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Depuis le début des années 1980, un nombre croissant de musiciens s’aventurent à travers la frontière poreuse qui sépare la musique classique du jazz. Le flûtiste et compositeur espagnol Fernando Brox fait partie de ce cercle restreint pour qui l’acte de création devient le seul véritable lieu d’appartenance. Formé dès l’âge de huit ans à la rigueur du langage classique, Brox a fini par comprendre que la discipline du contrepoint et la spontanéité de l’improvisation ne s’opposent pas, mais se complètent, deux langages d’une même grammaire. Son dernier enregistrement le révèle comme un compositeur pour qui les frontières stylistiques ont depuis longtemps perdu tout sens.
Ici, Brox se dévoile davantage en architecte sonore qu’en soliste. Son jeu, toujours expressif, s’inscrit dans une vision d’ensemble: démontrer la force de la construction musicale et de l’architecture rythmique. L’album repose sur un dialogue entre forme et liberté, chaque morceau explorant le point de rencontre entre la structure intellectuelle et l’expression instinctive. Dans cet équilibre, Brox atteint une rareté: une musique qui satisfait à la fois l’esprit analytique et l’oreille intuitive.
Dans le prolongement de son album paru en 2024 sur le prestigieux label Fresh Sound Records, ce nouveau projet poursuit son exploration des systèmes compositionnels contemporains. Le concept sous-jacent naît d’une fascination pour les structures invisibles qui régissent à la fois la musique et le monde naturel, ces architectures que l’on ressent plus qu’on ne les perçoit consciemment. Brox y expérimente les séries dodécaphoniques, la théorie des ensembles, les modes à transpositions limitées de Messiaen et d’autres techniques atonales. Mais loin d’utiliser ces méthodes comme des carcans, il s’en sert comme outils d’émancipation, ouvrant de nouvelles perspectives mélodiques et harmoniques. Chaque composition incarne un équilibre délicat entre la logique et l’émotion, entre les mathématiques et la poésie.
Enregistré en moins de trois heures au Jazzcampus de Bâle, l’album a été capté pour la plupart des morceaux en une seule prise, un véritable manifeste de spontanéité. Les performances possèdent la précision organique de la musique de chambre, mais aussi l’urgence fluide de l’improvisation jazz. Le batteur brésilien Paulo Almeida apporte une dimension émotionnelle puissante, notamment sur “Salutation to Naná”, où son pandeiro et ses chants vocaux confèrent à la musique une profondeur rituelle et une résonance ancestrale.
Au cœur de What We Don’t See se trouve une méditation sur la perception et la création. L’album invite l’auditeur à considérer l’invisible: les schémas mathématiques, les courants émotionnels, les héritages culturels qui façonnent le son. C’est une musique qui réclame une écoute attentive et récompense chaque retour par de nouvelles découvertes. La voix compositionnelle de Brox évoque tour à tour Messiaen et Gershwin, mais aussi Pierre Henry et Michel Colombier, artistes qui, comme lui, ont cherché à unir l’intellect et l’intuition.
En définitive, l’œuvre de Fernando Brox nous rappelle que l’avenir du jazz ne réside peut-être pas dans la nostalgie stylistique, mais dans l’intégration continue de nouveaux langages. Sa musique est celle des idées, mais aussi celle de l’humain, une synthèse qui le place parmi les compositeurs-improvisateurs les plus fascinants de sa génération.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, November 11th 2025
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Musicians :
Fernando Brox | Flutes, Composition
Lorenzo Vitolo | Piano
Joan Codina | Double Bass
Paulo Almeida | Drums, Voice
Track Listing:
Dark Matter
XII
Background Radiation I
Perpetual Motion Machine
Background Radiation II
Rubatello
Etude No. 2
Background Radiation III
Silver Moon
Naná Burukú (Salutation)
We Are Always Coming Back Home
Forró Escuro
Density-Void
