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Fille du légendaire João Gilberto, dont les révolutions silencieuses ont transformé la façon dont le monde écoute la musique, Bebel Gilberto porte un nom qui à la fois protège et met au défi. En 2023, elle a sorti João, un hommage tendre et retenu à son père, une offrande façonnée avec une forme de révérence presque murmurée. C’était un rappel que l’héritage peut être à la fois une boussole et un poids. Mais pour comprendre comment elle a construit son propre territoire artistique, il faut revenir à Tanto Tempo, paru pour la première fois en 2000, un disque si en avance sur son époque qu’il sonne aujourd’hui avec une confiance tranquille et intemporelle.
Dans cette nouvelle édition, on perçoit la plus légère des restaurations, comme si l’on avait délicatement dépoussiéré une photographie précieuse sans en modifier le cadre. Le son y est plus pur, les contours légèrement plus nets, mais l’essence sensuelle demeure intacte. Cette electro-bossa, ancrée dans un jazz subtilement épicé, flotte toujours avec cette élégance discrète qui a contribué à faire de Bebel l’une des artistes brésiliennes les plus appréciées aux États-Unis depuis les années 1960.
Réécouter Tanto Tempo aujourd’hui revient à replonger dans une atmosphère à la fois familière et silencieusement transformatrice. Les textures électroniques, héritières de certaines productions pop des années 80, ont été retravaillées avec une discipline moderne. Elles sont plus sèches désormais, plus précises, comme si le son avait appris à parler avec intention. Bebel est, indéniablement, une artiste de son temps, absorbant des influences venues du monde entier tout en préservant l’identité « bossa » qui appartient autant à sa lignée qu’à l’imaginaire national brésilien. Son défi a toujours été de réconcilier héritage et invention, d’élargir l’horizon sans couper les racines. Et à cet égard, Tanto Tempodemeure une sorte de merveille : une œuvre où la tradition n’est pas seulement conservée, mais activement réinventée.
Sa discographie qui suivra raconte une histoire parallèle, faite de raffinement et d’exploration. Avec Bebel Gilberto(2004), elle façonne une atmosphère lounge acoustique qui met en avant ses talents de compositrice brésilienne. Momento(Six Degrees, 2007) élargit encore cette palette, démontrant sa capacité à coudre ensemble des influences disparates en un ensemble cohérent et vivant. All in One (Verve, 2009), nommé aux Grammy Awards, révèle davantage sa personnalité, à la fois joueuse, introspective et attachée aux rythmes organiques. Puis, en 2014, elle ramène le public chez elle avec le lumineux DVD Bebel Gilberto in Rio in Brazil, filmé sur le littoral rayonnant de Rio. Retrouvant son langage rythmique sensuel, elle enchaîne avec Tudo, sorti chez Sony et salué par la critique. En 2020, l’album intime Agora, produit par Thomas Bartlett (Sufjan Stevens, St. Vincent), pousse plus loin l’intime, le confessionnel, le distillé.
Les artistes capables d’entrelacer passé et présent dans un même tissu suscitent souvent une fascination particulière. Bebel y parvient non pas en imitant le passé, mais en le pliant doucement vers l’avenir, en traitant l’héritage comme une matière première plutôt qu’un plan à suivre. Il y a quelque chose d’assez lunaire dans l’architecture de sa musique, une aura impalpable suspendue comme à un fil d’or tendu entre mémoire et innovation. La tendresse de Tanto Tempo semble souvent faite main : parfois portée par des motifs classiques, parfois éclairée par des arrangements électro-pop contemporains. Et pourtant, l’âme de la bossa ne vacille jamais. Elle reste un souffle, une façon d’incliner la phrase, un murmure chanté, semblable au vent d’un soir d’été traversant une terrasse, tandis que le soleil descend lentement sur la baie.
Plus largement, la musique de Bebel transporte aussi des récits culturels qui dépassent l’individu. Le Brésil est un pays de dimension continentale, dont les traditions folkloriques et régionales sont vastes et entremêlées. Cette immensité explique sans doute pourquoi les musiques brésiliennes ont non seulement voyagé dans le monde, mais s’y sont installées, devenant un lieu où des auditeurs venus d’autres géographies ressentent une reconnaissance inexplicable. Si l’imaginaire global du Brésil a parfois été simplifié ou romantisé, l’œuvre de Bebel refuse ces raccourcis. Elle propose au contraire une géographie plus intime, où l’héritage se remixe, où la modernité vibre doucement sous la tradition, et où la voix d’une fille devient, à sa manière, une ambassadrice fiable et lumineuse de la musique brésilienne.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, December 13th 2025
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Singer : Bebel Gilberto
Suba: Producer, co-writer, multi-instrumentalist (Sao Paulo-based Serbian producer).
Amon Tobin: Electronic artist, contributed to the sound.
Thievery Corporation: Electronic duo, featured on the album.
Chris Franck & Nina Miranda: Collaborated on tracks.
Mario Caldato: Contributions to production/music.
João Donato: Brazilian legend on piano/instruments.
Celso Fonseca: Brazilian legend, also involved.
Béco Dranoff: Co-producer.