| Rock |
Plus d’un bon demi-siècle après les événements, l’un des deux ou trois conglomérats de ce que l’on n’ose même plus appeler des majors exhume donc ce document historique, dont la portée économique (et ironique) aura sans doute pour effet d’alimenter les fonds de pensions dont relèvent à présent bonne part des survivants des faits. Quelques éléments de contexte, en introduction: nous sommes le 18 septembre 1971, les Beatles sont officiellement séparés depuis plus d’un an, et en Albion, les prétendants à leur couronne se disputent âprement leur trône. Si en dépit de son succès croissant, le Floyd se réfère encore largement au courant progressif où le talonnent des formations telles que Yes, King Crimson, Soft Machine et un Genesis encore balbutiant, les impudents Led Zep cartonnent avec un quatrième album plus tonitruant que jamais, tandis que les Stones (exilés en France) lancent leur propre label, sur lequel sort “Sticky Fingers”. Encore auréolés du triomphe de leur rock-opéra “Tommy”, les Who abattent en conséquence une nouvelle carte maîtresse avec “Who’s Next”. Un mois et demi auparavant (le 1er août), George Harrison avait réuni un aréopage de stars (Dylan inclus) pour le tout premier concert caritatif de l’histoire du rock, en vue de porter secours à la population du Bangla Desh, frappée par une de ces catastrophes climatiques devenues depuis monnaie courante (expression idoine, si l’on considère par ailleurs la dissipation suspecte d’une bonne part des fonds collectés en la circonstance). Le marigot du rock frémissait ainsi d’un nouvel élan humanitaro-lucratif à même de mobiliser les hordes juvéniles, plus que jamais mues par un instinct grégaire massif (confirmé par les festivals de Woodstock et Wight). Après avoir envisagé d’organiser un concert géant à Hyde Park le 4 septembre (sur le modèle de celui qu’y donnèrent les Stones deux ans plus tôt), les Who et leur staff durent se rabattre in fine sur le stade de cricket londonien que l’on nommait alors The Oval, suite aux restrictions opposées au projet initial par le Greater London Council. Il n’empêche que l’affiche assemblée pour l’occasion avait tout pour séduire l’amateur de pop music (comme la presse désignait alors le rock): outre The Who, les y précédèrent ainsi le Grease Band, Lindisfarne, Mott The Hoople et Rod Stewart & The Faces… Avec le recul, on peut considérer que le rassemblement public suscité préfigurait peu ou prou celui auquel The Who serait confronté un an plus tard en notre propre Fête de l’Humanité. Toujours est-il qu’en raison de leur indéfectible complicité mods (ou plus prosaïquement de leur inextinguible appétit soiffard), les Who et les Faces profitèrent du passage de leurs prédécesseurs sur les planches pour socialiser gaiement dans les coulisses avec force libations, et que si Daltrey, Moon et Entwistle semblent avoir bien tenu le choc alcoolémique, ce fut manifestement moins le cas de Townshend, qui se présenta ensuite sur scène dans un état d’euphorie avancée. Après un bref “So Glad To See Ya” inédit (et sans doute improvisé on the spot), justement réminiscent des défunts Small Faces, le quatuor de Shepherd’s Bush embraye d’emblée sur le “Summertime Blues” d’Eddie Cochran qui constituait à l’époque son entrée en matière de prédilection. Si la cohésion du gang ne semblait pas encore trop souffrir des effets du brandy sur Longtarin, on y reconnaît bien leur férocité alors légendaire (j’ai une amie fan de Crosby, Still & Nash qui m’a toujours objecté que les Who, c’était trop violent pour elle), mais dès le “My Wife” de John qui suit, on pressent que c’est à la titanesque section rythmique qu’il échoira plus que jamais de tenir fermement la rampe. En dépit (ou à cause de) de l’irrépressible tsunami qu’évoquent les cavalcades de Rotosound de The Ox, tentant de contenir l’avalanche constante de toms et cymbales en furie, les six cordes de Pete y partent en effet dans tous les sens, et c’est un pandémonium de sustain sursaturé et de power chords assassins, laissant présager un de ces sets sur la ligne de crête entre exploit et catastrophe dont la formation établit sa réputation. Intérêt notoire de cette captation, le groupe y interprète pas moins de cinq extraits de son récent “Who’s Next” (outre “My Wife” et l’obligatoire “Won’t Get Fooled Again”, on peut donc y apprécier de saignantes versions de “Bargain”, “Love Ain’t For Keeping” et “Behind Blue Eyes”), et parmi les non moins imposés “Substitute”, “Can’t Explain”, “Magic Bus”, “Pinball Wizard”, “See Me, Feel Me” et “My Generation”, on retiendra les exécutions épiques de leur trop sous-estimé “Naked Eye”, et surtout du “Baby Don’t You Do It” de Marvin Gaye (qu’ils interprétaient intermittemment sur scène depuis leurs débuts), où la paire Moon-Entwistle préfigurait déjà les ruades de leur “The Real Me” à venir, en future ouverture de “Quadrophenia”. Il n’y a en définitive que sur l’intro et le final de “Won’t Get Fooled Again” (nécessairement calés sur sa séquence de synthé pré-enregistrée) où l’on décèle la relative confusion mentale de Pete, heureusement repêché au vol par l’intervention salutaire de la salle des machines. Au fil de digressions foutraques et débridées (ces “My Wife”, “Bargain” et “Baby Don’t You Do It” dignes de “Live At Leeds”, qui ne les précédait alors que d’un an), les Who démontraient ici qu’ils pouvaient en remontrer jusqu’au Zep de Page et consorts, quant à l’héritage putatif des Yardbirds, Cream et autres Jeff Beck Group en matière de rave-up (traduction anglaise de notre “rendez-vous au bac à sable“). Aussi sauvages et indomptables qu’imprévisibles, voici donc les grands méchants Who restitués dans toute la pompe de leur apogée scénique, à plus d’un demi-siècle de distance de leur actuelle incarnation cacochyme et anachronique. Comme pour leurs ex-grands rivaux des Stones, du Floyd et de Led Zep, place désormais aux archives et aux tributes. Ce qui n’en rend ce live acrobatique et triomphal (capté en son temps par Glyn Johns et Vic Maile) que plus indispensable.
Patrick DALLONGEVILLE
Paris-Move, Illico & BluesBoarder, Blues & Co
PARIS-MOVE, November 15th 2025
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Tracklist – CD:
1. So Glad To See Ya
2. Summertime Blues
3. My Wife
4. Love Ain’t For Keeping
5. I Can’t Explain
6. Substitute
7. Bargain
8. Behind Blue Eyes
9. Won’t Get Fooled Again
10. Baby Don’t You Do It
11. Pinball Wizard
12. See Me, Feel Me / Listening To You
13. My Generation
14. Naked Eye
15. Magic Bus
Tracklist 2LPs:
LP ONE – SIDE A
1. So Glad To See Ya
2. Summertime Blues
3. My Wife
4. Love Ain’t For Keeping
5. I Can’t Explain
6. Substitute
LP ONE – SIDE B
1. Bargain
2. Behind Blue Eyes
3. Won’t Get Fooled Again
LP TWO – SIDE C
1. Baby Don’t You Do It
2. Pinball Wizard
3. See Me, Feel Me / Listening To You
LP TWO – SIDE D
1. My Generation
2. Naked Eye
3. Magic Bus
Highly recommended by the PARIS-MOVE editorial Team:
Who Are You 7 CD/Blu-Ray Super Deluxe Edition Boxset
7 AUDIO CDs:
CD 1: the original album newly remastered by Jon Astley at Close to the Edge.
CD 2: Includes the Who Are You album first mixed by Glyn Johns that was rejected by the band, plus some new mixes created by Steven Wilson
CD 3: Early run-throughs, sessions and out-takes plus several demos by John Entwistle.
CD 4: Previously unreleased tracks from the 1977 Shepperton studios rehearsals including Keith Moon singing ‘I Saw Her Standing There’ and ‘Barbara Ann’. Plus a very early live version of ‘Who Are You’ from Toronto, 1976.
CD 5: Includes six tracks from the live concert at Shepperton for the filming of The Kids Are Alright documentary. Plus rehearsals with new drummer Kenney Jones for The Who’s 1979 US tour.
CD 6 & CD 7: Live recordings from the 1979 US tour including tracks recorded at the Pontiac Silverdome, the Spectrum in Philadelphia and the Masonic Temple, Detroit, including a rare live version of John Entwistle’s ‘Trick of the Light’.
BLU-RAY: Dolby Atmos, DTS-HD Master audio 5.1 and PCM Stereo mixes created by Steven Wilson
BOOK: A 100-page hard back book with extensive sleeve notes by Matt Kent together with an insightful exclusive interview with Roger Daltrey covering the months preceding the album’s release, plus track-by-track details, and session notes, as well as sleeve notes by Steven Wilson on his remixes for Dolby Atmos. The book is lavishly illustrated with previously unpublished photographs, memorabilia, tape boxes and original print ads.