‘Falling down a mountain’: les Tindersticks au Bataclan

           ‘Falling down a mountain’: les Tindersticks au Bataclan

Reportage : Dominique Boulay
Le Bataclan, le lundi 3 mai 2010
Photos : © Anne Marie Calendini

Ce lundi 3 mai, ce sont les Tindersticks qui sont à l’affiche du Bataclan. Il y a énormément de monde dans la rue car, outre la foule des badauds et des futurs spectateurs, le trottoir regorge de petits malins qui nous alpaguent et nous proposent des places pour deux ou trois fois le montant indiqué sur les billets. Est-ce cela, la fameuse économie mondialiste? Faisant fi de ces fieffés filous, nous nous dirigeons vers le lieu où va se dérouler le concert, le Bataclan. La salle est déjà bien pleine et elle bourdonne de ces murmures multiples qui précèdent les grands moments musicaux. Il faut dire que ce public attend l’arrivée d’un groupe à l’élégance rare, les Tindersticks, venus à Paris pour présenter sur scène leur dernier album, ‘Falling Down A Mountain’.

C'est d’ailleurs par la chanson du même titre que s’ouvre le concert. Stuart A. Staples, chanteur au magnétisme exceptionnel, se plante, les yeux clos, devant son micro et dépose sa voix suave sur cette mélodie obsédante et tendue où se mêlent rock, soul, et jazz. Une forme de répit nous sera accordée ensuite par la ballade ‘Keep You Beautiful’, qui installe sa force tranquille sur un auditoire déjà sous le charme.
S'ensuit une plongée vers des titres plus anciens, dont le vénéneux ‘Bathtime’ ou encore le superbe ‘Marbles’ porté par la guitare de Neil Fraser sur laquelle la voix de Stuart A. Staples parle et chante tour à tour, avant de se poser telle une hirondelle sur le titre suivant puis de disparaître totalement pour laisser place à l'instrumental ‘Hubbards Hills’, un morceau qui fait la part belle à l'orgue de David Boulter qui, rencontrant le violoncelle d'Andy Nice, nous emmène vers de sombres et mélancoliques contrées.

De retour sur scène, Stuart A. Staples continue d'égrener les chansons du dernier album, alternant des atmosphères intimistes, coutumières du groupe, comme ‘Peanuts’ (hélas privé de la voix féminine présente sur le CD) ou ‘Factory Girl’, l’un de ces titres à la langueur nerveuse dont les Tindersticks ont le secret. Puis suivent d’autres compos, plus rythmées et presque dansantes, comme ‘Harmony around my table’ ou ‘Black smoke’, avec son saxophone très ‘roxymusicien’. Des titres sur lesquels la voix du chanteur est accompagnée par celles de ses musiciens devenus également choristes: Andy Nice au violoncelle et saxo, Dan McKinna à la guitare basse, Earl Harvin à la batterie et Terry Edwards à la guitare.
La plongée vers les compositions passées reprend avec l'impeccable ‘The other side of the world’ porté par un violoncelle déchirant ou ‘A night in’, dont les premières notes à la basse déclenchent immédiatement l’enthousiasme d'un public connaisseur qui sait que sur ce classique du groupe, Stuart A. Staples ira chercher au plus profond de l'âme l’une de ces émotions qui suspend véritablement le temps.

Les arrangements soignés où se mêlent guitares, basse, orgue, harmonium, cuivres et violoncelle, tissent une toile musicale d’une grande beauté, survolée par cette voix magnifiquement incarnée.
C’est sûr, on ne quitte pas si facilement le train de l’émotion. Après un premier rappel frénétique, le groupe, sourire aux lèvres, revient interpréter deux titres avant de disparaître à nouveau, tandis que la salle continue à les acclamer.
Le leader-chanteur-guitariste revient, déclarant avoir convaincu les musiciens de jouer une ultime chanson! Ovation assurée suite à ces quelques mots et derniers instants de bonheur au Bataclan en ce mois de mai printanier. Les Tindersticks saluent une dernière fois leur public avant de se retirer définitivement, avec cette élégance teintée d'humilité.

La sortie de leur dernier album ainsi que le concert donné au Bataclan me donnent l’occasion de vous résumer l’histoire de ce groupe anglais pour le moins original.
Tindersticks est une formation originaire de Nottingham, créée en 1992 par Stuart Staples, David Boulter et Dickon Hinchcliffe, un trio issu du groupe anglais Asphalt Ribbons et auquel s’adjoignent Neil Fraser, Mark Colwill et Al Macaulay. La formation sort un premier single, ‘Patchwork’, sur leur propre label indépendant, puis elle signe sur le label ‘This way up’ et sort son premier album en octobre 93, intitulé simplement ‘Tindersticks’ qui sera déclaré ‘Meilleur Album de l’Année’ par le magazine anglais Melody Maker. Leur deuxième opus sort en 1995, toujours chez ‘This way up’ et il s’intitule également ‘Tindersticks’. Celui-ci contient de très belles perles telles ‘A night in’, ‘Tiny tears’ ou ‘Travelling light’, titre enregistré en duo avec Carla Togerson, du groupe The Walkabouts.
La tournée qui suivra débouchera sur un album ‘live’, fin 95. C’est à ce moment que le groupe trouve son identité artistique où la puissance mélancolique portée par les cordes soyeuses, les partitions d’orgues et la voix suave de Stuart A. Staples crée une émotion qui prend véritablement aux tripes et qui demeurera désormais l’apanage de l’ensemble.

Le combo enregistre ensuite quatre albums: ‘Curtains’, en 1997, sur le label ‘This way up’ (dont ‘Bathtime’ a été joué au Bataclan), ‘Simple pleasure’ sur le label ‘Island’ (dont ‘We can start again’ a été également joué lors du premier rappel), ‘Can our love’ chez Beggar’s Banquet, en 2001, et ‘Waiting for the moon’ chez Beggar’s Banquet, en 2003, et dont ‘Sometimes it hurts’ fut également interprété au Bataclan.

Le groupe semble toutefois s’essouffler dans sa formule à six membres et semble avoir trouvé ses limites artistiques. Stuart A. Staple quitte alors son Angleterre natale, oppressé par la ville et son rythme, pour s’installer avec sa femme peintre (cf. la pochette du dernier album) et ses enfants dans la campagne française. Là, il monte son propre studio, qu’il baptise ‘le chien chanceux’, en référence au nom de l’un de ses albums solo, ‘Lucky dog recording 03-04’, enregistré en 2005. En 2006 il enregistre, seul, un nouvel album, ‘Leaving songs’, puis en 2007, avec la complicité de son ami David Boulter, il enregistre un album de chansons enfantines intitulé ‘Songs for Young at Heart’.

Alors que les membres du groupe travaillent à des projets indépendants, Stuart A. Staples invite le trio originel dans son studio français. Après cinq ans d’absence, les musiciens retrouvent immédiatement le feeling et produisent une énergie plutôt fructueuse puisqu’en huit jours sera enregistré un nouvel album intitulé ‘The hungry saw’ (dont le magnifique ‘The other side of the world’ fut également joué au Bataclan) qui sort en 2008 chez Beggars Banquet. Les arrangements sont toujours aussi soignés et la poésie mélancolique portée par une voix plus inspirée que jamais.

‘Falling down a mountain’ est, à ce jour, le dernier album des Tindersticks. Les guitares électriques et acoustiques y sont bien mises en avant alors que les violons, jusque là toujours prégnants, se sont tus. Si le groupe reste attaché aux ballades impeccables telles ‘Keep you beautiful’ et en duo sur ‘Peanuts’ avec Mary Margaret O’Hara, il flirte également avec des rythmiques plus soutenues que ne renieraient pas les seventies, ‘Harmony around my table’ et ‘She rode me down’ louchant même du côté du western et ambiance mexicaine, rappellant le groupe Calexico – dont le chanteur Joey Burns a participé tout comme Stuart A. Staples à l'album ‘The Fitzcaraldo sessions’ à l'initiative du groupe français Jack The Ripper, en 2009 -, sans oublier l’énigmatique et déconcertant ‘Falling down a mountain’ qui introduit l’écoute sur une rythmique jazzy obsédante. Serait-ce le signe d’un tournant musical pour le groupe?
Attendons le prochain opus, pour le découvrir…

Parallèlement à ses propres compositions Tindersticks initia une étroite collaboration avec la réalisatrice Claire Denis, devenue une amie de son leader. Le groupe signera ainsi les B.O de ‘Nenette et Boni’ en 96, ‘Trouble every day’ en 2001, ‘En attendant la lune’ en 2007, et ‘35 Rhums’ en 2008, Stuart Staples ayant signé seul les B.O de deux autres films de la réalisatrice, ‘L’intrus’ en 2004, et tout récemment ‘White Material’, en 2009.

Anne-Marie Calendini & Dominique Boulay
Paris-Move