Carolyn Trowbridge – Found Memories (FR review)

Carolyn Trowbridge Music – Street date : January 9, 2026
Jazz
Carolyn Trowbridge - Found Memories

Il existe des artistes qui entrent dans votre vie comme un changement de lumière entre dans une pièce, non pas brusquement, ni avec fracas, mais avec cette clarté indéniable de quelque chose qui aurait toujours dû être visible. Carolyn Trowbridge est de ces révélations-là. C’est l’une des grandes ironies de la vie urbaine moderne: deux personnes peuvent habiter la même ville, fréquenter les mêmes cafés, respirer le même air chargé de cèdre, traverser les mêmes quartiers créatifs, et pourtant rester invisibles l’une à l’autre. Puis une œuvre surgit, lumineuse et insistante, et la question apparaît: Comment ai-je pu passer à côté?

Trowbridge n’est pas simplement une multi-instrumentiste; elle est l’architecte d’un monde artistique façonné par la mémoire sensorielle, par ces impressions d’enfance qui s’accrochent aux bords de l’âge adulte. Sa musique naît bien avant la première note, avant que le vibraphone ne scintille ou que les percussions ne trouvent leur pulsation. Elle naît d’un quiscale frénétique qui surgit dans son univers d’enfant, cet oiseau texan emblématique de l’espièglerie et de la défiance. Ce ne sont pas là des anecdotes: ce sont des origines, les fragments d’une mythologie personnelle qui expliquent pourquoi sa musique porte à la fois l’introspection texturée de l’Europe et l’amplitude pragmatique de l’Amérique.

Écouter Found Memories, c’est comprendre comment ces empreintes précoces sont devenues une logique de composition. Au vibraphone, Trowbridge peint en dégradés, doux, aqueux, lumineux. Ses paysages sonores rappellent les mondes fluides de Roland Cat, ce peintre qui capturait la lumière comme si elle était une présence vivante. La comparaison est juste: la musique de Trowbridge possède cette même radiance submergée. Rien n’y est décoratif. Chaque éclat de maillet contre métal semble relié à un réservoir émotionnel plus profond.

C’est pourquoi, curieusement, son album ressemble à un seuil temporel. Je me surprends à parler déjà de 2026, alors que nous sommes encore ancrés en 2025, et c’est parce que Found Memories se situe précisément sur cette couture. Si 2025 a vu un extraordinaire essor de voix féminines dans le jazz, des artistes qui ont redessiné l’idiome avec des projets aussi audacieux que sensibles, alors l’album de Trowbridge en est à la fois l’aboutissement et le prolongement. Il apporte ce que nous ne savions pas encore attendre: un retour à l’enfance refracté par l’intelligence adulte. Et il y a, parfois, quelque chose de presque John Grisham dans son rythme cinématographique, non pas littéraire dans le sens narratif, mais cinématographique dans la façon dont les scènes semblent construites, superposées, révélées, comme si ses compositions avaient été pensées pour des plans larges et des panoramiques.

Sa place parmi les vibraphonistes contemporains

Si l’on devait situer Trowbridge dans le paysage actuel du vibraphone, elle s’inscrirait aisément, mais distinctement, aux côtés de Sasha Berliner, Patricia Brennan, Joel Ross ou Simon Moullier. Comme eux, elle traite l’instrument comme un vecteur de récits modernes, non comme un vestige d’un vocabulaire post-bop. Mais son imaginaire compositionnel semble ancré dans un sol culturel hybride. Les traces d’une rigueur classique, les ombres du rock, les arêtes lumineuses de la pop, l’élasticité rythmique des musiques du monde, tout cela s’entrelace dans son identité jazzistique. Elle écrit comme une artiste qui n’a jamais eu peur d’être perméable.

Son parcours reflète cette ouverture. Elle a collaboré, enregistré et joué avec les Black Pumas (nommés aux Grammy Awards), Adrian Quesada, Graham Reynolds, Alex Coke, Star Parks, Hard Proof, Mike Portnoy et bien d’autres. En 2009, elle apparaît avec la chorale A Company of Voices, lauréate d’un Grammy Award, dans une émission spéciale de PBS. En 2014, elle assure la première partie de Snoop Dogg lors d’ACL Live, une anecdote qui pourrait surprendre si l’on ignorait que les frontières de genre n’ont jamais signifié grand-chose pour elle.

Austin comme moteur discret d’audace artistique

Écrire sur Trowbridge, c’est aussi écrire sur Austin, non pas l’Austin mythique des légendes de la guitare, mais l’Austin contemporain : une ville dont la scène jazz s’est métamorphosée silencieusement en quelque chose de plus cosmopolite, collaboratif et audacieux. Ici, les artistes naviguent entre les traditions. Ils jouent du jazz à midi, du rock à minuit, de l’ambient le week-end. L’expérimentation n’est pas un geste de rébellion : c’est une habitude.

Trowbridge est un produit de cet écosystème. Sa musique n’émerge pas seulement d’Austin; elle en absorbe les contradictions. La tension entre enracinement et agitation. Le mélange de structure et de spontanéité. L’habitude de glisser entre les influences sans s’en excuser. En ce sens, son œuvre reflète l’identité changeante de la ville.

Un horizon plus large

Found Memories n’est pas simplement un album: c’est une déclaration d’intention. Il annonce une artiste qui entre pleinement dans sa propre esthétique. Avec son ton distinctif, son imagination singulière, et un cercle de musiciens profondément attentifs, le projet ressemble à un pas décisif vers de grandes scènes, des festivals de jazz nationaux aux circuits internationaux.

S’il existe une leçon enfouie dans cet album, c’est que la mémoire, lorsqu’elle est traitée non comme une nostalgie, mais comme un matériau brut, peut devenir une force de propulsion. La trajectoire de Trowbridge semble résolument lumineuse, non pas parce qu’elle cherche l’innovation, mais parce qu’elle l’habite naturellement. Elle compose comme quelqu’un qui sait que le passé n’est pas un poids, mais un réservoir.

Ainsi Found Memories apparaît comme l’un des premiers jalons du prochain chapitre du jazz contemporain: subtil, cinématographique, sans frontières, attentif aux détails scintillants qui façonnent une vie. C’est le son d’une enfance reframée par l’art, et d’une artiste révélant, enfin, ce qui se formait silencieusement en arrière-plan de notre ville.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, November 20th 2025

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Website

 

Musicians :
Carolyn Trowbridge, vibraphone & percussion
Elaine Barber, harp
Mario Castelanos, bass
Alex Coke, flute
Jason Frey, tenor saxophone
Brian Sunderman, guitar
Nick Tozzo, drums, percussion

Track Listing :
Thank You For The Memories, Thank You For The Laughs
Duchess Of Sheba
Chopin’s Seance
Grackle Vs. Tacotarian
The Lonely Frost Flower
Tookey’s Engine
Turtle Heart
The Old Woman Who Never Grew Older
Physalia’s Journey
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