Cognac Blues Passion 2011
Reportage: Virgin B.
Photos: Virgin B.
Pour ma première immersion dans le Festival Blues Passions de Cognac, édition 2011, la plongée dans le grand bain s’est révélée des plus éclectiques, riche en rencontres, partages et découvertes. On sait déjà qu’à Cognac il n’y pas que du spiritueux, il y a des esprits, et s’il n’y a pas que du blues, les têtes d’affiches telles Moby, Texas, Moorcheeba ont su ravir leur public. N’empêche que le partage, n’empêche que les couleurs musicales, que les styles et les générations se sont mêlées. Il y avait les puristes, il y avait les amateurs, les curieux, les connaisseurs, les artistes et les bénévoles. Toute une ruche qui s’affaire pour donner à chacun un peu de bonheur, là où il peut le trouver, que ce soit sur des rythmes bluesiens, sur des riffs rockeurs, sur des slides endiablés, sur des trémolos dans la voix, sur l’ivoire ou l’ébène d’un piano, sur la corde d’une cigar box, la musique a uni le ciel et la terre, une fois encore.
Michel Roland et son équipe ont prouvé pour cette dix-huitième édition qu’ils pouvaient intéresser les foules, attirer un public aussi varié soit-il. Des grosses machines de guerre aux petites scènes intimistes, des matinées blues aux heures tardives et chaudes de la nuit, limites pop ou rock, à Cognac Blues Passions, il y a de quoi découvrir.
A Jarnac, en avant première, on ne nous fait pas le coup, mais on nous frappe les trois pour lancer le festival Blues Passions 2011 bien décidé à être haut en couleurs. Si la peau des trois premiers artistes est teintée couleur ébène, le show donne tout autant à y voir. Devant un public attentif et demandeur, Asa, Andreya Triana ou Raphael Saadiq n’ont plus qu’à assurer le show.
Réceptif à la rythmique, à cette sensualité dégagée par le regard comme par le côté suave de leurs voix, les demoiselles enchantent. Même les vieux troncs centenaires des chênes qui peuplent l’Ile Madame ont vibré, jusqu’au bout de leurs branches et leurs ombres n’ont fait peur à personne. Le charme a opéré, les fées de la magie noire ont fait de l’effet sur de beaux accords.
Si la perle métissée de Brighton qu’est Andreya utilise avec brio et délicatesse son sampler pour donner à sa voix et ses jeux de scène un relief particulier, Asa, la perle noire du Nigeria n’est pas restée de marbre derrière ses lunettes lui conférant une personnalité studieuse , bien vite dépassé par sa fougue, sa vitalité, sa jeunesse et son talent. Et si son nom signifie « faucon » en langue yoruba, elle peut être fière d’avoir fait planer son ombre légère sur toutes les âmes qui n’avait d’yeux que pour elle.
Sur l’Ile, un mélange de divers style, funk, soul, bluesy, suaves, des sons édulcorés, acidulés, peut être une ambiance un peu trop disco au gout de certains, un show un peu trop à l’américaine, ont annoncé l’arrivée de Raphael Saadiq. Et même si le public, en cette toute fin de soirée commence à se lasser, et se disperser, Raphael n’en baisse pas dans sa débauche d’énergie. Il investit cette grande scène, la parcourt de long en large, saisit les regards, tend ses mains, lève les bras, communie avec son public. Sa ferveur est plus ou moins partagée, et finit par s’envoler comme les dernières notes dans le ciel de la nuit à Jarnac.
Deux Révérends à l’affiche d’une Grand Messe en terre charentaises, pas très loin de Saintes, c’est du pain béni! Si l’un, le Révérend Peyton, joue sur la corde sensible et rythmique, presque déjantée, auprès de sa femme au washboard furieux, incendiaire à ses heures, l’autre, le Révérend KM William, excelle sur la corde unique de sa cigar box rustique fabriquée avec un manche à balai, comme aux origines.
Si l’un porte la barbe et arbore un look sauvage limite bucheron des forêts canadiennes, l’autre se vêt avec simplicité de sa tenue de Révérend, les pompes cirées, le costume tiré à quatre épingles. Des épingles que l’un et l’autre savent sortir de leur jeu pour époustoufler le public hétéroclite, mais on ne peut plus subjugué. Et si le washboard de Madame Peyton prend feu, la Washburn du Révérend KM William a su convertir les âmes et le pari de gagner les fidèles à la cause blues est relevé et le sésame a fonctionné pour ouvrir les cœurs.
C’est en formule solo que Martin Harley s’est découvert au public cognaçais en un beau matin ensoleillé, accompagné de sa Weissenborn, posée sur des genoux. Une vois chaude, un style qui oscille entre country ou folk. L’esprit est envahi, les idées voyagent à travers les notes, tel un troubadour à la slide, il a rallié le public à sa cause, avec un charme tout à fait british.
Ancré dans la plus pure tradition bluesienne, avec de belles racines rustiques, Bo Weavil, et son énergie démultipliée par le côté électrique de sa guitare, l’harmonica et les accents du sud ainsi qu’une vois digne des profondeurs du bayou, c’est un power trio qui a su gagner la ferveur d’un public survolté.
Le chapeau vissé sur la tête, dont la paille a subi quelques affres du temps et des concerts, une vieille Télécaster Butterscotch écaillée mais belle et bien accordée, Ian Seagal et ses bottes en croco plantent le décor. Armé d’un bottleneck et d’une voix des plus caverneuses qui soit, c’est du blues tendre comme du rock agressif sur lequel il s’exprime avec brio. Et sur cette scène qu’il parcourt avec énergie, cet homme là n’est pas que le tatoué aux bluesmen, mais bien une âme de la musique qui s’inscrit dans un festival déjà bien haut en couleurs.
Tout de blanc vêtus, The Relatives ont imposé leur stature, leur gospel, sans jouer des coudes, sans grosse machine de guerre. Juste en étant eux-mêmes, avec des voix qui portent des messages, des chœurs qui poussent les âmes vers le haut, les hommes de Dieu se sont mis à la portée des quidams. De leur USA c’est toute l’émotion du Gospel qui s’est transmise, il fallait que ça groove, que ça move, que ça chante, et ça l’a fait, plus que de raison.
C’est dans une ambiance des années 20/30 du fin fond de la New Orléans où d’une scène tirée d’Il était une fois en Amérique, en pleine période de Prohibition, qu’on croirait voir sortir tous les membres accompagnant C.W Stoneking. Les cheveux gominés, le pantalon classique et classieux, maculé, les bretelles, les yeux clairs et la voix lancinante, ce blues se vit, se transpire, se transporte. D’abord d’un aspect froid et surprenant, très vite cette impression se dissipe, et comme tous ces acolytes sur une scène brûlante, ils entrainent eux aussi le public dans leur trip.
Une tradition au Blues des Anges, mettre le feu jusqu’au bout de la nuit! Avec Guy Forsyth, ce fut réussi. Des accents rock sudistes mêlés à une slide qui déchire le ciel musical, une scie qui donne des frissons partout, le trio a pulsé la soirée et ce à plusieurs niveaux, tant humain que musical. Un goût de sauvagerie vole et des litres de sueur à leur actif ont témoigné de leur implication dans cette soirée réussie où ils n’ont pas démérité.
Tout aussi survolté, sous tension extrême et avec le risque de vous faire sauter le pacemaker, les In Volt sont branchés sur une ligne électrique à bien plus de 100 000 volts. Le temps d’une prestation pour le Tremplin des jeunes talents, ils devaient laisser la part belle aux humeurs psychédéliques de ce groupe aux accents plus rock que blues. Sous plumes, paillettes et grand chapeau, mimes, théâtralité du spectacle, ils ont assuré le show, comme à leur habitude.
En matière de showmen, le Cognac Blues Passions n’est pas en reste. Pas la langue dans sa poche, ni ses yeux et encore moins un esprit sans gêne, le petit bonhomme qu’est Little Willie Littlefield étonne dans la cour du 1715. Contre toute attente, il se désaltère et prend une mini douche maison d’eau minérale, se déchausse et dépose un mocassin sur le Stenway, fragile, mais qui devait connaître de bien belles surprises tout au long du concert. Il commence un morceau avec entrain mais jamais il ne l’achève. Mais la communion avec le public est belle et bien là. Pas en reste dans son entrain, comme dans ses grimaces, toute son énergie déborde et conquiert un parterre de passionnés dans ce nouveau lieu de concert qu’est le 1715. Si les pierres et pavés se souviennent de son passage, nul doute que la demoiselle à la fleur rose se souviendra de sa prestation, sans son échange de regard, dans un grand moment de solitude, de silence et dans son humour.
Comme s’ils avaient retrouvé la machine à remonter le temps, comme si le Doc de Retour vers le Futur nous avait laissé le choix des armes, nous voici de retour dans les fifties, sixties. Et quelles armes: une Epiphone, une contrebasse aux formes généreuses, les cheveux gominés et la banane des années 50 et un charme rétro de Soizig, le style crooner et lady se parfait avec les Lazy Buddies. Un coup de blues, impossible avec cette équipe qui swingue, qui jazze sur la scène de l’Eden, où pour sûr, ils sont au Paradis, surtout lorsque le public conquis les ovationne.
Parmi les artistes moins blues, Sly Johsnon, devait se faire connaître du public déjà bien chaud en cette soirée à Cognac. Certains en avaient entendu parler au sein du Collectif Saian Supa Crew. Avec lui sur scène, c’est une débauche d’énergie, et un public qui suit le mouvement. Ses bras levés, il invite ce dernier à vivre sa musique, sa soul. Il puise en elle une force extrême. Mélange de soul, funk, il a accaparé les esprits. Si la scène est immense, avec ses musiciens, il sait en tirer tous les partis. Ne laissant ni au public, ni aux nombreux photographes le temps de dire ouf, entre sourire, et force de voix qui se succèdent et se mêlent aux notes.
Moby aurait le blues en lui, pas sûr et pourtant il faisait partie des têtes d’affiches du Festival. Pari risqué, enjeu commercial, les esprits échauffés ont fait leurs choux gras la dessus, pas la peine d’y revenir. Inutile donc de revenir sur l’éternel débat des choix de programmation et se laisser rattraper par cela. Attraper, c’est bien là le cruel moment pour tous les photographes présents devant la scène, tellement le loustic se démenait dans tous les sens. Monté sur ressorts, derrière ses fûts, sa guitare ou son micro, Moby, s’est révélée être une vraie puce, électronique. Lift me Up repris en chœur par le public, parle de lui-même. Les puristes ont fui, les passionnés ont appréciés, les curieux ont écouté.
Le cru Cognac Blues Passions 2001 avait pour but de donner de la saveur, da la couleur!
Et même si pour cela n’était pas l’ingrédient commun à tous les artistes présents et choisis, le public était là, massé, pressé, heureux et passionné. Et c’est dans cette ambiance qu’avec grâce, légèreté et un côté un rien sexy, que Skye Edwards, alla voix magique, magnétique et suave de Morcheeba s’élève dans les airs au même rythme que cette robe pulpeuse, vaporeuse, à la couleur rouge passion. Des plumes que les ventilateurs font voleter, sur lesquels les spots se reflètent. Une silhouette fluette, élancée sur de splendides talons aiguilles, elle excelle. Pour un peu on la croirait sortie du film de Pedro Almodovar. Car elle nous attache, sa voix, la puissance de son jeu de scène entraine et tout le cœur de Cognac bat avec elle, rouge fusion, rouge passion.
Tout droit sortis de l’imaginaire théâtral, avec des visages maquillés , des costumes à la Charles Dickens , un look qu’on pourrait retrouver chez Tim Burton , les 5 membres de ce band bristish que sont les Hokie Joint n’ont pas laissé le public Cognacais insensible, ni de marbre. Du rock’ blues monté sur pile, un jeu de mimiques quelques fois burlesque les habitent. Ils donnent non seulement à entendre mais à voir. Mon coup de cœur pour cette édition, sans conteste. Et la voix rauque de Jojo, le chanteur limite acteur trouve son répondant sans le style très stonien du batteur qui s’y l’on s’attarde quelque peu joue sur sa ressemblance avec Keith Richards.
Que dire des ZZ Top, une des grosses attentes du festival et une des plus grosses réussites en matière de foule ce soir là. Et bien les barbus sont toujours barbus, les shows sont toujours les mêmes de scènes en scènes et de pays en pays. Bien sur le charme texan et les tubes connus et reconnus sont entonnés par la foule en délire malgré une pluie qui s’est invitée à Cognac. Non, non, je n’ai pas dit que c’était parce qu’ils avaient mal chantés, mais était ce là le meilleur concert de la dix huitième édition?
De tous ces concerts, de tous ces partages et découvertes, il est sûr que la musique fut le lien entre les hommes pendant ces quelques jours sur les terres accueillantes de Charente. Une fois de plus, l’équipe de Michel Rolland a œuvré pour donner à son public un panel de qualité, et on peut se dire vivement l’année prochaine.