Brandon Sanders – Lasting Impression (FR review)

Savant Records – Street Date: Available
Jazz
Brandon Sanders - Lasting Impression

Brandon Sanders: Dans la clé du souvenir

Chaque fois que Brandon Sanders entre dans un club de jazz, c’est comme si un fantôme y entrait avec lui, la présence douce et persistante de sa grand-mère. Bien avant de devenir ce batteur et compositeur reconnu qu’il est aujourd’hui, il y avait ce club à Kansas City, tenu par cette femme qui, sans le savoir, allait façonner son destin. Un lieu vibrant, empli de cuivres, de rires et de volutes de fumée. Pour Sanders, tout a commencé là, durant ces étés d’enfance, entre les années 1970 et la fin des années 1980, lorsqu’il rendait visite à sa grand-mère et découvrait, presque malgré lui, le langage du rythme et de l’improvisation. Ce n’était pas une école, mais une initiation. Il n’a pas tant appris le jazz qu’il ne l’a respiré.

Pour un enfant destiné à devenir artiste, c’était un poste d’observation privilégié : une place de choix face à des musiciens dont le jeu allait, plus tard, façonner son propre sens du rythme, de la forme et de l’âme. Ce club fut son premier monde, sa première communion musicale. Et aujourd’hui encore, chaque frappe de caisse claire, chaque ligne de basse, porte l’écho de ce baptême sonore.

C’est pourquoi il semble presque poétique que le nouvel album de Sanders soit traversé de cette même chaleur, de cette vitalité qui habitait jadis le club de sa grand-mère. Ce projet est une révélation, généreux, vibrant, profondément humain. Après avoir conquis la critique avec deux premiers opus, Sanders franchit ici une nouvelle étape, s’aventurant plus loin dans le territoire des émotions, du travail de composition et du souvenir. La force de cet album tient autant à son écriture qu’à la constellation de musiciens qui l’entourent : un groupe à la fois enraciné et en mouvement.

Parmi eux, le pianiste Eric Scott Reed, figure majeure du jazz contemporain, l’un de ces rares artistes capables de sublimer n’importe quel ensemble. Le dialogue entre Reed et Sanders est fascinant, une conversation musicale qui ressemble moins à un accompagnement qu’à deux amis de longue date achevant mutuellement leurs phrases en rythme. Leur alchimie donne à l’album sa lumière, son urgence tranquille.

Et puis, il y a la voix de Jazzmeia Horn. Radieuse, puissante, d’une intensité presque spirituelle, elle ajoute une dimension à la fois intime et transcendante, une lumière nouvelle qui approfondit la lecture émotionnelle du disque. Sa manière d’habiter les morceaux colore différemment les compositions de Sanders, et invite l’auditeur à écouter autrement.

Comprendre cet album, c’est ouvrir une sorte de journal personnel, un carnet d’admirations musicales, de filiations assumées. On y croise Gershwin, Mal Waldron, Eric Scott Reed, mais aussi Sanders lui-même, compositeur de plus en plus affirmé. Chaque pièce y raconte une histoire. Dans « Tales of Mississippi », par exemple, Sanders joue avec une élégance presque cinématographique : précis mais fluide, délicat et affirmé. Un post-bop qui sourit à son passé, un morceau qui aurait sans doute fait naître un sourire sur les lèvres de Miles Davis, on l’imagine volontiers glisser quelques notes, juste pour le plaisir.

Pour Sanders, relier le passé au présent est un geste naturel, presque instinctif. « C’est une question d’intention, plus que de style », dit-il. Cette philosophie traverse tout l’album, nourrie aussi par une autre facette de sa vie : son travail d’assistant social. Oui, lorsque Sanders ne joue pas, il accompagne ceux qui ont besoin d’une main tendue. «Il s’agit d’essayer de redonner le moral aux gens», explique-t-il. «C’est ce que je fais dans mon métier de travailleur social, et ce que j’essaie de faire avec la musique : que les gens repartent dans un autre état que celui dans lequel ils sont arrivés.»

C’est à cette intersection, entre art et empathie, que Sanders trouve son véritable rythme. Pour lui, le jazz n’est pas seulement une musique d’improvisation : c’est une musique du soin. Comme les grands avant lui, il joue en témoin de son temps, attentif à ses blessures, à ses espérances, à son humanité fragile. Sa musique écoute avant de parler.

Et c’est sans doute pour cela que cet album touche autant. Au-delà de sa virtuosité, il dégage une générosité rare : celle d’un groupe de musiciens qui se font confiance, qui jouent ensemble avec le cœur autant qu’avec la technique. Car le meilleur jazz, toujours, est un cadeau, offert, jamais imposé.

Parfois, un album ne se contente pas de jouer, il parle. Il rappelle que le son peut consoler, que le rythme peut porter la mémoire, que la sincérité peut être aussi complexe qu’une harmonie. Le nouvel album de Brandon Sanders fait tout cela à la fois: il écoute, il apaise, il élève. C’est du jazz dans sa plus belle définition, non pas seulement un art, mais un acte d’humanité.

Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News

PARIS-MOVE, November 7th 2025

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Website

Musicians :
Brandon Sanders : batterie
Jazzmeia Horn: vocal (tracks 3 and 8)
Eric Scott Reed: piano (tracks 1-7)
Stacy Dillard: tenor saxophone
Warren Wolf: vibes
Eric Wheeler: bass (tracks 1-7)
Ameen Saleem: bass (track 8)
Tyler Bullock: piano (track 8)

Track Listing :

  •  1. 8/4 Beat
  • 2. Lasting Impressin
  • 3. Our Love Is Here to Stay
  • 4. Shadoboxing
  • 5. Tales of Mississippi
  • 6. Soul Eyes
  • 7. No BS for B.S.
  • 8. Until You Come Back to Me (That’s What I’m Gonna Do)