Whitney Ross-Barris – Curtains Of Light (FR review)

Self Released - Street Date : November 2025
Jazz
Whitney Ross-Barris - Curtains Of Light

Il existe des albums qui affirment leur originalité dès les toutes premières mesures, et Curtains of Light appartient sans conteste à cette catégorie, une œuvre qui irradie le charme reconnaissable des productions des années 1970 et 1980, tout en glissant avec une aisance déconcertante entre jazz, soul, pop et d’autres territoires musicaux sans frontières. Au centre, une vocaliste qui impose son identité artistique non par la force, mais avec une forme de confiance bienveillante. À une époque où tant de productions semblent conçues pour répondre à des attentes prévisibles, pré-calibrées pour les algorithmes, enfermées dans des catégories ou des stratégies marketing, ce disque accomplit quelque chose de plus en plus rare: il respire. Whitney Ross-Barris y circule comme un électron libre, guidée autant par la joie que par l’instinct, laissant jaillir des idées avec la bonne humeur d’une artiste qui s’autorise enfin une totale liberté créatrice.

Mais sous cette liberté affleure quelque chose de plus profond. Curtains of Light cristallise des récits intensément humains de déconnexion, de nostalgie et de cette résilience silencieuse qui émerge des années difficiles. Ce qui demeure, ce n’est pas seulement la musique, mais la sensation d’une vie qui se déroule derrière elle, l’empreinte de jours vécus intensément, imparfaitement, avec une tendresse particulière. Et, tissés dans l’ensemble de l’album, on retrouve des enregistrements de terrain puisés dans le quotidien de Ross-Barris : une porte qui se ferme, le rire d’un enfant dans la pièce voisine, la résonance lointaine d’un coin de rue, ou un souffle pris entre deux pensées. Ces sons ne décorent pas la musique: ils l’élargissent. Ils ancrent les morceaux dans un monde à la fois intime et universel, brouillant la frontière entre autobiographie et atmosphère. Ils donnent à l’auditeur l’étrange impression de traverser, l’espace d’un instant, la mémoire de quelqu’un d’autre.

Porté par des grooves irrésistibles et par des arrangements panoramiques, presque cinématographiques, signés par les multi-instrumentistes primés Michael Shand et Drew Jurecka, Curtains of Light offre une palette sonore riche et variée, du début à la fin. Et nul besoin de consulter sa biographie pour comprendre que Ross-Barris est aussi comédienne: la dimension théâtrale se lit dans la manière dont elle sculpte chaque phrase. Elle embrasse les thèmes avec un plaisir assumé, mais sa voix impose une seconde lecture, plus profonde, une impression que ces chansons sont autant des réflexions que des performances. Chaque intention artistique, soigneusement pesée, fonctionne non comme un ornement mais comme une invitation : écouter, réfléchir, revenir.

Depuis plus de vingt-sept ans, la chanteuse torontoise sillonne les scènes, entre le Canada et les États-Unis, connue pour des prestations qui mènent le public du rire aux larmes. Curtains of Light porte en lui une histoire née pendant la pandémie, lorsqu’elle, confinée avec trois jeunes enfants et un chat obstiné, a entretenu son moral en composant sur son piano cent-dix-septenaire. Là encore, la dimension sensorielle est essentielle: on croit entendre l’âge de l’instrument, son bois qui respire doucement tandis que les touches réagissent. Soutenue par le Conseil des arts de l’Ontario et par ses fidèles auditeurs, elle a transformé ces moments suspendus en une collection de compositions originales, un album qui garde l’empreinte d’une pause mondiale et du réveil intérieur qui s’ensuivit.

On peut s’étonner qu’autant d’albums issus de cette période continuent d’émerger, tant d’années après le pic de la pandémie. Mais pour les artistes, compositeurs, chanteurs, écrivains, musiciens, la crise ne fut pas seulement une rupture: elle fut un creuset. Pour beaucoup, ces mois ont été propices à l’introspection, à l’invention et à un renouveau du sens. Il en résulte des œuvres comme celle-ci: légères en apparence, mais profondes, tendres et pleines d’espoir. Des œuvres qui comprennent que la créativité surgit souvent des détails les plus infimes: les pas d’un enfant dans un couloir, le bourdonnement d’un appareil de cuisine, une phrase murmurée à soi-même en fin d’après-midi. Ces fragments d’existence réelle constituent la charpente invisible de Curtains of Light.

Comme l’a observé John Devenish, de JazzFM91: «Il n’y a que du mérite à proclamer fièrement le respect des racines d’un art, le respect d’un son, d’un style et de la pratique artistique. Ajoutez à cela une liste d’influences aussi emblématiques que Chet Baker, Tom Waits, Louis Armstrong, Anita O’Day, Mel Tormé, Marvin Gaye et Oscar Peterson; puis, ajoutez encore une dimension théâtrale, et vous découvrez l’art original et vibrant de Whitney Ross-Barris.»

Je n’ai découvert cette déclaration qu’après avoir rédigé ma propre critique, et elle a confirmé exactement ce que j’avais ressenti à l’écoute. Si vous ne connaissez pas encore cette artiste singulière, laissez cet album être votre porte d’entrée. Authentique et résolument personnelle, Whitney Ross-Barris propose quelque chose de rare: une œuvre qui se tient hors du commun, où le son, la mémoire et l’émotion s’entrelacent avec une clarté inhabituelle.

Et peut-être est-ce pour cela qu’il est si naturel de se laisser toucher par cet album: Curtains of Light ne demande pas d’être compris. Il demande simplement d’être habité.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, November 15th 2025

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To buy this album

Website

FRIDAY, NOVEMBER 21ST, 2025 @ 8PM: The Arts and Letters Club of Toronto, 14 Elm St. Toronto

Track Listing:
Bourgeois Reverie
Up In The Night
Bird Of Paradise
Sentrees
Stranger
Park Life
Sunrise
There You Are
Just Waiting To Be Asked
If I Were You
Only At Night
Midwinter Blue
Curtains Of Light