6ème Bay Car Blues Festival

Arrivés au Palais du Littoral de Grande-Synthe le vendredi en début d’après-midi pour cause d’emploi du temps trop bien chargé, nous avons du, à regrets, faire l’impasse sur la soirée de jeudi et donc sur le groupe régional Paint it Blue. Les dunkerquois devaient ouvrir cette 6ème édition du Bay Car Blues Festival en proposant en live les compositions de leur premier CD, « Mister Blues », que nous vous recommandons tout particulièrement. Et pour nous faire pardonner une seconde fois, nous envoyons de la part de Blues Mag un grand et très amical Bonjour à Norman, guitariste, Dominique, harmoniciste, Ludovic, organiste, et aux deux Stéphane, batteur et bassiste, formidables piliers de la rythmique de ce groupe où tout le Blues est peint en bleu.

Deuxième regret, et de taille, celui de n’avoir pu partager la folle soirée que des centaines de spectateurs ont passée, emballés par la prestation de Anthony Gomes, quittant leurs sièges pour aller communier au pied de la scène avec ce seigneur de la guitare. Annoncé comme une bête de scène, Anthony Gomes n’a pas failli à sa réputation et n’a pas laissé indifférent, avec son jeu de guitare unique, mélange de soul, rock, rythm & blues et blues traditionnel. Anthony, c’est un jeu, une signature, une trace, et ce bluesman de Nashville s’est d’ores et déjà imposé comme l’un des maîtres du manche. Pour les amoureux de la six cordes, un nom à découvrir d’urgence.

Bay Car Blues festival 2005

Les balances du vendredi nous avaient laissé présager une superbe seconde soirée. Les répétitions avaient tourné à la démo, au show, provoquant les premiers frissons qui vous font comprendre que les artistes sont au rendez-vous.  Et ils le furent, avec tout d’abord un formidable Mike Sanchez qui prit la salle à bras le corps. Show-man hors pair, Mike est sans conteste une figure du Rhythm & Blues, assénant un puissant boogie-woogie au piano. La salle était prise dans le tourbillon, claquant des mains, au rythme endiablé de celui qui fut sacré l’année dernière, et pour la quatrième année consécutive, « clavier de l’année britannique » par Blues in Britain. Epaulé par une rythmique superbe d’assurance et de punch, avec un étonnant Al Gare à la basse, Mike signait au Palais du Littoral un show de grande marque, digne de ceux proposés dans son excellent DVD « Red, Hot….Live ! ».

Guest star du performer anglais, Julien Brunetaud, que nous avions vu à Blues sur Seine au sein de sa formation JB Boogie, et qui avait littéralement enflammé la salle de Buchelay, a impressionné par sa vivacité et sa virtuosité. Le public et tous les autres musiciens présents à cet instant furent littéralement bluffés par le talent de Julien. Autodidacte, Julien confesse qu’il ne sait ni lire ni écrire une partition, mais qu’il s’y mettra,….un jour. En attendant, Julien ensorcelle, fait voltiger les notes. Tout d’abord seul au piano, puis rejoint par Mike et son band, Julien a su, par son talent et sa gentillesse, conquérir non seulement le public mais aussi Mike et ses musiciens. Mike venant même terminer le show dans un duo pour quatre mains au piano de Julien, mettant le feu à la salle conquise par ces deux artistes aux talents complémentaires, et qui donnèrent le meilleur d’eux-mêmes.

En seconde partie, Jamie Wood inaugura son premier concert européen en faisant partager aux amateurs présents dans ce Palais du Littoral son Blues californien aux accents très Club, imposant une ambiance intimiste, chaleureuse et amicale. Un Blues comme on aimerait tant en avoir dans le bar ou le Pub le plus près de chez soi.
Pour ce premier concert européen Jamie avait fait venir avec elle ses musiciens attitrés, des musicos de talent, des pointures qui en imposent, avec notamment Johnny Rover à l’harmonica et Carl Sonny Leyland au piano.
Jamie, c’est une voix du Blues sudiste, aux influences certaines qui imprègnent sa voix chaude : Ella Mae Morse, Big Mama Thornton, Dinah Washington,… Jamie, c’est une personnalité sur scène et en dehors de scène, qui ne vit que pour le Blues. Une femme qui avoue fait une croix sur l’homme de sa vie pour aller vivre de sa passion. Jamie c’est surtout une show-woman de talent, soutenue par une section rythmique qui n’est pas sans rappeler les combos des années 40, avec un grand Tyler Pedersen à la basse et un non moins génial Nathan James (ex William Clarke) à la guitare. Un Nathan qui fut véritablement l’une des grandes révélations de ce 6ème Bay Car Blues Festival. Tout en discrétion, timide jusqu’à fuir les photographes, Nathan s’est imposé par un jeu de guitare tout en finesse et en subtilité, impressionnant de virtuosité, mêlant les accords du Blues traditionnel au solo du Blues le plus électrique. Nathan James, un futur grand, très grand Bluesman ; un de ceux dont les doigts marqueront l’histoire de la Blues guitar.

Bay Car Blues festival 2005

Invité de Jamie, le pianiste belge Renaud Patigny emballa la salle par son jeu vif et enlevé, confirmant à Grande Synthe le titre de « génie européen du Boogie Woogie » que lui attribua la presse américaine. Reconnaissable entre mille par son chapeau blanc et son talent indiscutable, Renaud fit étalage de tout son talent, tout d’abord seul au piano, puis en duo avec Johnny Morgan, le batteur de Jamie, avant d’appeler sur scène le grand et génial bassiste, Tyler Pedersen, pour un trio d’enfer. Chapeau, l’ami ! Chapeau blanc, of course.
En l’écoutant terminer son show avec Jamie et le band au grand complet, nous ne pouvions que nous demander : Renaud, à quand un duo avec Julien…? Et pourquoi pas au Brussel’s Piano Summit qu’organise chaque année Renaud, en octobre ?

Samedi soir, Blues and Trouble eut le redoutable honneur d’ouvrir le bal. Le bal du Blues. Véritable Lady Bluesy aux accents soul et jazzy, Gladys ne laissa personne indifférent tant sa voix était chargée d’émotions et de générosité, de chaleur et de sincérité. Et dire que Gladys avait eu la veille de ce concert une extinction de voix…. ! Rembobinez-moi le show et refaites le moi sans avoir eu d’extinction de voix, Lady Gladys. J’en frissonne d’avance.
Les amateurs les plus délicats et les critiques les plus féroces en furent pour leur Blues : Gladys venait de mettre tout le monde d’accord en signant avec « son » Blues and Trouble une prestation de valeur internationale., avec un excellent Michel Foizon à la guitare, et les non moins redoutables swinging musicos que sont Stéphane Cailladet à l’orgue, François Gauthier à la basse et Ludovic Timoteo à la batterie.

Gladys avait placé la barre très haut en ce début de soirée, mais le Palais du Littoral allait connaître ce samedi une nuit comme on n’en partage que trop rarement en France. Le relais était pris par deux canadiens : le colosse Kevin Mark et son invitée, la gracieuse Roxanne Potvin.

Kevin Mark, c’est une présence exceptionnelle, un jeu de guitare puissant et qui fait immédiatement vibrer l’auditoire. Mélange de Chicago Blues et de West Coast Swing, les compositions de Mark font claquer des mains, taper des pieds, se lever de son siège. Sacré révélation de l’année à Toronto en 2001, Kevin a depuis confirmé son indéniable talent de show man et de compositeur, ainsi que l’atteste son dernier CD, « Rolling the Dice » (produit par Jack de Keyzer !), et dont plusieurs titres firent encore monter la température de la salle du Palais du Littoral.
Secondé par des musiciens dynamiques et de talent qui savent transmettre leur punch et leur plaisir de jouer – comme Little Frankie Thiffault, phénoménal saxophoniste dont l’un des solo le vit terminer au sol, sur le dos, dans un déluge très Bluezy – Kevin confirma pour son premier concert en Europe lors de cette édition du Bay Car que le Blues pourra compter sur lui.

Un charme fou, un caractère bien trempé (il fallait simplement voir comment, du haut de ses 22 ans, elle donnait ses directives pendant la balance… !), la chanteuse-guitariste Roxanne Potvin en fera fondre des cœurs, et en gagnera des admirateurs. Invitée en guest star par son compatriote Kevin, Roxanne laissa plus d’un spectateur bouche bée tant le Blues coloré de cette autodidacte en imposait (Y aurait-il des petits génies qui se pencheraient sur les berceaux des autodidactes pour en faire des pointures du Blues… ?).
Et cette voix… ! me direz-vous. Une voix chaude, une voix puissante, une voix où s’entrelacent sonorités des grandes dames du Blues. Une voix dans laquelle nous avons découvert la rayure, la cassure qu’avait la géniale, la divine Janis Joplin. Je n’ose imaginer ce que sera cette voix dans dix ans à peine : une arme à vous faire frissonner, à vous faire vibrer, à vous donner la chair de poule.
D’ailleurs l’armada de photographes professionnels et amateurs qui mitraillèrent Roxanne en furent la preuve. Le Blues canadien tient dans cette jeune canadienne aux yeux de braise une future Grande Dame du Blues.

Après une courte pause technique obligatoire pour mettre en place le matos de la troisième partie de cette nuit du Blues et de saluer encore une fois au passage la gentillesse et le dévouement des dizaines de bénévoles qui font de ce festival un événement désormais incontournable du Blues, les premières notes de guitare claquèrent, cinglantes, acérées, dans le plus pur style Blues électrique. Les yeux du public s’éclairèrent, pétillèrent. Wayne venait de lancer la machine, la très grosse artillerie, Wayne Baker Brooks, le second fils de l’une des grosses légendes du Blues, Monsieur Lonnie Brooks.
Dès le premier titre, extrait de son album Mystrery, Wayne impose un jeu de guitare vif et enlevé, son jeu, d’une intensité absolue. Les musiciens de Papa Brooks sont là, diablement à la hauteur, formidables d’assurance et de puissance : Brian James aux claviers, Mike Rodbard à la batterie, et le phénoménal Andre Howard à la basse.
Wayne enchaîne deux titres avant d’annoncer l’entrée en scène de la légende. Le fils présente le père : « Ladies and Gentlemen, Lonnie Brooks ! »
La salle chavire lorsque celui qui se faisait appeler il y a plus de 35 ans Guitar Junior avance sur scène. La Gibson, l’éternelle Gibson est là. Premières notes, premiers accords. L’artiste est bien là, la légende est vivante, et le son semble éternel. Un son, un Blues qui n’appartient qu’à lui, qu’à Lonnie. Ce Blues que l’on a surnommé « Voodoo Blues », et qui est mélange de tout ce que Lonnie a joué, et vécu. De sa Louisiane natale à Chicago, en passant par le Texas et Memphis, son Blues s’est imbibé de cajun, zydeco, funk, rythmes bayou, swing et rock, pour fusionner dans cet unique et impérial Voodoo Blues. Une signature, celle d’un maître, d’une légende.

Bay Car Blues festival 2005

Mais Lonnie est non seulement un grand Bluesman, il est aussi un génial show-man. Et tandis que Wayne et son groupe maintenaient la cadence, Lonnie descendit de scène et alla à la rencontre de son public, utilisant ici un verre, là une bouteille, comme bottleneck, traversant la salle du Palais du Littoral en jouant avec la langue, avec les dents, alignant ensuite un solo la guitare derrière la tête, dans ce style qu’imposa au monde le Dieu du manche, Jimi Hendrix.

Il était déjà plus d’une heure du matin quand le public acclama et réclama Lonnie pour un rappel. La salle était surchauffée, au concret comme au figuré. Lonnie et Wayne revinrent, sensible à l’ovation de ce public connaisseur. Ils revinrent. Père et fils s’assirent côte à côte, tandis que Andre reprenait sa basse. Magie du blues. La salle était débout et une grande partie du public était là, collée contre la scène. Nous avions la légende vivante, Lonnie Brooks, à moins d’un mètre de nous. Moment magique. Communion intégrale avec le public. Un spectateur sortit son harmonica et là, tout près, accompagna Lonnie. La légende n’est pas légende inaccessible, elle est homme, un homme généreux, d’une gentillesse extrême. Il fit signe au spectateur, lui demanda de monter près de lui, sur scène. La légende jouait avec l’inconnu à l’harmonica. Dans la salle, Jamie Wood, Nathan, Tyler et tant d’autres encore s’étaient mêlés au public, captivés, subjugués.
« C’est géant ! » nous glissa Jamie. Géant, oui. Jamie avait bien résumé cette fin de festival : géant.

Il était plus de deux heures du matin lorsqu’au moment de dire au revoir, Wayne se leva et vit venir à lui, sur scène, quelques uns de ces bénévoles qui font que le Bay Car est le Bay Car, portant un gâteau d’anniversaire. Hé oui, Wayne venait de jouer son tout premier concert en Europe et en France le jour de son anniversaire. Et c’est aussi cela le Blues, une amitié entre tous qui fait que l’on partage son plus beau jour de l’année sur scène, avec des inconnus qui deviennent aussitôt des amis.

Des amis (les plus courageux en tout cas…), qui se retrouvèrent ensuite, et comme le veut la tradition, au Zapi’ng, antre du non moins amical et charmant Frank.
Lorsque nous arrivâmes, Mr Chang avait déjà allumé la flamme du Blues et les braises étaient déjà bien rouges. Jeune prodige et virtuose de la guitare, celui que nous surnommerons désormais Mr Magic Chang a laissé Wayne et sa bande terminer ce 6ème Bay Car Blues Festival à six heures du matin par un Blues saignant et acéré qui illustrait les propos que nous tenait Lonnie, la veille : « J’ai transmis à mes fils tout ce que j’aime et tout ce que j’ai créé dans le Blues. A eux maintenant de continuer à faire vivre tout ça ! »
Lonnie, nous pouvons te le confirmer, la légende des Baker Brooks n’est pas prête de s’arrêter… !

Frankie Bluesy Pfeiffer & Lucky Sylvie Lesemne
BLUES MAGAZINE©
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