chose de désarmant. Voilà un homme dont je suivais la musique depuis des années, dont les albums portent à la fois le poids de l’érudition et la légèreté de l’esprit, et il se tenait là, tranquillement, comme n’importe quel spectateur attendant que le concert commence. Nous échangeâmes quelques mots et une poignée de main. Immédiatement, je ressentis cette aisance naturelle: un homme simple, sincère, souriant sans effort. Il m’expliqua gentiment qu’aucune photo ne serait possible dehors, il devait dîner avec ses musiciens. Puis il s’éclipsa d’un signe de tête, me laissant l’image d’un artiste qui n’a rien à prouver, dont l’authenticité se reflète autant dans la musique que dans l’attitude.
À l’intérieur, je posai mon appareil photo, trop volumineux, occupant presque une place à lui seul, commandai une margarita, et commençai à ajuster mes réglages. On nous avait placés à droite de la scène, un poste d’observation idéal: assez près pour saisir chaque nuance d’expression, assez large pour embrasser tout l’ensemble.
Au Parker, les concerts commencent à l’heure. Pas de flottement. En un instant, la salle, déjà comble, une centaine de places à peine, se fige, les lumières changent, le rideau s’ouvre, et les musiciens apparaissent: le quartet du dernier album de Zenón. L’émotion m’a saisi comme aux premières heures de ma carrière, lorsque je filmais de grands concerts de jazz pour des télévisions étrangères. La sensation était la même que face à Miles Davis, Chick Corea ou Joe Zawinul: cette certitude silencieuse que quelque chose d’exceptionnel allait se produire.
Zenón lança quelques notes, douces mais assurées, insufflant à l’air d’Austin un parfum de Caraïbes. La salle se tut instantanément. Son jeu ne cherche pas la puissance, mais l’intention. Bientôt, les autres musiciens le rejoignirent, chacun avec une voix distincte mais intimement reliée aux autres. Ils ne jouaient pas seulement ensemble: ils s’écoutaient avec une intensité presque physique, tissant une conversation invisible.
De ma place, le batteur Henry Cole captait tout mon regard. Je l’avais entendu maintes fois sur disque, mais jamais en concert. Le découvrir sur scène fut une révélation. Son jeu, à la fois délicat et fulgurant, dressait des paysages rythmiques qui semblaient se dissoudre et se reformer sans cesse, comme des montres molles dessinées par Dalí. Était-il un batteur à l’esprit de percussionniste, ou un percussionniste jouant comme un batteur? Ni l’un ni l’autre, ou les deux à la fois. En réalité, Henry Cole est un musicien avec une vision si singulière qu’elle le place d’emblée parmi les artistes rythmiques les plus fascinants de notre temps.
Zenón, lui, dirigea la soirée comme un architecte inspiré. Les premiers morceaux baignaient dans un world-jazz riche d’accents cubains. Puis la musique se déploya dans les formes les plus exigeantes du jazz contemporain. Ce n’était pas un répertoire facile, pas un jazz destiné à l’écoute distraite. Mais c’est là que résidait sa grandeur. Il existe parfois ces instants où l’Art, avec un «A» majuscule—surgit sans compromis, sans concession. Ce soir-là, ce fut exactement le cas. La musique était vaste, sincère, lumineuse, à l’image de Zenón lui-même: un artiste qui ne triche pas.
Il sut aussi s’effacer, laissant à ses compagnons d’exception l’espace de briller. Hans Glawischnig, contrebassiste à l’impressionnante carrière, ancien pilier du fameux NDR Bigband, fit résonner des lignes si profondes qu’elles semblaient soulever la salle entière. Luis Perdomo, pianiste que je ne connaissais pas, révéla une présence essentielle: précision cristalline, aplomb harmonique, mais aussi éclats de couleurs déposés comme des touches de peinture, au moment juste. Chacun des musiciens était à la fois soliste et partenaire, leur complicité incarnant la confiance et le respect mutuel.
À mi-parcours, je réalisai que je n’étais plus seulement immergé dans la musique, mais aussi dans l’atmosphère même du lieu. Le Parker avait ce soir-là un public d’initiés. Pas de bavardages distraits, mais des regards attentifs, des corps penchés vers la scène, des visages éclairés d’un sourire de reconnaissance lorsqu’une phrase s’achevait ou qu’un rythme se déployait de façon inattendue. La joie dans leurs yeux formait comme une seconde musique, répondant à celle des musiciens.
Quand les dernières notes se sont éteintes, il y eut un silence avant les applaudissements, une suspension, un souffle, comme pour reconnaître collectivement ce qui venait d’avoir lieu. Pour moi, ce fut l’un des plus beaux concerts auxquels j’ai assisté, non par le spectaculaire, mais par la vérité. La vérité des musiciens entre eux, envers le public, envers eux-mêmes.
En regagnant la nuit texane, la chaleur ne me pesait plus. Elle me paraissait au contraire comme le prolongement de l’intensité que je venais de vivre. Miguel Zenón est un artiste qui ne joue pas pour séduire, mais pour révéler; qui n’attire pas l’attention, mais la retient par sa sincérité. Les 12 et 13 septembre, il sera au Hobby Art Center de Houston avec son quartet. Ceux qui auront la chance d’y être ne vivront pas un simple concert. Ils feront l’expérience d’une vérité musicale, d’un moment où l’art se fait lumière.
Credit photo : Thierry de Clemensat – 2025
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