| Jazz moderne |
Il y a dans le Nord de l’Europe, une certaine lumière qui ne s’éteint jamais vraiment, une lumière suspendue, même en hiver, argentée, lointaine, se reflétant sur la mer. Cette même lumière semble traverser ‘Bringer of Light’, le premier album du quartet danois Omrum, qui évolue quelque part entre le jazz de chambre contemporain et la composition classique moderne. Dès les premières notes, le disque s’impose comme un voyage, non seulement sonore, mais aussi atmosphérique, presque mémoriel. On se croirait guidé à travers un port enveloppé de brume, où le souffle des navires et le craquement du bois se mêlent au langage de l’improvisation.
Omrum appartient à cette lignée d’ensembles scandinaves pour qui les genres ne sont pas des frontières, mais des vocabulaires. Le quartet puise profondément dans la logique de la musique classique, structure, discipline, timbre, mais la fait respirer grâce à l’élasticité du jazz. Ce n’est pas une fusion, mais une coexistence: une musique à l’écoute d’elle-même, attentive au silence, à la tension, aux petits déplacements entre les idées. Dès le second morceau, le pouls du jazz s’impose, mais la clarté de la forme demeure. On entend là des musiciens qui ont absorbé toute la musique du XXe siècle, de Stravinsky à Ellington, de Ligeti à Mingus, et qui la parlent avec une aisance totale.
‘Bringer of Light’ a été enregistré un week-end d’hiver sur l’île de Møn, dans le studio Karmacrew de ‘John Fomsgaard’, une grange transformée, chauffée par un poêle à bois. Le décor compte. Les quatre musiciens ont joué ensemble, en direct, dans une même pièce, sans casque. Pas de cabines d’isolation, pas de retouches. Seulement le bois, la chaleur et la confiance. Ce choix donne au disque une immédiateté tangible; l’air semble proche, les sons vivants. En tendant l’oreille, on perçoit même le crépitement du feu, vestige sonore d’une intimité rare, celle d’une séance qui respire comme un concert.
Et de fait, ‘Bringer of Light’ a tout d’un album live, sans les applaudissements. L’interaction entre les musiciens est si fluide, si organique, qu’on oublie la rigueur du cadre d’enregistrement. Chaque pièce se déroule comme un dialogue en temps réel, une conversation qui s’étire et se contracte naturellement. Il y a là une audace discrète, un refus de se cacher derrière la densité ou la virtuosité. Omrum explore la fragilité, l’équilibre, et ces lignes invisibles qui relient quatre voix musicales distinctes.
Chacun des membres d’Omrum apporte une histoire singulière. Le trompettiste Jakob Kimestad est aujourd’hui l’un des musiciens les plus sollicités de la scène danoise, collaborant avec le Kresten Osgood Kvartet et le Horse Orchestra. Le saxophoniste Anders Hyhne navigue entre des projets aussi variés que Bugpowder et Sacrum Facere de Maria Faust, révélant un goût égal pour la composition et l’improvisation. Le pianiste Simon Andersson, qui a joué avec Jeff “Tain” Watts, Tony Malaby et Oskar Gudjonsson, apporte une touche cosmopolite, reliant Copenhague, New York et Reykjavik. Quant au bassiste Anders Høyer, connu pour son rôle dans le duo rock The Raveonettes autant que dans le trio de **Jakob Bro**, il ancre le son du groupe avec une douceur lyrique. Ensemble, ils forment un organisme collectif, qui respire, écoute et réagit d’une seule voix.
Le morceau-titre, “Bringer of Light”, résume à lui seul l’esprit du groupe : une lente émergence, un déploiement patient du timbre et du rythme, où chaque geste paraît à la fois réfléchi et vivant. Pas de hâte, pas de démonstration. La musique cherche, non pas la résolution, mais la présence. Ailleurs, des titres comme “Kærlig” ou “Silent Roads” glissent entre immobilité et mouvement, portés par cette sensibilité nordique faite d’espace, de climat, et de son perçu comme un paysage.
Mais une question demeure: est-ce vraiment une exploration de l’inconnu? On pourrait le croire, tant la musique paraît libre et spontanée. Pourtant, tout semble ici mûrement pensé, ancré dans des années de dialogue et de recherche. L’inconnu, peut-être, n’est pas ce qu’on découvre, mais ce qu’on réinvente. Omrum ne plonge pas dans le chaos, il le sculpte, lentement, comme un artiste modèle l’argile. L’improvisation devient ici la forme achevée d’un long processus: celui d’une écoute patiente, d’une pratique collective et d’une recherche du timbre comme on chercherait une couleur.
Ce n’est pas une musique de fond. Elle réclame une attention totale, non parce qu’elle est difficile, mais parce qu’elle ouvre l’esprit. C’est une musique pour ceux qui veulent entendre ce qui se passe quand quatre musiciens font confiance à la fois à eux-mêmes et au silence. Ce qu’elle offre en retour, c’est une sensation rare de découverte: celle d’une communication sans mots, d’une émotion sans pathos, d’une beauté sans artifices.
Si ‘Bringer of Light’ ressemble à un commencement, c’est qu’il en est un. On sent déjà poindre l’idée d’une évolution, que ce qui naît ici dans l’improvisation pourrait, sur un prochain disque, devenir plus écrit, plus structuré. La graine d’une écriture collective est plantée. Omrum joue comme un groupe qui a trouvé bien plus qu’un son: une philosophie partagée. Celle selon laquelle la musique est un espace de communion, une langue qu’on réinvente à chaque fois qu’on la parle. Pour l’heure, ce premier chapitre suffit largement’ lumineux, patient, et plein de promesses.
Et si le Nord de l’Europe nous a appris une chose, c’est que la lumière, une fois trouvée, ne s’éteint jamais vraiment.
Thierry De Clemensat
Member at Jazz Journalists Association
USA correspondent for Paris-Move and ABS magazine
Editor in chief – Bayou Blue Radio, Bayou Blue News
PARIS-MOVE, October 27th 2025
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Musicians :
Erik Kimestad | Trumpet
Mads Hyhne | Trombone
Richard Andersson | Double Bass
Jakob Høyer | Drums
Track Listing :
1. Intro
2. Blues for Teitelbaum
3. Intermezzo No. 1
4. Nobility
5. Paul’s Idea
6. Intermezzo No. 2
7. S/H
8. For the Love of Wisdom
9. Sand
10. Bringer of Lights
